Cour fédérale |
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Federal Court |
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2011
En présence de monsieur le juge Mandamin
ENTRE :
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LA SUCCESSION DE VIOLET STEVENS ET JUNE TAYLOR, EN SA QUALITÉ D’EXÉCUTRICE |
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BUREAU DU COMMISSAIRE DES TRIBUNAUX DE RÉVISION |
intervenant
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La demanderesse demande le contrôle judiciaire de la décision du commissaire des tribunaux de révision (le commissaire) de classer son dossier d’appel sans convoquer une audience d’un tribunal de révision pour examiner son appel.
[2] Le droit d’interjeter appel des décisions du ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences ou de son délégataire (le ministre) auprès d’un tribunal de révision est prévu à l’article 28 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. ch. O-9 (la LSV) et au paragraphe 82(1) du Régime des pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (le RPC).
[3] La présente demande ainsi qu’un dossier connexe, Ingrid. V. Lambie c. Procureur général du Canada et le Bureau du commissaire des tribunaux de révision, T-686-09 (Lambie), ont donné lieu à plusieurs requêtes, qui ont amené la Cour, d’une part, à reconnaître au Bureau du commissaire aux tribunaux de révision qualité pour agir à titre d’intervenant, d’autre part, à ordonner que les deux demandes soient fusionnées pour être entendues consécutivement par le même juge. Les deux demandes dont je suis saisi soulèvent pour la première fois la question de savoir si le commissaire a compétence pour refuser de constituer un tribunal de révision pour entendre un appel en vertu du RPC ou de la LSV.
[4] Dans la mesure où les éléments de preuve et les observations diffèrent dans le cadre des deux demandes, je traiterai dans la présente instance de la question de l’existence d’un fondement législatif à la compétence du commissaire pour classer un appel, et je traiterai dans affaire connexe Lambie de la question de savoir si la doctrine de la déduction nécessaire s’applique.
[5] Sur un point préliminaire, la demanderesse a présenté certains documents additionnels dont le commissaire ne disposait pas lorsqu’il a rendu sa décision. Certains de ces documents sont de nouveaux documents, tandis que d’autres documents comportent des notes manuscrites qui ne figuraient pas sur les documents dont le commissaire disposait. Selon le principe applicable lors d’un contrôle judiciaire, la Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, doit statuer en fonction des documents dont le décideur disposait au moment de sa décision. En conséquence, j’examinerai le dossier de la demanderesse dans l’état où il a été produit à l’origine, sans tenir compte des nouveaux documents.
[6] Pour les motifs qui suivent, je fais droit à la demande de contrôle judiciaire dans la présente instance.
Le contexte
[7] Mme June Taylor représente la succession de Violet Stevens et se représente elle-même en sa qualité d’exécutrice (collectivement « la demanderesse »).
[8] Mme Taylor est exécutrice de la succession de sa mère, Mme Violet Stevens, qui est décédée en mars 2007, à l’âge de 86 ans. Mme Taylor a appris que sa mère n’avait jamais touché la pension de la sécurité de la vieillesse (SV) à laquelle elle aurait eu droit lorsqu’elle a atteint l’âge de 65 ans. Mme Taylor a présenté une demande pour le compte de la succession de sa mère décédée, et la succession a reçu un paiement rétroactif correspondant à onze mois de prestations de pension de la SV pour la période allant d’avril 2006 à mars 2007.
[9] Mme Taylor a demandé des paiements rétroactifs de prestations de SV depuis août 1985, l’époque à laquelle feue Mme Stevens avait eu 65 ans, au motif que Mme Stevens ne savait pas qu’elle avait droit à une pension, qu’elle avait été une bonne citoyenne et qu’elle n’avait jamais touché de pension de la SV. Sa demande a été refusée parce que la succession de Mme Stevens avait touché le maximum de prestations autorisé en vertu de la LSV. Mme Taylor a demandé une révision de la décision. Le délégataire du ministre au sein du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences (le ministère) a refusé la demande de révision de Mme Taylor.
[10] Mme Taylor a interjeté appel auprès d’un tribunal de révision par lettre datée du 16 janvier 2008 adressée au Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (le BCTR). Dans sa lettre, elle formulait comme suit ses motifs d’appel :
[traduction]
1) Ma mère était une bonne Canadienne et elle a contribué à la société. De l’impôt sur le revenu a toujours été déduit de ses chèques de paye. Ma mère a exercé un emploi en-dessous de la moyenne toute sa vie, et des impôts ont été déduits ainsi que des cotisations à d’autres programmes gouvernementaux.
2) Tout en exerçant un emploi à temps plein, ma mère a élevé seule deux enfants (elle s’est divorcée de son 1er mari en 1948).
3) Ma mère n’a jamais été un fardeau pour le gouvernement du Canada ou du Québec en touchant des paiements au titre de l’assurance-maladie, de l’aide sociale ou de l’assurance-emploi.
Mme Taylor a invoqué l’équité au soutien de son appel demandant un paiement rétroactif additionnel au titre de la LSV depuis août 1985, époque à laquelle sa mère avait eu 65 ans, et elle a cité des exemples qu’elle croyait être des exceptions aux règles.
[11] Le BCTR a envoyé une lettre provisoire accusant réception de la lettre de Mme Taylor. Cette lettre avisait Mme Taylor que le BCTR avait demandé des renseignements au ministère. En d’autres mots, le BCTR avait demandé les documents visés à l’article 5 des Règles de procédure des tribunaux de révision, DORS/92-19 (les Règles).
[12] Les documents visés à l’article 5 comprenaient la demande originale de Mme Taylor et la réponse du ministère, qui avait tenu compte non seulement de la période de rétroactivité de onze mois prévue par la loi, mais aussi d’une « disposition relative à l’invalidité », qui crée une exception en faveur des personnes qui sont physiquement ou mentalement incapables de prendre la décision de demander une pension plus tôt. La réponse du ministère indiquait que Mme Taylor pouvait demander une révision. Lorsqu’elle a demandé une révision, Mme Taylor a fourni des renseignements additionnels au sujet de sa mère décédée, en affirmant notamment :
[traduction]
Aucun « diagnostic » d’incapacité physique ou mentale n’a jamais été posé à l’égard de ma mère. Une incapacité mentale ou l’ignorance de la façon dont la LSV pourrait lui profiter constitue probablement la seule raison qui explique pourquoi elle n’a jamais déposé de demande. [Guillemets dans l’original.]
