Cour fédérale |
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Federal Court |
Montréal (Québec), le 27 janvier 2011
En présence de monsieur le juge Boivin
ENTRE :
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JONATHAN CASTILLO ARROYO JORGE SADAMI CASTILLO ARROYO
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ET DE L'IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (le Tribunal), rendue le 26 avril 2010. Dans sa décision, le Tribunal a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.
Contexte factuel
[2] La demanderesse principale, Gladys Arroyo Gurrola, son époux, Ricardo Castillo Frausto et leurs deux enfants mineurs, Jonathan Castillo Arroyo et Jorge Sadami Castillo Arroyo, sont Mexicains. Ils sont arrivés au Canada le 5 février 2008. Ils ont demandé l’asile le même jour.
[3] Depuis leur arrivée au Canada, les demandeurs sont séparés de fait et les enfants sont à la charge de leur mère. Par conséquent, cette demande vise seulement madame Arroyo Gurrola et ses deux fils.
[4] Les demandeurs ont présenté une demande d’asile, car ils allèguent craindre d’être tués par le sénateur Manuel Bartlett Diaz et ses hommes en raison du fait que le demi-frère de madame Arroyo Gurrola, Omar, a été témoin de corruption et de blanchiment d’argent par ces derniers.
[5] Omar aurait travaillé pour une compagnie privée à titre de gérant de systèmes informatiques. En décembre 2004, il aurait découvert que d’importantes sommes d’argent auraient été transférées à trois personnes, dont le sénateur. Quelques jours après avoir adressé le comptable de la compagnie, il aurait fait l’objet d’un attentat planifié par le sénateur. Il a donc quitté le Mexique en janvier 2005 pour le Canada, où il a déposé une demande d’asile.
[6] En mai 2005, la mère et le père d’Omar sont venus rejoindre ce dernier au Canada. Leurs demandes d’asile ont été accueillies.
[7] En mars 2006, la sœur de madame Arroyo Gurrola, Elizabeth et sa famille sont venues au Canada et leur demande d’asile fut accueillie du fait que le mari d’Elizabeth aurait été battu à cause d’Omar.
[8] Quant à madame Arroyo Gurrola, elle et sa famille auraient commencé à avoir des problèmes vers décembre 2005. Alors qu’ils vivaient à Guadalajara dans l’État de Jalisco, son fils Jonathan aurait fait l’objet de filature. La famille aurait alors déménagé à Tultitlan dans l’État de Mexico.
[9] En janvier 2006, Jonathan aurait été frappé par une camionnette noire sans plaque. La famille aurait alors déménagé à Querétaro, dans l’État du même nom, pour y rester jusqu’au 30 avril 2006. La famille aurait ensuite habité Coacalco dans l’État de Mexico.
[10] En janvier 2008, madame Arroyo Gurrola et son mari circulaient en moto. Ils auraient reçu une contravention d’un policier après avoir brûlé un feu rouge. Deux jours plus tard, les demandeurs auraient reçu des appels de menaces anonymes leur disant qu’ils avaient été retrouvés. Il y aurait eu référence à Omar et que même si Jonathan s’en était tiré, toute la famille y passerait.
[11] La famille a donc déménagé à Aculco, toujours dans l’État de Mexico. Ils ont par la suite quitté le Mexique pour le Canada le 5 février 2008.
La décision contestée
[12] Le Tribunal a d’abord déterminé que l’histoire des demandeurs n’était pas plausible. En effet, le Tribunal a noté que même si les incidents qu’a vécus le demi-frère de madame Arroyo Gurrola étaient vrais, qu’il était étonnant, pour ne pas dire non crédible, que ses persécuteurs cherchaient toujours à se venger.
[13] Le Tribunal a soulevé que les demandeurs n’ont jamais expliqué sur quels faits ils se basaient pour faire un lien entre les problèmes du demi-frère de madame Arroyo Gurrola en 2004-2005 et les deux incidents vécus par Jonathan en 2005 et 2006. Lorsque le Tribunal a questionné madame Arroyo Gurrola à ce sujet, elle a répondu qu’elle ne savait pas. Le Tribunal a donc conclu qu’il n’existait aucune preuve sérieuse pouvant établir la base des allégations des demandeurs.
