TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE
Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2010
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL
ENTRE :
et
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de deux décisions rendues le 7 janvier 2010 (la décision ou les décisions) par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal), qui a rejeté les demandes de pension d’invalidité du demandeur au motif que la déficience auditive et la discopathie dégénérative du rachis lombaire dont souffre celui‑ci ne sont pas consécutives ou rattachées directement à son service dans les Forces canadiennes au sens du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P‑6 (la Loi).
CONTEXTE
[2] Le demandeur a commencé son service militaire dans la Force de réserve en octobre 1974, puis a continué de servir dans la Force régulière à compter d’avril 1976. Il a pris sa retraite en mars 1995, après avoir servi près de 19 ans dans la Force régulière. Durant sa carrière militaire, il servait dans l’infanterie et travaillait comme mécanicien de cellules d’aéronef. Il jouait aussi de la cornemuse dans la musique militaire. Le demandeur soutient que la déficience auditive et la discopathie dégénérative du rachis lombaire dont il souffre actuellement ont été causées par des événements survenus pendant son service militaire.
T‑288‑10 : Déficience auditive
[3] Le demandeur prétend que son ouïe a été endommagée en 1981 lorsqu’un coup de pièce d’artillerie a été déclenché à proximité de la tranchée où il se trouvait. Cette lésion initiale a été aggravée par une exposition prolongée au bruit alors que le demandeur était dans l’infanterie et faisait partie de la musique militaire.
[4] L’audition du demandeur a été examinée avant que celui‑ci ne joigne la Force régulière en 1976 et à un certain nombre de reprises avant qu’il ne prenne sa retraite. Le dernier de ces audiogrammes remonte au 9 mars 1994, date de son Examen médical pour libération. Dans tous les cas, les résultats ont été interprétés comme montrant que le demandeur jouissait d’une audition normale.
[5] En février 2008, puis en avril 2009, le demandeur a subi des audiogrammes additionnels. À nouveau, l’audiologiste qui a interprété les résultats a qualifié de normale l’audition du demandeur, même si les résultats de ces examens répondent aux normes des Anciens combattants en matière de déficience auditive invalidante.
[6] En janvier 2008, le demandeur a présenté une demande de pension d’invalidité fondée sur une déficience auditive, au titre du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions. Le demandeur soutient que cette déficience est attribuable à son service militaire. Il est d’avis que l’article 45 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, L.C. 2005, ch. 21, lui donne droit de recevoir 62 500 $, soit 25 pour cent de la pleine indemnité de pension accordée pour ce genre de blessure.
[7] En juin 2008, le ministère des Anciens Combattants a refusé la demande de pension de M. Lunn fondée sur une déficience auditive. Le comité de révision d’admissibilité (le comité) a confirmé cette décision en juillet 2009 après avoir examiné les résultats des audiogrammes subis par le demandeur durant son service militaire et de ceux effectués en février 2008 et avril 2009. De l’avis des deux décideurs, la preuve démontrait que l’audition du demandeur était normale pendant qu’il était dans l’armée. De plus, le demandeur n’avait pas établi que sa déficience auditive actuelle résultait de la détonation du coup de pièce d’artillerie, en 1981, ou d’une exposition prolongée au bruit pendant qu’il servait dans l’infanterie et jouait dans la musique militaire.
[8] En janvier 2010, le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a confirmé les décisions antérieures de rejeter la demande de pension.
[9] Le 2 mars 2010, le demandeur a introduit la présente demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du Tribunal de rejeter sa demande de pension d’invalidité fondée sur une déficience auditive.
T‑289‑10 : Discopathie dégénérative du rachis lombaire
[10] Le demandeur soutient également qu’en 1990, alors qu’il réparait un aéronef, il s’est blessé au dos en tirant des câbles d’un panneau électrique pendant un incendie électrique. Il a fait part de sa blessure à ses superviseurs, mais n’a consulté aucun médecin parce qu’il y avait trop de travail à cette époque. Il explique que la blessure n’était pas suffisamment grave pour l’empêcher de conduire sa moto pour rentrer chez lui, mais qu’il avait éprouvé de la difficulté à marcher dans les mois qui ont suivi l’incident.
[11] Le demandeur déclare s’être à nouveau blessé au dos en 1991, alors qu’il a pelleté de la neige après avoir couru cinq milles depuis son lieu de travail jusqu’à la maison. Son mal de dos s’est ensuite aggravé du fait qu’il est demeuré assis durant de longues périodes pour suivre un cours de leadership lié à son travail. Le demandeur a fait rapport de sa blessure à ses superviseurs et à un médecin militaire, et il a été traité par un physiothérapeute. Selon son Examen médical pour libération du 9 mars 1994, son dos était normal.