Dans sa décision défavorable en révision, le délégataire du ministre a considéré comme déterminante l’affirmation précitée de Mme Taylor selon laquelle aucun diagnostic d’incapacité mentale n’avait jamais été posé à l’égard de la mère de cette dernière, et il a affirmé : [traduction] « Puisque des documents sont requis lorsque la disposition relative à une incapacité mentale diagnostiquée est appliquée, il serait improbable que l’application de cette disposition puisse être envisagée. » [Non souligné dans l’original.]
[13] Une agente de gestion de cas du BCTR a examiné les documents communiqués par le ministère et elle a écrit :
[traduction]
La demande de rétroactivité additionnelle de l’appelante a été refusée au motif que l’appelante avait reçu le montant maximal payable au titre de la sécurité de la vieillesse pour feue Violet Stevens.
Feue Violet Stevens a atteint l’âge de 65 ans en août 1985. Elle n’a pas demandé de prestations de SV parce qu’elle n’était pas au courant de ces prestations. Le 18 mars 2007, feue Violet Stevens est décédée. Sa succession a demandé des prestations en vertu de la LSV, et onze mois de rétroactivité ont été approuvés en comptant à rebours depuis la date de son décès – avril 2006 à mars 2007.
L’appelante interjette appel en vue d’obtenir une rétroactivité additionnelle.
L’appelante n’a aucune chance de succès.
L’agente de gestion de cas du BCTR a transmis ses commentaires au commissaire.
[14] Le 5 juin 2008, le commissaire des tribunaux de révision a avisé Mme Taylor que le dossier d’appel serait classé sans qu’un tribunal de révision soit constitué. Mme Taylor a demandé la réouverture de l’appel par lettre écrite le 11 juin 2008, qu’un député a transmise au commissaire. Le commissaire y a répondu le 21 juillet 2008, en confirmant sa décision. Il a affirmé qu’il n’était pas disposé à accéder à la demande de Mme Taylor de constituer un tribunal de révision pour entendre l’appel, en expliquant qu’une audience d’appel [traduction] serait un exercice futile puisque le tribunal de révision pourrait seulement confirmer que la période maximale de prestations rétroactives permise par la loi a déjà été payée à la succession de Mme Stevens. »
[15] Mme Taylor a demandé un contrôle judiciaire de la décision du commissaire de ne pas constituer un tribunal de révision pour entendre l’appel. Elle soutient que la décision de classer son appel n’avait rien à voir avec la justice. Elle a réitéré que sa mère décédée avait droit à des prestations de pension de la SV, et elle a soutenu que le gouvernement était au courant que Mme Stevens avait droit à une pension depuis 1997. Bien que ce ne soit pas affirmé expressément, Mme Taylor demande à ce que sa demande de contrôle judiciaire soit accueillie.
[16] Le défendeur est favorable à l’accueil de la demande de contrôle judiciaire. Il affirme que la loi obligeait le commissaire à choisir trois membres pour constituer un tribunal de révision afin que celui-ci entende l’appel interjeté après que le ministre eut refusé une demande en révision. Le défendeur soutient que le commissaire a outrepassé sa compétence en refusant de convoquer une audience du tribunal de révision et que, ce faisant, il a commis une erreur susceptible de révision. Le défendeur souscrit donc aux conclusions de Mme Taylor, quoique pour des motifs d’ordre juridictionnel.
[17] Le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision a présenté une requête en intervention dans la présente instance de contrôle judiciaire. Il soutient que le commissaire exerçait une fonction de gestion de cas et agissait dans les limites de sa compétence lorsqu’il a décidé de classer l’appel de la demanderesse sans constituer un tribunal de révision pour que celui-ci entende l’appel.
La décision faisant l’objet du présent contrôle
[18] Mme Stevens a reçu deux lettres du commissaire, M. Philippe Rabot : la première le 5 juin 2008 et la seconde le 21 juillet 2008. La première est la décision de fond relative au cas des demanderesses. La seconde réaffirme la décision du commissaire.
[19] Dans la lettre du 5 juin 2008, le commissaire écrit :
[traduction]
J’ai décidé de ne pas fixer une audience pour cet appel, puisqu’un tribunal de révision n’aurait pas compétence pour accorder le redressement que vous demandez. La période maximale de rétroactivité permise par la loi a déjà été reconnue par l’octroi de paiements à partir de 2006.
[20] Le commissaire formule des commentaires qui s’apparentent à une conclusion lorsqu’il écrit :
[traduction]
Je comprends que votre appel vise à obtenir que les paiements de la pension de la Sécurité de la vieillesse soient rétroactifs depuis la date du 65e anniversaire de Violet Stevens en août 1985, en raison du fait que celle-ci n’était pas au courant de son admissibilité à demander des prestations de Sécurité de la vieillesse. Cependant, le gouvernement du Canada n’avait aucune obligation légale d’aviser Mme Stevens qu’elle pouvait demander ces prestations. Aussi l’absence d’un tel avis ne constitue-t-elle pas un facteur que le tribunal de révision peut prendre en compte. De même, le tribunal de révision ne serait pas autorisé à fonder sa décision sur des motifs de compassion.
[21] Le commissaire a affirmé que le tribunal de révision pouvait seulement faire ce que la loi permet. Il a exprimé ses regrets quant au résultat, et il a conclu en affirmant : [traduction] « Votre dossier d’appel sera classé, et nous ne prendrons aucune autre mesure dans cette affaire. »
Les dispositions légales
[22] La Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. 1985, ch. O-9 (la LSV), énonce :
27.1 (1) La personne qui se croit lésée par une décision de refus ou de liquidation de la prestation prise en application de la présente loi peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la notification par écrit de la décision, ou dans le délai plus long que le ministre peut accorder avant ou après l’expiration du délai de quatre-vingt-dix jours, demander au ministre, selon les modalités réglementaires, de réviser sa décision.