[14] Le Tribunal a également trouvé non crédible l’explication de la demanderesse sur les raisons pour lesquelles les persécuteurs d’Omar ont soudainement décidé de s’en prendre à sa famille en 2008. Le Tribunal a souligné que cinq années s’étaient écoulées depuis les évènements initiaux à la source de la demande d’asile et qu’il était donc improbable que les persécuteurs d’Omar « réveille le chat qui dort » en s’en prenant à une famille qui ne détient d’aucune façon des informations pouvant incriminer le sénateur Bartlett Diaz ou son entourage.
[15] Pour ces raisons, le Tribunal a conclu qu’il ne croyait pas que les demandeurs ont fait l’objet de menaces de la part du sénateur Bartlett Diaz ou de ses associés, afin de se venger d’Omar.
[16] Le Tribunal a également conclu que les demandeurs n’avaient pas satisfait à l’obligation qu’ils avaient de demander la protection des autorités mexicaines. En effet, le Tribunal a noté que les demandeurs ont déclaré qu’ils n’avaient jamais demandé aux autorités de leur pays de les protéger à l’encontre du sénateur Bartlett Diaz et de ses associés. Les demandeurs ont expliqué qu’ils ne l’ont pas fait par crainte et parce qu’ils n’avaient pas confiance en leur soutien et leur protection.
[17] Par conséquent, le Tribunal a conclu que le caractère adéquat de la protection ne pouvait se fonder uniquement sur la crainte subjective d’un demandeur (voir Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2005 CF 1050, [2005] A.C.F. no 1297).
[18] Le Tribunal a admis que la corruption n’était pas absente des rouages étatiques. Toutefois, se basant sur la preuve documentaire, il a conclu que les demandeurs avaient plusieurs moyens à leur disposition, mais qu’ils ne s’en sont pas prévalus.
Dispositions législatives pertinentes
[19] Les dispositions suivantes de la Loi s'appliquent à la présente procédure :
Question en litige
[20] Dans le présent contrôle judiciaire, la seule question en litige est celle de savoir si les conclusions du Tribunal relatives à l’absence de crédibilité et de la protection d’État sont raisonnables.
Norme de contrôle
[21] La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 51, reconnaît « qu’en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement ».
[22] L’évaluation de la crédibilité et l'appréciation de la preuve relèvent de la compétence du tribunal administratif qui est appelé à apprécier l'allégation de crainte subjective d'un demandeur d'asile. La Cour n'interviendra que si la Commission a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont elle disposait (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425, au para 14 et Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1993), 160 N.R. 315, 42 ACWS (3d) 886 (CAF) ; Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2010 CF 345, [2010] A.C.F. no 579.)
[23] De plus, cette Cour a énoncé que les conclusions du Tribunal en matière de protection de l’État sont révisables sous la norme de la raisonnabilité. (Voir Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, [2007] A.C.F. no 584, au para 38; Huerta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 586, [2008] A.C.F. no 737, au para 14; Chagoya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 721, [2008] A.C.F. no 908, au para 3).
Analyse
[24] Dans le cas sous étude, la Cour note que la décision de la Commission est fondée sur deux conclusions distinctes, c’est-à-dire la crédibilité et la protection de l’État. Les demandeurs doivent donc établir l’existence d’une erreur déraisonnable dans chacune de ces conclusions.
[25] D’entrée de jeu, les demandeurs avancent que le Tribunal a tiré une conclusion déraisonnable en attaquant la crédibilité des faits allégués puisque ces faits ont été reconnus dans les demandes de protection d’Omar, de sa mère et de son beau-père, ainsi que celle de sa sœur et de sa famille. Cet argument n’est pas déterminant en soi puisque le Tribunal s’est attardé à la crédibilité des faits entourant la demande des demandeurs et non celle d’Omar.
[26] Quant au Ministre, il soutient qu’il est bien établi qu’il appartient au Tribunal, à titre de maître des faits, d’apprécier la vraisemblance d’un récit. Alors que la Cour reconnaît que le Tribunal est mieux placé que la Cour pour déterminer si les allégations des demandeurs sont vraisemblables, il ressort néanmoins clairement de la lecture et de l’analyse de la décision en l’espèce que le Tribunal a fait des omissions dans l’analyse de la crédibilité des faits.
