Dossiers : T‑1969‑07, T‑1970‑07
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2011
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN
ENTRE :
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EMPRESA CUBANA DEL TABACO, FAISANT ÉGALEMENT AFFAIRE SOUS LA RAISON SOCIALE CUBATABACO
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SHAPIRO COHEN et LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Le présent appel est fondé sur l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13, et ses modifications (la Loi), et vise deux décisions, en date du 13 septembre 2007, par lesquelles le registraire des marques de commerce a ordonné la radiation, aux termes de l’article 45 de la Loi, des marques de commerce COHIBA de la demanderesse en ce qui concerne les cigares et les cigarillos, à savoir :
1. COHIBA, numéro d’enregistrement 277,250;
2. COHIBA et DESSIN, numéro d’enregistrement 373,446.
[2] Les deux marques ont été radiées, la demanderesse n’ayant pas apporté la preuve de leur utilisation par le propriétaire inscrit, en l’occurrence, la demanderesse, et s’agissant de la marque de commerce COHIBA, la demanderesse n’ayant présenté aucune preuve que celle‑ci avait été employée en liaison avec l’une ou l’autre des marchandises spécifiées dans l’enregistrement.
[3] L’article 45 de la Loi prévoit la radiation d’une marque de commerce déposée lorsque celle‑ci n’a été employée à aucun moment au cours des trois années précédant la date de l’avis du registraire des marques de commerce enjoignant au propriétaire de la marque de fournir la preuve que la marque a effectivement été employée.
LES PARTIES
[4] La demanderesse, Empresa Cubana del Tabaco, qui fait également affaire sous la raison sociale Cubatabaco, est une entreprise d’État de la République cubaine, constituée en vertu d’une loi et domiciliée à La Havane (Cuba). Cubatabaco, propriétaire inscrit des deux marques en question, fait appel de la décision du registraire de radier ses marques COHIBA et COHIBA et DESSIN.
[5] Le défendeur, Shapiro Cohen, est un cabinet d’avocats spécialisés en droit de la propriété intellectuelle établi à Ottawa (Ontario). En septembre 2000, Shapiro Cohen a demandé au registraire de transmettre l’avis prévu à l’article 45 de la Loi en vue de déterminer si les deux marques en question devraient être radiées.
[6] L’autre défendeur, le registraire des marques de commerce, n’a pas déposé de conclusions dans le cadre du présent appel.
Autres sociétés intéressées
[7] Deux autres sociétés sont intéressées au présent appel, sans cependant y être parties. Corporacion Habanos S.A. (Habanos S.A.) est une entreprise constituée à La Havane (Cuba). En 1994, Habanos S.A. s’est vu concéder, par Cubatabaco, une licence l’autorisant à employer les marques de commerce COHIBA et COHIBA et DESSIN. Habanos S.A. était responsable de l’exportation, du marketing et de la commercialisation des produits du tabac de marque COHIBA et COHIBA et DESSIN.
[8] Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. (Havana House) est une entreprise établie à Toronto (Canada). Havana House, le distributeur canadien de Habanos S.A., a l’exclusivité de l’importation et de la vente au Canada des marchandises de Habanos S.A.
LES FAITS
[9] La demanderesse a demandé l’enregistrement de la marque de commerce COHIBA le 17 juin 1982. La marque COHIBA a été enregistrée le 4 mars 1983 en liaison avec les marchandises suivantes :
[traduction]
Tabac en feuilles, tabac manufacturé à fumer et à chiquer, tabac à priser et cigarettes.
[10] La demanderesse a demandé l’enregistrement de la marque de commerce COHIBA et DESSIN (reproduite ci‑dessous) le 4 juillet 1989. La marque de commerce COHIBA et DESSIN a été enregistrée le 14 septembre 1990 en liaison avec les marchandises suivantes :
[traduction]
Tabac brut, cigares, cigarillos, cigarettes, tabac haché, tabac râpé, tabac
manufacturé de tout genre, allumettes, pipes à tabac, porte‑pipes, cendriers,
boîtes d’allumettes, étuis à cigares et boîtes à cigares.
[11] Le 21 septembre 2000, à la demande de Shapiro Cohen, le registraire a, conformément à l’article 45 de la Loi, demandé à Cubatabaco de lui fournir dans les trois mois un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement de la marque de commerce COHIBA, si elle a employé cette marque au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis, et, dans la négative, la date à laquelle la marque a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.
[12] Le 13 octobre 2000, encore une fois à la demande de Shapiro Cohen, le registraire, conformément à l’article 45 de la Loi, a enjoint à Cubatabaco de fournir dans les trois mois un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement de la marque COHIBA et DESSIN, si elle a employé cette marque au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date à laquelle la marque a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.
Périodes pertinentes
[13] En ce qui concerne la marque de commerce COHIBA, la période pertinente pour les besoins du présent appel s’étend du 21 septembre 1997 au 21 septembre 2000, et pour la marque de commerce COHIBA et DESSIN, du 13 octobre 1997 au 13 octobre 2000.
Les décisions du registraire visées par le présent appel
[14] Dans deux décisions en date du 13 septembre 2007, le registraire a estimé qu’il y avait lieu, aux termes de l’article 45 de la Loi, de radier les marques de commerce COHIBA et COHIBA et DESSIN du registre des marques de commerce.
La décision concernant la marque de commerce COHIBA
[15] Tel qu’indiqué plus haut, les marchandises ou services spécifiés dans l’enregistrement de la marque de commerce COHIBA sont : [traduction] « tabac en feuilles, tabac manufacturé à fumer et à chiquer, tabac à priser et cigarettes ».
[16] Le registraire a rappelé qu’aux termes de l’article 45 de la Loi, le propriétaire inscrit de la marque est tenu de démontrer, pour chacune des marchandises ou chacun des services que spécifie l’enregistrement, que la marque a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis, et dans la négative, d’indiquer la date à laquelle la marque a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.
[17] Le registraire a examiné la preuve soumise par la demanderesse – en l’occurrence, l’affidavit d’Abel Gonzalez Ortego, de Havana House au Canada, et l’affidavit d’Adargelio Garrido De La Grana, de Habanos S.A.
[18] Le registraire admet que Habanos S.A. est titulaire d’une licence accordée par Cubatabaco.
[19] À l’audience, le registraire s’est par conséquent penché sur les deux questions suivantes :
1. L’emploi de la marque par Habanos S.A. peut‑il, conformément à l’article 50 de la Loi, être attribué au propriétaire inscrit (la demanderesse en l’espèce)?
2. L’emploi de la marque concorde‑t‑il avec l’état déclaratif des marchandises?
[20] Pour ce qui est de la première question, celle de savoir si l’emploi que Habanos S.A. a fait de la marque peut être imputé au propriétaire inscrit de celle‑ci, le registraire a jugé que la preuve fournie à cet égard ne permettait pas de l’affirmer :
Par conséquent, à défaut d’une preuve recevable établissant que la titulaire de l’enregistrement était le fabricant des marchandises vendues au Canada pendant la période pertinente, je ne suis pas disposée à conclure que la titulaire de l’enregistrement fabriquait les marchandises exportées au Canada par Habanos S.A. et en contrôlait les caractéristiques et la qualité selon les dispositions du paragraphe 50(1) de la Loi. En outre, comme l’a signalé la partie à la demande de qui l’avis a été donné, la présomption prévue au paragraphe 50(2) ne s’applique pas en l’espèce en l’absence d’une preuve établissant qu’un avis public a été donné de l’emploi sous licence et de l’identité du propriétaire.
Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la titulaire de l’enregistrement ne peut invoquer l’emploi établi par la preuve.
(Non souligné dans l’original.)
[21] Le registraire a conclu que la preuve était insuffisante à deux égards importants. D’abord, il a convenu avec le défendeur que les déclarations contenues dans l’affidavit de M. Ortego concernant le fabricant des marchandises que Havana House avait achetées de Habanos S.A. constituaient une preuve par ouï‑dire irrecevable :
M. Ortego n’est ni un dirigeant ni un administrateur de la titulaire de l’enregistrement et il n’est indiqué nulle part que sa déclaration repose sur une « connaissance personnelle ». De plus, aucune raison n’a été donnée pour expliquer pourquoi une personne ayant une connaissance directe de la fabrication des marchandises ne pouvait pas fournir de renseignements sur cette question.
[22] Deuxièmement, le registraire a estimé que la preuve démontrait que Habanos S.A. n’est pas seulement responsable de l’exportation des produits de Cubatabaco, mais qu’elle contrôle la production même des marchandises :
Il se peut que le licencié n’ait été autorisé qu’à vendre et commercialiser les marchandises, mais compte tenu de la formulation du contrat de licence, on peut penser que le licencié pouvait exercer les trois activités, soit « la production, la vente et la commercialisation » des marchandises.
En outre, comme la preuve établit que l’étiquette et l’emballage des marchandises portent la dénomination Habanos S.A. et ne portent pas le nom de la titulaire de l’enregistrement, il semble plus vraisemblable que ce soit la licenciée qui produisait les marchandises.
[23] Quant à la seconde question, le registraire a estimé que la preuve ne démontrait pas l’emploi de la marque en liaison avec les marchandises spécifiées dans l’enregistrement :
Aucune des marchandises mentionnées dans l’affidavit, soit des « cigares et cigarillos », ne figure parmi les marchandises de l’état déclaratif des marchandises de l’enregistrement de la marque de commerce. L’état déclaratif des marchandises vise du « tabac manufacturé à fumer et à chiquer » et ne vise pas « des produits du tabac manufacturés à fumer ». Comme l’a fait justement remarquer la partie à la demande de qui l’avis a été donné, il existe une distinction importante entre les deux. Les marchandises de l’enregistrement, soit du « tabac manufacturé à fumer et à chiquer » comprendraient « du tabac en feuilles vendu dans des sachets, des boîtes de métal et des emballages similaires » mais excluraient les produits du tabac finis, comme les cigares et les cigarillos. Comme la preuve fait état de « produits finis à fumer », nommément de « cigares et cigarillos », je conclus que la preuve produite ne concerne aucune des marchandises visées par l’enregistrement.
[24] Le registraire a par conséquent conclu qu’il y avait lieu de radier la marque de commerce COHIBA.
La décision concernant la marque de commerce COHIBA et DESSIN
[25] Tel qu’indiqué plus haut, les marchandises ou services spécifiés dans l’enregistrement de la marque de commerce COHIBA et DESSIN sont : « tabac brut, cigares, cigarillos, cigarettes, tabac haché, tabac râpé, tabac manufacturé de tout genre, allumettes, pipes à tabac, porte‑pipes, cendriers, boîtes d’allumettes, étuis à cigares et boîtes à cigares ».
[26] Les éléments de preuve fournis au registraire au sujet de la marque COHIBA et DESSIN sont les mêmes que pour la marque de commerce COHIBA.
[27] Le registraire s’est, à l’audience relative à la marque COHIBA et DESSIN, penché sur les deux mêmes questions :
1. L’emploi de la marque par Habanos S.A. peut‑il, conformément à l’article 50 de la Loi, être attribué au propriétaire inscrit (la demanderesse en l’espèce)?
2. L’emploi de la marque concorde‑t‑il avec l’état déclaratif des marchandises?
[28] Pour ce qui est de la première question, celle de savoir si l’emploi de la marque peut être attribué au propriétaire inscrit de celle‑ci, le registraire a jugé que, pour les raisons exposées à l’égard de la marque COHIBA, la preuve ne permettait pas de conclure en ce sens :
Par conséquent, à défaut d’une preuve recevable établissant que la titulaire de l’enregistrement était le fabricant des marchandises vendues au Canada pendant la période pertinente, je ne suis pas disposée à conclure que la titulaire de l’enregistrement fabriquait les marchandises exportées au Canada par Habanos S.A. et en contrôlait les caractéristiques et la qualité selon les dispositions du paragraphe 50(1) de la Loi. En outre, comme l’a signalé la partie à la demande de qui l’avis a été donné, la présomption prévue au paragraphe 50(2) ne s’applique pas en l’espèce en l’absence d’une preuve établissant qu’un avis public a été donné de l’emploi sous licence et de l’identité du propriétaire.
Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’emploi établi par la preuve n’en est pas un que la titulaire de l’enregistrement peut invoquer et que la marque de commerce doit être radiée.
[29] Contrairement à ce qu’il a conclu à l’égard de la marque de commerce COHIBA, le registraire a reconnu, tout comme la demanderesse, que dans le cas de la marque COHIBA et DESSIN, l’état déclaratif des marchandises devrait être modifié afin que n’y figurent que les « cigares et cigarillos ». Il n’y avait par conséquent pas lieu de se demander si l’emploi démontré concordait avec l’état déclaratif : les produits vendus se limitaient aux cigares et aux cigarillos, tel que spécifié dans l’état des marchandises.
La preuve soumise au registraire
[30] La preuve soumise au registraire pour les marques COHIBA et COHIBA et DESSIN était la même.
[31] En réponse aux avis du registraire, Cubatabaco a, dans un premier temps, déposé un affidavit (en date du 10 mai 2001) d’Abel Gonzalez Ortego, directeur commercial de Havana House, distributeur canadien des cigares Cohiba. Dans les deux cas, l’affidavit de M. Ortego était le même, à une différence près. Au paragraphe 3 de l’affidavit déposé en vue de l’audience relative à la marque COHIBA et DESSIN, M. Ortego affirme ce qui suit :
[traduction] ¶3. Que le propriétaire inscrit vend au Canada depuis au moins 10 ans des cigares et des cigarillos, sous le dessin‑marque COHIBA. Ces cigares et cigarillos sont fabriqués par le propriétaire inscrit, Empresa Cubana del Tabaco, faisant affaire sous la raison sociale Cubatabaco, et distribués dans le monde par l’entremise de HABANOS S.A., exportatrice sous licence exclusive du propriétaire inscrit. Les cigares et cigarillos destinés au marché canadien sont fournis à HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO MERCHANTS LTD, qui les revend à des détaillants au Canada. Au moment de la vente, les cigares et les boîtes dans lesquelles les cigares sont vendus portent soit une inscription, soit une étiquettes sur laquelle la marque de commerce COHIBA et ses composantes graphiques sont affichées bien en vue.
[32] L’affidavit de M. Ortego déposé en vue de l’audience relative à la marque de commerce COHIBA différait par l’ajout des mots « tabac manufacturé à fumer » dans les trois premières lignes du paragraphe :
Le propriétaire inscrit vend des cigares et cigarillos sous la marque COHIBA depuis au moins 20 ans. Le tabac manufacturé à fumer sous forme de cigares et cigarillos est manufacturé par le propriétaire inscrit, Empresa Cubana del Tabaco, faisant affaire sous la raison sociale Cubatabaco […]
[33] Aux affidavits de M. Ortego étaient jointes des pièces attestant les ventes de cigares et de cigarillos au Canada, notamment sous la marque COHIBA et DESSIN, indiquant le prix de gros, au Canada, des cigares et cigarillos COHIBA, l’original de deux étiquettes COHIBA et DESSIN (l’une étant légèrement différente de l’autre) apposées sur les boîtes de cigares et de cigarillos de marque COHIBA, ainsi qu’une copie de la liste des clients de Havana House.
