Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

                      

 

Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court

 


Date : 20110111

Dossier : T-869-10

Référence : 2011 CF 18

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 janvier 2011

En présence de monsieur le juge en chef

 

ENTRE :

 

1459243 ONTARIO INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

EVA GABOR INTERNATIONAL, LTD.

et

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               En vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), l’enregistrement d’une marque de commerce peut être radié s’il ne peut être prouvé qu’elle a été employée au Canada durant la période pertinente de trois ans.

 

[2]               Les parties conviennent que la norme de contrôle habituellement applicable à la décision du registraire par rapport à une demande de radiation en vertu de l’article 45 est la décision raisonnable. Elles conviennent également que, lorsqu’une nouvelle preuve est déposée lors d’une cause en appel devant la Cour fédérale et que cette preuve aurait pu influer substantiellement sur la décision du registraire, la norme de contrôle est la décision correcte.

 

[3]               La jurisprudence a établi les principes fondamentaux de l’article 45 au cours du dernier quart de siècle, et ceux-ci sont incontestés.

 

[4]               L’article 45 a pour objectif de fournir une méthode sommaire et expéditive de radier les marques de commerce tombées en désuétude. Cette disposition est d’intérêt public; une personne sollicitant la radiation d’une marque de commerce en vertu de l’article 45 n’a pas besoin d’avoir un intérêt dans l’affaire. L’article 45 n’établit pas de manière définitive les droits des parties. L’objectif n’est pas de créer un processus accusatoire qui trancherait des questions complexes de fait et de droit. Un tel processus est prévu à l’article 57 de la Loi.

 

[5]               Le fardeau de la preuve quant à l’emploi de la marque de commerce au cours de la période pertinente revient au demandeur. Le critère servant à déterminer l’emploi est relativement souple. Le demandeur n’a besoin de fournir qu’une preuve, au-delà d’une simple affirmation, qui permettrait au registraire ou à la Cour de conclure que la marque était employée dans la pratique normale du commerce. Une « surdose de preuve » n’est pas nécessaire ni justifiée. Dépendamment des circonstances, la preuve d’une seule vente peut suffire pour établir que la marque était employée dans la pratique normale du commerce. Autrement dit, le propriétaire n’a besoin de fournir qu’une preuve prima facie d’emploi.

 

[6]               Trois questions sont soulevées dans le présent appel : a) la nouvelle preuve de la demanderesse est-elle admissible? b) la nouvelle preuve aurait-elle influé substantiellement sur la décision du registraire? c) la nouvelle preuve est-elle suffisante pour établir l’emploi dans le cadre de l’article 45?

 

La nouvelle preuve présentée par la demanderesse en appel devant la Cour est-elle admissible?

[7]               La nouvelle preuve d’emploi de la marque de commerce se trouve dans l’affidavit de Leslie Martin, président de la demanderesse depuis sa constitution en personne morale en 2001.

 

[8]               M. Martin a déclaré que, durant la période pertinente de trois ans, des prospectus arborant la marque de commerce étaient inclus dans chacune des commandes de ses clients au moment de l’expédition. Ces mêmes prospectus étaient ensuite utilisés par les clients pour passer leur prochaine commande pour des postiches pour hommes.

 

[9]               Lors du contre-interrogatoire, M. Martin a reconnu qu’il n’avait pas participé personnellement à l’emballage et à l’expédition des commandes, et que ce sont ses employés qui l’avaient informé que des prospectus étaient inclus dans les commandes lors de l’expédition au cours de la période pertinente.

 

[10]           Le défendeur avance que la preuve fournie par M. Martin est une preuve par ouï-dire et ne remplit pas les critères de nécessité et de fiabilité qui justifieraient son admissibilité : R c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915 (Smith).

 

[11]           L’interrogatoire de M. Martin par les défendeurs a établi que son témoignage constituait du ouï-dire. Aucune des parties n’a cependant questionné plus longuement le déclarant quant à la nécessité et à la fiabilité de ce ouï-dire.

 

[12]           Quelques parties de l’affidavit de M. Martin constituent du ouï-dire. Néanmoins, dans les circonstances particulières de la présente procédure relative à l’article 45, je suis d’avis d’admettre la preuve par ouï-dire comme fiable et nécessaire. Une approche plus rigoureuse envers une preuve par ouï-dire serait adéquate au titre de l’article 57, alors qu’un processus accusatoire viserait à définir les droits des parties.

