Cour fédérale |
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Federal Court |
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 26 janvier 2011
En présence de madame la juge Heneghan
Entre :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
INTRODUCTION
[1] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par M. Marc Tessler (le commissaire), de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de l’immigration, (la Commission), en date du 1er novembre 2010. Dans cette décision, le commissaire a ordonné la mise en liberté de B188 (le défendeur) à l’issue du contrôle des motifs de détention conformément à l’article 58 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).
[2] Dans une ordonnance rendue le 2 novembre 2010, le juge Mosley a sursis à l’exécution de l’ordonnance de mise en liberté du défendeur jusqu’à ce qu’il soit statué sur la requête présentée par le demandeur en vue d’obtenir le sursis d’exécution de l’ordonnance en question tant que ne serait pas tranchée sa demande de contrôle judiciaire. L’autorisation de présenter la demande de contrôle judiciaire a été accordée par le juge Mosley aux termes d’une ordonnance datée du 12 novembre 2010 et la mise en liberté du défendeur a fait l’objet d’un nouveau sursis jusqu’à la conclusion de la présente demande de contrôle judiciaire ou jusqu’au prochain contrôle des motifs de détention exigé par la loi.
LES FAITS
[3] Le défendeur est un citoyen du Sri Lanka. Il est né en 1980 a vécu dans une région située au nord du pays, qu’il désigne sous le nom de Vanni, une zone contrôlée par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET).
[4] En 2002, le défendeur a commencé à travailler comme reporter pour un journal de la ville de Kilinochchi appelé « Eelanatham », ce qui signifie « Quotidien du Peuple ». Le défendeur y occupait essentiellement la fonction de reporter : il recueillait de l’information et rédigeait des articles au sujet du quotidien des habitants. En temps de paix, l’« Eelanatham » était largement diffusé mais en cas d’hostilités, les TLET n’autorisaient que sa distribution locale.
[5] Le défendeur a été reçu plusieurs fois en entrevue par les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) et chaque fois, il a déclaré que l’« Eelanatham » n’appartenait pas aux TLET. Il a indiqué que les TLET possédaient deux journaux, le « Viduthalai Pulikal » et le « Suthanthara Paravaikal », ainsi qu’une station de radio et une chaîne de télévision. Il a reconnu que l’« Eelanatham » n’était pas autorisé à publier des articles discréditant les TLET et qu’il lui était lui-même interdit d’écrire au sujet de l’organisation, une tâche réservée aux rédacteurs et éditorialistes.
[6] Le défendeur a déclaré n’avoir jamais été membre des TLET mais il a précisé que son frère s’était joint à l’organisation en 1990 et y était resté quatre ou cinq ans. Il avait deux autres frères, mais ceux-ci ont été tués pendant les combats entre l’armée sri-lankaise et les TLET, l’un en 1990 et l’autre 1999.
[7] Le défendeur maintient fermement qu’il n’est pas membre des TLET. Au cours des entrevues que lui ont fait subir les agents de l’ASFC, il a indiqué que les TLET tentaient de libérer la population de sa région, mais qu’ils étaient violents et cupides et qu’il fallait les condamner.
[8] Le défendeur a reconnu que l’armée sri-lankaise ciblait et tuait les journalistes et il croit avoir été une cible. Le 25 avril 2009, il a été blessé par un obus au cours d’une attaque. Il s’était rendu sur les lieux d’un bombardement qui avait eu lieu précédemment dans la même zone afin de faire des photos lorsque l’attaque s’est produite.
