[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Vancouver (Colombie-Britannique), le 10 novembre 2010
EN PRÉSENCE DE : M. ROGER R. LAFRENIÈRE, PROTONOTAIRE
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA SANTÉ
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Les requérantes, Bayer AG et Bayer Inc., sollicitent de la Cour une ordonnance portant que les dépens de la demande qu’elles ont présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), et dont elles s’étaient désistées au retrait de l’Avis d’allégation qui l’avait motivée, soient à la charge d’Apotex Inc. (Apotex).
Les faits
[2] Les faits à l’origine de cette requête en fixation des dépens de l'instance engagée peuvent se résumer de la manière suivante : le 24 octobre 2001, Apotex a signifié aux requérantes un Avis d’allégation dans le cadre duquel elle allègue que ses comprimés de ciprofloxacine en diverses posologies ne contrefont pas le brevet canadien des requérantes, no 1,218,067 (le brevet ‘067), et que le brevet ‘067 n’est par ailleurs pas valable. L’avis d’allégation était la 8e instance engagée par Apotex à l’égard du brevet ‘067, et la troisième fois que cette entreprise en contestait la validité.
[3] Les requérantes ont entamé la présente instance (couramment dénommée Cipro 8), en vertu des dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), le 10 décembre 2001, trois semaines après l’engagement d’une autre instance à l’encontre d’Apotex dans le dossier T-2052-01 (Cipro 7). À l’appui de l'instance Cipro 8, les requérantes ont signifié et déposé neuf affidavits, en réponse auxquels Apotex en a déposé six.
[4] Au cours des quelques mois qui suivirent, les parties se sont livrées à plusieurs escarmouches interlocutoires, y compris, au mois de mai 2002, une requête d’Apotex tendant à la radiation de l'instance Cipro 8 pour cause d’atermoiements. La requête a été rejetée le 26 juillet 2002 sous réserve du droit d’Apotex de faire ultérieurement valoir que les requérantes n’avaient pas coopéré de manière raisonnable en vue d’accélérer l’instruction de la demande.
[5] Le 20 février 2003, la date d’audition de la demande a été fixée au 8 septembre 2003. Apotex a offert de consentir à une suspension de l'instance en attendant une décision dans le dossier Cipro 7, mais cette offre a été rejetée par les requérantes. Apotex reconnaît ne pas avoir offert de renoncer à demander l’indemnisation des pertes que la suspension pourrait lui occasionner.
[6] Par suite des contre-interrogatoires et de la signification du dossier des requérantes, Apotex a fait savoir, par lettre en date du 19 août 2003, qu’elle retirait son avis d’allégation.
[7] Le 2 septembre 2003, les requérantes se sont désistées. L’avis de désistement précisait que les requérantes se désistaient [traduction] « sauf en ce qui concerne la question des dépens, qui fera l’objet d’une requête à un officier taxateur, à qui il sera demandé de se prononcer, sur consentement des requérantes et de l’intimée, Apotex Inc. ». Il convient de relever que les conditions de désistement, dont les parties ont convenu, n’ont jamais été évoquées devant le juge responsable de la gestion de l’instance.
[8] Le 14 juin 2010, presque sept ans après le désistement, les requérantes introduisent la présente requête en fixation des dépens. Les requérantes n’ont fourni aucune explication ni aucune justification quant au temps qu’elles ont laissé s’écouler avant d’introduire cette requête. Bien que les Règles des cours fédérales n’imposent aucun délai particulier aux parties réclamant les dépens après un désistement d’instance, on présume et on s’attend à ce que la requête soit présentée en temps opportun. Afin que les parties et la Cour puissent avoir de l’affaire un souvenir assez clair, il convient en effet d'agir diligemment pour régler la question des dépens.
[9] Selon Apotex, les requérantes devraient, pour cause de retard excessif, être empêchées de réclamer les dépens. Une fin de non-recevoir fondée sur la conduite peut être invoquée lorsqu’une partie a fait une assertion ou porté l’autre partie à croire quelque chose. Il peut en outre y avoir préclusion par assentiment lorsqu’une personne donne à une autre, sur le fondement de certains faits clairement affirmés, un avertissement sur un point de droit et que l’autre ne répond pas dans un délai raisonnable. Au vu des faits invoqués en l’espèce, cependant, j’estime que les requérantes ne doivent pas être empêchées d’avancer leur réclamation.