28. (1) L’auteur de la demande prévue aux paragraphes 27.1(1) ou (1.1) qui se croit lésé par la décision révisée du ministre — ou, sous réserve des règlements, quiconque pour son compte — peut appeler de la décision devant un tribunal de révision constitué en application de l’article 82 du Régime de pensions du Canada. |
27.1 (1) A person who is dissatisfied with a decision or determination made under this Act that no benefit may be paid to the person, or respecting the amount of a benefit that may be paid to the person, may, within ninety days after the day on which the person is notified in writing of the decision or determination, or within any longer period that the Minister may, either before or after the expiration of those ninety days, allow, make a request to the Minister in the prescribed form and manner for a reconsideration of that decision or determination.
28. (1) a person who makes a request under the subsection 27.1(1) or (1.1) and who is dissatisfied with the decision or the Minister in respect of the request, or, subject to the regulations, any person on their behalf, may appeal the decision to a Review Tribunal under section 82 of the Canada Pension Plan.
(emphasis added) |
[Non souligné dans l’original.]
[23] L’article 82 du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (le RPC), énonce :
82. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en application de l’article 81 ou du paragraphe 84(2) ou celle qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en application du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, peut interjeter appel par écrit auprès d’un tribunal de révision de la décision du ministre soit dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où la première personne est, de la manière prescrite, avisée de cette décision, ou, selon le cas, suivant le jour où le ministre notifie à la deuxième personne sa décision et ses motifs, soit dans le délai plus long autorisé par le commissaire des tribunaux de révision avant ou après l’expiration des quatre‑vingt-dix jours.
(2) Un tribunal de révision est constitué conformément au présent article […] (7) Un tribunal de révision se compose de trois personnes qui, provenant de la liste visée au paragraphe (3), sont choisies par le commissaire en fonction des exigences suivantes : a) le commissaire doit désigner, comme président du tribunal, un membre du barreau d’une province; b) dans les cas où l’appel concerne une question se rapportant à une prestation d’invalidité, au moins un membre du tribunal doit être une personne habile à pratiquer la médecine ou une profession connexe prescrite dans une province.
(8) Un appel auprès d’un tribunal de révision est entendu à l’endroit du Canada que fixe le commissaire, compte tenu de ce qui convient à l’appelant, au ministre et aux mis en cause en application du paragraphe (10). […]
(11) Un tribunal de révision peut confirmer ou modifier une décision du ministre prise en vertu de l’article 81 ou du paragraphe 84(2) ou en vertu du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et il peut, à cet égard, prendre toute mesure que le ministre aurait pu prendre en application de ces dispositions; le commissaire des tribunaux de révision doit aussitôt donner un avis écrit de la décision du tribunal et des motifs la justifiant au ministre ainsi qu’aux parties à l’appel.
(Non souligné dans l’original.) |
82. (1) A party who is dissatisfied with a decision of the Minister made under section 81 or subsection 84(2), or a person who is dissatisfied with a decision of the Minister made under subsection 27.1(2) of the Old Age Security Act, or, subject to the regulations, any person on their behalf, may appeal the decision to a Review Tribunal in writing within 90 days, or any longer period that the Commissioner of Review Tribunals may, either before or after the expiration of those 90 days, allow, after the day on which the party was notified in the prescribed manner of the decision or the person was notified in writing of the Minister’s decision and of the reasons for it.
(2) . A Review Tribunal shall be constituted in accordance with this section. […] (7) Each Review Tribunal shall consist of three persons chosen by the Commissioner from among the members of the panel referred to in subsection (3), subject to the following requirements: (a) the Commissioner must designate a member of the bar of a province as the Chairman of the Review Tribunal; and b) where the appeal to be heard involves a disability benefit, at least one member of the Review Tribunal must be a person qualified to practise medicine or a prescribed related profession in a province.
(8) An appeal to a Review Tribunal shall be heard at such place in Canada as is fixed by the Commissioner, having regard to the convenience of the appellant, the Minister, and any other person added as a party to the appeal pursuant to subsection (10). […] (11) A Review Tribunal may confirm or vary a decision of the Minister made under section 81 or subsection 84(2) or under subsection 27.1(2) of the Old Age Security Act and may take any action in relation to any of those decisions that might have been taken by the Minister under that section or either of those subsections, and the Commissioner of Review Tribunals shall thereupon notify the Minister and the other parties to the appeal of the Review Tribunal’s decision and of the reasons for its decision.
(emphasis added)
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[24] Les Règles de procédure des tribunaux de révision, DORS/92-19 (les Règles), énoncent :
3. (1) Un appel auprès d’un tribunal est interjeté par la transmission d’un avis d’appel au commissaire; cet avis écrit indique : [...] c) les motifs de l’appel, y compris, s’il y a lieu, les motifs qui mettent en cause la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, de la Loi ou de la Loi sur la sécurité de la vieillesse ou de leurs règlements, ainsi qu’un exposé des faits, points, dispositions législatives, raisons et preuves documentaires que l’appelant entend invoquer à l’appui de son appel; [...] (2) Malgré le paragraphe (1), lorsqu’il appert au commissaire que l’appelant a omis de fournir certains des renseignements visés aux alinéas (1)a) à d), le commissaire peut prendre les mesures nécessaires pour obtenir les renseignements manquants et ainsi corriger l’omission. [...]