 

[13]           La Cour a par le passé reconnu la fiabilité d’éléments de preuve fournis par des personnes exploitant des entreprises : Salomon SA c. Tricot Exclusive Inc, 2001 CFPI 842, aux paragraphes 21 et 23; Phillip Morris Inc c. Imperial Tobacco Ltd, 13 C.P.R. (3d) 289, [1987] A.C.F. no 26 (1re inst.) (QL). Il est présumé que ces personnes ont une connaissance personnelle du fonctionnement de leur entreprise, de par leur expérience et leur poste.

 

[14]           M. Martin a déclaré sous serment qu’il s’était renseigné auprès de ses employés sur le fonctionnement de son entreprise. Il a joint des copies du prospectus en question à son affidavit. À la suite de mon appréciation du dossier, je conclus que la preuve de M. Martin remplit le critère de fiabilité.

 

[15]           Encore une fois, j’accepte aussi l’observation de la demanderesse selon laquelle la preuve par ouï-dire de M. Martin remplit le critère de nécessité dans le cadre d’une procédure relative à l’article 45.

 

[16]           Dans l’arrêt Smith, précité, la Cour suprême a jugé qu’il faut donner au critère de nécessité une définition souple, susceptible d'englober différentes situations où « pour différentes raisons, la preuve directe pertinente n'est pas disponible » (au paragraphe 36), et elle a invoqué Wigmore pour appuyer cette notion :

(2) [traduction] La déclaration peut être telle qu'on ne peut pas, de nouveau ou à ce moment‑ci, obtenir des mêmes ou d'autres sources une preuve de même valeur. [. . .]  La nécessité n'est pas aussi grande; il s'agit peut-être à peine d'une nécessité; on peut supposer qu'il s'agit d'une simple commodité.  Mais le principe demeure le même.

 

 

[17]           Je le répète, une procédure relative à l’article 45 est conçue de façon à être simple et expéditive. Imposer aux inscrivants l’obligation de déposer des affidavits de plusieurs employés participant à l’emploi de la marque de commerce, en plus de l’affidavit du propriétaire, ne serait plus conforme à l’objectif d’intérêt public de l’article 45, ni compatible avec la souplesse du critère servant à établir l’emploi. Admettre la preuve de M. Martin sans demander une preuve additionnelle venant de plusieurs employés est conforme à la procédure sommaire que l’article 45 visait à créer, de même qu’à son objectif d’intérêt public.

 

[18]           Bref, je conclus que l’affidavit de M. Martin remplit les critères de fiabilité et de nécessité relatifs à la présente procédure. Toute préoccupation quant au fait que sa preuve constitue du ouï‑dire devrait être dirigée vers le poids de celle-ci, plutôt que son admissibilité.

 

La nouvelle preuve aurait-elle influé substantiellement sur la décision du registraire?

[19]           La décision du registraire reposait sur l’emploi du présent par la demanderesse dans l’affidavit. Le registraire a conclu qu’inclure les prospectus dans les commandes lors de l’expédition pouvait être considéré comme un emploi de la marque de commerce. Cependant, puisque l’affidavit a été rédigé au présent, le registraire ne pouvait que conclure que la pratique d’inclure des prospectus dans les commandes au moment de l’expédition n’était en place qu’au moment de l’assermentation de l’affidavit, et non durant la période pertinente.

 

[20]           Dans l’affidavit qu’il a présenté à la Cour, M. Martin aborde directement la question déterminante dans la décision du registraire. Sa preuve confirme que les prospectus étaient inclus dans les commandes des clients au moment de l’expédition durant la période pertinente. La nouvelle preuve aurait influé substantiellement sur la décision du registraire. Ainsi, la norme de contrôle est la décision correcte, et la Cour doit se prononcer sur la suffisance de cette preuve pour déterminer si la marque de commerce a été employée lors de la période pertinente : voir Prince c. Orange Cove‑Sanger Citrus Assn, 2007 CF 1229, au paragraphe 9.

 

 

 

 

La nouvelle preuve est-elle suffisante pour établir l’emploi de la marque dans le cadre de l’article 45?

[21]           Des documents de promotion donnés au client lors du transfert de la propriété peut constituer une preuve de l’utilisation de la marque de commerce : BMW Canada Inc c. Nissan Canada Inc, 2007 CAF 255, au paragraphe 25.

