Cour fédérale |
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Federal Court |
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2010
En présence de monsieur le juge Kelen
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 16 février 2010, qui lui a refusé la qualité de réfugié au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), parce que sa crainte de persécution n'était pas fondée sur un motif prévu par la Convention et parce que son renvoi au Mexique ne l’exposerait pas personnellement à une menace pour sa vie, ni au risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités, ni au risque d’être soumis à la torture, étant donné qu’il peut obtenir, au Mexique, une protection suffisante.
LES FAITS
Le contexte
[2] Le demandeur, un Mexicain, est âgé de 47 ans. Il a quitté le Mexique pour le Canada le 14 juin 2007, et il a présenté une demande d'asile le 9 juillet 2007. Il dit craindre pour sa vie à cause de son ancien employeur.
[3] Le demandeur et son épouse travaillaient dans des entreprises différentes appartenant toutes deux à la même personne, que la Cour désignera ici par son prénom, « Jose ». Les deux entreprises se trouvaient dans la ville de Yautepec. Aucun des avocats ne savait où était située cette ville. Selon l’atlas, elle se trouve dans l’État de Morelos, à environ 75 kilomètres au sud de Mexico.
[4] Dans son affidavit, le demandeur a écrit que son épouse était directrice adjointe d’un restaurant appartenant à Jose et que lui, le demandeur, était vendeur dans une agence immobilière appartenant elle aussi à Jose. Le 17 juillet 2005, l’épouse du demandeur a été congédiée par Jose après avoir travaillé au restaurant durant quatre ans. Le demandeur écrit ce qui suit :
[traduction] Nous ne savons pas les raisons de son congédiement.
Au cours des deux semaines suivantes, le demandeur a conservé son poste, tout en trouvant que le climat de travail était très tendu. Il a donc quitté son emploi deux semaines après le congédiement de son épouse.
[5] Le 19 août 2005, l’épouse du demandeur a déposé contre son ancien employeur une plainte de congédiement injustifié auprès de la Commission de conciliation et d’arbitrage de l’État de Morelos. Le demandeur et son épouse ont alors commencé de recevoir des menaces et de subir le harcèlement de leur ancien employeur, qui leur conseillait de retirer la plainte.
[6] Le 15 décembre 2005, l’ancien employeur a lui aussi engagé une procédure devant le ministère public, accusant l’épouse du demandeur de fraude, de vol et d’abus de confiance, et accusant le demandeur de menaces et de tentative de meurtre.
[7] Les deux instances suivent leur cours.
[8] Le 6 mars 2007, le demandeur a été agressé par trois hommes qui lui ont dit qu’ils le tueraient s’il refusait de retirer la plainte de congédiement injustifié déposée contre son ancien employeur. Le demandeur a voulu le même jour signaler l’incident et les menaces au ministère public de la ville de Yautepec, mais on lui a dit qu’il ne pouvait pas déposer de dénonciation à cause des poursuites en cours et à cause des charges portées contre lui par Jose. Le lendemain, le demandeur s’est rendu au bureau local des droits de la personne, mais on lui a dit qu’il n’y avait rien que le bureau puisse faire pour lui. Le demandeur s’est alors informé auprès de son avocat pour savoir ce qu’il pouvait faire pour signaler l’agression et obtenir une protection, mais son avocat lui a dit qu’il était sans recours.
[9] À la fin d’avril ou au début de mai 2007, une ancienne collègue de l’épouse du demandeur les a prévenus qu’elle avait surpris Jose à dire qu’il allait éliminer le demandeur en raison des poursuites. En mai 2007, le demandeur et son épouse se sont établis à Mexico parce qu’ils avaient peur d’être à nouveau agressés.
[10] Le demandeur a quitté le Mexique le 14 juin 2007. Il affirme craindre, en cas de retour au Mexique, d’être attaqué parce que le procès suit son cours et parce que son ancien employeur a les moyens de savoir où il vit.
[11] L’épouse du demandeur est restée à Mexico. Il ne s’est pas mis en rapport avec elle, mais, avant de quitter Mexico, il n’avait pas reçu de menaces de son ancien employeur.
