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Cour fédérale

Federal Court


Date : 20101207

 

Dossier : T-565-09

 

Référence : 2010 CF 1235

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2010

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

ENTRE :

PATRICK NICHOLLS

demandeur

et

 

CANADA (AGENCE DU REVENU)

et MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

DEMANDE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision de l’Agence du revenu du Canada (ARC) rendue le 9 mars 2009. L’ARC a refusé de proroger le délai applicable à la présentation par le demandeur de l’avis prévu à l’article 122.62 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) pour être considéré comme un particulier admissible au régime de prestations fiscales canadiennes pour enfants (PFCE) à l’égard de certains mois pour lesquels était prescrit le recouvrement par l’ARC de prestations déjà versées à l’épouse séparée du demandeur à l’égard de leurs enfants, Charles et Penny.

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur, qui n’est pas représenté par avocat, n’a pas fourni de contexte exposant clairement les faits pertinents et la nature du litige. L’examen du dossier indique que la relation des faits présentée par les défendeurs et leur énoncé des questions en litige sont exacts.

 

[3]               Le 16 août 2006, l’ARC a reçu du demandeur un formulaire de demande de paiement rétroactif de PFCE à l’égard des enfants de celui‑ci, Penny et Charles. La période visée par la réclamation remontait au 25 juin 2005, pour Penny, et au 17 octobre 2001, pour Charles, et courait jusqu’à la date de la demande.

 

[4]               Avant cette demande, c’est l’épouse séparée de M. Nicholls, Tylaine Nicholls, qui était le particulier admissible aux PFCE visant les deux enfants et qui touchait les prestations.

 

[5]               Puisque Mme Nicholls avait reçu les PFCE pendant la période pour laquelle le demandeur les réclamait, des questionnaires concernant le lieu de résidence de Penny et Charles et la personne qui était principalement responsable d’en prendre soin ont été envoyés aux deux personnes.

 

[6]               Sur le fondement du questionnaire et des documents soumis par le demandeur, l’ARC lui a accordé des prestations rétroactives visant les deux enfants pour la période de onze mois remontant jusqu’au mois de septembre 2005. Elle a reporté sa décision pour le reste de la réclamation, attendant de recevoir la preuve de citoyenneté et de résidence qu’elle l’avait prié de lui fournir et le retour du questionnaire envoyé à Mme Nicholls.

 

[7]               Cette preuve a été jointe à une lettre en date du 28 novembre 2006, dans laquelle le demandeur réclamait des prestations rétroactives supplémentaires pour les deux enfants, à l’égard de mois de vacances d’été ou, dans un cas, d’une période de trois mois pendant laquelle il affirmait avoir gardé Penny pendant que Mme Nicholls était en voyage.

 

[8]               Dans une lettre en date du 26 mars 2007, l’ARC a accueilli la demande de versement rétroactif jusqu’aux premiers mois pour lesquels il pouvait y avoir recouvrement des prestations initialement versées à Mme Nicholls, à savoir le mois de juillet 2005 pour Penny et le mois de juillet 2004 pour Charles. Cette décision accordait au demandeur la totalité des prestations qu’il avait initialement réclamées à l’égard de Penny.

 

[9]               Puisque les délais de prescription interdisaient à l’ARC d’assujettir Mme Nicholls à de nouveaux avis de cotisation pour les PFCE versées à l’égard de Charles avant le mois de juillet 2004, elle a refusé la réclamation du demandeur visant les prestations relatives à ce dernier, afférentes aux mois antérieurs à juillet 2004.

 

[10]           Après plusieurs lettres dans lesquelles le demandeur continuait de réclamer des prestations rétroactives en sus de celles qu’il avait déjà obtenues, l’ARC a exposé de nouveau sa position dans des lettres en date du 3 juillet 2007.

 

[11]           Une demande de contrôle judiciaire a été déposée devant notre Cour au mois d’avril 2008, mais le demandeur s’en est désisté lorsque l’ARC a consenti à réexaminer le dossier en fonction de la possibilité d’établir, sur le fondement d’une présentation erronée des faits dans les déclarations de revenus Mme Nicholls, qu’elle avait une créance contre cette dernière à l’égard d’une période pour laquelle il y aurait autrement prescription.

 

[12]           La fonctionnaire chargée de revoir le dossier, Mme Shirley Geller, a examiné tous les documents déjà produits par le demandeur, et elle l’a invité à lui transmettre d’autres documents et à lui présenter d’autres observations s’il le désirait. Il n’a pas donné suite à l’invitation.

 

[13]           Pour déterminer s’il était possible d’envoyer à Mme Nicholls de nouveaux avis de cotisation à l’égard des années pour lesquelles il y avait prescription, Mme Geller a étudié les documents soumis par la contribuable à l’appui de son avis d’opposition à la réclamation de l’ARC découlant des versements rétroactifs déjà faits au demandeur. La documentation fournie visait à montrer que les enfants vivaient avec elle pendant certains des mois en litige et que le demandeur et elle avaient convenu, lorsque Penny et Charles avaient commencé à vivre avec le demandeur, qu’elle continuerait de toucher les PFCE.