4. Sur réception de l’avis d’appel, le commissaire en transmet une copie au ministre.
5. Dans les 20 jours qui suivent la réception de l’avis d’appel envoyé par le commissaire, le ministre transmet à celui-ci une copie des documents suivants relatifs à l’appel : a) la demande déposée par le requérant; b) les renseignements concernant le mariage exigés en vertu du paragraphe 54(2) du Règlement sur le Régime de pensions du Canada; c) l’avis donné conformément aux articles 46 ou 46.1 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada; d) l’avis donné conformément au paragraphe 60(7) de la Loi ou la notification donnée conformément aux articles 16 ou 24 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse; e) la demande de révision présentée au ministre conformément au paragraphe 81(1) de la Loi ou au paragraphe 27.1(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse; f) la décision prise par le ministre en application des paragraphes 81(2) ou 84(2) de la Loi ou du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, les motifs de cette décision et tout document s’y rapportant. [...]
7. Le commissaire, sur réception des documents visés à l’article 5 : a) choisit conformément au paragraphe 82(7) de la Loi les membres qui entendront l’appel; b) fixe l’endroit, conformément au paragraphe 82(8) de la Loi, ainsi que la date et l’heure où l’appel sera entendu.
[Non souligné dans l’original.] |
3. (1) An appeal to a Tribunal shall be commenced by conveying to the Commissioner a notice of appeal in writing setting out [...] (c) the grounds for the appeal including, if applicable, the grounds that put at issue the constitutional validity, applicability or operability of the Act or the Old Age Security Act or regulations made thereunder, and a statement of the facts, issues, statutory provisions, reasons and documentary evidence that the appellant intends to rely on in support of the appeal; [...]
(2) Notwithstanding subsection (1), where it appears to the Commissioner that the appellant has failed to provide information in accordance with any of the requirements of paragraphs (1)(a) to (d), the Commissioner may take such steps to obtain the information as are necessary to rectify the failure. [...] 4. The Commissioner shall, on receipt of the notice of appeal, convey a copy of the notice of appeal to the Minister.
5. The Minister shall, within 20 days after receipt of the copy of the notice of appeal from the Commissioner, convey to the Commissioner copies of the following documents relating to the appeal, where applicable: (a) the application filed by the applicant; (b) such information relating to the marriage as is required pursuant to subsection 54(2) of the Canada Pension Plan Regulations; (c) the notification sent in accordance with section 46 or 46.1 of the Canada Pension Plan Regulations; (d) the notification sent in accordance with subsection 60(7) of the Act or section 16 or 24 of the Old Age Security Act; (e) the request made to the Minister for a reconsideration under subsection 81(1) of the Act or under subsection 27.1(1) of the Old Age Security Act; and (f) the decision made by the Minister as a result of the operation of subsection 81(2) or 84(2) of the Act or subsection 27.1(2) of the Old Age Security Act, the reasons therefor and any documents that are relevant to that decision. [...] 7. The Commissioner shall, on receipt of the documents referred to in section 5, (a) select the members to hear the appeal in accordance with subsection 82(7) of the Act; and (b) fix the place, in accordance with subsection 82(8) of the Act, and the time for the hearing of the appeal.
(emphasis added)
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Les questions en litige
[25] Dans la présente affaire, la question pertinente n’est pas celle de savoir si un tribunal de révision avait compétence pour connaître les questions soulevées par la demanderesse, mais plutôt si le commissaire avait compétence pour refuser de constituer un tribunal de révision pour que celui‑ci entende l’appel de la demanderesse.
[26] En conséquence, voici, selon moi, les questions en litige :
a) Le commissaire des tribunaux de révision a-t-il compétence pour refuser de constituer un tribunal de révision pour entendre un appel?
Et subsidiairement,
b) Le commissaire a-t-il omis d’appliquer un principe d’équité procédurale lorsqu’il a refusé de constituer un tribunal de révision pour entendre un appel?
La norme de contrôle
[27] La demanderesse n’a présenté aucune observation au sujet de la norme de contrôle.
[28] La défenderesse soutient que la norme applicable à la question de la compétence du commissaire pour décider de ne pas constituer un tribunal de révision est la norme de la décision correcte. La défenderesse soutient que cette norme s’applique également à la question relative à l’équité procédurale.
[29] L’intervenant convient avec la défenderesse que la norme de contrôle applicable aux deux questions en litige est la norme de la décision correcte.
[30] Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir) aux paragraphes 32 à 34, la Cour suprême du Canada a statué qu’il y avait seulement deux normes de contrôle en common law au Canada : la norme de la décision raisonnable et la norme de la décision correcte. Les questions de fait et les questions mixtes de fait et droit son tranchées en fonction de la norme de la décision raisonnable. Les questions de droit sont tranchées en fonction de la norme de la décision correcte.
[31] La Cour suprême a statué que la détermination de la norme de contrôle applicable se faisait en deux étapes. La première étape consiste à examiner la jurisprudence et à vérifier si la question de la norme applicable a déjà été tranchée de manière convaincante. Dans la négative, le tribunal doit alors procéder à une analyse relative à la norme de contrôle : Dunsmuir, au paragraphe 62. La présente demande et celle présentée dans l’instance connexe amènent pour la première fois la Cour a contrôler le refus du commissaire de fixer une audience d’un tribunal de révision.
[32] En règle générale, la compétence d’un décideur administratif est une question d’interprétation de la loi. Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême écrit au paragraphe 29 :
Les décideurs administratifs exercent leurs pouvoirs dans le cadre de régimes législatifs qui sont eux‑mêmes délimités. Ils ne peuvent exercer de pouvoirs qui ne leur sont pas expressément conférés. S’ils agissent sans autorisation légale, ils portent atteinte au principe de la primauté du droit. C’est pourquoi lorsque la cour de révision se penche sur l’étendue d’un pouvoir décisionnel ou de la compétence accordée par la loi, l’analyse relative à la norme de contrôle vise à déterminer quel pouvoir le législateur a voulu donner à l’organisme en la matière. Elle le fait dans le contexte de son obligation constitutionnelle de veiller à la légalité de l’action administrative : Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220, p. 234; également, Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, par. 21.
