Référence : 2010 CF 1227
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE
LE JUGE ZINN
[1] Le 26 novembre 2010, j’ai accueilli la requête du ministre et suspendu la mise en liberté du défendeur jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur le fond relativement à la demande de contrôle judiciaire du ministre ou jusqu’à ce qu’un commissaire de la Section de l’immigration ordonne la mise en liberté du défendeur après le contrôle des motifs de détention prévu par la loi, selon ce qui a lieu en premier. J’ai également accueilli la demande d’autorisation de contrôle judiciaire présentée par le ministre relativement à la décision par laquelle le commissaire a ordonné la mise en liberté du défendeur et j’ai ordonné que la demande soit instruite suivant la procédure accélérée. Voici les motifs de ma décision.
[2] Le 13 août 2010, le défendeur, un ressortissant sri lankais, est arrivé au Canada à bord du Sun Sea accompagné d’environ 490 autres clandestins.
[3] Le dossier de la Cour révèle que le défendeur a passé beaucoup d’entrevues (le 27 août 2010, le 2 octobre 2010, le 18 octobre 2010 et le 5 novembre 2010) et que les motifs de sa détention ont été examinés à cinq reprises conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (le 19 août 2010, le 25 août 2010, le 13 septembre 2010, le 16 octobre 2010 et le 10 novembre 2010).
[4] Le ministre prétendait initialement que la détention du défendeur devait être maintenue sur le fondement de l’identité (al. 58(1)d) de la Loi). Avant le contrôle des motifs de détention tenu le 16 octobre 2010, la Commission avait ordonné le maintien de la détention sur le fondement de l’identité. Toutefois, depuis le 16 octobre 2010, le ministre sollicite le maintien de la détention parce qu’il soupçonne que le défendeur est interdit de territoire pour raison de sécurité (al. 58(1)c) de la Loi). Cette disposition est rédigée comme suit :
58. (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :
[…]
c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux;
[5] Au contrôle du 16 octobre 2010, la commissaire a conclu que le ministre n’avait pas déployé les efforts raisonnables pour établir l’identité du défendeur et a conclu que le maintien de la détention sur ce fondement n’était pas justifié. Le ministre a soutenu qu’il avait des motifs raisonnables de soupçonner que le défendeur était interdit de territoire pour raison de sécurité. La commissaire a conclu que les soupçons du ministre selon lesquels le défendeur était interdit de territoire « pour raison de sécurité », comme le prévoit l’al. 58(1)c), étaient « raisonnables », comme l’exige cette disposition.
[6] La commissaire a ensuite porté son attention sur la question de savoir si le « ministre prend les mesures raisonnables pour enquêter à propos de ces soupçons ». Elle s’est dite préoccupée par le processus d’enquête du ministre :
Je dois donc déterminer si le ministre prend les mesures raisonnables pour enquêter à propos de ces soupçons. Je juge que, d’une certaine façon, cette partie de l’équation est difficile à analyser. Les soupçons sont raisonnables. Le ministre peut prendre des mesures pour continuer de tenter de les vérifier. Or, il disposait également de documents dans le dossier qui l’auraient probablement aidé à, en quelque sorte, répondre aux questions relatives à ces soupçons, et aucune mesure à leur égard n’a été prise; j’en suis donc véritablement troublée.
Toutefois, je garde à l’esprit la jurisprudence de la Cour fédérale, soit l’affaire qui s’est déroulée l’année passée et relative au bateau Ocean Lady; mon rôle de surveillance à cet égard est assez restreint. Le ministère prend-il les mesures nécessaires? L’enquête du ministre est-elle de bonne foi? Même si j’y trouve à redire, je ne peux pas affirmer qu’elle va – qu’elle est effectuée de mauvaise foi. Le ministre peut prendre les mesures nécessaires, qui devraient lui permettre de déterminer si les préoccupations en matière de sécurité sont justifiées.
Donc, dans les circonstances, je maintiendrai la détention. Toutefois, je ne ferai que mentionner aux fins du dossier que je m’attendrais à ce que le ministre agisse assez rapidement en l’espèce. Tout d’abord, des documents qui ont été versés au dossier ont un lien avec l’affaire; des mesures devraient donc être prises à leur égard. De plus, le ministre devrait tout mettre en œuvre pour faire le nécessaire en ce qui a trait aux documents de la cour lorsqu’il les recevra et déterminer rapidement si les soupçons sont justifiés.