[12] Lorsque le demandeur est entré au Canada, il a déclaré, sur les conseils de son « ancien avocat », qu’il souhaitait obtenir l’asile parce qu’il avait été agressé sexuellement par son ancien employeur. Il a retiré et corrigé cette version des faits au moment d’engager son avocat actuel. Au cours de l’audience devant la Commission, l’avocat actuel du demandeur a reconnu que le frère du demandeur était lui aussi venu au Canada et avait présenté une demande d'asile. Au cours de l’audience, le demandeur a déclaré qu’il ne connaissait pas le fondement de la demande d'asile de son frère.
La décision contestée
[13] Le 16 février 2010, la Commission a rejeté les allégations du demandeur parce que, selon elle, sa crainte de persécution n'était pas fondée sur un motif prévu par la Convention, et parce que son renvoi au Mexique ne l’exposerait pas à une menace pour sa vie, à un risque de subir des peines ou traitements cruels et inusités ou à un risque de torture.
[14] La Commission ne s’est pas prononcée sur la crédibilité du demandeur. Sa décision résultait de trois conclusions intéressant la question de savoir si la crainte du demandeur était objectivement raisonnable : la qualité de la protection offerte par l’État au Mexique, la qualité des tentatives faites par le demandeur pour obtenir de l’État au Mexique une protection et la qualité de la preuve produite par le demandeur pour réfuter la présomption selon laquelle l’État au Mexique était apte à le protéger.
[15] S’agissant du premier point, à savoir la qualité de la protection offerte par l’État au Mexique, la Commission écrivait que, lorsqu’il n’y a pas effondrement complet de l’appareil étatique, l’État est présumé être en mesure de protéger ses citoyens. La Commission ajoutait qu’une protection parfaite n’est pas requise, dans la mesure où elle est suffisante. La Commission a rappelé que, dans les États démocratiques, les demandeurs d’asile ont une obligation accrue de montrer qu’ils ont épuisé tous les moyens raisonnablement à leur disposition pour obtenir de l’État une protection – l’échec des seules autorités locales à fournir une protection ne signifie pas que l’État a échoué globalement à offrir une protection suffisante.
[16] La Commission a examiné la preuve documentaire qui lui était soumise à propos des conditions ayant cours au Mexique. Elle a estimé que le Mexique exerçait un contrôle effectif sur son territoire. Selon elle, le Mexique disposait de forces de sécurité en état de fonctionnement, qui présentaient une structure hiérarchique, et devant lesquelles un plaignant pouvait se faire entendre à des paliers supérieurs s’il n’obtenait pas gain de cause au niveau local. La Commission a relevé aussi qu’il existe au Mexique un certain nombre d’instances et d’organismes auxquels les citoyens peuvent s’adresser en cas de corruption ou autre inconduite des forces de sécurité. Elle a donné ensuite le détail des moyens que le gouvernement mexicain avait pris pour garantir l’efficacité de la police et enrayer la corruption au sein des forces de sécurité.
[17] S’agissant du deuxième point, à savoir les tentatives faites par le demandeur pour obtenir de l’État au Mexique une protection, la Commission a estimé que les efforts faits par le demandeur à ce chapitre avaient été insuffisants. Elle a reconnu que le demandeur avait tenté de dénoncer au ministère public et au bureau local des droits de la personne l’agression dont il avait été victime le 6 mars 2007, mais qu’il avait essuyé une rebuffade. La Commission a reconnu aussi que le demandeur avait parlé à son avocat des recours qu’il pouvait avoir. Elle a estimé que le demandeur aurait pu faire davantage. D’abord, elle a trouvé que le demandeur aurait dû être mieux informé du système de justice mexicain et des options qui s’offraient à lui pour se faire entendre aux paliers supérieurs du système. Au paragraphe 20 de sa décision, la Commission s’exprimait ainsi :
¶20. Le demandeur d’asile a affirmé que, après avoir tenté sans succès de signaler au ministère public l’agression et les menaces dont il avait été victime, il a tenté de s’adresser au Bureau des droits de la personne. Le représentant du Bureau des droits de la personne a dit au demandeur d’asile qu’il ne pouvait pas l’aider et ne lui a fourni aucune autre aide ni orientation. Le demandeur d’asile s’est alors adressé à son avocat, et celui‑ci lui a dit qu’il n’y avait rien d’autre à faire en raison des enquêtes en cours relativement aux poursuites intentées par son épouse contre l’entreprise de Jose et à celles intentées par Jose contre le demandeur d’asile et son épouse. Malgré les poursuites en cours, j’estime que le demandeur d’asile aurait dû s’adresser à un niveau hiérarchique supérieur au sein des forces de sécurité puisque ses allégations étaient assez graves pour justifier qu’une attention y soit portée. Puisque le demandeur d’asile et son épouse ont réussi jusqu’à présent à donner suite aux poursuites intentées contre l’entreprise de Jose et à répondre à celles intentées contre eux par Jose, j’estime que le demandeur d’asile devrait bien connaître le système judiciaire du Mexique ainsi que les recours qui s’offrent à lui.
