Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 4 février 2011
En présence de monsieur le juge Boivin
ENTRE :
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FERNANDO ALBERTO HERNANDEZ MALVAEZ ALEJANDRA BERENICE FLORES SANCHEZ MARIA CONCEPTION MALVAEZ OLIVARES
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ET DE L'IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27, (la Loi) de la décision rendue le 31 mars 2010 de l’agente d’examen des risques avant renvoi (l’agente de l’ERAR) qui a rejeté la demande de résidence permanente des demandeurs présentée à partir du Canada et fondée sur des considérations humanitaires (ci-après la demande CH).
Contexte factuel
[2] Le demandeur principal, M. Fernando Alberto Hernandez Malvaez, son épouse Alejandra Berenice Flores Sanchez et sa mère, Madame Maria Concepcion Malvaez Olivares sont tous des ressortissants mexicains.
[3] Devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, la Section de la Protection des Réfugiés (SPR), M. Malvaez a allégué qu’en janvier 2006 le directeur du département du recouvrement pour l’Institut mexicain de l’Assurance sociale, où il travaillait, l’aurait approché afin qu’il recouvre une somme au montant de 500 000 pesos qu’il devait secrètement remettre au directeur.
[4] M. Malvaez a affirmé avoir démissionné de son poste en février 2006 et qu’il aurait tenté de porter plainte à deux reprises. En mars 2006, il aurait été embauché par l’entreprise auprès de laquelle il avait recouvert la somme de 500 000 pesos. Il a ensuite réalisé qu’il avait été recommandé par son ancien patron afin de trafiquer des cotisations. M. Malvaez aurait donc quitté son emploi sous la menace qu’il allait regretter d’avoir refusé de faire de l’argent et que la mort l’emporterait.
[5] En mai 2006, M. Malvaez aurait reçu plusieurs menaces. L’entreprise en question appartiendrait au Sénateur M. Medina Placencia et il y aurait une entente entre le Sénateur et les fonctionnaires de l’Institut afin de détourner l’argent versé à l’Institut. Le 20 juillet 2006, M. Malvaez aurait tenté de déposer une plainte contre l’entreprise, mais on lui aurait répondu au Ministère Public de Leon que personne ne pouvait déposer une plainte contre un sénateur et qu’il pourrait être tué comme rebelle.
[6] M. Malvaez aurait insisté et on lui aurait dit de revenir le lendemain afin de récupérer sa plainte. Le même soir, il aurait reçu des menaces de mort sur son cellulaire.
[7] À leur arrivée au Canada le 24 juillet 2006, M. Malvaez et son épouse ont immédiatement présenté une demande d’asile. Quant à la mère du demandeur, elle est venue rejoindre son fils au Canada le 22 septembre 2007. Elle a également demandé l’asile à son arrivée au Canada alléguant qu’elle aussi avait reçu des menaces et aurait été agressée physiquement par les individus qui cherchaient son fils.
[8] Lors d’une audience devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié les 7 février et 26 mai 2008, les demandeurs ont reçu, le 28 mai 2008, une décision négative de la Section de la Protection des Réfugiés (la SPR) selon laquelle les demandeurs n’étaient pas reconnus en tant que réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger.
[9] Le 1er mai 2009, les demandeurs ont déposé une demande de résidence permanente dans le volet des considérations humanitaires.
[10] Le 29 juillet 2009, les demandeurs ont présenté une demande d’ERAR (dossier IMM-2981-10).
[11] Le 31 mars 2010, la demande CH a été rejetée. Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
Décision contestée
[12] Lorsqu’elle a rejeté la demande des demandeurs, l’agente, chargée de l’examen des CH, a pris en compte les facteurs suivants :
1. l’établissement des demandeurs au Canada; et
2. leurs craintes de retour au Mexique.