Donc, pour l’instant, je maintiens la détention. Toutefois, si rien n’est fait d’ici le prochain contrôle des motifs de détention, un autre commissaire pourrait être légèrement plus sévère que je le suis aujourd’hui.
Pour maintenir la détention et examiner la question de la sécurité, je prends en considération que nous sommes dans un contexte d’arrivées en masse et, par conséquent, je fais preuve d’indulgence envers le ministre.
[7] La commissaire a affirmé qu’elle examinait si le « ministre prend les mesures raisonnables pour enquêter à propos de ces soupçons » [non souligné dans l’original]. En utilisant le mot « les », la commissaire semble indiquer qu’elle a le pouvoir de statuer sur l’applicabilité, la suffisance et la date des mesures plutôt que de simplement examiner si les mesures prises sont nécessaires. Cette façon d’interpréter la compétence de la Commission lorsqu’elle exerce son pouvoir de surveillance en application de l’al. 58(1)c) de la Loi est peut‑être erronée. À mon avis, la commissaire, dont la décision fait l’objet du contrôle, a interprété son rôle de la même manière que son prédécesseur.
[8] Au contrôle des motifs de détention suivant, tenu le 10 novembre 2010, le ministre a sollicité le maintien de la détention afin de lui permettre de prendre les mesures nécessaires pour enquêter sur ses motifs raisonnables de soupçonner que le défendeur est interdit de territoire pour raison de sécurité. Le commissaire a déterminé que le maintien de la détention n’était pas justifié. Il n’était pas satisfait des mesures que le ministre avait prises pour dissiper ses soupçons à l’égard du fait que le défendeur représentait une menace à la sécurité. Il a vivement réprimandé le ministre quant à l’enquête qu’il avait effectuée jusqu’à ce jour, qu’il a décrite comme « tout à fait inappropriée », et a refusé d’admettre que la charge de travail du ministre découle du fait qu’environ 500 clandestins sont venus en C.‑B. Il s’est exprimé ainsi :
À mon avis, le ministre n’effectue pas cette enquête de bonne foi. Elle est hétéroclite et manque de coordination. Elle se veut le reflet de difficultés et de mesures impromptues en raison de la tenue imminente d’un contrôle des motifs de détention. Elle semble non sincère et non coordonnée. Ce motif ne peut pas justifier le maintien en détention.
[9] Les soupçons du ministre relativement à la sécurité semblent être basés sur deux faits : (1) le défendeur a été arrêté au Sri Lanka en tant que membre suspect des TLET et a été détenu là‑bas pendant près de quatre ans; et (2) il avait des doutes quant à la provenance de la somme qu’il a payée pour voyager au Canada. À son arrivée, le défendeur a informé le ministre de sa détention antérieure au Sri Lanka et a soutenu que même s’il a assisté aux rencontres des TLET dans un stade à Mannar, il n’était pas un membre ni un adepte des TLET et n’a jamais parlé à l’un de ses membres. Il a également dit au ministre qu’après sa mise en liberté, il s’est marié et a ensuite voyagé en Thaïlande avec son épouse. Il a affirmé que lorsqu’il était en Thaïlande, sa belle‑mère subvenait aux besoins de sa famille en lui envoyant 15 000 roupies par mois et a également payé son voyage au Canada. Son épouse est retournée au Sri Lanka avec leur enfant. Il a informé le ministre que son épouse savait qu’il était venu au Canada. Immédiatement après le contrôle des motifs de la détention tenu en octobre, le ministre a réinterrogé le défendeur et a parlé à son épouse et à sa belle‑mère.
[10] La preuve dont disposait le commissaire le 10 novembre 2010 démontrait que le ministre avait pris les mesures suivantes depuis le dernier contrôle des motifs de la détention :
(i) Le défendeur a été interrogé pour la quatrième fois le 18 octobre 2010.