 

[14]           Mme Geller a estimé qu’il n’était pas sûr que l’ARC pourrait satisfaire au fardeau de prouver que Mme Nicholls avait fait une « présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire » en n’informant pas le fisc que les enfants avaient déménagé chez le demandeur. Elle a donc conclu qu’il n’y avait pas lieu d’exercer le pouvoir discrétionnaire d’accorder au demandeur des prestations rétroactives en sus de celles qui lui avaient déjà été versées.

 

[15]           S’agissant de la réclamation de PFCE visant des mois déterminés, l’ARC a accepté, en se fondant sur l’arrêt de la Cour fédérale du Canada Matte c. Canada, 2003 CAF 19, rendu en janvier 2003, de verser au demandeur la prestation afférente au mois d’août 2004, mais elle a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour les autres mois parce qu’ils étaient antérieurs à l’arrêt Matte ou parce qu’il y avait prescription et que l’ARC ne pouvait prouver une créance à l’encontre de Mme Nicholls à leur égard.

 

[16]           Dans une lettre datée du 9 mars 2009 et signée par la superviseure de Mme Geller, Mme Kaeding, l’ARC a informé le demandeur qu’elle n’exercerait son pouvoir discrétionnaire de verser des PFCE additionnelles que pour un seul mois, le mois d’août 2004, en exposant dans le détail les motifs fondant cette décision.

 

[17]           Le demandeur a déposé la demande de contrôle judiciaire dont la Cour est à présent saisie le 8 avril 2009.

 

[18]           Le 4 mai 2009, le demandeur a signifié aux défendeurs un affidavit souscrit le même jour à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, auquel étaient jointes deux pièces qui n’avaient pas été soumises à l’ARC avant qu’elle rende sa décision, à savoir :

a.                   la pièce D de l’affidavit – un extrait, tenant sur une page, d’une audience préliminaire entre M. Nicholls et Sa Majesté la Reine, daté du 5 mai 2003;

b.                  la pièce H de l’affidavit – le visa de la Cour de justice de l’Ontario relatif à une instance opposant M. et Mme Nicholls, en date du 29 mai 2008.

 

[19]           Le même jour, le demandeur a également signifié aux défendeurs un affidavit souscrit par Penny Nicholls en date du 4 mai 2009 et un affidavit souscrit Charles Nicholls en date du 9 mai 2009. Aucun de ces deux documents n’avait été soumis à l’ARC avant qu’elle rende la décision faisant l’objet du contrôle.

 

LA DÉCISION

 

[20]           Mme Geller a examiné tous les documents versés au dossier et a conclu que l’ARC ne pourrait pas satisfaire au fardeau de prouver que Mme Nicholls avait fait une « présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire » en n’informant pas le fisc que les enfants avaient déménagé chez le demandeur. Elle a donc conclu qu’il n’y avait pas lieu pour l’ARC d’exercer le pouvoir discrétionnaire ministériel prévu au paragraphe 122.62(2) de la Loi et de proroger le délai applicable afin que le demandeur puisse toucher des prestations rétroactives en sus de celles qui lui avaient déjà été versées.

 

[21]           Pour ce qui est de la réclamation de PFCE visant des mois déterminés, l’ARC a accepté, en se fondant sur l’arrêt Matte c. Canada de la Cour d’appel fédérale, susmentionné, de verser au demandeur la prestation afférente au mois d’août 2004, mais elle a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour les autres mois parce qu’ils étaient antérieurs à l’arrêt Matte et parce que, de toute manière, il y avait prescription et que l’ARC ne pouvait prouver une créance à l’encontre de Mme Nicholls à leur égard.

 

LES Dispositions législatives pertinentes

 

[22]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente demande :

122.62(1) Pour l’application de la présente sous-section, une personne ne peut être considérée comme un particulier admissible à l’égard d’une personne à charge admissible au début d’un mois que si elle a présenté un avis au ministre, sur formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits, au plus tard onze mois après la fin du mois.

 

(2) Le ministre peut, en tout temps, proroger le délai prévu au paragraphe (1).

 

 

 

152 (4) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu’aucun impôt n’est payable pour l’année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d’imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans les cas suivants :

 

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi,

122.62 (1) For the purposes of this subdivision, a person may be considered to be an eligible individual in respect of a particular qualified dependant at the beginning of a month only if the person has, no later than 11 months after the end of the month, filed with the Minister a notice in prescribed form containing prescribed information.

 

 

(2) The Minister may at any time extend the time for filing a notice under subsection 122.62(1).

 

 

152 (4) The Minister may at any time make an assessment, reassessment or additional assessment of tax for a taxation year, interest or penalties, if any, payable under this Part by a taxpayer or notify in writing any person by whom a return of income for a taxation year has been filed that no tax is payable for the year, except that an assessment, reassessment or additional assessment may be made after the taxpayer’s normal reassessment period in respect of the year only if

 

 

 

 

 

(a) the taxpayer or person filing the return

 

(i) has made any misrepresentation that is attributable to neglect, carelessness or wilful default or has committed any fraud in filing the return or in supplying any information under this Act, or

 

 

 

LES Questions EN LITIGE

 

[23]           Voici les questions en litige, telles qu’elles sont formulées au paragraphe 52 du mémoire des faits et du droit soumis par le demandeur :

[traduction]

a.                   La décision entachée de mauvaise foi devrait‑elle être annulée?