[9] Le 25 novembre 2009, le défendeur a fui le Sri Lanka en s’envolant vers la Thaïlande. Le 1er mai 2010, il s’est embarqué à bord du M.V. Sun Sea. Il est l’une des 492 personnes à être entrées clandestinement au Canada à bord de ce navire le 13 août 2010. Le coût du passage était de 8 000 $ et le défendeur doit encore 5 000 $. Il a un frère en France qui a pu l’aider à acquitter sa dette initiale. Pendant les entrevues à l’ASFC, et dans les observations qu’il a présentées à la Commission par l’entremise de son conseil, le défendeur a déclaré que son frère pouvait solder les 5 000 $ qu’il devait, mais depuis son arrivée au Canada jusqu’à la date de l’audience relative au contrôle des motifs de détention, il avait été incapable d’entrer en contact avec ce frère. Le défendeur n’a au Canada ni famille ni amis.
[10] À son arrivée au Canada, le défendeur a été placé en détention afin que son identité puisse être établie. Le premier contrôle des motifs de sa détention suivant la Loi a eu lieu le 17 août 2010. À cette occasion, la Commission a ordonné son maintien en application de l’alinéa 58(1)d) de la Loi au motif que son identité n’avait pas été établie. Son maintien en détention a été confirmé pour les mêmes motifs à l’issue des contrôles du 20 août, du 9 septembre et du 4 octobre 2010.
[11] Le 15 octobre 2010, le demandeur a établi, suivant l’article 44 de la Loi, un rapport circonstancié portant que le défendeur était interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) parce qu’il était membre d’une organisation terroriste. En termes plus précis, le demandeur soutient que le défendeur est membre des TLET.
[12] Le contrôle suivant des motifs de détention du défendeur qu’exigeait la Loi a eu lieu le 1er novembre 2010. Lors de l’audience en question, le demandeur a fait valoir que la détention du défendeur devait se poursuivre parce qu’il risquait de fuir, au sens de l’alinéa 58(1)b) de la Loi.
[13] Dans sa décision, le commissaire a rejeté ces arguments et a jugé que le défendeur ne se soustrairait vraisemblablement pas aux futures audiences, telles que celle prévue au paragraphe 44(2). Le commissaire a aussi conclu que la dette du défendeur n’était pas importante au point de le rendre vulnérable à la coercition exercée par les passeurs et que les allégations du demandeur selon lesquelles le défendeur était interdit de territoire suivant l’alinéa 34(1)f) ne posaient pas une question simple.
[14] Selon la Commission, étant donné que de nombreuses personnes venaient au Canada sans avoir d’amis ou de parents déjà établis ici, le défendeur ne présentait pas un risque de fuite du fait qu’il n’ait pas de liens du genre. La Commission a souligné que le risque de fuite était général chez les personnes arrivées au Canada dans les mêmes circonstances que le défendeur. Ce risque, et la possibilité qu’une mesure de renvoi soit prononcée, pouvaient être tempérés par des conditions sévères. La Commission a imposé certaines conditions, notamment l’obligation de se présenter chaque semaine aux autorités et de ne pas s’associer à des organisations criminelles, mais il a refusé d’imposer le versement d’un cautionnement en espèces.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[15] Dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur soulève trois questions. Premièrement, il soutient que la Commission a commis une erreur de droit et qu’elle a appliqué incorrectement l’alinéa 58(1)b) de la Loi en écartant les critères énoncés aux alinéas 245f) et g) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Il prétend que la décision de la Commission repose sur les croyances personnelles du commissaire et des conjectures et ne tient pas compte des éléments de preuve contraires.
[16] Deuxièmement, le demandeur avance que la Commission a commis une erreur de droit et qu’elle a appliqué incorrectement l’alinéa 58(1)b) de la Loi car elle aurait dû tenir compte de la probabilité que le défendeur se soustraie à son éventuel renvoi du Canada au lieu de supposer que le défendeur obtiendrait gain de cause à l’enquête relative à l’interdiction de territoire ou qu’il demanderait une dispense en vertu du paragraphe 34(2) de la Loi s’il était déclaré interdit de territoire.
[17] Troisièmement, le demandeur prétend que, eu égard aux faits de l’espèce, les conditions minimes dont la Commission a assorti la mise en liberté étaient déraisonnables.