(ii) À la suite de l’entrevue du défendeur, le ministre a eu une conversation téléphonique avec l’épouse et la belle‑mère du défendeur au Sri Lanka pour confirmer les renseignements que ce dernier avait fournis. Contrairement au défendeur, elles ont déclaré ne pas savoir qu’il était parti au Canada, ont nié connaître les coûts afférant au voyage et ont nié lui avoir fourni de l’argent pour son voyage au Canada. Elles ont toutes deux affirmé qu’elles étaient pauvres et qu’elles n’auraient pas pu financer le voyage du défendeur, contrairement à ce qu’il a affirmé.
(iii) Le ministre a eu une autre entrevue avec le défendeur le 5 novembre 2010 afin de le confronter à ces contradictions. Pendant l’entrevue, le ministre a appelé l’épouse et la belle‑mère du défendeur. La belle‑mère a affirmé qu’elle avait envoyé au défendeur un total de 15 000 roupies en Thaïlande, une somme beaucoup moins importante que les 15 000 roupies par mois que le défendeur prétendait avoir reçues, et qu’elle ne lui avait pas envoyé d’argent pour son voyage au Canada. Par la suite, le ministre a été informé que la belle‑mère du défendeur et sa fille mentaient puisqu’elles ne savaient pas si elles parlaient au Service des enquêtes criminelles du Sri Lanka. Le ministre a conclu qu’il [traduction] « faudra avoir une autre conversation avec l’épouse et la belle‑mère de l’intéressé ».
(iv) Le ministre a fait traduire quatre documents parmi ceux que le défendeur avait apportés : (1) les observations qu’il a présentées au HCNUR en Thaïlande, (2) les observations que son épouse a présentées au HCNUR en Thaïlande, (3) une plainte à la police au sujet de la mort de son frère; et (4) un bref document rédigé comme suit : [traduction] « Soupçonné d’avoir eu une bombe près de lui, il a été mis en détention. Le [renseignement supprimé] 2005, l’affaire a été instruite par la cour de magistrat à [renseignement supprimé] et le [renseignement supprimé] 2009, il a été libéré. Délivré à votre demande. » Certaines parties de ce dernier document ont été supprimées dans la présente ordonnance pour que l’on ne puisse pas identifier le défendeur.
(v) Le 10 novembre 2010, l’ASFC a envoyé des lettres au HCNUR et au Comité international de la Croix‑Rouge leur demandant de lui fournir tous les renseignements dont ils pourraient disposer concernant le défendeur.
[11] Au contrôle des motifs de la détention du 10 novembre 2010, le ministre a soutenu que les mesures suivantes étaient nécessaires :
(i) Mener une autre entrevue avec la famille du défendeur pour tirer au clair les renseignements contradictoires qu’elle a donnés;
(ii) Questionner la famille à propos de la période que le défendeur a passée en détention au Sri Lanka;
(iii) Attendre les renseignements demandés au HCNUR et à la Croix rouge internationale à propos de la période que le défendeur a passée en détention;
(iv) Faire un suivi avec l’avocat qui représentait le défendeur lorsqu’il était en détention au Sri Lanka;
(v) Attendre la réception des documents concernant la détention et le procès du défendeur au Sri Lanka que l’épouse du défendeur avait envoyés à la fin du mois d’octobre.
[12] Au contrôle des motifs de la détention du 10 novembre 2010, le commissaire a écarté les contradictions entre le témoignage du défendeur et ceux de son épouse et de sa belle‑mère. Il a affirmé que « rien de tout cela n’avait de lien avec la question de la sécurité », mais que ces contradictions se rapportaient plutôt à la question de la crédibilité. Avec égards pour le commissaire, j’estime qu’il ne fait aucun doute que ces contradictions se rapportent à la question de la sécurité. Le ministre est notamment préoccupé par le fait que le défendeur est peut‑être un membre des TLET et que ce groupe a payé pour son voyage au Canada. Si l’on croyait l’épouse et la belle‑mère du défendeur, la provenance de l’argent serait donc inexpliquée.
[13] S’agissant des mesures que le ministre estimait nécessaires, le commissaire s’est exprimé ainsi :
Par conséquent, le ministre a décrit les mesures suivantes comme celles voulues. La première vise à questionner la famille une fois de plus quant aux renseignements contradictoires qui auraient été fournis, d’après le ministre, ainsi qu’à la période passée en prison. Je n’arrive toutefois pas à déterminer si des questions à propos de la période qu’a passée [le défendeur] en prison ont été posées aux membres de la famille lorsqu’ils ont été questionnés le 5 novembre.
