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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110203

Dossier : IMM-3323-10

Référence : 2011 CF 122

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 février 2011

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

 

ANICETUS REGAN GUNARATNAM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demande d’examen des risques avant renvoi d’Anicetus Regan a été rejetée au motif qu’il n’avait pas démontré qu’il serait exposé à des risques au Sri Lanka.

 

[2]               Monsieur Gunaratnam conteste la décision de l’agent chargé de l’ERAR, parce qu’à son avis l’agent a commis une erreur en écartant les nouveaux éléments de preuve qu’il avait présentés à l’appui de sa demande et en ne l’autorisant pas à expliquer une incohérence dans les renseignements qu’il avait présentés. Selon M. Gunaratnam, l’agent a également commis une erreur en ne lui donnant pas la possibilité de répondre aux éléments de preuve documentaire faisant état de changements inédits et importants survenus dans la situation du Sri Lanka.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande sera accueillie.

 

Le traitement des « nouveaux » éléments de preuve par l’agent

[4]               Monsieur Gunaratnam est un jeune Tamoul, originaire du Nord du Sri Lanka. Il prétend être exposé à des menaces au Sri Lanka de la part d’un groupe paramilitaire connu sous le nom du Parti démocratique populaire de l'Eelam [Eelam Peoples Democratic Party] (EPDP), du fait qu’il a été faussement accusé par un ancien camarade d’école d’être un partisan des TLET. La Section de la protection des réfugiés a conclu que sa demande était dépourvue d’un minimum de fondement.

 

[5]               La demande d’ERAR de M. Gunaratnam était fondée sur les mêmes allégations qu’il avait soulevées à l’égard du risque dans sa demande d’asile. Il a présenté plusieurs lettres du Sri Lanka à l’appui de sa demande d’ERAR : une lettre du prêtre de la famille, celle d’un membre du parlement et plusieurs autres de l’avocat du père de M. Gunaratnam. Ces lettres font état de menaces constantes qui auraient été adressées à M. Gunaratnam et à sa famille, ainsi que de la situation dangereuse pour les Tamouls en général au Sri Lanka.

 

[6]               L’agent a refusé de tenir compte des lettres, dans la mesure où elles portaient sur des événements qui, manifestement, s’étaient produits avant le départ de M. Gunaratnam du Sri Lanka. Monsieur Gunaratnam a concédé à l’audience que ce refus était entièrement approprié, étant donné qu’il était clair que ces parties des lettres ne satisfaisaient pas au critère applicable aux nouveaux éléments de preuve établi par la Cour d’appel fédérale dans Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, [2007] A.C.F. no 1632.

 

[7]               L’agent a pris les lettres en considération dans la mesure où elles portaient sur des menaces continues contre M. Gunaratnam et ses parents. Comme aucun des auteurs ne semblait avoir eu une connaissance directe des menaces, il n’était pas déraisonnable de la part de l’agent d’accorder peu d’importance aux lettres.

 

[8]               Monsieur Gunaratnam prétend aussi que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve que les lettres contenaient eu égard aux risques auxquels la situation générale régnant au Sri Lanka expose les jeunes Tamouls. Cependant, l’agent a déclaré clairement que [traduction] « la preuve documentaire » démontrait que, dans sa relation avec la majorité cinghalaise, la minorité tamoule au Sri Lanka était aux prises avec de nombreux problèmes persistants. Vu les propos de l’agent, je ne suis pas convaincue que les renseignements contenus dans les lettres sur la situation générale du pays n’ont pas été pris en compte.

 

La question de l’adresse des parents de M. Gunaratnam

[9]               Monsieur Gunaratnam affirme que ses parents vivaient dans la clandestinité à cause du harcèlement permanent auxquels ils étaient soumis de la part de l’EPDP. Cependant, l’agent chargé de l’ERAR a fait remarquer que M. Gunaratnam avait donné la même adresse domiciliaire pour ses parents en 2009 que celle qui avait été donnée à la Section de la protection des réfugiés en 2005. L’agent a conclu que ces éléments soulevaient un doute quant à la prétention du demandeur selon laquelle ses parents avaient été contraints de vivre dans la clandestinité.

 

[10]           Monsieur Gunaratnam prétend que l’agent aurait dû lui accorder la possibilité d’expliquer cette incohérence. Il soutient qu’il aurait expliqué que l’adresse fournie était [traduction] « l’adresse permanente » de ses parents, mais qu’elle ne correspondait pas à l’endroit où ils vivaient réellement.