ANALYSE ET DÉCISION
(i) La norme de la contrôle
[18] La première question à examiner est celle de la norme de contrôle applicable. Compte tenu de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, il n’existe plus que deux normes de contrôle, soit celle de la décision correcte et celle de la raisonnabilité. Les questions de droit et d’équité procédurale commandent l’application de la décision correcte. Les questions de faits et les questions mixtes de droit et de fait sont assujetties à la raisonnabilité.
[19] La question de savoir si la Commission a commis une erreur en n’appliquant pas les critères énoncés aux alinéas 245f) et g) est une question de droit à laquelle la décision correcte s’applique. L’allégation selon laquelle la Commission aurait omis de se demander si le défendeur se soumettra à l’exécution d’une mesure de renvoi est une question mixte de droit et de fait; voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. X, 2010 CF 109. Le choix arrêté par la Commission au sujet des conditions de mise en liberté soulève une question mixte de droit et de fait qu’il convient de contrôler selon la raisonnabilité. La façon dont la Commission apprécie la preuve présentée pour tirer ses conclusions est aussi susceptible de contrôle selon la raisonnabilité.
(ii) Les critères juridiques appropriés
[20] La mise en liberté et la détention sont régies par l’article 58 de la Loi, qui est ainsi libellé :
58. (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :
a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;
b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);
c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux;
d) dans le cas où le ministre estime que l’identité de l’étranger n’a pas été prouvée mais peut l’être, soit l’étranger n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l’identité de l’étranger. Mise en détention par la Section de l’immigration
(2) La section peut ordonner la mise en détention du résident permanent ou de l’étranger sur preuve qu’il fait l’objet d’un contrôle, d’une enquête ou d’une mesure de renvoi et soit qu’il constitue un danger pour la sécurité publique, soit qu’il se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi.
Conditions
(3) Lorsqu’elle ordonne la mise en liberté d’un résident permanent ou d’un étranger, la section peut imposer les conditions qu’elle estime nécessaires, notamment la remise d’une garantie d’exécution.
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58. (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that
(a) they are a danger to the public;
(b) they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);
(c) the Minister is taking necessary steps to inquire into a reasonable suspicion that they are inadmissible on grounds of security or for violating human or international rights; or
(d) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national has not been, but may be, established and they have not reasonably cooperated with the Minister by providing relevant information for the purpose of establishing their identity or the Minister is making reasonable efforts to establish their identity. Detention — Immigration Division
(2) The Immigration Division may order the detention of a permanent resident or a foreign national if it is satisfied that the permanent resident or the foreign national is the subject of an examination or an admissibility hearing or is subject to a removal order and that the permanent resident or the foreign national is a danger to the public or is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing or removal from Canada.
Conditions
(3) If the Immigration Division orders the release of a permanent resident or a foreign national, it may impose any conditions that it considers necessary, including the payment of a deposit or the posting of a guarantee for compliance with the conditions. |
[21] Essentiellement, le paragraphe 58(1) prévoit que la personne détenue doit être remise en liberté « sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires », que la personne ne devrait pas l’être. Les critères réglementaires sont énoncés à la partie 14 du Règlement, qui comprend les articles 244 à 250. Les articles 244, 245 et 247 du Règlement sont pertinents en l’espèce.
[22] L’article 244 prévoit ce qui suit :
244. Pour l’application de la section 6 de la partie 1 de la Loi, les critères prévus à la présente partie doivent être pris en compte lors de l’appréciation :
a) du risque que l’intéressé se soustraie vraisemblablement au contrôle, à l’enquête, au renvoi ou à une procédure pouvant mener à la prise, par le ministre, d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi; b) du danger que constitue l’intéressé pour la sécurité publique; c) de la question de savoir si l’intéressé est un étranger dont l’identité n’a pas été prouvée. |
244. For the purposes of Division 6 of Part 1 of the Act, the factors set out in this Part shall be taken into consideration when assessing whether a person
(a) is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2) of the Act; (b) is a danger to the public; or (c) is a foreign national whose identity has not been established. |
[23] L’alinéa 244a) s’applique en l’espèce étant donné que le demandeur fonde son argumentation sur le prétendu risque que le défendeur se soustraie à l’enquête. Devant la Commission, le demandeur a soutenu que le défendeur serait vraisemblablement déclaré interdit de territoire. Pour cette raison, il a fait valoir que le défendeur avait intérêt à ne pas se présenter à l’enquête. Le demandeur a ajouté que le défendeur risquait de se soustraire au renvoi lorsque la mesure serait prononcée.