 

b.                  Le ministre a-t-il outrepassé ses pouvoirs en matière de versement et de recouvrement de PFCE?

 

c.                   Si ce n’est pas le cas, le demandeur peut‑il demander l’établissement d’une nouvelle cotisation corrélative?

 

d.                  Sinon, quand y a‑t‑il prescription à l’égard de l’autre personne?

e.                   Le cas échéant, l’arrêt Matte s’applique‑t‑il?

f.                    La preuve de la présentation erronée sur un fait important au‑delà de l’établissement régulier d’une nouvelle cotisation a‑t‑elle été faite?

 

g.                   Aux termes de la règle 399, y a‑t‑il eu outrage au tribunal de la part de l’épouse séparée du demandeur?

 

h.                   Le ministre s’est‑il injustement enrichi?

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

 

[24]           Le paragraphe 122.62(1) de la Loi énonce qu’une personne ne peut être considérée comme un particulier admissible à la PFCE à l’égard d’une personne à charge admissible au début d’un mois que si elle a présenté un avis au ministre, sur formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits, au plus tard onze mois après la fin du mois. Suivant le paragraphe 122.62(2), le ministre peut, en tout temps, proroger le délai prévu au paragraphe (1).

 

[25]           La Cour d’appel fédérale a uniformément statué, à l’égard de dispositions ainsi formulées, qu’elles investissent le ministre d’un pouvoir décisionnel discrétionnaire et, par conséquent, que la norme de contrôle applicable est la norme de la décision raisonnable. Le raisonnement tenu dans Telfer c. Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23 et dans Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 153, s’applique selon moi à la décision faisant l’objet du présent contrôle.

 

[26]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas toujours nécessaire de procéder à l’analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la jurisprudence établit déjà quelle est la norme de contrôle applicable à la question particulière soumise à la cour de révision, celle‑ci peut l’adopter; ce n’est que lorsque la recherche jurisprudentielle est infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs permettant de déterminer la norme de contrôle à appliquer.

 

[27]           Lorsque le tribunal applique la norme de la raisonnabilité, l’analyse s’attache « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».Voir Dunsmuir, précité, paragraphe 47. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable au sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[28]           Les allégations du demandeur selon lesquelles le ministre a considéré des éléments non pertinents, n’a pas pris en compte des éléments pertinents, n’a pas suffisamment motivé sa décision, a fait naître une crainte raisonnable de partialité et a manqué à son obligation d’équité procédurale sont des questions de droit appelant l’application de la norme de la décision correcte. Voir Matte, précité.

 

ANALYSE

            Problèmes généraux

 

[29]           M. Nicholls a présenté lui‑même sa cause avec beaucoup d’initiative et d’énergie. Il est arrivé à l’audience tenue à Toronto le 28 septembre 2010, armé de vingt‑six pages de notes – qu’il a presque toutes lues à la Cour – comportant des arguments et des questions qui ne figuraient pas dans le mémoire des faits et du droit déjà produit et signifié aux défendeurs.

 

[30]           Tant dans le mémoire écrit que dans les notes du demandeur, les arguments sont souvent alambiqués et difficiles à suivre et sont exposés dans un style catégorique qui frise continuellement l’opacité du fait d’une syntaxe et d’une grammaire insolites. Le demandeur invoque souvent des principes juridiques sans en expliquer la provenance ou en donner le contexte et, souvent, il ne fait pas la distinction entre la preuve, l’opinion et la conjecture. Il s’ensuit qu’il est très difficile de se faire une idée de sa position et d’en évaluer le bien‑fondé.

 

[31]           Dans son argumentation orale (consignée dans ses notes), le demandeur tente de résumer ainsi sa position :

[traduction]

a.       C’est clairement ce que le ministre tente de faire ici. La décideure a entravé sa décision en se fondant exclusivement sur des lignes directrices ou des politiques exacerbées par leur confidentialité ou leur illégalité. Si elle a examiné la question, elle a principalement examiné et accordé du poids à de l’information non pertinente et des dispositions ambiguës de la Loi, comme le sont 122.6 et 152(4), la première décrite comme incroyablement complexe et défiant pratiquement toute compréhension, alors que les secondes dispositions législatives sous examen sont un fouillis.

b.      Elles ne se prêtent pas à une interprétation littérale entraînant des résultats incongrus. L’ambiguïté réside dans la somme des phrases conditionnelles qui parfois ne figurent que dans la Loi, mais 152(4) ajoute l’anomalie. La nouvelle cotisation est limitée à l’opposition et impossible d’établir une nouvelle cotisation pour un autre motif. 152(4.2) est pour la correction d’erreurs et n’a rien à voir avec l’équité. Le résultat absurde, dans le cas présent, est que la « période normale de nouvelle cotisation » de la tierce partie avait déjà expiré avant que le ministre rende la décision.