La Commission a fondé cette conclusion en partie sur le fait que l’action civile engagée par le demandeur aurait dû le familiariser avec le système de justice mexicain. Cependant, elle n’a pas précisé quelles « forces de sécurité de niveau supérieur » auraient pu être davantage à son écoute.
[18] Deuxièmement, la Commission a estimé que le demandeur n’avait pas signalé aux forces de sécurité les menaces de mort que lui-même et son épouse avaient reçues avant de s’enfuir. Selon la Commission, le demandeur a déclaré que, s’il n’avait pas signalé ces menaces, c’est parce qu’il ne croyait pas qu’il serait pris au sérieux. La Commission s’est exprimé ainsi, au paragraphe 21 :
¶21. [...] le demandeur d’asile n’a pas réussi à déposer une plainte auprès du ministère public, j’estime que s’il s’était véritablement senti menacé, il aurait dû signaler ces renseignements à la police et réclamer la protection de l’État au Mexique avant de solliciter la protection internationale au Canada.
[19] Finalement, s’agissant du troisième point, la Commission a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de son obligation d’apporter une preuve « claire et convaincante » de l’incapacité de l’État à le protéger. Elle a reconnu au paragraphe 22 que, selon les renseignements contenus dans la documentation, l’inefficacité, les pots-de-vin et la corruption sont encore des problèmes au sein des forces de sécurité mexicaines de tous les niveaux ainsi qu’au sein du secteur public. Au paragraphe 23, elle concluait ainsi :
¶23. La Commission reconnaît que plusieurs sources contenues dans la preuve documentaire comportent certaines incohérences; toutefois, la prépondérance des éléments de preuve concernant la situation dans le pays laisse croire que, même si elle n’est pas parfaite, la protection offerte par le Mexique aux victimes de criminalité est adéquate, que le Mexique fait des efforts sérieux et authentiques pour régler le problème de la criminalité et que la police veut protéger les victimes et qu’elle est capable de le faire. Le tribunal souligne que, même si des problèmes de corruption et de manque d’efficacité existent, il ne s’agit pas d’une situation généralisée.
[20] La Commission a explicitement examiné la preuve documentaire produite par le demandeur, mais elle a estimé que les documents n’autorisaient pas une évaluation différente : le Mexique connaît des difficultés au chapitre de la protection offerte par l’État, mais il fait également de sérieux efforts pour corriger la situation. La Commission a conclu que le demandeur d’asile n’avait pas, par une preuve claire et convaincante, réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État et que, par conséquent, la protection de l’État mexicain serait « raisonnablement assurée au demandeur d’asile si ce dernier la demandait ».
[21] Au paragraphe 25, la Commission a écrit ce qui suit :
¶25. Après avoir lu attentivement la preuve documentaire, j’estime que, dans l’ensemble, l’État du Mexique prend des mesures pour régler les problèmes de corruption et de manque d’efficacité [...]