[24] L’article 245 du Règlement renferme une liste de critères se rapportant spécifiquement à la question du risque de fuite auquel fait allusion l’alinéa 244a), précité. Ainsi que je l’ai mentionné précédemment, les deux seules dispositions de l’article 245 qui s’appliquent en l’espèce sont les alinéas f) et g). Puisque le risque de fuite est en cause, la Commission doit se demander si l’implication dans des opérations de passage de clandestins ou de trafic de personnes mènerait vraisemblablement une personne se trouvant dans la situation du défendeur à se soustraire à une procédure. De même, suivant l’alinéa g), la Commission est tenue de prendre en compte l’appartenance réelle de la personne en cause à une collectivité au Canada au nombre des critères permettant d’apprécier le risque que cette personne prenne la fuite.
[25] Le demandeur prétend que la Commission a fondé sa décision sur des conjectures et non sur les critères énoncés à l’article 245 du Règlement. En particulier, il soutient que la Commission a ignoré les alinéas 245f) et g), qui prévoient ce qui suit :
245. Pour l’application de l’alinéa 244a), les critères sont les suivants :
[…]
f) l’implication dans des opérations de passage de clandestins ou de trafic de personnes qui mènerait vraisemblablement l’intéressé à se soustraire aux mesures visées à l’alinéa 244a) ou le rendrait susceptible d’être incité ou forcé de s’y soustraire par une organisation se livrant à de telles opérations;
g) l’appartenance réelle à une collectivité au Canada. |
245. For the purposes of paragraph 244(a), the factors are the following:
[…]
(f) involvement with a people smuggling or trafficking in persons operation that would likely lead the person to not appear for a measure referred to in paragraph 244(a) or to be vulnerable to being influenced or coerced by an organization involved in such an operation to not appear for such a measure; and
(g) the existence of strong ties to a community in Canada. |
[26] Comme l’a souligné le défendeur, seuls deux paragraphes de l’article 245 du Règlement s’appliquent en l’espèce. Lors du contrôle des motifs de détention qui a eu lieu le 1er novembre 2010, le demandeur s’est fondé uniquement sur les critères énoncés aux alinéas 245f) et g).
[27] Le demandeur soutient qu’au lieu de se demander si le défendeur était susceptible de se soumettre à la mesure de renvoi, la Commission a plutôt axé son examen sur la question de savoir si le défendeur pouvait opposer une défense efficace à l’allégation voulant qu’il soit interdit de territoire. Autrement dit, la Commission aurait avant tout cherché à déterminer si le défendeur était susceptible d’être renvoyé du Canada, et non s’il était susceptible de se soumettre à la mesure de renvoi si on le lui ordonnait. Le demandeur s’appuie sur la décision Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 214 (1re inst.) pour avancer qu’une personne peut être détenue si le ministre estime qu’elle ne se soumettra pas à la mesure de renvoi qui pourrait être prononcée contre elle.
[28] Le demandeur prétend que la Commission ne s’est pas demandé si le défendeur se présenterait au renvoi si on le lui ordonnait et que, de ce fait, elle avait commis une erreur de droit.
[29] Le défendeur est d’avis que cet argument est dénué de fondement et avance que, à la lecture des motifs de la Commission, il est manifeste que celle-ci s’est demandée s’il était possible que le défendeur prenne la fuite et notamment, qu’il se présente au renvoi si on le lui ordonnait. Ce faisant, la Commission est allée au delà de ce qu’elle était tenue de faire.