Le critère relatif aux mesures voulues est celui de savoir si elles sont susceptibles de révéler la preuve pertinente fondée sur les soupçons du ministre. Le ministre doit aborder ce type d’enquête de façon approfondie. Par conséquent, lorsqu’il s’est entretenu avec la famille le 5 novembre, soit cinq jours avant le prochain contrôle des motifs de détention, il était tenu d’aborder précisément les éléments nécessaires par rapport à ses soupçons raisonnables.
Maintenant, le ministre a indiqué avoir fait signer [au défendeur] les autorisations pour la Croix‑Rouge et le HCR. Je lui ai précisément demandé ce qu’il croyait obtenir auprès de la Croix‑Rouge et du HCR, et le ministre a répondu que ces organisations pourraient disposer de renseignements sur la raison pour laquelle il était en détention et sur la question de savoir si des préoccupations en matière de sécurité avaient été soulevées. Quant au HCR où s’était inscrit [le défendeur] en Thaïlande, le ministre se demandait s’il aurait des renseignements à cet égard. Cette méthode d’enquête est très indirecte alors qu’un si grand nombre de voies directes ont été fournies. Je reviens au fait que l’intéressé a apporté un document qui énonce le numéro de l’affaire le concernant, dont dispose le ministre depuis qu’il est arrivé, mais ne l’a fait traduire que le 5 novembre.
Pour ce qui est des autorisations visant la Croix‑Rouge et le HCR, la question de la bonne foi de cette soi‑disant mesure nécessaire est mise en évidence par le fait que, après avoir été questionné, le ministre a reconnu que ces autorisations n’avaient été signées qu’aujourd’hui, ce qui me laisse croire qu’il se donnait beaucoup de peine pour montrer que des mesures étaient prises.
Le ministre a aussi soutenu qu’une autre mesure serait de parler à l’avocat de l’intéressé au Sri Lanka, mais qu’il ne connaît pas son nom. Toutefois, [le défendeur] a dit avoir fourni le nom de l’avocat. Il a affirmé que celui‑ci était maintenant juge dans le district. Personne ne lui a demandé son numéro de téléphone, mais je ne crois pas qu’il le saurait.
Le ministre a indiqué que, lorsque la belle‑mère et l’épouse ont été questionnées, elles se sont engagées à envoyer un autre document portant sur le procès, et [le défendeur] a expliqué que, à son avis, le document a été envoyé à un certain moment après le 20 octobre; il est donc raisonnable de supposer qu’il arrivera sous peu.
Par conséquent, à la dernière audience, le commissaire avait des préoccupations sur le fait que les mesures du ministre étaient prises. J’ai des préoccupations similaires. Je comprends que les ressources du ministre sont considérablement sollicitées par le grand nombre de personnes qui sont arrivées à bord du Sun Sea. Or, l’intéressé a indiqué tout de suite après son arrivée qu’il avait été détenu du fait de sa présumée appartenance aux TLET, qu’il n’avait jamais été reconnu coupable d’un crime et qu’il avait été libéré lorsque, selon ses dires, ils ont jugé qu’il était innocent. Si le ministre était allé droit au but et avait fait traduire le document que lui avait remis l’intéressé, dans lequel le numéro de l’affaire est indiqué, la véracité du récit [du défendeur] aurait probablement déjà été confirmée. S’il lui avait demandé le nom de l’avocat plus tôt et qu’il avait fait des tentatives pour le joindre par l’entremise de ses contacts à Colombo, cette affaire aurait probablement déjà pu être mise au clair.
La détention ne doit pas être prise à la légère. Je suis préoccupé par le fait que le ministre fasse valoir le motif de la sécurité alors que l’intéressé décrit la poursuite dont il a fait l’objet ainsi que sa déclaration de non‑culpabilité et qu’il fournit ces renseignements de son plein gré. Ensuite, le ministre prend des moyens détournés pour enquêter à propos de la véracité du récit. L’unique justification à cette enquête tout à fait inappropriée en l’espèce est l’importante charge de travail du ministre.