[33] Au paragraphe 59 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême a jugé qu’une véritable question de compétence était une question de droit qui commandait l’application de la norme de la décision correcte :
Un organisme administratif doit également statuer correctement sur une question touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité. Nous mentionnons la question touchant véritablement à la constitutionnalité afin de nous distancier des définitions larges retenues avant l’arrêt SCFP. Il importe en l’espèce de considérer la compétence avec rigueur. […] La « compétence » s’entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question. Autrement dit, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question. L’interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence : D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 14‑3 et 14‑6. [Non souligné dans l’original.]
[34] Ces commentaires de la Cour suprême tendent à indiquer que la norme applicable est celle de la décision correcte.
[35] Cependant, la Cour suprême a pris soin de souligner qu’elle retiendrait une conception étroite de ce qui constitue une « véritable » question de compétence. Plus haut dans l’arrêt, elle avait reconnu que la déférence était de mise « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie ».
[36] En l’espèce, l’intervenant soutient que le commissaire agissait en conformité avec le système de gestion des cas mis au point pour administrer efficacement les appels interjetés en vertu de la LSV et du RPC. Il peut être soutenu que le commissaire interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie.
[37] La présente demande ainsi que la demande connexe soulèvent pour la première fois la question de la compétence du commissaire pour classer un appel sans constituer un tribunal de révision. Elle commande donc une analyse relative à la norme de contrôle dans le cadre de laquelle la Cour ne peut s’autoriser d’aucun précédent.
[38] Pour procéder à l’analyse relative à la norme de contrôle au sens des arrêts Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S 817, aux paragraphes 58-62 (Baker) et Dunsmuir, au paragraphe 64, il faut appliquer les facteurs suivants :
1. l’existence ou l’inexistence d’une clause privative;
2. l’expertise du tribunal administratif;
3. l’objet de la disposition en cause et de la loi prise dans son ensemble;
4. la nature de la question en cause.
[39] La présente demande concerne le refus du commissaire de fixer une date d’audition de l’appel par un tribunal de révision. La décision d’appel d’un tribunal de révision en vertu de l’article 28 de la LSV est visée par une clause privative et est susceptible d’un contrôle limité en ce qu’elle peut seulement être contrôlée par la Cour fédérale. Cependant, il n’y a aucune restriction ni aucune clause privative concernant les décisions rendues par le commissaire dans l’exercice de ses fonctions. En conséquence, ce facteur tend à diminuer le degré de déférence dont il y a lieu de faire preuve à l’égard des décisions du commissaire.
[40] Le RPC prévoit qu’un certain pourcentage des personnes inscrites sur la liste des personnes pouvant être choisies pour composer un tribunal de révision doivent être membres du barreau d’une province (alinéa 82(3)a)) et que le président d’un tribunal de révision doit être membre du barreau d’une province (alinéa 82(7)a), mais ces exigences ne s’appliquent pas aux postes de commissaire et de commissaire adjoint. Il se peut que le commissaire possède une expérience et une expertise administratives découlant de l’exercice de ses fonctions à titre de commissaire, et il se peut fort bien qu’il ait une formation en droit, mais ce ne sont pas là des exigences du poste de commissaire. Ce facteur tend à diminuer le degré de déférence dont il y a lieu de faire preuve lors d’un contrôle.
[41] La LSV accorde des pensions et des suppléments aux individus qui remplissent les conditions d’admissibilité. Les successions de ces individus sont également admissibles à recevoir ces prestations. Ces individus disposent d’un droit d’appel lorsqu’ils s’estiment lésés par une décision du ministre statuant en révision. Étant donné l’importance du droit d’appel pour l’individu, ou pour sa succession, il y a lieu de faire preuve de moins de déférence à l’égard d’une décision restreignant ce droit ou en privant le titulaire.
[42] Enfin, étant donné la nature de la décision faisant l’objet du présent contrôle, je suis saisi d’une question concernant l’appréciation de la compétence plutôt que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. À cet égard, un tribunal ne doit faire preuve d’aucune déférence à l’égard de la décision d’un organisme administratif statuant sur sa compétence.
[43] Je conclus que l’analyse qui précède indique elle aussi que la norme de contrôle applicable à la décision du commissaire de ne pas constituer un tribunal de révision relativement à un appel en vertu de la LSV est la norme de la décision correcte. La Cour ne fera preuve d’aucune déférence à l’égard de la conclusion du commissaire selon laquelle celui-ci avait compétence pour refuser de constituer un tribunal de révision.
[44] Les questions relatives à l’équité procédurale commandent également la norme de contrôle de la décision correcte, et le tribunal siégeant en révision n’est donc tenu de faire preuve d’aucune déférence relativement à ces questions : Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 46.
Analyse
[45] La demanderesse soutient que la décision du commissaire de classer l’appel n’avait rien à voir avec la justice. La demanderesse réitère que Mme Stevens a été une bonne citoyenne et qu’elle n’a pas touché les prestations de la LSV auxquelles elle avait droit. La demanderesse proteste vigoureusement contre la limite de onze mois applicable aux paiements rétroactifs. Elle ne formule aucune observation relative à la question de la compétence.
[46] Le défendeur soutient qu’il existe un droit d’appel de novo auprès du tribunal de révision à l’égard des décisions du ministre statuant en révision sur certaines questions visées par la LSV. Le défendeur soutient que, dès lors que les conditions d’appel prévues par la loi sont remplies, la loi oblige le commissaire à choisir trois membres du tribunal de révision pour entendre l’appel de la demanderesse. En refusant de convoquer une audience, le défendeur soutient que le commissaire a outrepassé sa compétence et qu’il a aussi violé le principe de justice naturel relatif au droit d’être entendu.
[47] L’intervenant soutient que le commissaire a compétence pour classer un dossier d’appel lorsqu’un tribunal de révision n’a pas compétence pour statuer sur l’appel. Cette compétence découle d’un examen des dispositions législatives pertinentes. L’observation de l’intervenant repose principalement sur le système de gestion des cas que le BCTR a instauré pour gérer les appels auprès de tribunaux de révision en vertu de la LSV.
[48] Je note que l’intervenant soutient également, dans ses observations écrites et dans sa plaidoirie dans l’affaire connexe, Lambie, que le commissaire a compétence par déduction nécessaire. Puisque l’intervenant n’a pas formulé cet argument dans ses observations écrites dans la présente affaire, je traiterai de la question de la compétence dans ma décision dans Lambie.