[13] L’agente a noté que M. Malvaez et son épouse ont suivi un programme de francisation, que M. Malvaez a suivi une formation en conduite sécuritaire de chariots élévateurs. Madame Sanchez travaille en tant qu’aide ménagère depuis juillet 2008. L’agente a également noté que les demandeurs sont inscrits en tant que bénévoles dans un centre depuis décembre 2008, mais la lettre à l’appui ne mentionne pas le nombre d’heures qu’ils effectuent à titre de bénévoles.
[14] Quant à la mère de M. Malvaez, elle a également suivi des cours de francisation et elle fait du bénévolat au centre ABC.
[15] L’agente a fait référence aux nombreuses lettres d’appui figurant à leur dossier, du fait que le couple travaille et qu’ils sont impliqués dans l’action bénévole. Toutefois, l’agente a conclu que même si ce sont des éléments positifs pour leur demande, ce ne sont pas des facteurs déterminants dans l’octroi d’une dispense de présenter leur demande de résidence permanente à l’étranger.
[16] L’agente a poursuivi en indiquant qu’elle accordait peu de poids aux allégations du demandeur à propos des craintes qu’il allègue puisque le demandeur n’a pas démontré avoir été embauché d’août 2003 à février 2006 par l’Institut mexicain de l’Assurance sociale, ni par l’entreprise qui appartiendrait au Sénateur Medina Placencia.
[17] L’agente a mentionné qu’il y avait au dossier un relevé de paye en date du mois d’août 2005, un contrat de travail ainsi qu’une carte d’employé. Toutefois, le contrat de travail stipule que le demandeur a été embauché par l’entreprise pour une durée déterminée allant du 4 au 31 août 2005; le relevé de paye démontre un paiement pour 28 jours de travail effectué en août 2005; et la carte d’employé indique qu’elle accrédite M. Malvaez en tant qu’Agent de notification fiscale et elle a été émise le 6 janvier 2005 et expire le 15 janvier 2006.
[18] M. Malvaez est au Canada depuis 2006. L’agente est d’avis qu’il a eu l’opportunité de documenter ces faits, d’autant plus qu’on lui a mentionné lors de son audience avec la SPR. Puisque M. Malvaez a été incapable de démontrer qu’il était un employé de l’Institut en janvier et février 2006, l’agente a donc conclu qu’elle accordait peu de poids aux allégations de M. Malvaez au sujet des menaces de son directeur, lesquelles auraient été proférées pendant cette période.
[19] L’agente a relevé certaines contradictions entre les déclarations qu’a faites M. Malvaez dans son FRP-PIF et celles qu’il a faites lors de son entrevue le 24 juillet 2006. Dans un premier temps, M. Malvaez affirme craindre une compagnie qui le menace de mort pour ensuite accepter, dans un deuxième temps, un contrat de travail avec cette même compagnie un mois plus tard.
[20] L’agente a soulevé le fait que M. Malvaez a acheté ses billets d’avion pour le Canada le 31 mai 2006, mais que son départ n’était prévu que pour le 24 juillet 2006. Ainsi, l’agente a conclu qu’elle accordait peu de poids aux craintes avancées par M. Malvaez et que conséquemment, elles ne représentent pas des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées.
[21] De plus, l’agente a également soulevé le fait que M. Malvaez avait déposé une plainte au Bureau du procureur général de Justice le 20 juillet 2006. Toutefois, les informations indiquées sur la fiche ont mené l’agente à conclure qu’il n’y avait pas d’information tangible pour appuyer les allégations voulant que M. Malvaez a déposé une plainte contre l’entreprise et son propriétaire allégué, le sénateur Carlos Medina Placencia. De plus, l’agente a constaté que, suite à une recherche internet, le sénateur Carlos Medina Placencia ne figurait plus sur la liste des 101 sénateurs du site officiel du sénat mexicain. Elle a donc accordé peu de poids aux craintes alléguées.