 

[22]           La marque de commerce de la demanderesse, telle qu’elle a été enregistrée et imprimée sur le prospectus intitulé « [traduction] Promotions automne 2006/printemps 2007 », figure ci-dessous :

Marque enregistrée

 

Marque utilisée sur le prospectus

                                   

[23]           Tenant compte de l’objectif de l’article 45 et de la souplesse du critère servant à démontrer l’emploi d’une marque de commerce dans le cadre d’une procédure relative à cet article, je conclus que la preuve de la demanderesse voulant que son prospectus ait été inclus dans les commandes lors de l’expédition au cours de la période pertinente est suffisante pour établir l’emploi de la marque de commerce.

 

[24]           À mon avis, la marque de commerce telle qu’elle apparaît sur le prospectus est utilisée dans la même forme que celle dans laquelle elle a été enregistrée. La police de caractères unique est la même, et le positionnement et la présentation des mots sont préservés. Une différence majeure avec la marque enregistrée est l’absence du carré encadrant la marque. Une autre est l’ajout des lettres « XTS » afin d’identifier un modèle de produit particulier. Je conclus que l’absence du carré et l’ajout des lettres ne sont que des « modifications prudentes » : Promafil Canada Ltée c. Munsingwear, Inc, 44 C.P.R. (3d) 59, [1992] A.C.F. no 611 (CA) (QL). Un acheteur non averti conclurait, selon toute probabilité, que les deux marques identifient, malgré leurs différences, des marchandises ayant la même origine : Canada (Registraire des marques de commerce) c. CIE INT Pour l’Informatique CII Honeywell Bull SA, [1985] 1 C.F. 406 (CA). Le prospectus en question associe la marchandise à la marque de commerce. Enfin, un tel emploi de la marque de commerce dans ce contexte est favorable à la demanderesse.

 

[25]           La preuve de la demanderesse, y compris le contre-interrogatoire, suffit à établir que la marque de commerce a été employée lors d’au moins une vente dans la pratique normale du commerce, en ce qui a trait aux perruques et postiches pour hommes : Guido Berlucchi & C Srl c. Brouilette Kosie Prince, 2007 CF 245, au paragraphe 17.

 

[26]           Puisqu’un seul emploi de la marque de commerce est déterminant à l’égard de cette question, il ne m’est pas nécessaire d’apprécier les autres exemples d’emploi de la demanderesse.

 

[27]           Lors de l’audience, la demanderesse a admis qu’il n’y avait pas de preuve montrant que la marque de commerce ait été employée en lien avec les perruques et postiches pour femmes, ou les services de greffe et de transplantation de cheveux. Les parties sont d’accord que la demanderesse doit démontrer une utilisation à l'égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés dans l'enregistrement : John Labatt Ltd c. Rainier Brewing Co, 80 C.P.R. (2d) 228, [1984] A.C.F. no 302 (CA) (QL).

 

[28]           Pour les motifs précités, la totalité des marchandises et services spécifiés dans l’enregistrement devrait être supprimée, à l’exception des perruques et postiches pour hommes.

 

[29]           Je décernerai donc une ordonnance substituant à la décision du registraire afin de maintenir l’enregistrement de la marque de commerce, en la limitant cependant aux marchandises décrites comme des perruques et postiches pour homme. Les dépens seront adjugés à la demanderesse comme convenu lors de l’audience au cas où elle aurait gain de cause.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’appel soit accueilli et :

1.      que la décision du registraire prononçant la radiation de l’enregistrement LMC495058 du registre soit annulée;

 

2.      que l’enregistrement LMC495058 soit maintenu dans le registre, mais qu’il soit modifié afin d’en supprimer toutes les marchandises et services autres que [traduction] « perruques et postiches pour hommes »;

 

3.      que la défenderesse, Eva Gabor International, Ltd., verse à la demanderesse des dépens qui sont fixés à 4 000 $.

 

« Allan Lutfy »

Juge en chef

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-869-10

 

INTITULÉ :                                       1459243 ONTARIO INC. c.

                                                            EVA GABOR INTERNATIONAL, LTD. ET AUTRE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 novembre 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE EN CHEF LUTFY

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 11 janvier 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mitchell B. Charness

 

POUR LA DEMANDERESSE

Glen A. Bloom

Alexander Monic

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RIDOUT & MAYBEE LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

OSLER, HOSKIN & HARCOURT LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.