[34] Le 6 novembre 2001, le défendeur a fait valoir que la déposition de M. Ortego soulevait les questions suivantes :
1. Ce que M. Ortego affirme au paragraphe 3 de son affidavit au sujet de la relation existant entre Cubatabaco et Habanos S.A. constitue une preuve par ouï‑dire et n’est pas admissible en l’espèce.
2. M. Ortego aurait dû, dans la mesure où il en faisait état dans son affidavit, joindre une copie du contrat de licence intervenu entre Cubatabaco et Habanos S.A.
3. La marque de commerce COHIBA et ses composantes graphiques qui, selon M. Ortego, figurent sur les étiquettes des produits vendus sous la marque COHIBA, dont des exemplaires accompagnent son affidavit, s’écartent du dessin de la marque enregistrée par des détails importants :
i. Le dessin‑marque enregistré comporte la raison sociale du propriétaire de la marque CUBATABACO en bas dans le coin gauche, alors que dans les pièces jointes à l’affidavit de M. Ortego, on trouve à la place le nom Habanos S.A.
ii. Les mots inscrits dans le coin droit diffèrent eux aussi étant donné que, dans la marque enregistrée, on trouvait la mention « hecho a mano » alors que dans la pièce, cette mention est remplacée par « totalmente a mano ».
4. Dans les reçus joints à son affidavit par M. Ortego pour attester des ventes, il n’est fait aucune mention de Cubatabaco; toutes les ventes aux détaillants canadiens sont le fait de Havana House.
[35] Le 22 décembre 2004, la demanderesse a déposé, dans les deux dossiers, ses conclusions écrites accompagnées d’une demande de prolongation rétroactive des délais afin de pouvoir déposer l’affidavit d’Adargelio Garrido De La Grana, directeur des affaires juridiques et secrétaire général de Habanos S.A., auquel était jointe une copie du contrat de licence entre Cubatabaco et Habanos S.A. La prolongation rétroactive a été accordée. Selon l’affidavit de M. De La Grana, Cubatabaco a accordé à Habanos S.A. une licence en 1994, et une copie du contrat de licence était jointe à titre de pièce au dossier.
[36] Dans ses conclusions écrites, la demanderesse reconnaît que l’enregistrement de la marque de commerce COHIBA et DESSIN ne vise que les cigares et les cigarillos :
[traduction]
Compte tenu de ce qui précède, il est clair que la marque COHIBA et DESSIN a
effectivement été, au cours de la période pertinente, employée au Canada, dans
la pratique normale du commerce, en liaison avec les marchandises en question.
Le propriétaire inscrit précise que la marque n’a cependant pas été employée en
liaison avec du « tabac brut, cigarettes, tabac haché, tabac râpé, tabac
manufacturé de tout genre, allumettes, pipes à tabac, porte‑pipes, cendriers,
boîtes d’allumettes, étuis à cigares et boîtes à cigares ». Le propriétaire
inscrit fait donc respectueusement valoir que le maintien de l’enregistrement
de la marque se justifie en ce qui concerne les cigares et les cigarillos.
[37] La demanderesse n’a pas pu en dire autant de la marque COHIBA, étant donné que, ainsi que nous l’avons vu plus haut, les marchandises spécifiées dans l’enregistrement de la marque COHIBA ne comprenaient pas les cigares et les cigarillos.
[38] En réponse aux conclusions de la demanderesse et à l’affidavit de M. De La Grana, le défendeur a déposé des conclusions écrites supplémentaires, faisant valoir que la déposition de M. De La Grana soulève les questions suivantes :
1. Le contrat de licence ne prévoit aucune modalité qui lui permettrait d’être visé par l’article 50 de la Loi.
i. Selon le paragraphe 50(1) de la Loi, si une licence d’emploi d’une marque de commerce est octroyée à une entité par le propriétaire de la marque, et que celui‑ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services, l’emploi qui est fait de la marque par cette entité, est réputé avoir été fait par le propriétaire. Le défendeur soutient que le contrat de licence joint à l’affidavit de M. De La Grana ne répond pas aux conditions prévues au paragraphe 50(1) puisque ce contrat démontre que le propriétaire avait en fait renoncé à contrôler les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services relevant de la marque de commerce, et ne démontre aucunement que tout emploi de la marque par le concessionnaire de la licence, Habanos S.A., peut être attribué au propriétaire inscrit, Cubatabaco. Le défendeur a notamment fait valoir que deux dispositions du contrat indiquent que Cubatabaco avait effectivement renoncé à exercer son contrôle :
1. Il ressort clairement du contrat de licence que le titulaire était « exclusivement » chargé de la « production, de la vente et de la commercialisation » des produits cubains du tabac « sans la moindre restriction », ainsi que de la promotion de ces produits, de leur publicité, et de l’élaboration et du contrôle des stratégies de communication et des prix, le titulaire de la licence se voyant en outre reconnaître le droit d’accorder, sans l’autorisation du propriétaire de la marque, des sous‑licences en matière de production et de distribution;
2. Le contrat de licence est décrit comme étant d’« emploi exclusif ». Un contrat d’emploi exclusif donne au titulaire de la licence le droit exclusif d’employer la marque de commerce, à l’exclusion du propriétaire lui‑même. Le défendeur a reconnu, cependant, qu’au vu des éléments de preuve fournis par la demanderesse, le contrat ne peut pas être considéré comme un contrat d’exclusivité.
ii. De plus, selon le paragraphe 50(2) de la Loi, lorsque le public est avisé de l’identité du propriétaire de la marque et du fait que l’emploi de cette marque fait l’objet d’une licence, il existe une présomption réfutable que cet emploi est fait pour le compte du propriétaire. Le défendeur fait valoir que seul figure sur les marchandises en question, le nom de Habanos S.A., et non celui de Cubatabaco.
[39] Les deux parties étaient représentées à l’audience tenue devant le registraire. Les deux dossiers, celui de COHIBA et celui de COHIBA et DESSIN ont été examinés le même jour.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES
[40] Voici en quels termes le paragraphe 4(1) de la Loi définit l’emploi d’une marque en liaison avec des marchandises :
4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.
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4. (1) A trade‑mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred. |
[41] La procédure devant le registraire a été engagée conformément à l’article 45 de la Loi, aux termes duquel il appartient au propriétaire inscrit d’une marque de démontrer que la marque a été employée à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis :
45. (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l’enregistrement d’une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu’il ne voie une raison valable à l’effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.
(2) Le registraire ne peut recevoir aucune preuve autre que cet affidavit ou cette déclaration solennelle, mais il peut entendre des représentations faites par le propriétaire inscrit de la marque de commerce ou pour celui‑ci ou par la personne à la demande de qui l’avis a été donné ou pour celle‑ci.
(3) Lorsqu’il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie ou du défaut de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l’égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés dans l’enregistrement, soit à l’égard de l’une de ces marchandises ou de l’un de ces services, n’a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l’avis et que le défaut d’emploi n’a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l’enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence. . . |
45. (1) The Registrar may at any time and, at the written request made after three years from the date of the registration of a trade‑mark by any person who pays the prescribed fee shall, unless the Registrar sees good reason to the contrary, give notice to the registered owner of the trademark requiring the registered owner to furnish within three months an affidavit or a statutory declaration showing, with respect to each of the wares or services specified in the registration, whether the trade‑mark was in use in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since that date.