[22] L’agente a poursuivi en examinant la preuve additionnelle soumise concernant l’accident qu’aurait subit Madame Estrada Chavez, la supérieure immédiate de M. Malvaez à l’Institut. L’agente a conclu que les documents soumis ne démontrent pas que l’accident de Madame Estrada Chavez est la cause directe des menaces dont elle aurait été victime de la part de ses patrons.
[23] Pour conclure, l’agente a accordé peu de poids au témoignage de Madame Estrada Chavez et a conclu que sa situation n’appuyait pas les allégations de M. Malvaez.
Législation pertinente
[24] L’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés s’applique à la présente demande :
Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger
25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.
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Humanitarian and compassionate considerations - request of foreign national 25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.
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Question en litige
[25] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la question en litige qui se pose est celle de savoir si l’agente de l’ERAR a erré en rendant sa décision concernant la demande CH des demandeurs. Plus précisément, est-ce que l’agente a erré en omettant de compléter l’analyse appropriée et a-t-elle erré en appliquant le mauvais examen à l’analyse des risques soulevés ?
Norme de contrôle
[26] Dans l’arrêt Kim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2008 CF 632, [2008] ACF no 824, au para 24, le juge O’Keefe a énoncé que la norme de contrôle applicable dans le cas d’une décision CH était la norme raisonnable (voir Barzegaran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 681, [2008] ACF no 867, aux paras 15 à 20, et Zambrano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 481, [2008] ACF no 601, au para 31).:
[24] […] la norme de contrôle appropriée dans le cas des décisions relatives à des raisons d'ordre humanitaire est, selon l'arrêt Baker, précité, celle de la décision raisonnable. […]
[27] La question de savoir si un agent a appliqué le bon critère lorsqu'il a évalué le risque allégué dans une demande fondée sur des motifs de considérations humanitaires est une question de droit, et il a été jugé que cette question est revue selon la norme de la décision correcte (voir Pinter c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 296, [2005] ACF no 366, aux paras 3 à 5.
Analyse
[28] Pour l’évaluation des considérations humanitaires, il incombe au demandeur de prouver au décideur que son cas particulier est tel que la difficulté de devoir obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada serait soit inhabituelle et injustifiée ou démesurée. Dans le cadre d’une évaluation CH présentant des craintes de retour, le facteur risque est évalué dans son ensemble et le test à appliquer est de définir si les risques encourus par le demandeur sont tels que ceux-ci équivalent à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées justifiant une dispense de faire la demande de résidence permanente à l’étranger conformément au paragraphe 11(1) de la Loi.
[29] Le processus de décision pour les demandes CH est tout à fait discrétionnaire puisqu’il sert à déterminer si l’octroi d’une exemption est justifié (voir Paz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2009 CF 412, [2009] ACF no 497, au para 17).
[30] Dans la section IP 5, Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire du Guide sur le traitement des demandes au Canada de Citoyenneté et Immigration Canada, il est définit ce que sont une difficulté "inhabituelle et injustifiée" et des difficultés "démesurées" :
5.6. Évaluation des difficultés
L’évaluation des difficultés dans une demande CH est un moyen pour les décideurs de CIC de déterminer s’il existe des circonstances d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier l’octroi de la dispense demandée.
Quand on détermine les difficultés auxquelles un demandeur s’expose, il faut examiner les circonstances d’ordre humanitaire qu’il fait valoir globalement et non isolément. En d’autres mots, les difficultés sont évaluées en soupesant ensemble toutes les circonstances d’ordre humanitaire soumises par le demandeur.
Difficultés inhabituelles et injustifiées
Les difficultés auxquelles s’exposerait le demandeur (s’il n’obtenait pas la dispense demandée) seraient, dans la plupart des cas, inhabituelles. En d’autres mots, il s’agit de difficultés non prévues à la Loi ou au Règlement; et
Les difficultés auxquelles s’exposerait le demandeur (s’il n’obtenait pas la dispense demandée) seraient, dans la plupart des cas, le résultat de circonstances indépendantes de sa volonté.