c.       Cela n’a pas de sens. Cette affaire a nécessité un très long processus d’interprétation d’une disposition visiblement édictée en faveur du contribuable, mais dépourvue de l’attribut difficile à décrire qu’est la clarté. Les « questions de droit intéressantes » ne doivent pas être engendrées par des lois imprécises. Au moins trois interprétations différentes de son application ont été formulées. Il se peut que son application ait paru claire aux rédacteurs de la loi mais elle n’est certainement pas claire. Les deux interprétations sont ambiguës, parlant de « cotisation à établir » devant être conforme à la Loi, suggérant que le remboursement de la prestation fiscale pour enfant à une personne admissible n’est pas un simple exercice discrétionnaire et que le sens de « qu’elle n’ait pas déjà été accordée » est « non déjà accordée au contribuable qui y a droit » ou « non déjà accordée correctement ou légalement ».

d.      Le ministre peut autoriser un remboursement s’il est convaincu que le remboursement ou la réduction aurait été effectué si la déclaration ou la demande avait été déposée ou faite à temps, à la condition qu’alors la cotisation à établir est conforme à la Loi. La cotisation doit être corrigée même si une année est prescrite, bien que cela ne change pas le montant de la cotisation pour cette année. Si le ministre commet une erreur discrétionnaire, elle aussi doit être corrigée si elle est jugée déraisonnable. C’est seulement une « folle persistance [qui] est le génie qui hante les petits esprits ... » a écrit Ralph Waldo Emerson. Lorsqu’il existe une raison solide et pratique non interdite par la loi d’établir des cotisations de façon uniforme, le ministre ne doit pas avoir peur de le faire.

e.       La Cour est justifiée d’intervenir lorsque la décision découle d’une mauvaise compréhension des faits pertinents. Les cotisations établies par le ministre doivent être conformes à la loi. Autrement dit, le ministre ne doit pas, et la Cour non plus, perpétuer une erreur au cours d’une année future afin d’arriver à un résultat compatible avec celui d’une année antérieure au cours de laquelle un autre contribuable a commis une erreur. Lorsque le fardeau est passé au ministre et que celui-ci ne produit absolument aucune preuve, le contribuable est fondé à obtenir gain de cause. Le ministre ne produit aucune preuve que 122.62(2) ait même été invoqué.

f.        Le ministre n’a pas carte blanche pour établir les présomptions qui lui conviennent. À l’interrogatoire principal, on s’attend qu’il puisse produire des preuves plus concrètes que de simples présomptions de paiement d’après les livres comptables. En général, les écritures comptables ne créent pas la réalité. Elles ne sont utiles que dans la mesure où elles enregistrent ou reflètent la réalité, ce qui n’est pas le cas ici.

g.       Une présomption joue en faveur du contribuable lorsqu’il y a obligation fiscale. Il peut exister des dispositions fiscales si arbitraires et si injustes qu’elles peuvent donner lieu à une confiscation abusive de biens plutôt qu’à un exercice correct du pouvoir fiscal. Le ministre a l’obligation d’être prudent et de ne pas verser les prestations simultanément, comme il l’a fait, ou les verser deux fois à la même personne, comme à M. Guest, ou à des personnes non admissibles, sans droit de faire peser ces erreurs sur un contribuable indépendant pour rectifier ce type d’erreurs.

h.       Avec une preuve, le ministre a l’obligation d’établir une nouvelle cotisation dans les cas de présentations erronées, ne serait‑ce que pour tenter de recouvrer une créance de l’État mal imputée abrogée par le ministre. Le décideur « doit bien comprendre le droit régissant son pouvoir discrétionnaire et doit lui donner effet, et il ne l’a pas fait ici. Mme Keading (sic) a mal compris les termes juridiques et elle n’a pas bien évalué les faits qui sont essentiels pour la décision si oui ou non elle détient certains pouvoirs ou si elle les outrepasse.

i.         La décision doit être annulée. Pareillement si la décision sous‑délègue illégalement, renferme des erreurs de fait ou de droit, ne tient pas compte d’éléments pertinents ou tient compte d’éléments non pertinents, le contrôle judiciaire est généralement accueilli. La décision est déraisonnable; contraire à toute logique et aux critères moraux reconnus à laquelle aucune personne sensée ayant réfléchi à la question serait parvenue. Même si une autorité peut établir des lignes directrices internes, elle devrait être disposée à faire des exceptions sur la base de chaque cas individuel. Une loi du Parlement peut subordonner la prise d’une décision à une procédure. Les règles de justice naturelle obligent le décideur à entreprendre le processus avec « équité ». La partialité porte sur l’apparence de partialité : « justice doit paraître être rendue ».

j.        L’obligation est que la personne ait la chance de plaider sa cause. Si le demandeur a certaines attentes légitimes, s’est fait promettre un avantage, il serait injuste de manquer à la promesse même s’il existe des motifs d’intérêt public pour le faire. Mme Geller a un ton, une apparence de présomption féminine entachant d’irrégularité la décision de Mme Keading. Son résultat n’est pas défendable compte tenu des faits et du droit, ne peut résister à un examen poussé, repose sur de fausses hypothèses, ce qui abaisse la norme de contrôle de la décision raisonnable à la décision correcte. Il est bien établi que le contrôle de l’équité procédurale s’exerce suivant la norme de la décision correcte.