(2) The Registrar shall not receive any evidence other than the affidavit or statutory declaration, but may hear representations made by or on behalf of the registered owner of the trade‑mark or by or on behalf of the person at whose request the notice was given.
(3) Where, by reason of the evidence furnished to the Registrar or the failure to furnish any evidence, it appears to the Registrar that a trade‑mark, either with respect to all of the wares or services specified in the registration or with respect to any of those wares or services, was not used in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and that the absence of use has not been due to special circumstances that excuse the absence of use, the registration of the trademark is liable to be expunged or amended accordingly. . . . |
[42] Aux termes de l’article 50, dans certaines conditions, l’emploi de la marque par le titulaire d’une licence d’emploi est réputé être celui du propriétaire de la marque :
50. (1) Pour l’application de la présente loi, si une licence d’emploi d’une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui‑ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services, l’emploi, la publicité ou l’exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial – ou partie de ceux‑ci – ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s’il s’agissait de ceux du propriétaire.
(2) Pour l’application de la présente loi, dans la mesure où un avis public a été donné quant à l’identité du propriétaire et au fait que l’emploi d’une marque de commerce fait l’objet d’une licence, cet emploi est réputé, sauf preuve contraire, avoir fait l’objet d’une licence du propriétaire, et le contrôle des caractéristiques ou de la qualité des marchandises et services est réputé, sauf preuve contraire, être celui du propriétaire.
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50. (1) For the purposes of this Act, if an entity is licensed by or with the authority of the owner of a trade‑mark to use the trade‑mark in a country and the owner has, under the licence, direct or indirect control of the character or quality of the wares or services, then the use, advertisement or display of the trade‑mark in that country as or in a trade‑mark, trade‑name or otherwise by that entity has, and is deemed always to have had, the same effect as such a use, advertisement or display of the trade‑mark in that country by the owner.
(2) For the purposes of this Act, to the extent that public notice is given of the fact that the use of a trade‑mark is a licensed use and of the identity of the owner, it shall be presumed, unless the contrary is proven, that the use is licensed by the owner of the trade‑mark and the character or quality of the wares or services is under the control of the owner.
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[43] L’article 56 de la Loi accorde le droit d’interjeter appel d’une décision du registraire et permet à l’appelant de produire des éléments de preuve additionnels :
56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.
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(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi. |
56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.
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(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.
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QUESTIONS EN LITIGE
[44] Trois questions se posent en l’espèce. La première concerne la norme de contrôle applicable, qui dépend de l’effet qu’auraient pu produire les nouveaux éléments de preuve soumis par la demanderesse sur la décision du registraire à l’égard des deux principales questions en litige.
[45] Les deux principales questions en litige sont :
1. L’enregistrement de la marque de commerce COHIBA en liaison avec les marchandises « tabac manufacturé à fumer et à chiquer » vise‑t‑il les cigares et cigarillos?
2. La demanderesse contrôlait‑elle les caractéristiques et la qualité des cigares et cigarillos vendus par la licenciée, Habanos S.A., et la demanderesse est‑elle par conséquent en mesure de démontrer que l’emploi des marques de commerce en question au Canada répond aux conditions prévues au paragraphe 50(1) de la Loi?
LA NORME DE CONTRÔLE
[46] Le présent appel est fondé sur l’article 56 de la Loi, et il ne s’agit donc pas d’une demande de contrôle judiciaire devant faire l’objet d’une analyse traditionnelle relative à la norme de contrôle. Dans l’arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée [2000] 3 C.F. 145, 5 C.P.R. (4th) 180 (C.A.F.), le juge Rothstein s’est penché sur la nature des appels fondés sur l’article 56 de la Loi : le paragraphe 56(1) prévoit un droit d’appel, et, en général, la Cour se prononce sur la foi du dossier au vu duquel a été rendue la décision dont il est fait appel, mais le paragraphe 56(5) autorise la production de nouveaux éléments de preuve et permet à la Cour d’« exercer toute discrétion dont le registraire est investi ».
[47] Au paragraphe 49, le juge Rothstein conclut que, dans le cadre d’un appel fondé sur l’article 56 de la Loi, il y a lieu de s’en remettre aux connaissances spécialisées du registraire, précisant toutefois que lorsque de nouveaux éléments de preuve produits en appel auraient pu influencer sensiblement la décision du registraire, la norme de la décision correcte devrait être appliquée :
[51]Je pense que l’approche suivie dans les affaires Benson & Hedges et McDonald’s Corp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s’il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d’un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l’objet d’une certaine déférence. Compte tenu de l’expertise du registraire, et en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.
[48] Ainsi, et comme l’indique clairement la jurisprudence ultérieure, pour déterminer si, appelée à se prononcer sur la décision du registraire, la Cour doit appliquer la norme de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte, il faut se demander si les nouveaux éléments de preuve produits en appel auraient « pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire » : voir, par exemple, mes décisions dans les affaires Worldwide Diamond Trademarks Limited c. Canadian Jewellers Association, 2010 C.F. 309 (conf. par Worldwide Diamond Trademarks Limited c. Canadian Jewellers Association, 2010 CAF 326), par. 38, et Jose Cuervo S.A. de C.V. c. Bacardi & Co., 2009 C.F. 1166 (conf. par Jose Cuervo S.A. de C.V. c. Bacardi and Company Limited, 2010 CAF 248), par. 31.
ANALYSE
Nouveaux éléments de preuve produits en l’espèce
[49] La demanderesse a produit devant la Cour les nouveaux éléments de preuve suivants :
1. L’affidavit de Juan Manuel Diaz Tenorio, en date du 10 janvier 2008;
2. L’affidavit d’Adargelio Garrido De La Grana, en date du 10 janvier 2008;
3. L’affidavit d’Ernest Rix, en date du 8 janvier 2008;
4. L’affidavit de Brendan Haveman, en date du 15 janvier 2008;
5. L’affidavit de Ronald J. Shulman, en date du 15 janvier 2008.
[50] Le défendeur a contre‑interrogé MM. Tenorio, De La Grana et Haveman.
Affidavit de Juan Manuel Diaz Tenorio, en date du 10 janvier 2008
[51] Juan Manuel Diaz Tenorio était, de 1995 à 2006, un des administrateurs de Cubatabaco. Selon lui, Cubatabaco est à même de contrôler et éventuellement de repousser les décisions prises par Habanos S.A. à l’égard des marques de commerce COHIBA et COHIBA et DESSIN, et la qualité des marchandises vendues sous ces marques. Il affirme, au paragraphe 2 de son affidavit, que Cubatabaco pouvait effectivement exercer ce contrôle, puisqu’il assistait lui‑même et participait activement aux réunions mensuelles du conseil d’administration de Habanos S.A., ajoutant, au paragraphe 3, qu’il communiquait fréquemment avec les employés de Habanos S.A. Les pièces accompagnant l’affidavit de M. Tenorio comprennent des copies de lettres échangées entre lui et Habanos S.A. au sujet de la qualité du tabac et des produits connexes manufacturés dans les usines cubaines.
[52] Au paragraphe 4 de son affidavit, M. Tenorio affirme avoir lu l’affidavit d’Adargelio Garrido De La Grana et avoir pris connaissance des pièces qui y sont jointes (voir ci‑dessous), déclarant avoir une connaissance personnelle des faits qui y sont consignés. M. Tenorio affirme faire sien l’affidavit de M. De La Grana [traduction] « en ce qui concerne toutes ces questions ».