OU
Difficultés démesurées
Il peut aussi exister des circonstances d’ordre humanitaire suffisantes dans des cas où les difficultés entraînées par le refus de la dispense ne seraient pas considérées comme « inhabituelles et injustifiées », mais auraient des répercussions déraisonnables sur le demandeur en raison de sa situation personnelle.
[31] En l’espèce, les raisons alléguées à l’appui de la demande CH se lisent comme suit :
La corruption au Mexique a augmenté considérablement. Cette corruption insère même les autorités mexicaines. Je crains pour ma vie et cette [sic] de ma famille, si on retourne au Mexique, j’ai la certitude qu’ils vont nous tuer parce que mon problème est lié à un député. [Dossier de la Cour, décision p. 6]
[32] Selon les demandeurs, l'agente s'est concentrée sur l'aspect "risque" de leur demande fondée sur des considérations humanitaires. Ils allèguent également que, même si elle a mentionné le critère pertinent (l'existence de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées), elle a appliqué le mauvais critère.
[33] La Cour constate que l’agente a clairement indiqué le bon test à appliquer et que son analyse s’est faite en deux parties. Elle a tout d’abord analysé l’établissement des demandeurs au Canada pour ensuite analyser les risques allégués au Mexique.
[34] Dans l’évaluation de la preuve entourant le degré d’établissement des demandeurs au Canada, l’agente a souligné les efforts des demandeurs quant à leur travail, bénévolat et cours/formation. Elle a d’ailleurs conclu qu’il s’agissait d’éléments positifs. Toutefois, elle a conclu qu’il ne s’agissait pas d’éléments déterminants en soi.
[35] Comme le souligne le Ministre, il a été établi à maintes reprises par la jurisprudence que le degré d’établissement en soi n’est pas un facteur déterminant et ne suffit pas à démontrer les difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées. Le demandeur exprime son désaccord sur l'importance que l'agente a accordée à la preuve. Le niveau d'établissement n'est que l'un de plusieurs facteurs dont doit tenir compte un agent, et l'absence d'une conclusion explicite sur le niveau d'établissement n'est pas une erreur susceptible de contrôle (voir Lee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2005 CF 413, [2005] ACF no 507, au para 9, et Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2009 CF 11, [2009] ACF no 4).
[36] Contrairement à ce que prétend le demandeur, la Cour est d’avis que l’agente n’a pas seulement fait un survol des éléments de preuve et arguments, elle a démontré pourquoi elle n’y accordait pas de poids. En l’espèce, l’agente a évalué les documents soumis et a tiré les conclusions qui s’imposent.
[37] De plus, cette Cour a réitéré à maintes reprises que la preuve documentaire sur la situation d’un pays ne suffit pas à démontrer les allégations du demandeur (Maichibi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2008 CF 138, [2008] ACF no 168, aux paras 23-24).
[38] Les demandeurs prétendent que l’agente a appliqué le mauvais critère d’évaluation. Or, la lecture des motifs permet de constater que l’agente a appliqué le bon test et qu’elle l’avait bel et bien à l’esprit. Elle y fait d’ailleurs référence à cinq (5) reprises dans sa décision.
[39] Dans la présente cause, la Cour est donc d’avis qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agente de conclure qu’aucun des documents présentés ne démontraient que les risques allégués occasionneraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées.
[40] Compte tenu de tout ce qui précède, la Cour conclut que l’agente n'a pas commis d’erreur en rendant sa décision. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question n’est soulevée aux fins de certification et ce dossier n’en contient aucune.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question à être certifiée.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3050-10
INTITULÉ : FERNANDO ALBERTO HERNANDEZ MALVAEZ et al
c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 26 janvier 2011
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE BOIVIN
DATE DES MOTIFS : Le 4 février 2011
COMPARUTIONS :
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Alain Langlois |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Myles J. Kirvan Sous-ministre et Sous-procureur du Canada |
POUR LE DÉFENDEUR |