[12] Le demandeur affirme que son incapacité, attribuable aux blessures au dos expliquées ci‑dessus, est totalement invalidante, qu’il est désormais incapable de marcher plus de trois milles à la fois et que l’état de son dos pourrait éventuellement faire en sorte qu’il ne puisse plus marcher du tout. Par conséquent, en vertu de l’article 45 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, il a le droit de recevoir 250 000 $, soit 100 pour cent de la pleine indemnité de pension accordée pour ce genre de blessure.
[13] En juin 2008, le demandeur a présenté une demande de pension d’invalidité pour discopathie dégénérative du rachis lombaire, au titre du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions.
[14] Le 7 avril 2009, le ministère des Anciens Combattants a rejeté la demande du demandeur. Le 16 juillet 2009, le comité de révision des décisions relatives à l’admissibilité a confirmé la décision du ministère. Les deux décideurs ont conclu qu’aucune preuve médicale crédible ne rattachait les blessures subies par le demandeur durant son service à son incapacité actuelle.
[15] En janvier 2010, le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a confirmé les décisions antérieures rejetant la demande de pension du demandeur.
[16] Le 8 février 2010, le demandeur a introduit la présente demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du Tribunal de rejeter sa demande de pension d’invalidité fondée sur une discopathie dégénérative du rachis lombaire.
LES DÉCISIONS CONTESTÉES
T‑288‑10 : Déficience auditive
[17] L’audience devant le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) relativement à la demande de pension du demandeur pour déficience auditive a eu lieu par téléconférence. Le demandeur était représenté par un avocat‑conseil du Bureau de services juridiques des pensions du ministère des Anciens Combattants.
[18] L’avocat‑conseil a fait valoir que les audiogrammes effectués pendant le service, et particulièrement l’audiogramme précédant la libération, ne répondaient pas à la norme voulue décrite dans les Lignes directrices sur l’admissibilité au droit à pension des Anciens Combattants Canada. Le Tribunal a reconnu ce fait, mais a déclaré qu’aucun élément de preuve n’indiquait que les audiogrammes effectués pendant le service étaient erronés. Dans les circonstances, ils constituaient la meilleure preuve disponible de l’état de l’audition du demandeur tout au long de son service et au moment de sa libération. Faute de preuve discréditant les audiogrammes, le Tribunal les a acceptés comme étant fiables.
[19] En dernière analyse, le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a conclu que, suivant la preuve médicale dont il disposait, l’audition du demandeur a toujours été jugée normale pendant qu’il était dans l’armée ainsi qu’au moment de son Examen médical pour libération, en date du 9 mars 1994. Le Tribunal a reconnu que le demandeur souffre actuellement d’une déficience auditive invalidante, mais a estimé que la cause la plus probable de cet état est l’âge du demandeur plutôt qu’une blessure subie pendant ses années de service.
T‑289‑10 : Discopathie dégénérative du rachis lombaire
[20] L’audience devant le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) relativement à la demande de pension du demandeur pour discopathie dégénérative du rachis lombaire a eu lieu par téléconférence sur la foi des observations écrites d’un avocat‑conseil du Bureau de services juridiques des pensions du ministère des Anciens Combattants.
[21] Le Tribunal a accepté que le demandeur s’est blessé en 1990 dans l’incident lors duquel il a tiré des câbles. Toutefois, aucune preuve médicale n’étayait l’opinion subjective du demandeur selon laquelle il avait subi une blessure grave. Le Tribunal a conclu que les blessures subies en 1991, après que le demandeur eut couru et pelleté de la neige, n’étaient pas non plus très importantes puisqu’un traitement les avait guéries et que selon les résultats de l’Examen médical pour libération subi par le demandeur en 1994, sa colonne vertébrale était normale.
[22] Le Tribunal a fait remarquer qu’une radiographie prise en août 2008 montre des changements de nature dégénérative compatibles avec l’âge du demandeur, soit 53 ans. Il a aussi examiné un nouvel élément de preuve, un avis médical du 20 octobre 2009 dans lequel le Dr Bernard Lalonde déclare qu’il ne peut pas dire [traduction] « avec certitude » si la maladie discale lombaire du demandeur est [traduction] « la conséquence d’incidents survenus dans les années 1990 ou s’il s’agit tout simplement d’un processus de vieillissement normal ou d’un état occasionné et exacerbé par la surcharge pondérale importante de M. Lunn ». L’avocat a plaidé qu’étant donné que le Dr Lalonde ne pouvait exclure définitivement la part attribuable aux blessures rattachées au service militaire, à tout le moins une pension partielle était‑elle justifiée.