Affidavit d’Adargelio Garrido De La Grana, en
date du 10 janvier 2008
[53] Tel qu’indiqué, M. Adargelio Garrido De La Grana est directeur des affaires juridiques et secrétaire général de Habanos S.A. Il occupe ces fonctions depuis septembre 1994.
[54] Dans son nouvel affidavit, M. De La Grana déclare qu’en 1994, Habanos S.A. s’est vu accorder par licence de Cubatabaco le droit d’employer les marques COHIBA et COHIBA et DESSIN, et d’exporter sous ces marques des produits du tabac et divers produits connexes.
[55] M. De La Grana confirme que Cubatabaco est une entreprise d’État cubaine, constituée en vertu d’une loi. Au paragraphe 3 de son affidavit, M. De La Grana affirme avoir une connaissance personnelle de ces questions [traduction] « étant donné les liens étroits existant entre Cubatabaco et Habanos S.A., ces liens étant d’autant plus étroits que Cubatabaco est actuellement un des propriétaires de Habanos S.A ».
[56] Au paragraphe 4, M. De La Grana décrit les rôles respectifs de Habanos S.A. et de Cubatabaco à l’égard des cigares portant les marques de commerce en cause :
[traduction]
Entre le 21 septembre 1997 et le 21 septembre 2000, et entre le
13 octobre 1997 et le 13 octobre 2000 (les périodes pertinentes),
Habanos S.A. était chargée du marketing et de la commercialisation des cigares
de marques COHIBA et COHIBA et DESSIN, Cubatabaco se chargeant pour sa part du
contrôle de la production et de la qualité du tabac et des produits connexes
portant, eux aussi, les marques COHIBA et COHIBA et DESSIN.
[57] Aux paragraphes 5 à 7, M. De La Grana décrit les circonstances dans lesquelles a été constituée Cubatabaco. Il explique que Cubatabaco est une entreprise d’État de la République cubaine et que les objectifs et responsabilités de l’entreprise sont fixés par une loi dont une copie est jointe à son affidavit à titre de pièce. Il énumère quelques‑uns des objectifs et des responsabilités qui présentent un intérêt pour la présente espèce, précisant notamment que Cubatabaco est chargée de la [traduction] « gestion, de l’exécution et de la supervision des plans de développement de l’industrie tabatière du pays, et plus particulièrement du développement de ses exportations de tabac ». Aux termes de cette loi, Cubatabaco doit élaborer des normes en matière de production, de récolte et de transformation du tabac, et veiller à leur respect. Les dispositions de cette loi sont précises et assignent à Cubatabaco une très large mission au niveau de la production du tabac et des produits connexes. Voici quelques exemples de ces dispositions :
[traduction]
1. Aux termes du paragraphe 6g) de la loi, Cubatabaco est tenue d’« organiser, gérer, exécuter et superviser la production industrielle de cigares et de cigarettes afin d’assurer une meilleure efficacité, une meilleure utilisation des installations fixes, une meilleure productivité, des coûts moindres et une meilleure qualité du produit ».
2. Selon le paragraphe 6i), elle est tenue d’« organiser, gérer et assurer la distribution de cigares, de cigarettes, de tabac brut et d’autres produits du tabac sur le marché national, ainsi que la distribution d’allumettes, et de faire en sorte que les quantités et assortiments de ces produits livrés aux détaillants répondent aux besoins de la population ».
3. Selon le paragraphe 6j), c’est l’entreprise qui « fixe les prix et les marges bénéficiaires pour les récoltes de tabac, ainsi que pour la vente en gros et au détail de cigares, de cigarettes, de tabac brut et d’autres produits du tabac.
4. Selon le paragraphe 6k), l’entreprise doit « effectuer les diverses opérations que suppose l’exportation du tabac sous toutes ses formes, y compris la gestion des ventes à l’étranger et, le cas échéant, les autres opérations liées au commerce international du tabac, que pourrait lui confier le gouvernement dans le cadre de la politique commerciale définie par le ministère du Commerce international.
[58] Aux paragraphes 8 à 12, M. De La Grana décrit comment Cubatabaco supervisait la production et veillait à la qualité des « cigares et produits connexes », vendus sous les marques COHIBA et COHIBA et DESSIN. Selon lui, plusieurs usines produisaient à Cuba les « cigares et autres produits du tabac » portant les marques COHIBA et COHIBA et DESSIN, et tous les « cigares et autres produits finis » étaient fabriqués selon les normes de qualité fixées par Cubatabaco, qui employait, pour en assurer le respect, des inspecteurs chargés du contrôle de la qualité. M. De La Grana a cité des exemples des normes de qualité fixées par Cubatabaco, et fourni des copies de contrats d’emploi d’inspecteurs de la qualité.
[59] M. De La Grana affirme, comme l’avait fait M. Tenorio, que les questions soulevées lors des réunions mensuelles de Habanos S.A. étaient réglées par Cubatabaco dans le cadre de fréquentes communications entre M. Tenorio et les employés de Habanos S.A. Selon M. De La Grana :
[traduction]
¶13. Les employés de Habanos S.A. savaient que Cubatabaco était en
mesure de connaître et éventuellement de repousser toute décision prise par Habanos S.A.
à l’égard des marques de commerce COHIBA et COHIBA et DESSIN, et de la qualité
des produits du tabac vendus sous ces marques.
¶14. Les employés de Habanos S.A. et de Cubatabaco se réunissaient officiellement tous les mois. En outre, il y avait entre divers employés de Habanos S.A. et de Cubatabaco, des réunions plus informelles organisées en fonction des besoins, deux ou trois fois par semaine en général. Ces réunions informelles étaient essentielles au bon déroulement des activités quotidiennes de Cubatabaco et Habanos S.A.
[60] M. De La Grana précise que ces contacts fréquents étaient d’autant plus aisés que Habanos S.A. et Cubatabaco étaient situés dans le même immeuble.
[61] Enfin, au paragraphe 17, M. De La Grana affirme que [traduction] « [l]e budget des produits du tabac et des produits connexes de marque COHIBA et COHIBA et DESSIN, ainsi que la stratégie d’ensemble étaient fixés par Cubatabaco ».
Affidavit d’Ernest Rix, en date du 8 janvier 2008
[62] Ernest Rix est un traducteur agréé par l’Association des traducteurs et interprètes de l’Ontario. Il a fourni une traduction vidimée de la loi portant création de Cubatabaco : La Loi no 1191, publiée à la Gazette officielle de la République cubaine, le 29 avril 1966.
Affidavit de Brendan Haveman, en date du 15 janvier 2008
[63] À l’époque où il a signé cet affidavit, Brendan Haveman était stagiaire au cabinet d’avocats Marusyk Miller and Swain LLP, et chez les agents de brevets et marques de commerce MBM & Co.
[64] Dans les pièces jointes à son affidavit, M. Haveman reproduit les définitions de cigare et de cigarillo tirées de cinq dictionnaires de langue anglaise et de quatre sites Internet populaires publiant des dictionnaires anglais en ligne.
[65] On constate qu’un cigare est [traduction] « un rouleau de feuilles de tabac que l’on fume » et qu’un cigarillo est un « petit cigare » : Catherine Soanes, dir. réd., The Oxford Dictionary of Current English, 3e éd., Oxford University Press, 2001.