k.      Ses motifs sont inappropriés, inadéquats et inintelligibles. Les hypothèses ne sont pas justifiées; elles n’étayent pas en soi la décision de cotisation. Le demandeur, en tant que demandeur, s’attendait légitimement à un certain résultat, et il soumet que l’équité peut exiger des droits procéduraux plus étendus que ceux qui seraient autrement accordés. Le ministre ne peut plaider une hypothèse subsidiaire qui aurait pour effet de modifier le fondement sur lequel reposait sa cotisation.

l.         Sa Majesté en fait une cotisation entièrement nouvelle. Si Sa Majesté allègue un fait qui ne fait pas partie des faits présumés par le ministre, la charge de la preuve repose sur elle. Cela tempère la relation particulière entre le ministre du Revenu national, son agence et le ministère de la Justice en matière fiscale. Si d’autres termes sont ajoutés à la Loi pour justifier les hypothèses, ils doivent être radiés. Dans cette situation, l’intervention de cette honorable cour serait appropriée.

m.     Il est manifeste que le ministre n’a pas reconnu certains faits par manque de véritable enquête sérieuse dans les hypothèses, la charge appartenant au ministre, qui peut s’inverser, et la cour peut alors libérer le ministre de cette charge. Lorsqu’il n’y a pas d’hypothèse du ministre, l’affaire porte sur la cause et le ministre doit savoir que le pouvoir discrétionnaire est ici une obligation déguisée. Le ministre a l’obligation d’établir une cotisation et il doit alors donner avis de cette cotisation à l’égard de toute année  conformément à 150(2); s’il ne le fait pas, il manque à son devoir. Le ministre doit établir une cotisation pour recouvrer ou rembourser.

n.       Lorsque la Loi impose une obligation, le ministre est tenu, n’a pas le choix et est contraint de réaliser l’intention du législateur. Cette honorable cour, si l’intervention est justifiée, peut annuler la décision, rendre un jugement déclaratoire au sujet des décisions discrétionnaires relevant de votre compétence ou lui substituer la décision qui aurait dû être rendue, fixant en totalité ou en partie les périodes d’admissibilité aux prestations demandées. Aussi, d’appliquer le mandamus et de faire en sorte que le ministre débloque le montant de la réclamation. Si le mandamus est demandé, alors soyez convaincu que cette affaire mérite cet instrument discrétionnaire de réparation assez rare; toutefois la Cour n’a pas le pouvoir discrétionnaire de refuser le mandamus lorsqu’il s’agit du seul moyen d’obtenir l’exécution d’une obligation ministérielle. Le demandeur remplit les 7 conditions requises pour que soit délivré un bref de mandamus :

                                                               i.      il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public dans les circonstances de la cause;

                                                             ii.      l’obligation doit exister envers le demandeur;

                                                            iii.      il doit exister un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation et, en particulier, le demandeur doit avoir rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

                                                           iv.      le demandeur n’a aucun autre recours;

                                                             v.      l’ordonnance sollicitée doit avoir une incidence sur le plan pratique;

                                                           vi.      dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit être d’avis que, en vertu de l’équité, rien n’empêche le demandeur d’obtenir le redressement demandé;

                                                          vii.      compte tenu de la prépondérance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

o.      La décision du ministre peut être annulée pour l’un ou plusieurs des motifs énumérés de a à z ci‑dessous :

                                                               i.      Le ministre est tenu de rembourser le crédit d’impôt pour enfants;

                                                             ii.      Le ministre n’a pas complètement effectué la cotisation avant épuisement;

                                                            iii.      Le ministre ne peut céder la prestation, elle a donc été transférée illégalement;

                                                           iv.      Le ministre n’a pas le pouvoir de récupérer la prestation une fois qu’elle a été versée;

                                                             v.      Le ministre ne peut s’enrichir injustement;

                                                           vi.      Le ministre ne peut rendre une deuxième partie créancière d’une première ou d’une troisième;

                                                          vii.      Il n’y a pas eu de pleine communication de la part du ministre;

                                                        viii.      Le ministre ne peut changer d’idée;

                                                           ix.      La déléguée qui a signé n’était pas autorisée à signer;

                                                             x.      Il ne s’agit pas d’une nouvelle décision;

                                                           xi.      La Couronne a ajouté des questions inutiles compliquant la cause;

                                                          xii.      L’intérêt supérieur des enfants est fatalement absent;

                                                        xiii.      La décision reposait sur des éléments de preuve non pertinents et non substantiels;

                                                        xiv.      La décision ne reposait pas sur des éléments de preuve pertinents et substantiels;

                                                         xv.      La décision repose partiellement sur la présomption féminine, réfutée;

                                                        xvi.      La déléguée qui a signé n’a pas fait enquête personnellement ou complètement;

                                                      xvii.      La déléguée a commis des erreurs de droit et de fait en s’appuyant sur de fausses hypothèses;

                                                     xviii.      La déléguée a limité sa décision en s’appuyant sur une politique invalide;

                                                        xix.      La déléguée, en partie, s’est appuyée sur une politique secrète, donc illégale dans Matte;