 

[11]           L’incohérence dans l’adresse des parents était évidente à la lecture des documents que M. Gunaratnam avaient présentés à l’agent chargé de l’ERAR. De plus, la Section de la protection des réfugiés avait consacré une partie considérable de son analyse à la question de savoir où les parents de M. Gunaratnam vivaient aux dates pertinentes. Dans ces circonstances, celui‑ci aurait dû être conscient de l’incohérence dans les renseignements qu’il avait fournis et il aurait dû l’expliquer. L’agent n’était pas tenu d’interroger M. Gunaratnam sur l’incohérence.

 

Le défaut de l’agent de communiquer les renseignements sur la situation dans le pays

 

[12]           La demande d’ERAR de M. Gunaratnam a été déposée en avril 2008, au point culminant du conflit au Sri Lanka. Cependant, ce n’est qu’en mars 2010 qu’une décision a été rendue relativement à sa demande. La guerre au Sri Lanka était alors terminée.

 

[13]           Dans son évaluation de la demande d’ERAR, l’agent a examiné les renseignements récents se rapportant à la situation des Tamouls au Sri Lanka. Bien que M.  Gunaratnam ne conteste pas le fait que les renseignements consultés par l’agent étaient à la disposition du public, il soutient que l’équité commandait que l’agent attire son attention sur ces renseignements afin de lui donner la possibilité d’y répondre.

 

[14]           Monsieur Gunaratnam reconnaît que les agents ne sont pas généralement tenus de fournir aux demandeurs d’ERAR des renseignements sur la situation générale du pays, qui sont par ailleurs disponibles dans les centres de documentation : Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 461, [1998] A.C.F. no 565 (C.A.), au paragraphe 22.

 

[15]       Cependant, il fait remarquer que la Cour d’appel fédérale a également déclaré dans Mancia que, lorsque l'agent entend se fonder sur une preuve qui ne se trouve normalement pas dans les centres de documentation, ou qui ne pouvait pas y être consultée au moment du dépôt des observations du demandeur « l'équité exige que le demandeur soit informé de toute information inédite et importante faisant état d'un changement survenu dans la situation générale d'un pays si ce changement risque d'avoir une incidence sur l'issue du dossier » : au paragraphe 22.

 

[16]       Selon M. Gunaratnam, la preuve documentaire ayant trait à la fin de la guerre civile au Sri Lanka constituait une « information inédite et importante » qui avait clairement une incidence sur l’issue de sa demande. Il ne disposait pas de cette information ne au moment où il a déposé sa demande d’ERAR en 2008. En conséquence, l’équité commandait qu’on lui donne les documents ainsi que la possibilité d’y répondre.

 

[17]       Le défendeur soutient que M. Gunaratnam avait fourni des observations écrites mises à jour en août 2009 et que celui‑ci avait eu la possibilité de s’exprimer sur la situation en cours au Sri Lanka s’il avait voulu le faire. En toute déférence, soit l’agent chargé de l’ERAR avait l’obligation de communiquer les nouveaux renseignements sur la situation du pays, soit il ne l’avait pas. Le fait que M. Gunaratnam a choisi de présenter des observations écrites mises à jour ne modifie pas la teneur du devoir d’agir équitablement à son égard. De plus, une grande partie de la preuve sur laquelle l’agent s’est appuyé était postérieure au mois d’août 2009.

 

[18]           Plusieurs de mes collègues se sont penchés sur la question de savoir si l’équité commande que les agents chargés de l’ERAR communiquent les documents concernant les changements ayant eu lieu au Sri Lanka à la fin de la guerre civile.

[19]       Dans Pathmanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] 3 F.C.R. 395, le juge Kelen a affirmé que le « passage du Sri Lanka de pays aux prises avec une longue guerre civile qui a duré des décennies à un pays normal [était] un important changement et une nouveauté dans la situation du pays ». En conséquence, il était d’avis que « l’équité procédurale exigeait que l’agente informe le demandeur du fait qu’elle se fondait sur ces nouvelles sources d’information, qui établissaient la fin imminente de la guerre civile et la diminution du risque pour un Tamoul comme le demandeur, et qu’elle donne au demandeur la possibilité de répondre » : les deux citations sont des extraits du paragraphe 34. Le défaut de l’agent de se conformer à ces directives constitue une violation du devoir d’agir équitablement.

 

[20]       Le défendeur soutient que Pathmanathan peut être distingué de l’espèce. Selon le défendeur, le document non communiqué dans Pathmanathan était une décision du Tribunal d’asile et d’immigration du Royaume-Uni, tandis que le document sur lequel l’agent chargé de l’ERAR s’est appuyé en l’espèce était un rapport du Home Office de la Grande-Bretagne, [traduction] « un document plus général et bien connu ».

 

[21]       Or, il ressort clairement des motifs du juge Kelen que l’équité exige la communication des documents produits après le dépôt par le demandeur de la mise à jour de ses observations, documents qui font état de changements survenus dans la situation générale du pays et qui ont une incidence sur la décision de l’agent chargé de l’ERAR : au paragraphe 32. Ces documents comprenaient non seulement la décision britannique, mais aussi trois articles de la BBC mis à la disposition du public.