[23] Le Tribunal a toutefois estimé que l’avis médical ne permet pas de conclure que les blessures rattachées au service militaire, dont la preuve n’atteste pas la gravité, ont contribué à l’invalidité. Aussi l’état actuel du dos du demandeur n’est‑il pas, à son avis, attribuable à son service militaire.
QUESTIONS EN LITIGE
[24] Les principales questions en l’espèce peuvent se résumer comme suit :
1. Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur en s’appuyant sur les audiogrammes effectués durant le service militaire du demandeur pour conclure que la déficience auditive du demandeur n’est pas attribuable à son service militaire?
2. Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur en concluant que la maladie discale lombaire dégénérative dont souffre le demandeur n’a pas été causée par une blessure subie durant son service militaire?
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
[25] Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en la présente instance :
Milice active non permanente ou armée de réserve en temps de paix
21(2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :
a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire ….
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Service in militia or reserve army and in peace time
21(2) In respect of military service rendered in the non‑permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,
(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I ….
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[26] Les dispositions suivantes de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18, s’appliquent à la présente instance :
Règles régissant la preuve
39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :
a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui‑ci;
b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui‑ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;
c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien‑fondé de la demande. |
Rules of evidence
39. In all proceedings under this Act, the Board shall
(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;
(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and
(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case. |
NORME DE CONTRÔLE
[27] La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑ Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, a statué qu’il n’est pas nécessaire de procéder dans tous les cas à une analyse de la norme de contrôle applicable. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière dont est saisie la cour est bien établie dans la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette recherche se révèle infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs constituant l’analyse de la norme de contrôle.
[28] Les deux questions en l’espèce ont trait à l’appréciation de la preuve par le Tribunal et, partant, constituent des questions fondées sur les faits. La révision de ces questions s’effectue en fonction de la norme de la décision raisonnable. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 51.
[29] Lorsqu’une décision est révisée suivant la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47. En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision était déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».
ARGUMENTS
Le demandeur
T‑288‑10 : Déficience auditive
[30] Le demandeur affirme que les audiogrammes qu’il a subis pendant qu’il était dans l’armée sont [traduction] « erronés » parce qu’ils n’ont pas détecté la perte auditive dont il souffrait déjà au moment où il a pris sa retraite de l’armée. Il déclare également que les documents sont [traduction] « faux » et ont été [traduction] « créés par nécessité pour le milieu de travail », bien que ses observations ne révèlent pas clairement ce qu’il entend par ces commentaires.
[31] Le demandeur soutient qu’il convient de faire abstraction de ces anciens audiogrammes pour ne tenir compte que des « nouveaux » audiogrammes, ceux subis en février 2008 et en avril 2009, lesquels prouvent qu’il souffre d’une déficience auditive invalidante selon les normes d’Anciens Combattants Canada. Ces nouveaux audiogrammes ont été effectués par une clinique de l’ouïe. Le demandeur semble croire que la clinique n’ayant aucun lien avec l’armée, elle [traduction] « ne présente pas les désavantages liés à ce milieu de travail où surviennent fréquemment des erreurs simples mais routinières ».
[32] Le demandeur déclare que le Tribunal a refusé d’envisager la possibilité que les anciens audiogrammes puissent être déficients. En se fondant sur ces documents, le Tribunal a commis une erreur susceptible de révision.
[33] Sous le régime de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans, la perte auditive est considérée comme une invalidité. Le demandeur plaide que puisqu’il souffre d’une déficience auditive en raison de son service militaire, la loi précitée lui reconnaît le droit à une pension d’invalidité.
[34] Par ailleurs, le demandeur prie la Cour d’adjuger les dépens en sa faveur.
T‑289‑10 : Discopathie dégénérative du rachis lombaire
[35] Le demandeur fait observer que, bien qu’il ait consulté un médecin militaire au sujet de l’incident consécutif à la course à pied et au pelletage de neige survenu en 1991, alors qu’il était en poste à Cold Lake, en Alberta, son dossier médical ne contient [traduction] « presque aucune information » concernant la blessure qu’il a subie au dos. Il se trouve que vers l’époque de cet incident, le demandeur devait comparaître en cour martiale. Ce dernier semble suggérer que dans les circonstances, l’armée a axé son attention [traduction] « d’abord et avant tout » sur son état psychiatrique en négligeant de s’assurer de maintenir un dossier rigoureux de sa condition physique.
