Cour fédérale |
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Federal Court |
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 1er février 2011
En présence de madame la juge Mactavish
ENTRE :
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JONATHAN NEVILLE BEHARRY MOHANI BUDHAN
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Estardai Beharry et ses deux enfants ont présenté une demande d’examen de risque avant renvoi (la demande d’ERAR), dans laquelle ils ont allégué qu’ils seraient exposés à des risques s’ils retournaient au Guyana. Leur demande d’asile avait auparavant été rejetée sur la base que la famille pouvait se prévaloir d’une protection adéquate de l’État au Guyana. Cependant, la Commission a bel et bien accepté que la famille avait été victime d’un cambriolage à domicile brutal, au cours duquel Mme Beharry fut agressée physiquement et sexuellement.
[2] L’agent d’ERAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’une protection adéquate de l’État ne serait pas offerte à la famille, au besoin. Pour les motifs suivants, je conclus que cette décision était déraisonnable.
La disponibilité de la protection de l’État
[3] Les demandeurs soutiennent que la preuve de l’augmentation du taux de criminalité violente démontrait que la situation au Guyana avait empiré depuis le moment où la Commission avait tranché leur demande d’asile, si bien que sa conclusion relative à la protection de l’État aurait dû être réexaminée.
[4] Une demande d’ERAR présentée par des demandeurs d’asile déboutés ne peut constituer un appel ni un réexamen de la décision de la Commission de rejeter une demande d’asile : voir Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, [2007] A.C.F. no 1632, au paragraphe 12. Cela dit, un agent d’ERAR peut à juste titre considérer une preuve faisant état de la situation actuelle dans le pays de renvoi : Raza, précité, au paragraphe 13.
[5] La décision relative à la demande d’asile des demandeurs avait été rendue en 2005. La preuve dont disposait l’agent d’ERAR démontrait que le taux de criminalité violente au Guyana avait continué d’augmenter depuis ce moment-là. Par exemple, en un an seulement, le taux de criminalité au Guyana avait augmenté de 9 % en moyenne, et de 21 % pour ce qui est des vols à main armée.
[6] L’agent d’ERAR a tenu compte du fait que les demandeurs craignaient la criminalité et la violence au Guyana. Il a examiné la preuve à jour relativement à la situation au Guyana en matière de sécurité et a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve convaincants pour réfuter la présomption de la protection de l’État.
[7] La preuve citée par l’agent d’ERAR pour étayer cette conclusion démontrait ce qui suit :
- Les crimes violents sont un problème majeur au Guyana et le taux de criminalité va en augmentant;
- La police guyanienne ne dispose pas des ressources nécessaires pour combattre les crimes graves de façon efficace;
- L’entraînement et l’équipement inadéquats ainsi que de sévères restrictions budgétaires limitent considérablement l’efficacité de la police guyanienne, laquelle est chargée d’assurer le maintien de l’ordre;
- Le public a peu confiance en la police guyanienne;
- Les efforts déployés par l’Autorité d’examen des plaintes contre la police pour apprécier les accusations formulées contre la police de façon transparente et impartiale étaient entravées par un manque de personnel et l’absence d’une unité d’enquête;
- La « polarisation raciale » a érodé l’application de la loi au Guyana et plusieurs Indo-Guyaniens se plaignent du fait qu’ils sont victimisés par la police majoritairement afro‑guyanienne;
- Le système judiciaire guyanien est indépendant, mais il est gêné par une pénurie de personnel et un manque de financement;
- Bien que les dépenses gouvernementales destinées à combattre le crime aient été augmentées, il y a eu peu de progrès relativement aux dispositions clés du plan pluriannuel de réforme du secteur de la sécurité;
- Le Guyana n’a pas de stratégie cohérente et priorisée quant à la sécurité nationale, et, en 2009, le gouvernement n’avait toujours pas mis en œuvre de façon adéquate les réformes proposées en matière de sécurité.
[8] Pour ces motifs, l’agent a conclu que le gouvernement du Guyana avait [traduction] « fait des efforts » pour combattre le crime.
[9] Il ressort de la décision que l’agent s’est concentré sur les efforts déployés par le gouvernement du Guyana pour combattre le crime et n’a pas correctement apprécié la question de savoir si ces efforts avaient véritablement engendré une protection adéquate de l’État: voir Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] A.C.F. no 399.
[10] De plus, la preuve sur laquelle s’est basé l’agent n’appuie tout simplement pas une conclusion selon laquelle la protection de l’État au Guyana est adéquate. En effet, elle mène plutôt vers la conclusion contraire. La conclusion de l’agent selon laquelle les demandeurs auraient pu se prévaloir d’une protection adéquate de l’État au Guyana était donc déraisonnable.
[11] À la lumière de ma conclusion sur cette question, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions soulevées par les demandeurs.
Conclusion
[12] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.
Certification
[13] Les parties n’ont pas proposé de question en vue de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT
LA COUR STATUE :
1. que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent d’ERAR pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire;
2. qu’aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
Juriste-traducteur et traducteur-conseil
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3470-10
INTITULÉ : ESTARDAI BEHARRY ET AUTRE c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 27 janvier 2011
ET JUGEMENT : La juge Mactavish
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 1er février 2011
COMPARUTIONS :
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Veronica Cham |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocats
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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