Le système de gestion des cas
[49] L’intervenant a présenté des éléments de preuve relatifs à son système de gestion de cas. Il explique que, pour tenter d’offrir un service convenable aux appelants, qui sont principalement des aînés qui se représentent eux-mêmes et dont les besoins et les situations varient beaucoup d’un cas à l’autre, le BCTR a instauré un système de gestion des cas avant audience. Ce système de gestion des cas était administré par le service juridique à l’origine en 1998, mais il a par la suite été confié à un service administratif en 2002. L’intervenant affirme que, de manière générale, ce sont des considérations d’équité et d’efficacité qui ont présidé à l’élaboration du processus de gestion des cas.
[50] Le BCTR reçoit près de deux cent avis d’appel en vertu de la LSV chaque année. Un nombre considérable de ces appels soulèvent des questions qu’un tribunal de révision n’a pas compétence pour trancher, notamment :
[traduction]
Détermination du revenu : le paragraphe 28(2) de la LSV dispose qu’une telle question doit être renvoyée devant la Cour canadienne de l’impôt;
Avis erroné ou erreur administrative : un tribunal de révision n’a pas compétence pour réviser les décisions rendues en vertu de l’article 32 de la LSV, qui est l’article relatif aux avis erronés et aux erreurs administratives; le recours que l’intéressé peut exercer à l’encontre d’une décision du ministre rendue en vertu de l’article 32 est la demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale;
Remise de trop-perçu : un tribunal de révision n’a pas compétence pour connaître d’un appel de la décision du ministre rendue en vertu de l’alinéa 37(4)d) de la LSV;
Motifs de compassion ou circonstances spéciales : un tribunal de révision, puisqu’il est créé par une loi, n’a pas de compétence en équité et ne peut pas appliquer le principe de l’équité pour accorder des prestations rétroactives pour des motifs qui ne sont pas prévus par la loi.
[51] L’intervenant affirme que le nombre très élevé d’appels en vertu de la LSV qui soulèvent des questions qui ne relèvent pas de la compétence du tribunal de révision pose un défi au BCTR depuis la fin des années 1990. Ces appels comprennent notamment des appels visant à obtenir un redressement au regard de la limite que pose la loi à la rétroactivité des paiements de prestations de pension en vertu de la LSV.
[52] Par exemple, l’intervenant rapporte que les avis d’appel en vertu de la LSV reçus au mois de mai 2009 illustrent bien le défi que pose la gestion des cas relatifs à la LSV. Parmi les 22 avis d’appel en vertu de la LSV :
a) 5 (22 %) soulevaient comme seul motif d’appel la compassion ou des allégations selon lesquels le ministre avait donné un avis erroné;
b) 3 (18,1 %) ne soulevaient aucun motif d’appel du tout;
c) 7(31,8 %) devaient être précisées avant qu’un motif d’appel puisse être cerné le cas échéant;
d) 6 (27,2 %) fournissait des renseignements adéquats pour déterminer les motifs d’appel, mais ceux-ci étaient très divers.
[53] L’intervenant estime que le coût direct moyen d’une audience du tribunal de révision s’élève à 1 747 $ et que le coût indirect moyen d’une telle audience s’élève à 1 719 $. Au cours de la même année que celle dans laquelle la présente affaire a pris naissance, soit 2007-2008, le commissaire a classé en tout 69 appels parce qu’il estimait que ceux-ci soit ne soulevaient pas une question qu’un tribunal de révision serait autorisé à trancher, soit ne soulevaient pas de motif d’appel prévu par la loi. Le coût estimé du renvoi de ces 69 appels à un tribunal de révision aurait totalisé approximativement 239 154 $.
[54] L’intervenant soutient que son processus de gestion des cas tente de concilier les soucis d’équité et d’efficacité d’un tribunal administratif moderne qui traite un grand nombre de cas, et que ce processus réduit les délais d’attente préalable à une audience pour ceux dont les avis d’appel satisfont aux exigences du paragraphe 3(1) des Règles et qu’il libère des ressources qui permettent d’assurer un meilleur service à la clientèle au stade préalable à une audience.
Pouvoir conféré par la loi
[55] L’intervenant soutient que la compétence du commissaire peut se déduire d’une interprétation du cadre législatif dans lequel le commissaire exerce ses fonctions. Il n’y a aucune disposition de la LSV, du RPC ni des Règles qui interdit l’établissement d’un processus de gestion de cas relativement aux tribunaux de révision. Les dispositions législatives et réglementaires ne répondent pas à toutes les questions procédurales, et il n’existe aucune loi générale de procédure visant les tribunaux administratifs fédéraux comme les tribunaux de révision. En pareilles circonstances, l’intervenant soutient que les tribunaux sont libres d’établir leur propre procédure, à la condition qu’ils respectent leur obligation d’agir de manière équitable.
[56] Le paragraphe 3(1) des Règles exige expressément que l’avis de l’appelant indique les motifs d’appel de l’appelant et qu’il comporte un exposé des faits, des points, des dispositions législatives, des raisons et des preuves documentaires que l’appelant entend invoquer. L’intervenant souligne que le paragraphe 3(2) des Règles prévoit que, lorsqu’il appert que l’appelant a omis de se conformer au paragraphe 3(1), le commissaire peut prendre les mesures nécessaires pour obtenir les renseignements manquants et ainsi corriger l’omission.
[57] L’intervenant affirme que les dispositions contraignantes des Règles, l’article 4 et les dispositions procédurales qui suivent n’ont de sens qu’après qu’il a été satisfait aux exigences du paragraphe 3(1). L’intervenant soutient qu’il ressort clairement du libellé de l’article 3 qu’il appartient au commissaire, et non au tribunal de révision, de décider dans quels cas un avis d’appel satisfait à ces exigences.