LES DISPOSITIONS APPLICABLES
[22] L’article 96 de la Loi confère la protection aux réfugiés au sens de la Convention :
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner. |
96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,
(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or
(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country |
[23] L’article 97 de la Loi confère la protection aux personnes dont le renvoi du Canada les exposerait personnellement à une menace pour leur vie, ou au risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque d’être soumis à la torture :
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :
a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles, (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. |
97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally
(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or
(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country, (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country, (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care. |
LE POINT LITIGIEUX
[24] Selon le demandeur, la décision de la Commission soulève le point suivant :
Dans son analyse de la protection de l’État, la Commission a commis une erreur parce qu’elle a effectué une analyse indûment sélective, en utilisant des preuves objectives périmées, et elle a ainsi rendu une décision qui n’est pas appuyée par les preuves récentes qui lui ont été soumises ou par les actes du demandeur.
LA NORME DE CONTRÔLE
[25] Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a écrit, au paragraphe 62, que la première étape d’une analyse relative à la norme de contrôle requiert de la juridiction de contrôle qu’elle « vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : voir aussi l’arrêt Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, le juge Binnie, au paragraphe 53.
[26] Les questions relatives à la protection de l’État sont des questions de fait et des questions mixtes de droit et de fait. Elles intéressent le poids relatif qu’il convient d’attribuer à la preuve, l’interprétation et l’appréciation de la preuve, et le point de savoir si la Commission a bien tenu compte de l’ensemble de la preuve lorsqu’elle est arrivée à sa décision. Il est clair que, selon les arrêts Dunsmuir et Khosa, de telles questions doivent être revues d’après la norme de raisonnabilité : voir par exemple les jugements suivants que j'ai rendus : Corzas Monjaras c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 771, au paragraphe 15; Rodriguez Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1029, au paragraphe 25.
[27] Examinant la décision de la Commission d’après la norme de raisonnabilité, la Cour se demandera « si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » et s’attachera « à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59.
ANALYSE
Le point litigieux : La Commission a-t-elle commis une erreur parce qu’elle a effectué une analyse indûment sélective, en utilisant des preuves objectives périmées, pour ainsi rendre une décision qui n’est pas appuyée par les preuves récentes qui lui ont été soumises ou par les actes du demandeur.
[28] Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur pouvait raisonnablement obtenir de l’État une protection, et cela parce que la Commission s’est fondée sur des éléments périmés datant de 2008, qu’elle a laissé de côté les preuves contraires et qu’elle n’a pas tenu compte des tentatives faites par le demandeur pour obtenir de l’État une protection. Le demandeur présente trois observations au soutien de sa position :
1. Selon lui, la Commission n’a explicitement cité que trois sources, dont deux remontent à 2004. Elle s’est référée six fois à un rapport de 2004 sur les conditions ayant cours au Mexique. Ce rapport, établi par la Direction de la recherche de la Commission, est intitulé « Mexique : information sur les recours offerts aux victimes de corruption par des fonctionnaires fédéraux […] ». Il porte la date du 1er octobre 2004. Le demandeur dit que des documents actualisés compris dans le Cartable national de documentation de la Commission prouvent au contraire que la protection offerte par l’État au Mexique n’est pas suffisante et que les cas de corruption et de violation des droits de la personne sont encore bien présents.
2. Le demandeur dit aussi que la Commission s’est bornée à évoquer l’existence de mécanismes et d’organismes destinés à lutter contre la corruption et autres dysfonctionnements des forces de sécurité du Mexique, sans s’interroger sur l’efficacité des moyens engagés. Se fondant sur la décision Vigueras Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, au paragraphe 27, le demandeur affirme que la Commission doit considérer la volonté et la capacité de l’État de protéger ses citoyens, et pas simplement son intention de les protéger. Se fondant sur la décision Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, et sur la décision Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1081, [2003] 2 C.F. 339, il affirme que les organisations suppléantes, par exemple les bureaux des droits de la personne, ne constituent pas une protection en soi, parce que la police est la seule institution qui ait pour mandat de protéger les citoyens du pays.