[30] Le défendeur soutient que l’alinéa 58(1)b) est disjonctif, en ce sens que la Commission n’a qu’à déterminer si le défendeur risque de se soustraire à l’une quelconque des procédures mentionnées dans cette disposition. En l’espèce, le défendeur prétend que la Commission était uniquement tenue de se demander si le défendeur risquait vraisemblablement de se soustraire à l’enquête.
[31] En outre, le défendeur fait valoir que s’il était jugé interdit de territoire, le demandeur pourrait l’arrêter à nouveau, sans mandat, en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi. De même, si elle était tenue d’apprécier la probabilité que le défendeur se présente en vue de son renvoi, la Commission aurait eu à évaluer le temps nécessaire à la mise en place de la mesure de renvoi suivant la loi, compte tenu de ce qui est prévu à l’alinéa 248c) du Règlement.
[32] Dans une affaire récente, la Cour a privilégié l’interprétation suggérée par le défendeur. Au paragraphe 45 de la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. B157, 2010 CF 1314, le juge de Montigny a statué, à l’égard d’une situation fort analogue :
[45] Le commissaire était justifié de mettre l’accent sur la prochaine étape du processus d’immigration plutôt que sur le renvoi. Un agent peut toujours arrêter de nouveau le défendeur, avec ou sans mandat, s’il a des motifs raisonnables de croire qu’il est interdit de territoire (une condition facilement réalisable si la Section de l’immigration formule une telle conclusion) et qu’il se soustraira vraisemblablement au renvoi : article 55 de la LIPR.
[…]
[47] Compte tenu de ces mesures procédurales intervenant avant le renvoi et de la possibilité d’arrêter de nouveau le défendeur, l’omission du commissaire de procéder prématurément à une analyse de la probabilité que ce dernier se présente pour le renvoi plutôt qu’à une analyse de la probabilité qu’il comparaisse à l’enquête n’entache pas sa décision d’un vice fatal.
[33] La décision B157 a été rendue après l’instruction de la présente demande de contrôle judiciaire. Les parties ont eu la possibilité de présenter des observations concernant l’applicabilité de la décision du juge de Montigny en l’espèce. Ces observations supplémentaires ont été prises en compte.
[34] Je souscris à l’analyse du juge de Montigny. D’une manière ou d’une autre, et contrairement à ce qu’affirme le demandeur, la Commission s’est bel et bien demandée si le défendeur risquait de s’esquiver si son renvoi était ordonné.
[35] Il est évident, au vu des motifs de la Commission, que celle-ci a examiné la question de savoir si le défendeur se présenterait à l’enquête et qu’elle était consciente, néanmoins, de la possibilité que le défendeur fasse l’objet d’une mesure de renvoi. La Commission a jugé que l’allégation du demandeur concernant l’appartenance du défendeur aux TLET n’allait pas forcément de soi, ce qui constituait pour le défendeur une incitation à se présenter à l’enquête. La Commission a conclu que le risque de fuite que pouvait entraîner l’éventualité d’une mesure de renvoi pouvait être atténué par l’imposition de conditions sévères.
[36] Les observations du demandeur ne m’ont pas convaincue que la Commission avait omis d’examiner ou d’appliquer les critères juridiques appropriés. Dans sa décision, la Commission a fait expressément référence aux critères mentionnés à l’article 245 du Règlement et les a appliqués aux faits portés à sa connaissance. La Commission n’a donc commis aucune erreur de droit.
(iii) Conclusion erronée d’absence de risque de fuite
[37] Le demandeur soutient par ailleurs que le commissaire avait conclu que le demandeur ne présentait pas de risque de fuite en se fondant sur des conjectures et non sur la preuve produite. Plus particulièrement, il prétend que la Commission n’a pas accordée l’importance voulue à la preuve appuyant la conclusion selon laquelle le défendeur était membre des TLET.