                                                         xx.      La déléguée a renoncé à ou abandonné les « avis de changement » à tort;

                                                        xxi.      La personne chargée de la révision n’a pas indiqué la preuve à réfuter, supprimant la communication;

                                                      xxii.      La personne chargée de la révision était partiale, bien qu’elle ait été abusée par fausse représentation et ruse;

                                                     xxiii.      La personne chargée de la révision a traité le demandeur différemment des autres contribuables;

                                                    xxiv.      La personne chargée de la révision a trompé les attentes légitimes de nouvelle décision sur une question unique;

                                                      xxv.      La décision est illégale, irrationnelle et sans équité procédurale;

                                                    xxvi.      Le ministre a la responsabilité de rembourser un versement excédentaire à la bonne personne.

p.      Le litige se ramène à la question suivante : le gouvernement peut‑il, en invoquant un délai de prescription d’un an qu’il déduit du libellé de la loi fiscale, se soustraire au paiement de la totalité du montant du remboursement qu’il devrait normalement à un contribuable? Pour qu’un tribunal restreigne de la sorte le droit d’un contribuable à ce qui, par ailleurs, lui serait dû, il faudrait certainement que le législateur se soit exprimé en termes absolument clairs. Dans un cas où l’on applique à tort une loi ou un règlement par ailleurs constitutionnels ou valides à une personne à laquelle cette loi ou ce règlement, selon leur sens véritable, ne s’appliquent pas, les principes généraux régissant la restitution de fonds versés par suite d’une erreur devraient être appliqués et, sous réserve des considérations d’équité, devraient permettre le recouvrement.

q.      La Cour suprême a insisté sur le fait que les lois conférant des avantages doivent être interprétées de façon libérale et généreuse et que tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du demandeur. Il convient également de noter que, je (sic) la position de cette honorable cour, les dispositions en cause doivent être interprétées généreusement en faveur de permettre aux enfants de recevoir la prestation fiscale pour enfant, qu’ils n’ont pas reçue, interceptée par une tierce partie frauduleuse.

r.        Pour moi, il s’agit que mes enfants obtiennent la prestation fiscale pour enfant attribuée erronément à une personne autre que le principal responsable du soin des enfants au moment où elle a été réclamée. Fonds encore nécessaires pour subvenir à leurs besoins à l’université. C’est pour eux que je plaide aujourd’hui, non parties au contrôle judiciaire, pour qui le résultat aura des effets importants.

s.       Puisqu’il s’agit de la quatrième révision, ça ne servirait à rien de renvoyer cela pour nouvelle décision parce que la décision du ministre repose sur de fausses hypothèses. Je termine à présent en demandant que si des dépens sont accordés, ils le soient sous forme de somme globale après observations écrites, en rappelant que les politiques secrètes, etc. sont incompatibles avec une société libre et démocratique.

 

 

[32]           Ce qui est manifeste dans les observations du demandeur, c’est qu’elles ne portent pas véritablement sur la décision elle‑même, ni sur ses motifs ou les pouvoirs légaux et principes juridiques cités à son appui. Par exemple, le demandeur déclare que les motifs de la décision ne sont ni clairs ni pertinents. Selon moi, ce n’est pas ce qui se dégage de la lecture de la décision. S’il y a quelque chose à redire dans cette décision, ce n’est pas au chapitre de la clarté ou de la pertinence. Le demandeur affirme qu’il est établi en jurisprudence que des [traduction] « motifs inadéquats » ouvrent droit au contrôle judiciaire et il a ajouté cette raison à sa liste, sans démontrer ou expliquer pourquoi la décision n’est pas motivée clairement ou adéquatement. Ses allégations relatives à la partialité ainsi qu’à d’autres questions souffrent du même défaut.

 

[33]           En outre, il serait injuste d’autoriser le demandeur à soulever à l’audience des questions qu’il n’a pas exposées dans son mémoire écrit alors qu’il n’a rien fait au préalable pour en informer les défendeurs. Le demandeur s’est en fait présenté à l’audience avec un deuxième mémoire écrit, dont la lecture a opéré le versement au dossier. Certains éléments de ce deuxième mémoire pouvaient se rattacher au premier et d’autres étaient nouveaux. Au nombre des nouveaux éléments figurent notamment les accusations visant M. Diaz et les arguments de partialité et d’irrégularité entachant la décision qui découlent de ces accusations, ainsi que la question de l’inapplicabilité des paragraphes 122.62(1) et (2) de la Loi en raison de mentions relatives au ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social. Le nouvel argument concernant l’intérêt supérieur des enfants appartient lui aussi à cette catégorie, mais il est, de toute manière, dépourvu de pertinence parce que la décision ne porte pas sur l’admissibilité mais plutôt sur la question de savoir quand le ministre devrait accepter un avis présenté tardivement.

 

[34]           Les nouvelles questions soulevées dans la présentation orale (lue) n’ont pas été portées à la connaissance des défendeurs d’une façon qui leur permette équitablement d’y répondre, en sorte que la Cour n’en est pas valablement saisie dans le cadre de la présente espèce. Qui plus est, après les avoir examinées une à une, j’estime qu’elles ne sauraient fonder une demande de contrôle judiciaire.