[36] Le demandeur est d’avis que le Tribunal n’a pas prêté attention ou n’a pas accordé suffisamment d’importance à cette preuve médicale limitée parce que le Tribunal considérait sa demande comme étant encore [traduction] « un autre exemple d’abus du temps du ministère par la contestation de rapports défavorables ». Le demandeur estime qu’il supporte relativement bien son poids qui, selon lui, est étranger à son invalidité.
[37] De l’avis du demandeur, le Tribunal a [traduction] « l’obligation de prendre des décisions raisonnables et non de statuer sur une affaire de façon frivole en fonction de la quantité d’information médicale dont il dispose ».
[38] Le demandeur prie la Cour d’adjuger les dépens en sa faveur.
Questions relatives à la Charte
[39] Le demandeur allègue également que le refus de lui accorder une pension, tant à l’égard de sa déficience auditive que de ses problèmes de dos, constitue une violation des droits qui lui sont garantis en vertu des articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 [la Charte]. Toutefois, le demandeur n’explicite pas son argument sur les questions constitutionnelles, et l’on voit difficilement comment sa demande peut s’inscrire dans le champ d’application des dispositions invoquées de la Charte.
Le défendeur
T‑288‑10 : Déficience auditive
[40] Le défendeur plaide qu’aux termes de l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions, tout demandeur doit satisfaire à deux conditions pour avoir droit à une pension. Premièrement, il doit souffrir d’une invalidité causée par une blessure. Deuxièmement, la blessure, ou son aggravation, doit être consécutive au service militaire. Il ne suffit pas que le demandeur ait été un membre des Forces canadiennes et souffre maintenant d’une invalidité. Il doit exister un lien de causalité entre la blessure et l’accomplissement du service militaire.
[41] Pour l’application du paragraphe 21(2) de la Loi, le Tribunal est tenu d’examiner les circonstances de la blessure et d’évaluer l’importance du lien de causalité entre la blessure et le service militaire du demandeur. Voir McTague c. Canada (Procureur général) (1999), [2000] 1 C.F. 647, [1999] A.C.F. no 1559 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 67.
[42] Le paragraphe 21(2.1) de la Loi prévoit qu’en cas d’invalidité résultant de l’aggravation d’une blessure, seule la fraction du degré total d’invalidité qui représente l’aggravation peut donner droit à une pension.
[43] En l’espèce, le demandeur a évoqué sa déficience auditive pour la première fois en 2008 – près de 13 ans après avoir été libéré de l’armée – lorsqu’il a demandé une pension d’invalidité. Il lui incombait de présenter des éléments de preuve crédibles suffisants pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que la déficience auditive dont il souffre aujourd’hui est directement rattachée à son service militaire. Le Tribunal a estimé que la preuve soumise par le demandeur était insuffisante pour établir ce lien.
[44] Le Tribunal a accepté les audiogrammes comme constituant la meilleure preuve de l’état de l’audition du demandeur jusqu’au moment de sa libération du service militaire. Suivant l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), le Tribunal doit évaluer cette preuve sous l’éclairage le plus favorable possible au demandeur, mais le demandeur n’est pas pour autant relevé de la responsabilité qui lui incombe d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a subi une blessure au cours de son service. Voir l’arrêt Wannamaker c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 126, 361 N.R. 266, et la décision MacNeill c. Canada (Procureur général) (1998), 151 F.T.R. 124, [1998] A.C.F. no 1115, aux paragraphes 21 et 22.
[45] Le Tribunal n’a trouvé aucun élément de preuve qui contredise les audiogrammes. Par conséquent, soutient le défendeur, la décision du Tribunal, qui a conclu que la déficience auditive du demandeur n’est pas attribuable à son service militaire, est raisonnable.
T‑289‑10 : Discopathie dégénérative du rachis lombaire
[46] Le défendeur convient que le demandeur souffre de discopathie dégénérative du rachis lombaire. Toutefois, pour des motifs semblables à ceux analysés ci‑dessus, le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour avoir droit à une pension d’invalidité. Il ne satisfait pas aux deux conditions énoncées à l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions, exposées ci‑dessus. À défaut d’éléments de preuve suffisants pour démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe un lien de causalité entre la discopathie dégénérative dont souffre le demandeur et son service militaire, le Tribunal a agi raisonnablement lorsqu’il a conclu que la demande de pension devait être refusée.