[58] L’intervenant soutient donc que le commissaire peut classer un dossier d’appel lorsqu’il est improbable qu’un avis d’appel puisse être remanié de façon à satisfaire aux exigences de l’article 3 parce que la loi ou des précédents jurisprudentiels font échec au motif d’appel indiqué. L’intervenant soutient que le commissaire n’évalue pas une cause défendable; il détermine si l’appelant a soulevé des motifs qui relèvent de la compétence d’un tribunal de révision.
[59] L’intervenant conclut l’exposé de cet argument en soutenant que, si le commissaire renvoyait chaque appel à un tribunal de révision sans égard aux dispositions législatives applicables, il irait à l’encontre de l’objet de l’article 3 des Règles.
[60] La prétention de l’intervenant selon laquelle le commissaire a un motif législatif de se déclarer compétent pour classer un appel pose problème tout d’abord parce que les dispositions législatives circonscrivent les pouvoirs du commissaire. Le commissaire a la responsabilité de superviser la constitution des tribunaux administratifs et de leur fournir des services administratifs. Les paragraphes 82(7), 82(8) et 82(11) emploient tous l’indicatif à valeur contraignante lorsqu’ils énoncent les obligations du commissaire.
[61] Une interprétation de l’article 82 selon le sens ordinaire des mots révèle qu’une audience du tribunal de révision doit être convoquée. L’emploi de l’indicatif indique que l’exigence est contraignante. Le libellé de la loi ne comporte aucune ambiguïté qui puisse justifier d’écarter le sens ordinaire du libellé contraignant de l’article 82 : Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto et Vancouver : Butterworths, 1994), aux pages 369 et 370.
[62] De même, l’article 7 des Règles emploie également le même libellé contraignant : « Le commissaire, sur réception des documents visés à l’article 5 : […] choisit conformément au paragraphe 82(7) de la Loi les membres qui entendront l’appel; […] fixe l’endroit, conformément au paragraphe 82(8) de la Loi, ainsi que la date et l’heure où l’appel sera entendu. »
[63] La seule disposition qui confère un pouvoir discrétionnaire au commissaire est le paragraphe 3(2) des Règles, qui prévoit que, lorsqu’il appert que l’appelant a omis de se conformer au paragraphe 3(1) des Règles, le commissaire peut prendre les mesures nécessaires pour obtenir les renseignements manquants et ainsi corriger l’omission. À mon avis, le pouvoir discrétionnaire de prendre des mesures pour corriger un manquement aux exigences du paragraphe 3(1) ne change rien au caractère contraignant des exigences de l’article 82 du RPC et des Règles.
[64] Chose plus importante, je dirais que le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 3(2) des Règles, qui sont de simples règles de procédure, ne saurait être interprété de manière à faire échec à un droit d’appel que confèrent à une personne les dispositions législatives expresses de l’article 28 de la LSV et du paragraphe 82(1) du RPC.
[65] Je parviens aussi à ma conclusion selon laquelle le commissaire n’a pas compétence pour classer un dossier d’appel non seulement en raison de la primauté des dispositions de la loi, mais aussi à cause du caractère de novo de l’audience du tribunal de révision.
Audience de novo
[66] Dans ses observations, le défendeur affirme qu’un appelant dispose d’un droit d’appel de novo, auprès du tribunal de révision, des décisions du ministre statuant en révision. Bien qu’il ne cite aucune source à l’appui de cette prétention, je crois que le défendeur a raison.
[67] Aucune des dispositions de la LSV, du RPC ou des Règles ne précise expressément qu’une audience du tribunal de révision est une audience de novo. Cependant, à la lumière des dispositions législatives, il fait peu de doute que le tribunal de révision doit tenir une audience de novo.
[68] Le paragraphe 28(1) de la LSV indique qu’une personne peut interjeter appel d’une décision du tribunal de révision constitué en vertu de l’article 82 du RPC. Le droit d’appel de plein droit est réitéré à l’article 82 de cette dernière loi. Le tribunal de révision peut exercer tous les pouvoirs dont le ministre dispose. Ces pouvoirs sont énoncés à l’article 11 :
(11) Un tribunal de révision peut confirmer ou modifier une décision du ministre prise en vertu de l’article 81 ou du paragraphe 84(2) ou en vertu du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et il peut, à cet égard, prendre toute mesure que le ministre aurait pu prendre en application de ces dispositions; le commissaire des tribunaux de révision doit aussitôt donner un avis écrit de la décision du tribunal et des motifs la justifiant au ministre ainsi qu’aux parties à l’appel.
[69] Le paragraphe 84(1) prévoit qu’un tribunal de révision peut décider des questions de droit ou de fait, en fonction des éléments de preuve, et – fait à noter – le paragraphe 84(2) prévoit qu’un tribunal de révision peut tirer des conclusions en se fondant sur des éléments de preuve nouveaux lors d’une nouvelle audience subséquente :
84. (1) Un tribunal de révision et la Commission d’appel des pensions ont autorité pour décider des questions de droit ou de fait […]
(2) Indépendamment du paragraphe (1), le ministre, un tribunal de révision ou la Commission d’appel des pensions peut, en se fondant sur des faits nouveaux, annuler ou modifier une décision qu’il a lui‑même rendue ou qu’elle a elle-même rendue conformément à la présente loi.
[Non souligné dans l’original.]
[70] En outre, les Règles prévoient que les témoins sont interrogés de vive voix, comme on s’y attendrait lors d’une audience de novo :
11.1 Lors de l’audition d’un appel, les témoins sont interrogés de vive voix et sous serment mais, avant l’audition ou au cours de l’audition, une partie à l’appel peut demander au tribunal de rendre une ordonnance permettant de faire la preuve de tous les faits ou d’un ou de plusieurs faits particuliers autrement que par preuve testimoniale. Le tribunal peut rendre l’ordonnance qu’il juge convenable dans les circonstances.