 

[35]           J’estime, de façon générale, que le demandeur tente d’établir que la décision de l’ARC de ne pas lui verser les PFCE réclamées pour la période en litige est erronée ou déraisonnable. L’ARC aurait incorrectement et déraisonnablement invoqué et appliqué une politique l’empêchant de toucher des prestations en dehors de la période prévue au paragraphe 122.62(1) de la Loi parce qu’elles avaient déjà été versées à une autre personne prenant soin des enfants et qu’elles ne pouvaient, de l’avis du ministère de la Justice, être recouvrées de Mme Nicholls. Le demandeur fait valoir qu’il ignorait l’existence de cette politique et qu’il était donc dans l’impossibilité de présenter des éléments de preuve et des arguments s’y rapportant, ajoutant que l’ARC a fait preuve de partialité (crainte raisonnable ou partialité réelle) et a omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents et pris en considération des éléments non pertinents. Il soutient en outre que la décision fondée sur le paragraphe 122.62(2) de la Loi est erronée en droit et/ou déraisonnable.

 

                        Les questions en litige

 

[36]           Le demandeur a soulevé des questions pour lesquelles il n’y a tout simplement aucun fondement ou preuve au dossier.

 

[37]           Par exemple, le demandeur se contente d’affirmer qu’il y a eu partialité, iniquité procédurale ou décision insuffisamment motivée sans fonder ou prouver ses allégations. Rien n’étaye non plus l’affirmation que l’ARC n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents et pris en considération des éléments non pertinents. Le demandeur est tout simplement en désaccord avec la décision et il demande à la Cour de l’annuler et de lui attribuer des PFCE auxquelles il n’a pas droit selon l’ARC.

 

[38]           S’inscrivent dans cette démarche les tentatives du demandeur de présenter devant moi des éléments de preuve dont l’ARC ne disposait pas quand elle a rendu sa décision. Le demandeur a été informé des questions que l’ARC devait trancher et a eu toutes les chances de présenter des observations et des éléments de preuve avant que la décision soit rendue, mais il a simplement refusé ou négligé de le faire. Il ne peut corriger cette omission en soumettant à présent de nouveaux éléments de preuve à la Cour et en lui demandant de procéder à un examen de novo. Voir Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, page 775; Amchem Products Inc. c. Colombie‑Britannique (Worker’s Compensation Board), [1992] A.C.F. no 110, 192 N.R. 390, paragraphe 6; R. c. Capital Générale Électrique du Canada Inc., 2010 CAF 290, paragraphe 11; et Franck Brunckhorst Co. c. Gainers Inc. et al., [1993] A.C.F. no 874 (C.A.), paragraphe 2.

 

[39]           En outre, le demandeur cherche à obtenir des réparations que, pour les raisons exposées par les défendeurs, la Cour n’a pas le pouvoir de lui accorder, et il n’a pas demandé celle qui, en théorie du moins, lui était ouverte dans ce genre de recours. Pour ce seul motif, la Cour devrait rejeter la demande.

 

[40]           Il appert du dossier que, contrairement à ce qu’il affirme, le demandeur n’a pas été pris au piège d’une politique non publiée et il n’a pas été empêché de présenter des observations au sujet des questions formant le substrat de la décision. La décision résultait d’une deuxième révision, et le dossier démontre que le demandeur savait que la résistance de l’ARC à lui verser des PFCE supplémentaires découlait du fait que des prestations avaient déjà été payées à Mme Nicholls pendant la période litigieuse, de la difficulté qu’aurait l’ARC à recouvrer ces sommes de cette dernière et de l’opinion de l’ARC que le demandeur ne devrait pas toucher, si longtemps après l’expiration de la période prévue au paragraphe 122.62(1), des prestations déjà versées à Mme Nicholls à l’égard des enfants et non recouvrables aux termes du paragraphe 152(4) de la Loi. Tous ces points avaient été clairement exposés au demandeur. Le cœur du problème venait de sa propre omission (non expliquée) de réclamer les prestations dans le délai prévu. Il a été invité à présenter des observations et il lui était loisible de consulter un avocat et de soumettre tous les éléments de preuve et les arguments qu’il voulait.

 

[41]           S’agissant du fond de l’affaire, la seule véritable question dont la Cour est saisie est celle de savoir si, compte tenu des faits, le ministre a exercé de façon raisonnable le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 122.62(2) de la Loi de ne pas proroger le délai prévu au paragraphe 122.62(1) pour la présentation de l’avis.

 

[42]           Les motifs du refus du ministre sont clairement exposés dans la décision. Essentiellement, l’ARC était d’avis que le recouvrement des PFCE versées à Mme Nicholls avant le mois de juillet 2004 était prescrit et que le fisc ne serait probablement pas en mesure de prouver l’existence d’une créance à l’encontre de cette dernière relativement aux années d’imposition pour lesquelles il y avait prescription, du fait que la contribuable ne semblait pas avoir fait de présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire.