3. Finalement, le demandeur dit que, en exigeant qu’il ait fait davantage pour obtenir de l’État une protection, la Commission a fait reposer sur lui une obligation indûment exigeante. Selon le demandeur, puisqu’il s’était rendu au ministère public et au bureau des droits de la personne et avait obtenu l’avis de son avocat, la Commission aurait dû considérer qu’il s’était acquitté de son obligation d’obtenir de l’État une protection. Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour la Commission de conclure que, à cause du procès civil qu’il avait intenté, le demandeur « devrait bien connaître le système judiciaire du Mexique ainsi que les recours qui s’offrent à lui ».
[29] Ainsi que l’écrivait la Commission dans la présente affaire, à l’exception des cas où il y a eu effondrement complet de l’appareil étatique, il faut en général présumer qu’un État est capable de protéger ses citoyens : arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. Par ailleurs, cette présomption ne peut être réfutée que lorsque le demandeur d’asile apporte une preuve « claire et convaincante » confirmant l’inaptitude de l’État à lui offrir une protection : arrêt Ward, pages 724-725. Les éléments montrant qu’il est impossible d’obtenir de l’État une protection doivent persuader la Commission, selon la prépondérance de la preuve, que la protection offerte par l’État est « insuffisante » – aucun État n’est tenu d’offrir une protection parfaite à tout moment à l’ensemble de ses citoyens : voir par exemple l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.). Plus l’État répond aux critères d’une démocratie, plus rigoureuse sera l’obligation du demandeur d’asile de réfuter la présomption d’existence d’une protection suffisante et de prouver qu’il a épuisé tous les recours dont il disposait : arrêt Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, au paragraphe 30; arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Kadenko (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.), à la page 534.
[30] Il est constant en droit que la Commission n’est pas tenue de se référer explicitement à tous les documents qui lui ont été soumis, et qu’elle sera présumée avoir considéré l’ensemble des preuves à moins que le contraire ne soit établi. Cependant, comme l’écrivait le juge Evans dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. n° 1425, au paragraphe 17, « l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés ».
[31] Les motifs avancés par la Commission dans la présente affaire montrent qu’elle a considéré la totalité de la preuve. La Commission se réfère à d’autres preuves documentaires en plus du document de 2004. Elle invoque le document de 2004 pour montrer que les membres du public peuvent recourir à d’autres instances et organismes pour se plaindre des forces de sécurité. Le demandeur n’a pas renvoyé à des éléments de preuve selon lesquels les instances et organismes en cause ne seraient plus les mêmes qu’en 2004. La Commission ne prétend pas s’être fondée uniquement sur ces rapports pour tirer ses conclusions sur la protection offerte par l’État au Mexique. Au contraire, outre qu’elle se réfère explicitement au rapport de 2008 du Département d’État des États-Unis intitulé Human Rights Reports: Mexico, daté du 25 février 2009, la Commission reconnaît, comme je le disais plus haut, que « selon les renseignements contenus dans la documentation, l’inefficacité, les pots‑de‑vin et la corruption sont encore des problèmes au sein des forces de sécurité mexicaines de tous les niveaux ainsi qu’au sein du secteur public ». La Commission se réfère explicitement aussi à d’autres preuves documentaires produites par le demandeur. Au paragraphe 24 de ses motifs, elle renvoie expressément à certains articles ainsi qu’à un rapport d’Amnesty International produit par le demandeur. Elle reconnaît que ces rapports et articles confirment les autres preuves documentaires considérées par la Commission. Elle s’exprime ainsi :
¶24. [...] La plupart des éléments de preuve décrivent les problèmes présents au Mexique en matière de protection de l’État, mais la plupart d’entre eux soulignent également les efforts déployés par le Mexique pour repérer ces problèmes et les résoudre.
[32] Au paragraphe 25, la Commission conclut ainsi :
¶25. [...] Après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve, y compris la preuve documentaire de la Commission relativement au caractère adéquat de la protection de l’État au Mexique, j’estime, compte tenu des circonstances de l’espèce, que le demandeur d’asile n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants.
[33] La Cour partage donc l’avis du défendeur selon lequel la Commission a bien tenu compte de la totalité de la preuve qui lui a été soumise.