[47] Le Tribunal a relevé que l’état du demandeur n’a été diagnostiqué qu’en septembre 2008, soit, fait remarquer le défendeur, 13 ans après que le demandeur eut pris sa retraite de l’armée. L’examen par le ministère des rapports de physiothérapie, le rapport de la commission médicale, l’examen médical effectué pour la libération du demandeur ainsi qu’un questionnaire médical étayent tous la conclusion du Tribunal selon laquelle le demandeur ne souffrait pas d’une blessure à la région lombaire durant son service militaire.
[48] Le défendeur plaide que le Tribunal a correctement évalué toute la preuve pertinente pour prendre sa décision. En effet, le Tribunal a tenu compte : en premier lieu, du fait que la blessure subie par le demandeur en 1991 à la suite d’une course à pied et de pelletage de neige, a été traitée et guérie; deuxièmement, de ce que l’Examen médical pour la libération du demandeur indique que son dos était normal; enfin, troisièmement, de l’intervalle de 17 ans entre la blessure de 1991 et la demande de pension. De surcroît, fait valoir le défendeur, le rapport médical du propre témoin du demandeur, le Dr Lalonde, appuie la conclusion du Tribunal.
ANALYSE
[49] La question principale est la même dans chacune des deux demandes : la conclusion du Tribunal selon laquelle il n’existe pas de lien de causalité entre les blessures du demandeur et son service militaire est‑elle raisonnable?
[50] Dans la décision récente Boisvert c. Canada (Procureur général), 2009 CF 735, le juge de Montigny a effectué un examen assez approfondi du cadre général et des principes à partir desquels cette question doit être tranchée :
23 Le droit à une pension est prévu à l’article 21 de la Loi sur les pensions. Les conditions d’ouverture à une pension diffèrent selon que la personne concernée était membre des Forces en période de guerre ou en temps de paix : dans le premier cas, c’est le paragraphe 21(1)a) qui s’applique, tandis que dans le second, ce sera plutôt le paragraphe 21(2)a). Cette dernière disposition se lit comme suit :
PARTIE III
PENSIONS
Service pendant la guerre ou en service spécial
21. (1) ...
Milice active non permanente ou armée de réserve en temps de paix
(2)
En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :
a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie – ou son aggravation – consécutive ou rattachée directement au service militaire;
* * *
24 Comme l’a déjà fait remarquer le juge Nadon alors qu’il siégeait en Cour fédérale dans l’arrêt King c. Canada (Tribunal des anciens combattants, révision et appel), [2001] A.C.F. no. 850, 2001 CFPI 535 (au paragraphe 65), l’alinéa 21(2)a) a une portée plus restreinte que l’alinéa 21(1)a). Tandis que ce dernier parle de blessure ou maladie « survenue au cours du service militaire ou attribuable à celui‑ci », l’alinéa 21(2)a) réfère plutôt à une blessure ou maladie « consécutive ou rattachée directement au service militaire ». En d’autres termes, le membre qui a subi une blessure ou maladie en temps de paix doit établir que le service militaire est la « cause principale » de la blessure ou de l’invalidité, et il lui revient d’établir le lien de causalité. Voir aussi : Leclerc c. Canada (Procureur général), [1996] A.C.F. no. 1425, 126 F.T.R. 94, aux paras 18‑21.
25 Fait à souligner, le paragraphe 21(3) de la même Loi établit une présomption quant à l’existence du lien de causalité requis au terme du paragraphe 21(2)a) entre l’incident invoqué et la blessure ou la maladie subie. On y précise en effet qu’une blessure ou une maladie est réputée, sauf preuve contraire, « être consécutive ou rattachée directement au service militaire » lorsqu’elle est survenue au cours de l’une ou l’autre des circonstances énumérées aux divers alinéas de ce paragraphe :
Présomption
(3) Pour l’application du paragraphe (2), une blessure ou maladie – ou son aggravation – est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :
a) d’exercices d’éducation physique ou d’une activité sportive auxquels le membre des forces participait, lorsqu’ils étaient autorisés ou organisés par une autorité militaire, ou exécutés dans l’intérêt du service quoique non autorisés ni organisés par une autorité militaire;
b) d’une activité accessoire ou se rattachant directement à une activité visée à l’alinéa a), y compris le transport du membre des forces par quelque moyen que ce soit entre le lieu où il exerçait normalement ses fonctions et le lieu de cette activité;
c) soit du transport du membre des forces, à l’occasion de ses fonctions, dans un bâtiment, véhicule ou aéronef militaire ou par quelque autre moyen de transport autorisé par une autorité militaire, soit d’un acte fait ou d’une mesure prise par le membre des forces ou une autre personne lorsque cet acte ou cette mesure était accessoire ou se rattachait directement à ce transport;
d) du transport du membre des forces au cours d’une permission par quelque moyen autorisé par une autorité militaire, autre qu’un moyen de transport public, entre le lieu où il exerçait normalement ses fonctions et soit le lieu où il devait passer son congé, soit un lieu où un moyen de transport public était disponible;
e) du service dans une zone où la fréquence des cas de la maladie contractée par le membre des forces ou qui a aggravé une maladie ou blessure dont souffrait déjà le membre des forces, constituait un risque pour la santé des personnes se trouvant dans cette zone;
f) d’une opération, d’un entraînement ou d’une activité administrative militaires, soit par suite d’un ordre précis, soit par suite d’usages ou pratiques militaires établis, que l’omission d’accomplir l’acte qui a entraîné la maladie ou la blessure ou son aggravation eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le membre des forces;
g) de l’exercice, par le membre des forces, de fonctions qui ont exposé celui‑ci à des risques découlant de l’environnement qui auraient raisonnablement pu causer la maladie ou la blessure ou son aggravation.