[38] Le défendeur objecte que c’est au demandeur qu’il appartient de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il risquait de se soustraire à l’enquête. Il soutient que le demandeur était tenu d’établir un lien entre, d’une part, le fait qu’il devait de l’argent aux passeurs et qu’il n’avait pas de famille au Canada et, d’autre part, le risque qu’il se soustraie à l’enquête. Le défendeur prétend que le demandeur n’a pas produit de preuve à cet effet.
[39] Concernant l’alinéa 245 f), le défendeur prétend que contrairement à ce qu’affirme le demandeur, le dossier renferme des éléments prouvant la présence d’un frère du défendeur en France et son engagement à solder la dette de 5 000 $ contractée à l’égard des passeurs.
[40] Le défendeur souligne qu’à l’audience, le demandeur n’a produit aucune preuve de l’existence d’un lien entre cette dette et sa prétendue vulnérabilité face aux passeurs. Le défendeur fait valoir que le demandeur lui-même se fonde sur des conjectures en affirmant que la dette du défendeur le rend vulnérable aux pressions des passeurs.
[41] C’est au ministre qu’il incombe de démontrer que le défendeur risque de prendre la fuite. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, [2004] 3 R.C.F. 572, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 24 des motifs :
Les motifs de la juge Gauthier sont énoncés de façon logique et claire. Je suis entièrement convaincu qu’elle a correctement appliqué aux conclusions tirées par M. Iozzo les normes de contrôle appropriées et qu’elle a correctement interprété le droit applicable. Je réponds à la question certifiée de la façon suivante :
Lors de tout contrôle des motifs de la détention effectué suivant les articles 57 et 58 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, la Section de l’immigration doit rendre une nouvelle décision quant à la question de savoir si une personne détenue devrait être maintenue en détention. Bien que le fardeau de preuve puisse être déplacé pour incomber au détenu une fois que le ministre a établi prima facie qu’il y a lieu de maintenir la détention, il incombe en fin de compte toujours au ministre, lors de tels contrôles des motifs de la détention, d’établir que la personne détenue constitue un danger pour la sécurité publique au Canada ou qu’elle risque de se soustraire à la justice. Cependant, les décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne doivent être prises en compte lors de contrôles subséquents et la Section de l’immigration doit énoncer des motifs clairs et convaincants pour pouvoir aller à l’encontre des décisions antérieures.
[42] Après avoir examiné les documents déposés par les parties ainsi que leurs observations, je suis convaincue que la décision rendue par la Commission sous le régime des alinéas 245f) et g) du Règlement est raisonnable. Il était justifié et défendable de conclure, comme l’a fait la Commission, que la dette contractée par le défendeur envers les passeurs n’était pas importante au point de permettre à ces derniers d’exercer sur lui une influence indue. La preuve au dossier révèle que le frère du défendeur allait possiblement être en mesure de verser les 5 000 $. La Commission a tenu compte de cette preuve.
[43] Il n’y a rien de déraisonnable dans l’analyse de la Commission quant à l’absence de liens entre le défendeur et le Canada. Le libellé de l’alinéa 245g) exige simplement que la Commission tienne compte de l’appartenance réelle du défendeur à une collectivité au Canada. La disposition ne dit pas si l’existence de tels liens doit être considérée comme un facteur positif ou négatif lors de l’appréciation du risque qu’une personne se soustraie à une procédure. Or, bien qu’il s’agisse d’un facteur militant en faveur du maintien du défendeur en détention, la Commission a jugé qu’il ne l’emportait pas sur les autres considérations.
[44] Dans l’ensemble, j’estime qu’il était raisonnable, de la part de la Commission, d’évaluer la solidité des allégations du demandeur concernant l’appartenance du défendeur à une organisation terroriste pour déterminer si ce dernier risquait de prendre la fuite. Il était raisonnable de souligner que le demandeur n’allait pas forcément obtenir gain de cause à l’enquête. Rien de tout cela ne relève de la conjecture.