Affidavit de Ronald J. Shulman, en date du
15 janvier 2008
[66] Ronald Shulman est chef des Opérations à Park IP Translations. Il affirme, dans son affidavit, que les traducteurs de son entreprise ont traduit plusieurs documents pour le compte de la demanderesse. Il a joint à son affidavit les traductions faites par des traducteurs de son entreprise. Ce sont les mêmes que celles qui sont jointes aux affidavits des autres témoins tels que décrits plus haut.
Question 1 : L’enregistrement de la marque COHIBA en liaison avec « le tabac manufacturé à fumer et à chiquer » comprend‑il les cigares et les cigarillos?
[67] Rappelons que deux états descriptifs des marchandises sont en cause :
1. Celui des marchandises de la marque COHIBA : « Tabac en feuille, tabac manufacturé à fumer et à chiquer, tabac à priser et cigarettes »;
2. Celui des marchandises de la marque COHIBA et DESSIN : « tabac brut, cigares, cigarillos, cigarettes, tabac haché, tabac râpé, tabac manufacturé de tout genre, allumettes, pipes à tabac, porte‑pipes, cendriers, boîtes d’allumettes, étuis à cigares et boîtes à cigares ».
[68] En ce qui concerne la marque de commerce COHIBA et DESSIN, la demanderesse reconnaît, dans le cadre des conclusions écrites qu’elle a déposées auprès du registraire, n’employer cette marque que pour les cigares et les cigarillos. Le registraire a donc modifié l’enregistrement en conséquence et cette partie de sa décision n’est pas visée par le présent appel.
[69] Aucune admission de la sorte n’était possible en ce qui a trait à la marque de commerce COHIBA, car les cigares et les cigarillos ne font pas partie de l’état des marchandises. C’est pourquoi le registraire a dû se demander si la catégorie générale « tabac manufacturé à fumer et à chiquer » figurant dans l’état des marchandises de la marque COHIBA comprenait les cigares et cigarillos.
[70] Le registraire a conclu que la catégorie « tabac manufacturé à fumer et à chiquer » ne comprenait pas les cigares et les cigarillos et qu’il y avait donc lieu de radier la marque de commerce COHIBA dans la mesure où l’état déclaratif des marchandises n’englobe pas les cigares et les cigarillos.
[71] La question de savoir si la décision du registraire à l’égard de l’état déclaratif des marchandises de la marque COHIBA doit être appréciée au regard de la norme de la décision raisonnable ou au regard de celle de la décision correcte dépend de l’effet que les nouveaux éléments de preuve produits par la demanderesse auraient pu avoir sur la décision en cause.
[72] Les conclusions écrites soumises au registraire par le propriétaire inscrit de la marque ne portaient pas sur la question de savoir si les marchandises « tabac manufacturé à fumer et à chiquer » comprenaient les cigares et cigarillos. En ce qui concerne la marque COHIBA, les conclusions écrites ne faisaient que reprendre un paragraphe des conclusions écrites relatives à la marque COHIBA et DESSIN. Étant donné que l’état déclaratif des marchandises relatif à la marque COHIBA et DESSIN comprenait les cigares et cigarillos, les conclusions écrites comprenaient le passage suivant :
[traduction]
[…] Le propriétaire inscrit reconnaît que la marque n’a pas été employée en
liaison avec « du tabac brut, des cigarettes, du tabac haché, du tabac râpé,
du tabac manufacturé de tout genre, des allumettes, des pipes à tabac, des porte‑pipes,
des cendriers, des boîtes d’allumettes, des étuis à cigares et des boîtes à
cigares ». Le propriétaire inscrit fait donc respectueusement valoir que
le maintien de l’enregistrement de la marque se justifie en ce qui concerne les
cigares et les cigarillos.
[73] Selon la Cour, il est évident que le propriétaire inscrit n’a pas entendu par cela concéder, en ce qui concerne la marque COHIBA, que la catégorie « tabac manufacturé à fumer et à chiquer » n’englobe pas les cigares et les cigarillos. Il semblerait, cependant, que le registraire y ait vu l’aveu que la catégorie « tabac manufacturé de tout genre » ne comprend pas les cigares et cigarillos.
[74] Le nouvel élément de preuve que la demanderesse a produit sur ce point est l’affidavit de Brendan Haveman, auquel sont jointes des définitions de dictionnaires quant aux mots cigare et cigarillo. Selon la demanderesse, le « tabac manufacturé à fumer et à chiquer » mentionné dans l’enregistrement de la marque COHIBA, comprend les cigares et les cigarillos, qui sont en fait du tabac manufacturé à fumer.
[75] Le défendeur soutient pour sa part que les nouveaux éléments de preuve n’auraient pas pu avoir d’effet, à cet égard, sur la décision du registraire, car :
1. Il n’est produit aucune preuve de la vente de marchandises autres que les cigares et les cigarillos, sur lesquels le registraire s’est déjà prononcé.
2. Aucun des auteurs d’affidavit ne revient sur l’argument avancé devant le registraire lors de l’audience relative à la marque COHIBA et DESSIN, et selon lequel la marque n’a pas été employée en liaison avec la catégorie « tabac manufacturé de tout genre » spécifiée dans l’état déclaratif.
3. Le nouvel élément de preuve consistait en une déclaration sous serment faite par un stagiaire en droit et non par l’un des auteurs d’affidavit liés à la demanderesse, qui aurait eu davantage de crédibilité en tant que spécialiste du domaine en question. Ce nouvel élément de preuve est par ailleurs uniquement constitué de définitions ordinaires tirées de dictionnaires.
[76] Il a paru évident au registraire, comme il paraît évident à la Cour, que les deux marques, COHIBA et COHIBA et DESSIN, sont apposées sur les cigares et les cigarillos. Ainsi que nous l’avons vu ci‑dessus, cependant, le registraire a établi une distinction entre « tabac manufacturé à fumer et à chiquer » et « produits du tabac manufacturés à fumer ». Le registraire s’est, sur ce point, prononcé en ces termes :
Les marchandises de l’enregistrement, soit du « tabac manufacturé à fumer et à chiquer » comprendraient « du tabac en feuilles vendu dans des sachets, des boîtes de métal et des emballages similaires » mais excluraient les produits du tabac finis, comme les cigares et les cigarillos. Comme la preuve fait état de « produits finis à fumer », nommément de « cigares et cigarillos », je conclus que la preuve produite ne concerne aucune des marchandises visées par l’enregistrement.
[77] Les nouveaux éléments de preuve soumis à la Cour jettent un éclairage nouveau sur les conclusions qu’avait déposées la demanderesse au sujet de l’état déclaratif des marchandises en cause. La demanderesse n’avait rien concédé en ce qui concerne la marque COHIBA, mais il est évident que son ancien avocat n’a pas su démontrer, au moyen de dictionnaires ou d’affidavits, que le propre d’un cigare et d’un cigarillo est d’être fait uniquement de tabac. Les conclusions écrites déposées devant le registraire ne contenaient aucun argument sur ce point, peut‑être parce que le propriétaire de la marque tenait pour acquis que l’agente d’audience saurait que les cigares sont, effectivement, du « tabac manufacturé à fumer ». Si tant est que l’agente d’audience n’ait pas eu, des cigares, une connaissance personnelle, peut‑être n’était‑elle pas au courant de ce fait qui aurait vraisemblablement été tenu pour acquis par l’avocat précédent du propriétaire inscrit. Selon les éléments de preuve additionnels présentés à la Cour, et dont ne disposait pas le registraire, les cigares sont effectivement du tabac manufacturé à fumer. Selon The Oxford Dictionary of Current English, 3e éd., Catherine Soanes, dir. réd., Oxford University Press, 2001, un cigare est [traduction]« un petit rouleau de feuilles de tabac que l’on fume » et un cigarillo est « un petit cigare ». Cela étant, la Cour estime que la preuve additionnelle aurait pu avoir un effet sur la décision du registraire. La norme de contrôle applicable à la décision rendue sur ce point est donc celle de la décision correcte.