* * *
[version anglaise omise]
26 Il convient également d’attirer l’attention sur l’article 2 de la Loi sur les pensions et l’article 3 de la Loi sur le Tribunal, qui prescrivent une interprétation large et libérale des dispositions de ces deux lois en reconnaissance de ce qu’ont fait pour le pays les membres des Forces Armées. Ces dispositions se lisent comme suit :
Loi sur les pensions :
RÈGLE D’INTERPRÉTATION
Règle d’interprétation
2. Les dispositions de la présente loi s’interprètent d’une façon libérale afin de donner effet à l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.
* * *
[version anglaise omise]
Loi sur le Tribunal :
Principe général
3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.
* * *
[version anglaise omise]
27 Enfin, une autre disposition dont il faut tenir compte est l’article 39 de la Loi sur le Tribunal, qui prévoit des règles favorables au demandeur eu égard à son fardeau de preuve :
Règles régissant la preuve
39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :
a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui‑ci;
b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui‑ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;
c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien‑fondé de la demande.
* * *
[version anglaise omise]
28 Cette disposition, dont on retient généralement qu’elle accorde le bénéfice du doute au demandeur ou à l’appelant, a donné lieu à de nombreux débats concernant la nature de la preuve susceptible de permettre au demandeur ou à l’appelant d’avoir gain de cause. La jurisprudence de cette Cour et de la Cour d’appel enseigne que cette disposition n’a pas pour effet d’obliger le Tribunal à accepter toutes les allégations faites par un ancien combattant. Au terme de l’alinéa 21(2)a), le demandeur doit établir, selon la norme de preuve applicable en matière civile (soit celle de la prépondérance des probabilités), qu’il souffre d’une invalidité, et que cette invalidité est consécutive ou rattachée directement à son service militaire. C’est le membre qui doit faire la preuve d’un lien de causalité entre l’incident allégué et l’affection invoquée. La Cour d’appel, sous la plume de la juge Sharlow, a bien résumé l’impact de l’article 39 dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Wannamaker, 2007 CAF 126, aux paragraphes 5 et 6 :
L’article 39 assure que la preuve au soutien de la demande de pension est examinée sous le jour lui étant le plus favorable possible. Toutefois, l’article 39 ne dispense pas le demandeur de la charge d’établir par prépondérance de la preuve les faits nécessaires pour ouvrir droit à une pension : Wood c. Canada (Procureur général) (2001), 199 F.T.R. 133 (C.F. 1ère inst.), Cundell c. Canada (Procureur général) (2000), 180 F.T.R. 193 (C.F. 1ère inst.).
L’article 39 n’oblige pas non plus le Tribunal à admettre toute la preuve présentée par le demandeur. Le Tribunal n’a pas l’obligation d’accepter des éléments de preuve présentés par le demandeur s’il conclut qu’ils ne sont pas crédibles, et ce, même s’ils ne sont pas contredits. Par contre, il se peut que le Tribunal doive expliquer la raison pour laquelle il conclut que les éléments de preuve ne sont pas crédibles : MacDonald c. Canada (Procureur général) (1999), 164 F.T.R. 42, aux paragraphes 22 et 29. La preuve est crédible si elle est plausible, fiable et logiquement capable d’établir la preuve du fait en question.