La Cour fédérale a statué que la Section de l’immigration a compétence en matière de supervision et que celle‑ci se limite à examiner si les étapes proposées sont susceptibles de révéler la preuve pertinente fondée sur les soupçons du ministre et de s’assurer que le ministre effectue une enquête de bonne foi. À mon avis, le ministre n’effectue pas cette enquête de bonne foi. Elle est hétéroclite et manque de coordination. Elle se veut le reflet de difficultés et de mesures impromptues en raison de la tenue imminente d’un contrôle des motifs de détention. Elle semble non sincère et non coordonnée. Ce motif ne peut pas justifier le maintien en détention.
En général, le ministre n’a pas de difficulté à établir un soupçon raisonnable ni à prouver qu’il prend des mesures nécessaires. Or, je suis d’avis que, depuis le dernier contrôle des motifs de détention, l’enquête a été menée par à-coups et aurait pu déjà être conclue si quelqu’un avait pris l’initiative et avait examiné l’affaire dans son ensemble. Toutes les pièces sont dans le dossier du ministre depuis août, et, bien que je reconnaisse que les enquêtes portaient majoritairement sur l’identité, ces renseignements sont au dossier depuis le 27 août, et le ministre a omis d’agir à leur égard.
Par conséquent, je ne suis pas convaincu qu’il puisse y avoir maintien de la détention pour ces motifs. Même si le ministre a des soupçons, ceux‑ci auraient déjà été examinés et dissipés, ou autre, si les mesures voulues avaient été prises, ce qui n’a pas été le cas.
[14] Le commissaire semble avoir analysé la façon dont l’enquête aurait dû être menée sans jamais se pencher sur la question de savoir si les mesures proposées par le ministre étaient susceptibles de révéler la preuve pertinente se rapportant aux soupçons qu’il avait, ce qui les rendrait nécessaires au sens de la Loi. Le commissaire devait pourtant se pencher sur cette question. Je suis d’avis qu’il convient de soulever la question de savoir si le commissaire a bien interprété et appliqué l’al. 58(1)c) de la Loi.
[15] De plus, le commissaire semble avoir estimé qu’une enquête hétéroclite et mal coordonnée combinée avec une apparence de manque de sincérité prouve que l’enquête a été menée malhonnêtement ou de mauvaise foi. Ainsi, il convient de soulever la question de savoir si le commissaire a appliqué le bon critère lorsqu’il a examiné si l’enquête du ministre avait été menée de bonne foi.
[16] Bien que la détention ne soit pas prise à la légère, les personnes qui arrivent en masse devraient s’attendre à ce qu’un tel événement nécessite beaucoup de ressources et de temps pour régler les questions d’intérêt public du pays où ils ont débarqué. La Commission devrait également tenir compte de cette réalité lorsqu’elle évalue les mesures prises par le ministre. Bien que le commissaire ait affirmé avoir tenu compte des circonstances extraordinaires entourant l’arrivée en masse d’un si grand nombre de clandestins, rien ne me prouve qu’il ne l’a pas fait uniquement pour la forme. Bien qu’il puisse être raisonnable de s’attendre à ce que le ministre adopte une démarche coordonnée et ciblée lorsqu’il se heurte à un immigrant illégal atterrissant à l’aéroport de Vancouver, il n’est pas surprenant que les mesures qu’il prend lorsque 500 immigrants arrivent au port de la C.‑B. puissent sembler confuses et hétéroclites. Elles le sont probablement. Les questions liées à l’identité de ces personnes doivent être abordées en premier avant d’examiner toute autre question.
[17] En bref, j’estime que le ministre a établi au moins deux questions qui doivent être examinées de façon plus approfondie. Ces questions sont‑elles sérieuses?
[18] Notre Cour a récemment conclu que le seuil relatif aux « questions sérieuses » est élevé lorsque l’on examine une requête en suspension d’une ordonnance visant la mise en liberté d’une personne. Il m’importe de savoir si l’imposition du seuil le plus élevé dans de tels cas est conforme à la jurisprudence de notre Cour et de la Cour d’appel.
[19] Le 17 septembre 2010, dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. XXXX, numéros de dossier IMM-5368-10, IMM-5359-10, IMM-5360-10 et IMM-5361-10, le juge de Montigny a écrit ce qui suit : « À la suite de la décision rendue par la Cour d’appel dans Baron c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, il est maintenant établi en droit qu’une norme de contrôle plus exigeante s’applique lorsqu’il est question d’établir si une question sérieuse a été soulevée relativement à une requête en sursis qui, si elle est accordée, aurait pour effet d’accorder le redressement recherché dans la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente […] [S]i le sursis était accordé, le ministre, à toutes fins utiles, se verrait accorder le redressement qu’il recherche dans la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente. »
[20] En toute déférence, j’estime que suspendre une ordonnance visant la mise en liberté d’une personne ne revient pas à accorder au ministre la réparation qu’il sollicite dans la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente par laquelle il conteste l’ordonnance de mise en liberté. Cette suspension ne fait que préserver le statu quo.
[21] Dans l’arrêt Baron, la Cour d’appel fédérale s’est ralliée à l’opinion du juge Pelletier, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, lorsqu’il a conclu, au vu des faits qui lui avaient été présentés, que lorsqu’elle examine une requête en suspension d’une mesure de renvoi, la Cour ne doit pas simplement examiner si le demandeur a soulevé une question frivole ou vexatoire, mais doit « examiner de près le fond de la demande sous‑jacente ». Le juge Pelletier est arrivé à cette conclusion essentiellement parce que la décision qui sous‑tendait la demande de contrôle judiciaire n’était pas la mesure de renvoi, mais une décision d’un agent de renvoi qui refusait de différer le renvoi.
[22] Le juge Pelletier a indiqué que deux situations différentes peuvent donner lieu à une requête en suspension du renvoi. La première situation est celle où la requête en suspension de la mesure de renvoi sous‑tend une demande de contrôle judiciaire visant à contester la mesure de renvoi elle‑même. La deuxième situation est celle où la requête en suspension de la mesure de renvoi sous‑tend une demande de contrôle judiciaire visant à contester le refus d’un agent de différer le renvoi. La décision Wang illustre la deuxième situation. Comme la demande d’asile de M. Wang avait été rejetée, il risquait d’être renvoyé dans son pays. Lorsqu’il a su qu’il allait être renvoyé en Chine, il a demandé à l’agent de différer son renvoi jusqu’à ce que la demande qu’il venait de déposer invoquant des raisons d’ordre humanitaire soit tranchée. L’agent a refusé et c’est ce refus qui a été contesté dans la demande de contrôle judiciaire; ce n’était pas la mesure de renvoi.
[23] Le juge Pelletier a conclu que lorsqu’une demande visant à contester la validité d’une mesure de renvoi constitue la demande sous‑jacente, il convient donc d’appliquer le critère relatif à la question « frivole ou vexatoire » à l’égard de la question sérieuse parce que la suspension de l’exécution de la mesure de renvoi « ne se [traduit] pas par l’octroi de la réparation demandée dans le contrôle judiciaire, puisque [cette dernière porte] sur une autre décision [à savoir, la mesure de renvoi] ». Toutefois, lorsque la décision refusant de différer l’exécution de la mesure de renvoi est contestée dans la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente, le fait de suspendre l’exécution « accorde [donc] à l’intéressé ce que l’agent chargé du renvoi lui avait refusé ». La suspension accordée par la Cour relativement à une demande de contrôle du refus de différer le renvoi accorde précisément au demandeur la réparation qu’il demandait à l’agent avant que le bien‑fondé de la demande ne soit examiné. Comme l’a fait remarquer le juge Pelletier, « [c]’est dans ce sens qu’on peut dire que la décision sur une requête de sursis d’exécution tranche la demande de contrôle judiciaire sous-jacente ».
[24] La situation en l’espèce ne correspond pas à celle dans la décision Wang. En l’espèce, la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire est la décision par laquelle la Commission a ordonné la mise en liberté de B479. Le ministre conteste la légalité de cette décision dans la demande sous‑jacente. La suspension de cette décision jusqu’à l’audience sur le fond ne tranche pas la demande sous‑jacente et n’accorde pas au ministre, au sens de la décision Wang, la réparation sollicitée avant même que le bien‑fondé de sa demande ne soit examiné. La décision Wang ne correspondrait à la situation de B479 que si un certain mécanisme permettait au ministre de demander à la Commission de différer la mise en liberté et, en cas de refus, de demander le contrôle judiciaire de ce refus. Dans ce cas, suspendre la mise en liberté jusqu’à ce que la Cour prenne une décision concernant le refus de différer la mise en liberté reviendrait à accorder précisément au ministre la réparation qu’il avait sollicitée, mais qu’on lui avait refusée.