[34] S’agissant de la question de savoir si la Commission s’est abstenue de considérer l’efficacité des moyens pris par le Mexique pour protéger ses citoyens, la Cour conclut pareillement que, au vu des motifs de la Commission, celle-ci a appliqué les facteurs pertinents pour savoir si la protection offerte par l’État était suffisante. La Commission pouvait parfaitement, au vu de la preuve, dire que le demandeur n’avait pas fait tous les efforts raisonnables pour obtenir de l’État mexicain une protection. Plus précisément, elle a conclu, à juste titre, que le demandeur aurait dû signaler à la police et à toute autre autorité susceptible de lui venir en aide les menaces d’assassinat dont il craignait la mise à exécution. Le demandeur n’avait pas signalé à la police les menaces de mort proférées en 2007, et la Commission a eu raison de conclure que cela amoindrissait sa demande d'asile. Il est raisonnable pour la Commission d’imaginer que des menaces de mort proférées par une personne en particulier seront signalées à la police. La police enquêterait sur des menaces aussi précises visant le demandeur.
[35] Cependant, la Cour croit que la décision de la Commission renferme une conclusion que la Commission n’avait pas le loisir de tirer. S’agissant de l’agression que le demandeur avait signalée au ministère public de la ville de Yautepec, et de la dénonciation ultérieure de cette agression au bureau des droits de la personne de la même localité, la Commission, comme je le mentionnais plus haut, écrivait ce qui suit au paragraphe 20 :
¶20 […] Malgré les poursuites en cours, j’estime que le demandeur d’asile aurait dû s’adresser à un niveau hiérarchique supérieur au sein des forces de sécurité puisque ses allégations étaient assez graves pour justifier qu’une attention y soit portée […] j’estime que le demandeur d’asile devrait bien connaître le système judiciaire du Mexique ainsi que les recours qui s’offrent à lui.
[36] Pour justifier son propos, la Commission se fonde sur un document de la Direction de la recherche de la Commission, daté du 1er octobre 2004, et intitulé « Mexique : information sur les recours offerts aux victimes de corruption par des fonctionnaires fédéraux […] ». Après lecture attentive de ce document, la Cour estime en premier lieu qu’il n’intéresse pas le dépôt par le demandeur d’une plainte au criminel pour agression, et ensuite qu’il ne fait pas état de « forces de sécurité de niveau supérieur » auprès desquelles le demandeur aurait pu se faire entendre. En conséquence, s’agissant de la plainte d’agression qu’il avait déposée, le demandeur avait bel et bien tenté d’obtenir de l’État une protection, et il n’aurait pas pu faire davantage. Cependant, le ministère public, c’est-à-dire la police fédérale, n’a pas admis la plainte en raison du litige en cours entre le demandeur et Jose. Le ministère public était fondé à agir de la sorte, et la Cour ne saurait lui reprocher de ne pas avoir tenu compte de la tentative du demandeur de porter des charges contre Jose ou contre ses complices. La Commission pouvait aussi très bien conclure que le demandeur aurait dû demander à l’État une protection en ce qui concernait les menaces de mort reçues ultérieurement, que j’évoquais plus haut. Par conséquent, même si la Commission ne pouvait pas raisonnablement affirmer que le demandeur aurait dû faire davantage pour obtenir une protection à propos de l’agression, la Cour croit que cette erreur est sans conséquence puisque le ministère public n’a pas tenu compte de cette plainte et l’a rejetée pour les motifs dont j'ai fait état.
CONCLUSION
[37] Pour ces motifs, la Cour arrive à la conclusion que la Commission pouvait parfaitement rendre la décision qu’elle a rendue et qu’il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir.
QUESTION À CERTIFIER
[38] Les deux parties ont informé la Cour que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale susceptible d’être certifiée en vue d’un appel. La Cour partage leur avis.
JUGEMENT
LA COUR STATUE comme suit :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1554-10
INTITULÉ : Gilberto Palacios Nicolai
c.
Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 25 novembre 2010
DATE DES MOTIFS : Le 8 décembre 2010
COMPARUTIONS :
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Laoura Christodoulides |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada |
POUR LE DÉFENDEUR
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