[10] D’abord, rien n’indique que les requérantes aient le moindrement évoqué la question des délais dans lesquels serait introduite leur requête en adjudication des dépens, ou qu’elles aient été le moindrement averties qu’il leur faudrait présenter leur requête dans un délai précis. Deuxièmement, Apotex ne semble pas avoir été lésée par ce long intervalle qui ne semble d’ailleurs pas l’avoir portée à modifier sa position dans un sens qui aurait pu lui être défavorable. De fait, les requérantes ont, pendant cette longue période, été privées des dépens qui leur auraient été adjugés et des intérêts qu’elles auraient pu réclamer. Troisièmement, Apotex a toujours eu la possibilité de solliciter des instructions du juge responsable de la gestion de l’instance et d’obtenir sur la question au sujet des dépens une décision définitive. Apotex semble en fait ne s’être aucunement opposée au retard en question.
[11] En ce qui concerne maintenant le droit aux dépens, rappelons qu’en cas de désistement, la partie contre laquelle l’action a été engagée a droit sans délai aux dépens : voir article 402 des Règles. Cette règle générale ne s’applique cependant pas lorsque la partie intimée retire l’avis d’allégation ayant servi de fondement à une demande présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Il ressort du dossier que l'instance engagée devenait en l’occurrence sans objet à partir du moment où Apotex retirait son avis d’allégation. De prime abord, les requérantes ont par conséquent droit aux dépens.
[12] Les requérantes demandent que leur soit accordé le remboursement de leurs frais extrajudiciaires et débours en la somme forfaitaire de 994 708,31 $. Elles font valoir qu’en tentant de porter à nouveau en justice la question de la validité du brevet ‘067, Apotex a commis, au regard du cadre réglementaire établi par le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), un abus de procédure. Compte tenu de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Pharmascience Inc. c. Canada (Santé), 2007, C.A.F. 140, 59 C.P.R. (4th) 131, les requérantes sont fondées à avancer cet argument. Au paragraphe 46 de cet arrêt, le juge Sexton conclut que les avis d’allégation subséquents invoquant l’invalidité du brevet ne sont pas habituellement autorisés sauf si un fait important n’a pu être découvert malgré une diligence raisonnable, étant donné que le fondement factuel ne varie pas en fonction de la situation entourant le produit générique.
[13] Cela dit, le montant des dépens procureur-client ne devrait pas être établi en fonction d’une décision intervenant presque quatre ans après le désistement de l'instance en question. Le comportement d’Apotex doit effectivement être évalué à l’époque du désistement et non pas envisagé à travers le prisme des événements ultérieurs. Quoi qu’il en soit, les dépens procureur-client ne devraient être accordés que dans des circonstances exceptionnelles, circonstances dont l’existence n’a pas été démontrée en l’espèce. Enfin, la Cour devrait encourager les parties à renoncer à une action mal fondée et non pénaliser les désistements en imposant aux parties qui agissent de manière responsable de verser des sommes substantielles au titre des dépens : Fournier Pharma Inc. c. Canada (Santé), 2007 CF 433 (CanLII).
[14] Les actions engagées en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) sont généralement complexes, les parties devant souvent faire appel à des experts et accomplir un travail considérable dans un laps de temps relativement court. L’affaire qui retient ici notre attention ne fait en cela pas exception. Cela étant, j’estime que bien que les requérantes n’aient pas démontré qu’il y ait lieu en l’espèce de leur adjuger les dépens procureur-client, il convient d’augmenter en l’occurrence la somme qui leur est accordée au titre des dépens.
[15] L’ordonnance tranchant la présente requête correspond à la somme forfaitaire dont les parties, à l’audience, ont convenu au titre des frais et dépens, somme correspondant en gros au milieu de la colonne IV du tarif B.
ORDONNANCE
LA COUR STATUE que l’intimée Apotex Inc. versera aux requérantes les sommes suivantes au titre des dépens :
a) La somme forfaitaire de 175 000 $ pour les honoraires, débours et dépens de la taxation; et
LA PRÉSENTE ORDONNANCE PORTE INTÉRÊT au taux annuel de 2 p. 100 à compter de l'expiration d'une période de 30 jours suivant la date de son prononcé.
Protonotaire
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2169-01
INTITULÉ : Bayer AG, et Bayer Inc. c.
Apotex Inc. et le ministre de la Santé
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : le 27 octobre 2010
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE
DATE DES MOTIFS : le 10 novembre 2010
COMPARUTIONS :
Robert Shapiro
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David Lederman Daniel Cappe |
POUR L’INTIMÉE, APOTEX INC. |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Belmore McIntosh Neidrauer LLP
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Goodmans LLP Toronto (Ontario) |
POUR L’INTIMÉE, APOTEX INC. |