[27] Plus particulièrement, le Tribunal a omis de tenir compte du fait que les demandeurs ont reçu un appel anonyme deux jours après avoir été intercepté par la police pour avoir brûlé un feu rouge. Plus encore, les demandeurs ont soumis que, lors de cet appel, des menaces ont été proférées et le nom d’Omar a été mentionné. Les persécuteurs auraient dit aux demandeurs qu’ils les avaient retrouvés à nouveau.
[28] Or, le Tribunal n’a pas tenu compte de ce fait important, c’est-à-dire la mention du nom « Omar ». Il a plutôt limité son analyse à la lumière des deux incidents impliquant Jonathan. Alors qu’il est possible que ces deux incidents aient été des coïncidences, il ressort de la preuve que l’appel téléphonique était en lien avec Omar et leur persécution. La Cour est d’avis que l’absence d’analyse de ce fait important, lié à Omar - dont la demande d’asile a été acceptée au Canada - est une erreur de la part du Tribunal.
[29] En ce qui concerne la conclusion du Tribunal au sujet de la protection de l’État, la procureure du défendeur souligne à la Cour que même si le Tribunal avait conclu que le récit des demandeurs était crédible, la demande d’asile n’aurait pu être accordée puisque les demandeurs n’ont pas satisfait à l’obligation qu’ils avaient de demander la protection des autorités mexicaines.
[30] La Cour est en accord sur ce point avec l’argument de la procureure du défendeur.
[31] En effet, en matière de protection de l’État, la Cour d’appel fédérale a conclu dans l’arrêt Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CAF 94, [2008] A.C.F. no 399, au paragraphe 38, que la charge, la norme et la qualité de la preuve d’une allégation d’insuffisance ou d’inexistence de la protection de l’État envers un de ses citoyens se définit comme suit :
[38] Le réfugié qui invoque l'insuffisance ou l'inexistence de la protection de l'État supporte la charge de présentation de produire des éléments de preuve en ce sens et la charge ultime de convaincre le juge des faits que cette prétention est fondée. La norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités, sans qu'il soit exigé un degré plus élevé de probabilité que celui que commande habituellement cette norme. Quant à la qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption de la protection de l'État, cette présomption se réfute par une preuve claire et convaincante de l'insuffisance ou de l'inexistence de ladite protection.
[32] Il est de jurisprudence constante que lorsqu’il s’agit d’un État démocratique, comme le Mexique, l’obligation qui incombe au demandeur d’obtenir la protection de l’État augmente. Il appartient aux demandeurs de renverser la présomption de la protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante (Canada (Procureur général) c Ward, 2 R.C.S. 689.) Les demandeurs doivent établir qu’ils ont cherché à épuiser tous les recours s’offrant à eux en vue d’obtenir la protection nécessaire (voir Kadenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1996] A.C.F. no 1376, 68 ACWS (3d) 334).
[33] Or, en l’espèce, la preuve au dossier est à l’effet que les demandeurs n’ont pas demandé la protection de l’État. Ils n’ont en fait effectué aucune démarche en ce sens. Ce critère, à lui seul, dans les circonstances, est suffisant pour conclure que le Tribunal, sur ce point, n’a pas commis d’erreur en concluant que les demandeurs n’ont pas démontré l’inexistence de la protection de l’État. La conclusion du Tribunal sur ce point est donc bien fondée.
[34] Finalement, en l’absence de toute démarche de la part des demandeurs pour obtenir la protection de l’État, l’argument selon lequel les recours proposés par le Tribunal ne s’appliquent pas aux demandeurs puisqu’ils ne sont pas des victimes de corruption de la part de fonctionnaires fédéraux perd de sa pertinence et n’est pas concluant.
[35] Il ressort donc que les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une erreur déraisonnable dans chacune des deux conclusions du Tribunal.
[36] Pour ces motifs, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n'y a pas de question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2893-10
INTITULÉ : GLADYS ARROYO GURROLA ET AL.
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : le 25 janvier 2011
DATE DES MOTIFS : le 27 janvier 2011
COMPARUTIONS :
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Suzon Létourneau |
POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada |
POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |