Cour fédérale |
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Federal Court |
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 11 janvier 2011
En présence de madame la juge Snider
ENTRE :
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(ALIAS IVA IBRAHIM KHA IBRAHIM)
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et
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ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La demanderesse est une citoyenne du Soudan âgée de 73 ans. Elle est entrée au Canada en juillet 2008 et a fait une demande d’asile en août 2008, au motif qu’elle craignait d’être persécutée du fait de sa religion. Comme il est décrit dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), la demanderesse, une veuve chrétienne, a fui vers le Canada lorsqu’on lui a ordonné de s’enrôler dans les Forces de défense populaires (les FDP). Elle dit craindre être envoyée au Darfour, dans l’Ouest du Soudan, ou [traduction] « à tout de moins, [d’être] emprisonnée et torturée » pour ne pas s’être enrôlée dans les FDP. La demanderesse croit qu’on l’avait spécifiquement choisie parce qu’elle est chrétienne, malgré son âge et son mauvais état de santé.
[2] Dans une décision datée du 25 mars 2010, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ( la Commission) a conclu que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger. La question déterminante était la crédibilité. L’une des principales conclusions tirées par la Commission était que celle-ci ne croyait pas qu’une femme de l’âge de la demanderesse serait obligée d’effectuer un service militaire au Soudan. La Commission a également relevé d’autres incohérences dans le témoignage de la demanderesse.
[3] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.
[4] Une conclusion de manque de crédibilité en est une pour laquelle la Cour n’intervient habituellement pas. La norme de contrôle applicable est la décision raisonnable. D’après la Cour suprême du Canada, quand il est question de déterminer si une décision est raisonnable, les facteurs à considérer sont la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel. La décision doit appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47). En dépit de cette norme rigoureuse, la jurisprudence enseigne qu’un décideur peut commettre une erreur en ne prenant pas en compte des éléments de preuve directement rattachés aux questions dont il est saisi (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (QL) (C.F. 1re inst.)).
[5] Le plus grave problème lié à la décision est que la Commission a omis de tenir compte de la déclaration solennelle faite par un membre du clergé de l’Église de la demanderesse au Soudan. Dans cette déclaration, il corrobore plusieurs détails du récit de la demanderesse. Plus particulièrement, il déclare qu’il a reçu de nombreuses plaintes des membres de sa congrégation au Soudan [traduction] « par rapport au gouvernement qui demande aux recrues des FDP d’entrer en service actif au Darfour […] sans égard à leur âge ou à leur état de santé ». Bien que la Commission ait mentionné cette déclaration dans le contexte de l’identité de la demanderesse, aucune référence n’y est faite lors de l’appréciation des principaux éléments de sa demande. La déclaration est très pertinente et semble carrément contredire la principale conclusion de fait à laquelle est venue la Commission, selon laquelle les FDP n’exigeraient pas qu’une personne ayant l’âge et l’état de santé de la demanderesse serve. Je suis d’avis que le fait que la Commission ait omis de faire référence à la déclaration constitue une erreur susceptible de contrôle.
[6] Une deuxième préoccupation (quoique d’une gravité moindre) est que je doute que la Commission ait clairement saisi la différence entre les FDP et les forces armées.
[7] On a demandé à la demanderesse, lors de l’audience, si une personne dans sa situation (sur le plan de l’âge et de l’état de santé) serait dispensée de service militaire. Elle a répondu que les FDP n’accordaient aucune dispense. Dans sa décision, la Commission a déclaré que « l’idée qu’elle serve dans l’armée sembl[ait] quelque peu invraisemblable ».
[8] Lors de l’appréciation de la preuve documentaire relative au service militaire, la Commission a observé que :
[…] l’insistance de la demandeure d’asile pour ce qui est de l’absence de dispenses ne concorde pas avec les conclusions d’une mission d’enquête effectuée par le Danemark, laquelle a indiqué en 2001 que les personnes en mauvaise santé sont dispensées de service.
[9] Il apparaît donc que la Commission a apprécié de façon erronée l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle craignait d’être conscrite dans les FDP, et non dans les forces armées.
[10] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Aucune des parties n’a soulevé de question en vue de la certification.
JUGEMENT
1. que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision est annulée et que l’affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué afin que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire;
2. qu’aucune question de portée générale n’est certifiée.
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
Juriste-traducteur et traducteur-conseil
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2196-10
INTITULÉ : IVA IBRAHIM KHALIL IBRAHIM (ALIAS IVA IBRAHIM KHA IBRAHIM)
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 10 janvier 2011
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LA JUGE SNIDER
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 11 janvier 2011
COMPARUTIONS :
POUR LA DEMANDERESSE
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Neal Samson |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR
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