[71] Dans la décision Canada (Ministre des Ressources humaines) c. Chhabu, 2005 CF 1277, au paragraphe 17, la Cour évoque et admet l’idée selon laquelle une audience du tribunal de révision est une audience de novo : « Les parties conviennent que l'appel devant le tribunal de révision est une audience de novo. » De même, d’autres décisions relatives à des audiences du tribunal de révision traitent les appels devant le tribunal de révision comme des audiences de novo : Khota c. Canada (Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CF 805 et McDonald c. Canada Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2009 CF 1074.
[72] Je conclus qu’une audience du tribunal de révision en appel d’une révision en vertu de la LSV est une audience de novo. Aussi l’appelant peut-il soulever de nouvelles questions à l’audience d’appel du tribunal de révision.
[73] Il ressort des faits de la présente demande que ni l’agente de gestion de cas ni le commissaire n’ont mentionné une exception à la limite que la loi pose aux paiements rétroactifs en vertu de la LSV, soit l’exception prévue à la disposition relative à l’invalidité, et ce, malgré que le délégataire du ministre ait examiné cette question. Étant donné le caractère de novo de l’appel, il serait loisible à la demanderesse de soulever à nouveau cette question.
[74] Puisqu’un appelant a le droit de soulever une nouvelle question lors d’une audience de novo devant le tribunal de révision, le commissaire ne peut pas conclure à l’avance et de manière définitive qu’un appel ne relève pas de la compétence du tribunal de révision.
[75] Le commissaire ne peut pas classer un dossier d’appel et priver l’appelant de la possibilité de bénéficier d’une audience de novo. D’ailleurs, je suis d’avis que le paragraphe 3(2) vise à permettre au commissaire de faciliter la préparation d’un appel en bonne et due forme pour que le tribunal d’appel l’examine. À cette fin, il se peut que le commissaire doive cerner des motifs et des éléments de preuve factuelle appropriés aux fins d’une audience du tribunal de révision si l’appelant ne les expose pas convenablement.
L’équité procédurale
[76] Le défendeur a soutenu en outre que le refus du commissaire de constituer un tribunal de révision pour que celui-ci tienne une audience constituait un manquement à l’équité procédurale parce que la loi conférait à la demanderesse le droit à une audience devant un tribunal de révision.
[77] Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême a souligné au paragraphe 28 les valeurs clés relatives à l’équité procédurale :
Les valeurs qui sous‑tendent l’obligation d’équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision.
[78] La Cour suprême a dressé une liste non exhaustive de facteurs à prendre en compte pour déterminer le degré d’équité procédurale qui est requis dans une situation donnée :
a) la nature de la décision;
b) la nature du régime législatif;
c) l’importance de la décision pour les personnes visées;
d) les attentes légitimes de la personne qui conteste la disposition;
e) les choix de procédure que l’organisme fait lui-même.
[79] Le régime législatif du RPC et de la LSV offre aux individus un moyen d’interjeter appel d’une décision du ministre ou de son délégataire statuant en révision. Ce droit d’appel est important. Il s’accompagne du droit à une audience – précédée de la communication préalable des documents pertinents – au cours de laquelle des éléments de preuve peuvent être produits et au terme de laquelle un tribunal composé de trois décideurs rend une décision qui doit être motivée. À l’évidence, la personne qui interjette appel s’attendra légitimement à avoir droit à une audience en bonne et due forme.
[80] Il est également manifeste que les demandeurs qui se représentent eux-mêmes peuvent recourir au processus d’appel prévu par LSV, et d’ailleurs, un nombre important de ces appels sont interjetés par des parties qui se représentent elles-mêmes et qui ne sont pas au courant des exigences du paragraphe 3(1) des Règles. C’est précisément pour cette raison que le BCTR a instauré son processus de gestion de cas.
[81] Le paragraphe 3(2) des Règles prévoit que le commissaire « peut prendre les mesures nécessaires pour obtenir les renseignements manquants et ainsi corriger l’omission. » Or, le commissaire n’a fait aucun effort pour corriger la lacune que présentait selon lui l’appel de la demanderesse avant la décision du 5 juin 2008 ou la reconfirmation du 11 juillet 2008 qui classait le dossier d’appel de la demanderesse.
[82] Je conclus que, lorsqu’il a décidé le 5 juin 2008 de ne pas convoquer d’audience du tribunal sans avoir préalablement signalé à la demanderesse les lacunes que pouvait présenter selon lui l’avis d’appel de cette dernière, le commissaire a privé la demanderesse de l’accès à une audience du tribunal de révision.
[83] Rien ne sert pour le commissaire d’invoquer sa décision en révision du 11 juillet 2008 puisqu’il n’y a eu aucune offre de révision. Il s’agissait plutôt simplement d’une confirmation d’une décision rendue en réponse à la demande de réouverture de son appel que la demanderesse avait fait transmettre.
[84] Je conclus que le commissaire a manqué à l’équité procédurale en classant l’appel sans permettre à la demanderesse d’exercer son droit d’être entendue par un tribunal de révision.
Conclusion
[85] Je conclus que le commissaire n’avait pas compétence en vertu de la LSV pour classer le dossier d’appel de la demanderesse sans constituer un tribunal de révision pour que celui-ci entende l’appel.
[86] La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
[87] Je n’adjuge aucuns dépens.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
2. L’affaire est renvoyée au commissaire pour que celui-ci statue de nouveau sur la présente affaire en conformité avec les présents motifs.
3. Aucuns dépens ne sont adjugés.
Traduction certifiée conforme
Evelyne Swenne, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1883-08
INTITULÉ : LA SUCCESSION DE VIOLET STEVENS ET JUNE TAYLOR, ÈS QUALITÉ D’EXÉCUTRICE c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AUTRE
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 18 mai 2010
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE MANDAMIN
DATE DES MOTIFS : LE 28 JANVIER 2011
COMPARUTIONS :
LA DEMANDERESSE, POUR SON PROPRE COMPTE |
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Nicole Butcher Jennifer Hockey
Shannon Russell Krista Cajka |
POUR LE DÉFENDEUR
POUR L’INTERVENANT |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario)
Bureau du commissaire des Tribunaux de révision Ottawa, (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
POUR L’INTERVENANT |