 

[22]       De même, dans Mahendran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1236, [2009] A.C.F. no 1554, le juge Beaudry a conclu que le demandeur d’ERAR avait été privé de son droit à l’équité procédurale lorsque l’agent s’est appuyé sur une preuve documentaire récente relative à la situation au Sri Lanka, sans avoir d’abord donné au demandeur l’occasion d’y répondre.

 

[23]       Le juge Beaudry était d’avis que les documents en cause n’étaient pas seulement des versions mises à jour de rapports soumis par les demandeurs et qu’ils démontraient plutôt des changements importants dans la situation au Sri Lanka : au paragraphe 17.

 

[24]       Le défendeur soutient que Mahendran peut être distingué de l’espèce, car le document en cause devant le juge Beaudry était un profil de pays rédigé par la BBC News. Selon le défendeur, ce document n’est [traduction] « pas aussi notoire ou connu que les rapports sur la situation du pays provenant du Home Office du R.-U. ». En vérité, dans Nallathamby c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1131, [2010] A.C.F. no 1405, le juge Zinn a conclu que l’équité ne requérait pas la communication du rapport du Home Office du Royaume‑Uni.

 

[25]       Or, l’examen de la décision issue de l’ERAR demandé par M. Gunaratnam révèle que l’agent a tenu compte de la version de 2010 du profil de pays rédigé par la BBC News dont il est question dans Mahendran ainsi que du document du Home Office du Royaume‑Uni abondamment cité dans la décision. L’agent a également consulté plusieurs autres documents qui sont postérieurs aux dernières observations de M. Gunaratnam transmises relativement à sa demande d’ERAR.

 

[26]       La situation au Sri Lanka est instable depuis plusieurs années. Il est clair que les agents chargés de l’ERAR n’ont pas l’obligation de communiquer des documents mis à jour dont le public peut disposer, dans lesquels il est fait état de l’intensification ou de la désintensification mineures des hostilités au fil du temps. Cependant, l'es développements dans la guerre civile en 2009 étaient manifestement nouveaux, majeurs et importants puisqu’ils étaient rattachés aux risques auxquels les Tamouls sont exposés dans ce pays.

 

[27]       Comme la Cour d’appel fédérale l’a observé dans Mancia, l'équité exige que les demandeurs soient informés de toute information inédite et importante faisant état d'un changement survenu dans la situation générale d'un pays si ce changement risque d'avoir une incidence sur l'issue du dossier. Tel était clairement le cas en l’espèce.

 

[28]       En conséquence, je suis convaincue que M. Gunaratnam a été privé de son droit à l’équité procédurale dans le processus de l’ERAR. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

 

La certification

[29]           Monsieur Gunaratnam propose que soient certifiées les questions suivantes :

[Traduction]

1)   Le concept de l’« information inédite et importante faisant état d'un changement survenu dans la situation générale d'un pays si ce changement risque d'avoir une incidence sur l'issue du dossier » énoncé dans le raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans Mancia c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1998] 3 F.C. 461 [1998] A.C.F. no 565, renvoie-t-il à une information « nouvelle » et importante qui comprendrait les renseignements examinés par l’agent dans la présente affaire dont le demandeur ne serait pas informé, ou renvoie-t-il seulement à [une information] « inhabituelle » et importante qui ne comprendrait pas les renseignements examinés par l’agent?

 

2)   Lorsqu’une demande d’ERAR est pendante depuis une longue période et qu’un agent est sur le point de rendre une décision et que des changements importants ont eu lieu dans le pays dont le bilan en matière de droits de la personne est à l’examen, l’équité exige-t-elle que l’agent informe le demandeur des nouveaux rapports et articles courants dont il sera tenu compte pour prendre la décision ou le demandeur est-il responsable de tenir l’agent régulièrement au courant des nouveaux renseignements concernant la situation du pays?

 

 

[30]           Je conviens avec le défendeur qu’il ne serait pas opportun de certifier ces questions. La Cour d’appel fédérale a déjà clairement énoncé dans Mancia les principes applicables à la question de savoir si l’équité exige la communication de la preuve extrinsèque au demandeur de l’ERAR. L’examen de la question de savoir si un document précis doit être communiqué au demandeur dans une affaire donnée tient aux faits et ne soulève pas une question de portée générale.


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que :

 

            1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent chargé de l’ERAR pour nouvel examen conformément aux présents motifs.

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3323-10

 

 

INTITULÉ :                                       ANICETUS REGAN GUNARATNAM c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 janvier 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ada Mok

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JACKMAN & ASSOCIATES

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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