[45] Sur le plan des faits, une distinction s’impose entre la présente affaire et l’affaire B157. La principale différence réside dans la solidité de l’allégation faisant de B157 un membre des TLET. En outre, je suis d’avis que dans la présente affaire, la Commission a convenablement analysé les observations du demandeur concernant la dette contractée par le défendeur envers les passeurs et son appartenance présumée aux TLET dans le cadre de son examen de l’alinéa 245f) du Règlement.
(iv) Les conditions de mise en liberté
[46] La question suivante consiste à déterminer si la Commission a mal choisi les conditions de mise en liberté. Comme nous l’avons vu, cette question commande l’application de la raisonnabilité.
[47] Selon le demandeur, puisque le défendeur n’a pas d’amis ou de famille au Canada, il était déraisonnable de la part de la Commission de décider de le libérer moyennant l’imposition de conditions minimes. Il soutient que toutes les conditions étaient déraisonnables, notamment le refus d’imposer un cautionnement en espèce, du fait que le défendeur n’a ni domicile ni d’argent.
[48] En réponse, le défendeur fait valoir que la Commission a accepté et imposé pratiquement toutes les conditions qui avaient été demandées par le demandeur lors de l’audience relative au contrôle des motifs de détention. Plus précisément, le défendeur était tenu de se présenter à un agent précis de l’ASFC à chaque semaine et toute association à des membres d’organisations criminelles, y compris ceux des TLET et du World Tamil Movement, lui était interdite.
[49] Le défendeur prétend également que la Commission a pris une décision raisonnable en refusant d’exiger un cautionnement en espèces, une condition qui reviendrait dans les faits à ordonner le maintien en détention puisque le défendeur n’avait pas les moyens de déposer une telle caution.
[50] J’adhère aux observations du défendeur concernant le caractère raisonnable des conditions imposées par la Commission. Celle-ci a accepté toutes les conditions écrites proposées par le demandeur à l’exception de deux d’entre elles, qu’elle a jugées non pertinentes ou superflues, mais elle a refusé d’imposer le versement d’une caution en espèces.
[51] Puisque la Commission a conclu qu’il y avait un certain risque que le défendeur se soustraie à une procédure, une caractéristique que l’on retrouve généralement chez les demandeurs d’asile entrés illégalement au Canada, il était raisonnable d’imposer au défendeur l’obligation de se présenter aux autorités chaque semaine. Le refus d’imposer le versement d’une caution en espèces était également raisonnable en raison des ressources limitées du défendeur, du fait qu’il n’appartenait à aucune collectivité au Canada et de la possibilité pour le demandeur de procéder à nouveau à son arrestation s’il était déclaré interdit de territoire.
CONCLUSION
[52] En conséquence, je suis convaincue que la Commission a appliqué les critères juridiques appropriés et qu’elle a rendu une décision raisonnable relativement à la mise en liberté du défendeur, y compris en ce qui concerne les conditions imposées. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[53] Les parties ont eu la possibilité de proposer une question à certifier. Dans une note envoyée au greffe de la Cour le 23 décembre 2010, le demandeur a fait savoir qu’il ne proposerait pas de question. Aucune question n’a été proposée par le défendeur.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée et il n’y a aucune question à certifier.
Traduction certifiée conforme
Evelyne Swenne, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER: IMM-6390-10
INTITULÉ : LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. B188
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver, C.-B.
DATE DE L’AUDIENCE : le 16 décembre 2010
ET ORDONNANCE : LE JUGE HENEGHAN
DATE DES MOTIFS : le 26 janvier 2011
COMPARUTIONS :
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POUR LE DEMANDEUR
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Gabriel Chand |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DEMANDEUR
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Chand & Company Law Corporation Vancouver (C.-B.) |
POUR LE DÉFENDEUR
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