Voir aussi : Nisbet c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1106, aux paras. 17‑19; Moar c. Canada (Procureur général), 2006 CF 610, aux paras. 10 et 29; Currie c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1512, para. 9; Comeau c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1648, paras. 22‑25; McTague c. Canada (Procureur général), [2000] 1 C.F. 647; Gillis c. Canada (Procureur général), 2004 CF 751.
[…]
36 La Cour doit donc se demander si la décision du Tribunal, tant au niveau de la forme que du fond, peut être considérée comme raisonnable. Au niveau formel, la raisonnabilité de la décision s’appréciera en fonction de sa justification, de sa transparence et de son intelligibilité, tandis que dans sa substance, elle devra appartenir à l’une des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, supra, au para. 47). Comme s’est fait fort de le rappeler la Cour suprême, cette nouvelle norme unique n’appelle pas à une plus grande immixtion judiciaire dans le processus administratif. Il ne faut en effet jamais perdre de vue que ce type de questions soumises aux tribunaux administratifs peuvent souvent donner lieu à plus d’une solution raisonnable, et qu’il n’appartient pas à la cour de révision de substituer la décision qu’elle aurait pu rendre si elle avait été saisie de la question à la place du tribunal administratif.
T‑288‑10 : Déficience auditive
[51] Le demandeur est d’avis qu’il était déraisonnable de la part du Tribunal de se fonder sur les audiogrammes effectués antérieurement, durant son service et au moment de sa libération, parce que ces examens n’ont pas décelé sa déficience auditive ainsi que l’ont fait les examens de 2008 et 2009. Il dit que la technologie antérieure n’était pas suffisante pour exécuter correctement l’examen. En d’autres termes, le demandeur prétend que, puisque les audiogrammes de 2008 et 2009 ont détecté sa légère déficience auditive, il est raisonnable de présumer que cette déficience existe depuis qu’en 1981, un coup de pièce d’artillerie a été déclenché à proximité de la tranchée où il se trouvait, et que cette lésion initiale s’est aggravée par suite de son exposition prolongée au bruit au cours de son service militaire dans l’infanterie et pendant qu’il faisait partie de la musique militaire.
[52] Le demandeur reconnaît qu’il ne dispose d’aucun moyen de prouver que les premiers audiogrammes sont erronés de quelque façon que ce soit, mais il soutient que compte tenu des examens de 2008 et 2009, il serait raisonnable de tenir pour acquis qu’ils le sont.
[53] Or, le Tribunal s’est penché sur cette question précise et a conclu que même si [traduction] « le [demandeur] croit que l’audiogramme effectué en vue de sa libération est inexact, aucune preuve médicale n’étaye cette prétention »; le Tribunal a ajouté : [traduction] « on n’a présenté au comité aucune preuve médicale indiquant que l’audiogramme en vue de la libération ou les autres audiogrammes effectués plut tôt dans le cadre du service militaire étaient inexacts ».
[54] Puisque le demandeur admet qu’il ne dispose d’aucune preuve établissant que les anciens audiogrammes étaient inexacts et ont échoué à détecter sa déficience auditive, il soutient en réalité que le Tribunal aurait dû, à partir des examens de 2008 et 2009, appliquer une présomption portant que les examens antérieurs étaient inexacts et que la déficience auditive qui n’a été détectée qu’en 2008 (14 ans après sa libération) devrait être associée à un incident survenu en 1991 et aurait été aggravée par son exposition à d’autres bruits à titre de mécanicien de cellules d’aéronef et de joueur de cornemuse dans la musique militaire.
[55] Comme l’a fait remarquer le juge de Montigny au paragraphe 24 de la décision Boisvert, précitée, au regard de l’alinéa 21(2)a) de la Loi, « le membre qui a subi une blessure ou maladie en temps de paix doit établir que le service militaire est la “ cause principale ” de la blessure ou de l’invalidité, et il lui revient d’établir le lien de causalité ».
[56] Le demandeur n’a pas plaidé que la présomption établie au paragraphe 21(3) de la Loi trouve application en l’occurrence, et mon examen de la situation permet de penser qu’elle ne s’applique pas.
[57] Dans la décision Bernier c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 14, le juge Blais a souligné, au paragraphe 32 et suivants, que pour que le demandeur puisse avoir droit à une pension, deux conditions doivent être réunies : premièrement, l’état de l’ancien combattant doit ouvrir droit à une pension, c’est‑à‑dire que celui‑ci doit souffrir d’une invalidité causée par une blessure ou une maladie; deuxièmement, l’état initial doit être consécutif au service militaire ou avoir été aggravé par le service militaire de l’ancien combattant :
32. […] Par conséquent, le lien de causalité doit être prouvé et, sauf preuve contraire, la présomption prévue au paragraphe 21(3) de la Loi sur les pensions permet de présumer l’existence d’un lien de causalité si la blessure a été subie pendant le service militaire.
