Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 2 février 2011
En présence de monsieur le juge Phelan
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. INTRODUCTION
[1] Il s'agit d'un autre contrôle judiciaire faisant partie d'une série portant sur les réexamens faits par le ministre de décisions initiales de ne pas approuver les demandes de transfèrement de prisons des États-Unis à des prisons du Canada présentées en vertu de la Loi sur le transfèrement international des délinquants, L.C. 2004, ch. 21 (la Loi). Les principes primordiaux qui doivent être pris en considération par le présent contrôle judiciaire et les contrôles judiciaires connexes sont exprimés dans la décision Holmes c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 112.
II. LE CONTEXTE FACTUEL
[2] Vatani était un délinquant primaire âgé de 30 ans lorsqu'il a été condamné à 10 ans de prison aux États-Unis et à 5 ans de liberté surveillée. Lors de son arrestation pour excès de vitesse et de la fouille de son véhicule, 48 kg de cocaïne ont été trouvés, dont Vatani était en train de faire la livraison.
[3] Dans la première décision sur la demande de transfèrement, le ministre d'alors conclut, sur la base du volume de la drogue transportée et des actes de Vatani, que Vatani commettra, après son transfèrement, une infraction d’organisation criminelle. La demande de transfèrement a été rejetée pour cette raison.
[4] Cette première décision du ministre était incompatible avec le sens général de l'évaluation faite par le ministère et l'avis fourni au ministre. Cette évaluation soulignait le soutien pratique et résolu offert par la famille de Vatani. Ce qui est plus important encore, l'avis fourni par l'évaluation précisait qu'il n'y avait aucune preuve sur laquelle on pourrait conclure qu'il commettrait, après son transfèrement, une [traduction] « infraction liée au crime organisé ». Par ailleurs, le ministère confirmait le rôle limité joué par Vatani comme « mule » et l'absence de renseignements donnant à penser qu'il serait un acteur clé d'une organisation criminelle ou qu'il y aurait des liens.
[5] Le ministre ne donnait aucune explication sur la conclusion qu'il tirait, qui allait à l'encontre de l'avis fourni par son ministère.
[6] Lors du réexamen, la deuxième évaluation faite par le ministère arrivait essentiellement à la même conclusion que la première. On ajoutait, dans la deuxième évaluation, qu'il était improbable que Vatani commette une autre infraction après sa libération.
[7] Dans la deuxième décision du ministre, sur la question de la probabilité que Vatani commette une infraction liée au crime organisé, le ministre a noté que Vatani savait qu'il transportait de la drogue et que s'il avait pu faire la livraison prévue, il en aurait résulté un gain financier pour le groupe qu'il aidait. Le ministre a aussi noté le soutien familial, les remords et la réadaptation de Vatani. Il a cependant rejeté la demande de transfèrement.
III. ANALYSE
[8] Dans sa décision, le ministre n'explique pas comment il arrive à la conclusion que Vatani commettra une infraction d'organisation criminelle, en dépit de l'évaluation fournie par le ministère, surtout que le ministère s'appuyait sur de l'information provenant des services du renseignement.
[9] En plus l'absence de considération pour la preuve pertinente et pour l'avis formulé, qui allaient à l'encontre de sa conclusion, le ministre ne donne aucune explication quant à savoir comment le fait que Vatani avait commis l'infraction en connaissance de cause, l'infraction même et le gain prévu pouvaient étayer la conclusion qu'il commettrait ([traduction] « commettra ») l'infraction envisagée. Il n'y a apparemment aucun lien logique établi entre les facteurs notés et la conclusion tirée. La conclusion du ministre est d'autant plus difficile à comprendre lorsqu'on tient compte des autres faits présentés dans le rapport du ministère.
[10] Le ministre n'explique pas en quoi le transfèrement demandé en l'espèce va à l'encontre de l'objet de la Loi. En plus de faire fi des éléments clés de la preuve et de l'avis du ministère, qui les contredisent, les conclusions du ministre ne respectent pas les principes de transparence, d'intelligibilité et de justification établis par l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.
[11] Le ministre peut arriver à des conclusions qui vont à l'encontre de l'avis que lui fournit son ministère. Le cas échéant, cependant, il doit s'en expliquer clairement. Sinon, sa décision est arbitraire.
IV. CONCLUSION
[12] Pour ces motifs, le présent contrôle judiciaire sera accueilli, la décision du ministre sera annulée et l'affaire devra faire l'objet d'une nouvelle décision sur le fond dans les 60 jours du présent jugement. Les dépens seront adjugés au demandeur.
JUGEMENT
LA COUR STATUE comme suit : Le contrôle judiciaire est accueilli, la décision du ministre est annulée et l'affaire doit faire l'objet d'une nouvelle décision sur le fond dans les 60 jours du présent jugement. Les dépens sont adjugés au demandeur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1535-09
INTITULÉ : MEHDI VATANI
c.
MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE : les 27 et 28 octobre 2010
DATE DU JUGEMENT : le 2 février 2011
COMPARUTIONS :
John Conroy, c.r.
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Curtis Workun
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
CONROY & COMPANY Avocats Abbotsford (Colombie-Britannique)
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MYLES J. KIRVAN Sous-procureur général du Canada Vancouver (Colombie-Britannique) |