[78] Voici en quels termes, dans Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1987), 13 C.P.R. (3d) 289, 8 F.T.R. 310 (C.F.), le juge McNair précise l’objet de l’article 45 :
¶12. Il est bien établi que le but et l’objet de l’article 44 [devenu l’art. 45] sont d’assurer une procédure simple, sommaire et expéditive pour radier du registre les marques de commerce qui ne sont pas revendiquées de bonne foi par leurs propriétaires comme des marques de commerce en usage. Cette procédure a été décrite avec justesse comme visant à éliminer du registre le « bois mort ».
[79] La Cour d’appel fédérale a par ailleurs estimé dans Ridout & Maybee s.r.l. c. Omega S.A., 2005 CAF 306, que lorsque le propriétaire inscrit peut démontrer que son emploi d’une marque s’inscrit bien dans le cadre d’une catégorie générale figurant à l’état déclaratif des marchandises, c’est la catégorie générale qui doit être retenue :
¶4. En somme, selon nous, la juge de la Cour fédérale n’avait qu’à constater l’utilisation de la marque de l’appelante à l’égard des biens précisés sous la catégorie générale […]
[80] La marque de commerce COHIBA a été enregistrée en 1983. À l’époque, les seuls produits à être fabriqués par Cubatabaco en vue de leur vente au Canada sous la marque COHIBA étaient les cigares et les cigarillos. Nul ne conteste que la marque COHIBA a été enregistrée de bonne foi et qu’elle est largement employée. Elle ne constitue pas du « bois mort ». Selon toutes les définitions qu’en donnent les dictionnaires, les cigares et les cigarillos sont du tabac manufacturé à fumer. Il est clair que ce sont en même temps des produits. Le tabac à pipe ou à cigarette vendu en boîte est également un produit. Tous sont des produits du tabac manufacturé que l’on fume ou que l’on chique. La demanderesse n’aurait manifestement pas fait enregistrer la marque de commerce COHIBA si ce n’était pour protéger les cigares qu’elle vend au Canada et, cela étant, elle entendait comprendre les cigares et les cigarillos dans la catégorie « tabac manufacturé à fumer et à chiquer ». Vu la preuve additionnelle produite en l’espèce, la Cour estime que, selon le sens ordinaire des mots, cigare et cigarillo font partie de la catégorie générale « tabac manufacturé à fumer ». Le registraire a donc rendu une décision erronée dans la mesure où il a considéré que l’état déclaratif des marchandises visées par l’enregistrement de la marque COHIBA ne comprend pas les cigares et les cigarillos. La décision du registraire est donc infirmée sur ce point.
Question 2 : La demanderesse contrôlait‑elle « les caractéristiques et la qualité » des cigares et cigarillos vendus par sa licenciée, Habanos S.A., de sorte que la demanderesse puisse faire état d’un emploi des marques de commerce au Canada conforme aux conditions prévues au paragraphe 50(1) de la Loi?
[81] Le registraire a conclu que les marques de commerce COHIBA COHIBA et DESSIN devaient être radiées parce que le propriétaire inscrit n’avait pas réussi à démontrer qu’il les avait employées au Canada. Or, les nouveaux éléments de preuve produits par la demanderesse tendent à démontrer qu’il exerçait effectivement un contrôle.
[82] La question n’a jamais été de savoir si les marques COHIBA et COHIBA et DESSIN avaient été employées, mais plutôt si elles avaient été employées par le propriétaire inscrit, Cubatabaco, ou par une entité différente, en l’occurrence Habanos S.A.
[83] Aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi, l’emploi de la marque par un licencié est réputé être un emploi par le propriétaire inscrit si celui‑ci « […] aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services […] ». Il appartenait donc à la demanderesse de convaincre le registraire qu’elle exerce, directement ou indirectement, un contrôle sur les caractéristiques ou la qualité des cigares et cigarillos distribués par Habanos S.A. La même preuve incombe à la demanderesse devant la Cour.
[84] Il y a, pour le propriétaire inscrit d’une marque de commerce, essentiellement trois manières de démontrer l’effectivité de son contrôle afin de bénéficier de la présomption du paragraphe 50(1) de la Loi :
1. il peut explicitement affirmer sous serment qu’il exerce effectivement le contrôle prévu : voir, par exemple, Mantha & Associés/Associates c. Central Transport Inc. (1995), 64 C.P.R. (3d) 354 (C.A.F.), par. 3;
2. il peut produire des preuves démontrant qu’il exerce effectivement le contrôle nécessaire : voir, par exemple, Eclipse International Fashions Canada Inc. c. Shapiro Cohen, 2005 CAF 64, par. 3 à 6;
3. il peut produire une copie du contrat de licence qui prévoit expressément l’exercice d’un tel contrôle.
[85] À l’audience devant le registraire, la preuve se limitait au témoignage de M. Ortego, directeur commercial de Havana House, distributeur canadien des marchandises en cause, et à l’affidavit, souscrit en 2002, de M. De La Grana, auquel était joint le contrat de licence entre Cubatabaco et Habanos S.A.
[86] Estimant qu’il s’agissait d’une preuve par ouï‑dire, le registraire a écarté le témoignage de M. Ortego concernant le contrôle exercé par Cubatabaco sur la production et la qualité des marchandises en cause. Les seuls éléments de preuve soumis au registraire sur ces points essentiels de sa décision étaient un exemplaire de l’étiquette apposée sur les produits, sur laquelle figurait en tant que fabricant ou exportateur, non pas « Cubatabaco », mais « Habanos S.A », et le contrat de licence entre Cubatabaco et Habanos S.A. qui, selon le registraire, accordait à Habanos S.A. le contrôle de la production, et partant, de la qualité et des caractéristiques des cigares. Le registraire a donc conclu que la demanderesse n’avait pas démontré son emploi des marques COHIBA ou COHIBA et DESSIN étant donné qu’elle n’exerçait pas le contrôle requis par le paragraphe 50(1) de la Loi sur les marchandises fabriquées et vendues par Habanos S.A. :
Par conséquent, à défaut d’une preuve recevable établissant que la titulaire de l’enregistrement était le fabricant des marchandises vendues au Canada pendant la période pertinente, je ne suis pas disposée à conclure que la titulaire de l’enregistrement fabriquait les marchandises exportées au Canada par Habanos S.A. et en contrôlait les caractéristiques et la qualité selon les dispositions du paragraphe 50(1) de la Loi. En outre, comme l’a signalé la partie à la demande de qui l’avis a été donné, la présomption prévue au paragraphe 50(2) ne s’applique pas en l’espèce en l’absence d’une preuve établissant qu’un avis public a été donné de l’emploi sous licence et de l’identité du propriétaire
[87] La Cour dispose, par rapport à la preuve soumise au registraire, de nouveaux éléments de preuve importants quant au contrôle de Cubatabaco, le propriétaire inscrit, sur les caractéristiques et la qualité des cigares et cigarillos de marque COHIBA et COHIBA et DESSIN. Ces nouveaux éléments se trouvent dans les affidavits de MM. Tenorio et De La Grana. La Cour considère notamment que les éléments ci‑dessous attestent le contrôle exercé par la demanderesse sur les caractéristiques et la qualité des cigares et cigarillos vendus au Canada sous les marques COHIBA et COHIBA et DESSIN :
1. La déclaration sous serment de M. Tenorio (de Cubatabaco) qui, au paragraphe 2 de son affidavit affirme que Cubatabaco exerce un contrôle sur les marques de commerce COHIBA et COHIBA et DESSIN :
[traduction]
Au cours des périodes en question, j’ai assisté et participé activement aux
réunions mensuelles du conseil d’administration de Habanos S.A. Cela
permettait à Cubatabaco de connaître et éventuellement de repousser les
décisions prises par Habanos S.A. à l’égard des marques de commerce COHIBA
et COHIBA et DESSIN, et de la qualité du tabac et produits connexes de marques COHIBA
et COHIBA et DESSIN.