 

[43]           Cette conclusion faisait intervenir la politique de l’ARC selon laquelle le versement rétroactif de PFCE à une personne admissible n’a lieu, lorsque des prestations ont déjà été versées à l’égard des mêmes enfants, que lorsqu’il est possible de recouvrer les versements faits à l’ancienne personne responsable du soin des enfants.

 

[44]           Le demandeur conteste les raisons fondant l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 122.62(2), mais il n’a présenté aucun fait ni aucune jurisprudence pouvant étayer l’affirmation que cet exercice était incorrect ou déraisonnable au sens de Dunsmuir.

 

[45]           L’ARC n’a pas établi lequel des conjoints avait droit aux PFCE pour la période en litige. L’organisme a simplement conclu que les versements pour lesquels il y avait prescription ne pouvaient être recouvrés de Mme Nicholls, qu’il ne pouvait prouver qu’en n’informant pas l’ARC qu’elle n’était plus la prestataire admissible pour la période en question cette dernière avait fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire et qu’en conséquence il serait déraisonnable d’acquiescer à la totalité de la demande de M. Nicholls à l’égard de prestations remontant à 2001.

 

[46]           J’estime que, pour l’appréciation du caractère raisonnable de la décision en l’espèce, il faut également garder à l’esprit que le demandeur a attendu jusqu’au mois d’août 2006 pour demander des PFCE remontant jusqu’au mois d’octobre 2001, et qu’il n’a pas expliqué pourquoi il avait attendu si longtemps s’il croyait être la personne admissible à ces prestations.

 

[47]           Comme la Loi n’assortit d’aucun critère l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 122.62(2), il est clair que le législateur a laissé au ministre la tâche d’établir les politiques et critères applicables en cette matière. C’est ce qui s’est produit en l’espèce.

 

[48]           Le demandeur a invoqué diverses autres dispositions de la Loi ainsi que des principes de droit qui, d’après lui, devraient primer sur les paragraphes 122.62(1) et (2) et, en fait, les rendre inopérants. Il revendique un droit prépondérant aux PFCE en question, qui ne peut être écarté par les paragraphes 122.62(1) et (2). Il affirme en outre que les PFCE déjà versées à Mme Nicholls ne sauraient constituer une fin de non-recevoir à sa réclamation et qu’en tout état de cause, l’ARC peut avoir recours à d’autres dispositions de la Loi pour recouvrer des paiements indûment effectués, de sorte qu’elle est tenue d’examiner la question du droit aux prestations. Toutefois, le demandeur n’a cité ni jurisprudence ni principe étayant la conclusion qu’on peut faire abstraction, en quelque sorte, des paragraphes 122.62(1) et (2) ou la conclusion que l’établissement de la politique en cause ou son application aux faits présentés à l’ARC étaient soit erronés soit déraisonnables. Le demandeur est simplement en désaccord avec la politique et la décision et il tente d’inventer des motifs (dont beaucoup ne sont fondés ni en preuve ni en jurisprudence) pour contester la décision.

 

[49]           Les deux parties conviennent qu’il n’y a pas de jurisprudence concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par le paragraphe 122.62(2) de la Loi. J’estime toutefois que les défendeurs signalent à bon droit que les tribunaux sont peu disposés à intervenir dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire légal conféré à un décideur administratif. Dans Telfer, précité, la Cour d’appel fédérale, examinant le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 220(3.1) de la Loi, a statué que la nature non structurée du pouvoir ministériel signifiait que la Cour ne devait pas examiner à la loupe le processus décisionnel fondé sur cette disposition. Autrement dit, l’intention du législateur, dans une telle situation, est de laisser au ministre le soin d’établir les critères appropriés à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. En l’espèce, on ne saurait dire que la politique de l’ARC de subordonner le versement rétroactif de PFCE au recouvrement des prestations déjà touchées par un autre responsable des soins ne peut raisonnablement fonder l’exercice du pouvoir discrétionnaire ni que son application était déraisonnable. La politique repose sur un fondement rationnel, et on ne peut dire qu’elle a été appliquée de façon inéquitable ou déraisonnable en l’espèce. Le demandeur a laissé se créer une situation où Mme Nicholls a touché des PFCE pendant une période pour laquelle il prétend à présent être le prestataire admissible. Comme la décision en fait état, le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il a permis qu’il en soit ainsi en ne réclamant pas les PFCE au moment où il prétend y avoir eu droit.

 

[50]           Les deux parties ont présenté des observations au sujet des dépens, que j’ai examinées en entier. Je suis d’avis que les défendeurs ont droit à leurs dépens suivant la colonne III du tarif B ainsi qu’aux débours, le tout conformément à leur projet de mémoire de dépens.

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Des dépens et débours au montant de 3 973,99 $ sont adjugés aux défendeurs.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-565-09

 

INTITULÉ :                                       PATRICK NICHOLLS

                                                            demandeur

-   et   -

 

                                                            CANADA (AGENCE DU REVENU) et

                                                            MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeurs

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 7 décembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Patrick Nicholls                                                            POUR LE DEMANDEUR

                                                                                    (non représenté par avocat)

 

Iris Kingston                                                                 POUR LES DÉFENDEURS

Nancy

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Patrick Nicholls                                                            POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

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