[25] Il est vrai que la suspension de la mise en liberté accorde au ministre ce qu’il sollicitait à l’audience – le maintien de la détention de B479; or, cette situation n’est pas différente de celle qui se présente dans chaque demande de suspension qui, par définition, vise à maintenir le statu quo jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur le fond.
[26] Pour ces motifs, je suis d’avis que le critère de la question sérieuse doit être apprécié selon la norme établie pas la Cour suprême du Canada dans Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, et dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, à savoir s’il existe « une question sérieuse à juger, par opposition à une réclamation futile ou vexatoire ».
[27] En l’espèce, je suis convaincu que le demandeur a établi qu’il y a plus d’une question sérieuse à juger. De plus, je suis convaincu que la cause du demandeur est défendable et me permettra de trancher ces questions en sa faveur. C’est pourquoi je l’autorise à demander le contrôle judiciaire de la décision, comme il le désire.
[28] Je suis également persuadé que le demandeur a établi que si la suspension n’est pas accordée, il en résultera un préjudice irréparable. Le préjudice irréparable découle du fait que, selon le ministre, le défendeur constitue une menace à la sécurité et sa mise en liberté risquerait fort probablement de contrecarrer l’objectif qui sous‑tend l’al. 58(1)c) de la Loi. Comme l’a récemment fait observer le juge Barnes au par. 21 de la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. X, 2010 CF 112, « [b]ien qu’il ne faille pas oublier l’importance de ne pas détenir de telles personnes indûment, la protection des Canadiens et l’intérêt pressant du Canada pour assurer la sécurité de ses frontières sont également des considérations utiles ».
[29] Enfin, la prépondérance des inconvénients favorise le ministre. Le défendeur doit continuer de demander régulièrement le contrôle des motifs de sa détention, et le ministre devra poursuivre son enquête. Si les soupçons du ministre sont dissipés de manière satisfaisante, le défendeur sera libéré.
[30] Le demandeur demande à ce que la suspension demeure en vigueur jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire soit déterminée sur le fond. La Cour a récemment ordonné la suspension dans ces circonstances jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur le fond relativement à la demande de contrôle judiciaire ou jusqu’au prochain contrôle des motifs de détention du défendeur, selon ce qui a lieu en premier. Le demandeur s’est dit préoccupé par le fait que cette dernière option pourrait signifier que l’ordonnance de mise en liberté prendrait effet après le prochain contrôle, même si l’on ordonne le maintien de la détention durant ce contrôle. En revanche, la première option a apparemment mené certains commissaires à conclure que tous les contrôles des motifs de la détention sont suspendus jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire soit jugée sur le fond. À mon avis, le défendeur a le droit au contrôle des motifs de sa détention tous les 30 jours, que notre Cour ait suspendu ou non l’exécution de l’ordonnance de mise en liberté. Autrement dit, on devrait accorder la suspension jusqu’à ce qu’une décision sur le fond soit rendue relativement à la demande de contrôle judiciaire du ministre ou jusqu’à ce qu’un commissaire de la Section de l’immigration ordonne la mise en liberté du défendeur suivant le contrôle des motifs de détention exigé par la loi, selon ce qui a lieu en premier.
« Russel W. Zinn »
Ottawa (Ontario)
Le 3 décembre 2010
Traduction certifiée conforme
Mylène Boudreau, B.A. en trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6660-10
INTITULÉ : LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. B479
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie‑Britannique)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 25 novembre 2010
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE ZINN
DATE DES MOTIFS : Le 3 décembre 2010
COMPARUTIONS :
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Douglas R. Cannon |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sous‑procureur général du Canada Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LE DEMANDEUR
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ELGIN, CANNON & ASSOCIATES Avocats Vancouver (Colombie‑Britannique) |
POUR LE DÉFENDEUR
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