2. M. De La Grana (de Habanos S.A.) n’a cessé d’insister sur le contrôle que Cubatabaco exerçait sur la production, la qualité et les caractéristiques des cigares et cigarillos portant les marques COHIBA et COHIBA et DESSIN. Voici, à titre d’exemples, des extraits de son affidavit :
i. Au paragraphe 4 : [traduction] « […] Habanos S.A. était responsable du marketing et de la commercialisation des cigares portant les marques COHIBA et COHIBA et DESSIN, Cubatabaco étant pour sa part responsable du contrôle de la production et de la qualité du tabac et produits connexes de marque COHIBA et COHIBA et DESSIN.
ii. Au paragraphe 9 : [traduction] « Les cigares et tous les produits connexes finis étaient fabriqués conformément aux normes fixées par Cubatabaco […] Ces normes étaient appliquées par Habanos S.A. sous la surveillance de Cubatabaco.
iii. Au paragraphe 10 : [traduction] « Cubatabaco était également responsable du recrutement de personnes chargées d’inspecter les produits fabriqués et les activités connexes ».
iv. Au paragraphe 13 : [traduction] « Les employés de Habanos S.A. savaient que Cubatabaco était en mesure de connaître et éventuellement de repousser toute décision prise par Habanos S.A. à l’égard des marques de commerce COHIBA et COHIBA et DESSIN, et de la qualité des produits du tabac vendus sous ces marques ».
3. La loi régissant les activités de Cubatabaco au cours de la période pertinente démontre bien que c’est Cubatabaco qui veillait aux caractéristiques et à la qualité des produits du tabac manufacturés à Cuba.
4. En contre‑interrogatoire, MM. Tenorio et De La Grana ont répondu aux questions en reprenant et en développant les déclarations qu’ils avaient faites dans leurs affidavits.
[88] Les affidavits de M. Tenorio et de M. De La Grana, étayés par un certain nombre de pièces, ont convaincu la Cour que Cubatabaco, la demanderesse, assure la qualité et les caractéristiques des cigares et cigarillos vendus au Canada sous ses marques Cohiba.
[89] Selon la décision du registraire, aucune preuve admissible n’avait été produite à cet égard, le témoignage de M. Ortego ne constituant qu’une preuve par ouï‑dire. C’est à juste titre que le registraire a écarté ce témoignage. Les nouveaux témoignages de M. Tenorio, de Cubatabaco, et de M. De La Grana, de Habanos S.A., reposent sur une connaissance personnelle et constituent par conséquent des éléments de preuve admissibles relativement à la question fondée sur le paragraphe 50(1), en l’occurrence celle de savoir si le propriétaire inscrit contrôlait la qualité et les caractéristiques des cigares vendus au Canada sous les marques COHIBA et COHIBA et DESSIN. Selon la Cour, il est évident que si ces éléments avaient été soumis au registraire, ils auraient pu avoir un effet sur sa décision.
[90] La demanderesse ne peut pas se prévaloir de la présomption prévue au paragraphe 50(2) de la Loi, selon lequel, dans la mesure où un avis public a été donné qu’une marque de commerce est employée aux termes d’une licence accordée par le propriétaire inscrit, cet emploi est réputé être celui du propriétaire puisque, en l’occurrence, le nom de la demanderesse ne figure pas sur les cigares et cigarillos vendus par Habanos. Le contrat de licence ne témoigne pas non plus, pour les raisons exposées par le registraire, du degré de contrôle nécessaire. La Cour estime, cependant, que les nouveaux éléments de preuve démontrent que la demanderesse exerce effectivement un contrôle sur la qualité et les caractéristiques des cigares et cigarillos fabriqués et exportés par Habanos S.A. La demanderesse peut par conséquent se prévaloir de la disposition déterminative du paragraphe 50(1) de la Loi, aux termes duquel un emploi de la marque est réputé être celui du propriétaire inscrit lorsque celui‑ci démontre qu’il « contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services » – en l’occurrence, les cigares et les cigarillos vendus au Canada.
CONCLUSION
[91] La Cour estime en conséquence que :
1. Les nouveaux éléments de preuve soumis à la Cour auraient pu avoir un effet sur la décision du registraire quant à savoir si l’emploi de la marque COHIBA lors de la vente de cigares et de cigarillos constituait un emploi de la marque en liaison avec du « tabac manufacturé à fumer et à chiquer » tel que spécifié dans l’état déclaratif des marchandises de la marque de commerce COHIBA;
2. Les cigares et cigarillos sont du « tabac manufacturé à fumer ou à chiquer » et appartiennent par conséquent à cette catégorie générale spécifiée dans l’état déclaratif des marchandises afférent à l’enregistrement de la marque de commerce COHIBA;
3. Les nouveaux éléments de preuve soumis à la Cour auraient pu avoir un effet sur la décision du registraire quant à savoir si les marques COHIBA et COHIBA et DESSIN avaient été employées par la demanderesse;
4. La demanderesse a démontré à la Cour qu’elle contrôlait les caractéristiques et la qualité des cigares et cigarillos vendus au Canada, d’une manière qui constitue un emploi au Canada des marques COHIBA et COHIBA et DESSIN par la demanderesse.
[92] Pour ces motifs, la Cour fait droit aux appels interjetés à l’égard des décisions du registraire de radier, en ce qui concerne les « cigares et cigarillos », la marque COHIBA et DESSIN, et en ce qui concerne le « tabac manufacturé à fumer ou à chiquer », la marque COHIBA.
JUGEMENT
1. Les appels soient accueillis avec dépens en faveur de la demanderesse;
2. Les décisions du registraire des marques de commerce, en date du 13 septembre 2007, portant radiation des marques COHIBA et COHIBA et DESSIN de la demanderesse soient infirmées;
3. La demanderesse puisse continuer à employer ces marques au Canada en liaison avec les cigares et les cigarillos.
Traduction certifiée conforme
Édith Malo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIERS : T‑1969‑07 et T‑1970‑09
INTITULÉ : T‑1969‑07, Empresa Cubana Del Tabaco, faisant également affaire sous la raison sociale Cubatabaco, c. Shapiro Cohen et le registraire des marques de commerce
T‑1970‑07, Empresa Cubana Del Tabaco, faisant également affaire sous la raison sociale Cubatabaco, c. Shapiro Cohen et le registraire des marques de commerce
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 18 janvier 2011
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : Le 28 janvier 2011
COMPARUTIONS :
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POUR LA DEMANDERESSE
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Chantal Bertosa
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POUR LE DÉFENDEUR (SHAPIRO COHEN)
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Droit de la propriété intellectuelle
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POUR LA DEMANDERESSE |
Shapiro Cohen Ottawa (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR (SHAPIRO COHEN)
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