[…]
35 Dans Hall c. Canada (Procureur général) (1998), 152 F.T.R. 58, [1998] A.C.F. no 890, le juge Reed a déclaré : [para. 19] « [...] Bien que le demandeur affirme à juste titre que les éléments de preuve non contredits qu’il soumet doivent être acceptés à moins que l’on [conclut] [sic] à une absence de vraisemblance et que les conditions qui lui sont les plus favorables doivent être tirées et que toute incertitude quant au bien‑fondé de sa demande doit être tranchée en sa faveur, le demandeur est quand même tenu de démontrer que le trouble médical dont il souffre présentement découle de son service militaire ou y est rattaché. En d’autres termes, il doit faire la preuve d’un lien de causalité ».
[58] J’estime qu’en l’espèce, le dossier médical de M. Lunn constitue la « preuve contraire » à laquelle fait allusion le juge Blais au paragraphe 32. Ce dossier médical militaire ne témoigne d’aucune déficience auditive chez M. Lunn durant son service ou à sa libération. De même, aucun élément de preuve n’atteste l’existence d’une blessure importante au dos; la preuve fait état d’une blessure au dos que des traitements de physiothérapie ont guérie.
[59] La présomption édictée au paragraphe 21(3) s’applique à défaut de preuve contraire. Dans le cas de M. Lunn, il y a une preuve contraire : le dossier médical. M. Lunn soutient que la technologie utilisée pour les audiogrammes et les examens étaient inadéquate, mais il s’agit là uniquement de son opinion subjective.
[60] Je ne crois pas que la présomption du paragraphe 21(3) impose à la Cour de préférer l’opinion subjective de M. Lunn sur la qualité des examens à la preuve contenue dans le dossier médical. Cette présomption exige seulement que la Cour ajoute foi aux déclarations de M. Lunn quant à l’existence d’une blessure au dos et d’un problème auditif importants (puisque le demandeur n’a pas été jugé non crédible), dans la mesure où ces déclarations ne sont pas contredites. Or, ces déclarations sont contredites tant par les audiogrammes effectués au cours de son service que par celui effectué au moment de la libération de l’armée, les deux examens indiquant que son dos et son audition étaient « normaux ».
[61] La décision rendue par le juge Teitelbaum dans Cundell c. Canada (Procureur général), 180 F.T.R. 193, [2000] A.C.F. no 38, est utile au regard de la lettre du Dr Lalonde. Dans l’affaire Cundell, qui consistait en un contrôle judiciaire d’un refus d’accorder une demande de pension, l’expert médical a déclaré que la cause de la blessure du demandeur était « obscure » et qu’il était impossible de dire si le service militaire avait contribué à cette blessure. Le juge Teitelbaum a formulé la remarque suivante :
59 Il se peut fort bien que les causes de la sarcoïdose soient obscures, mais il ressort clairement que toutes les radiographies qu’a passées le demandeur avant son départ pour le Golfe persique ne faisaient état d’aucun problème pulmonaire, et que c’est à son retour, ou peu de temps après, que les radiographies ont montré des symptômes d’une sarcoïdose aux poumons. [Non souligné dans l’original]
[62] Autrement dit, le juge Teitelbaum a conclu à l’existence d’un lien de causalité entre le service militaire et la blessure parce que, dans Cundell, le dossier faisait état d’une blessure alors que le demandeur faisait partie des Forces, et peu de temps s’était écoulé entre la blessure à l’origine de l’état du demandeur et la manifestation de cet état. Ayant constaté le lien de causalité, le juge Teitelbaum était en mesure de donner effet à la présomption du paragraphe 21(3) pour conclure que le Tribunal aurait dû interpréter la lettre du médecin de façon à accorder le bénéfice du doute au demandeur, ainsi que l’exige l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel).
[63] L’affaire Cundell peut être distinguée de la présente instance. Bien que la lettre du Dr Lalonde laisse aussi planer une incertitude, en l’espèce aucun document médical attestant une déficience auditive ou une blessure importante au dos n’est susceptible d’établir le lien de causalité. Le dos et l’audition du demandeur étaient normaux au moment de sa libération. M. Lunn ne dispose d’aucune preuve qui contredise le rapport médical de libération. Le fait que la déficience auditive et la discopathie dégénérative du rachis lombaire n’ont été détectées que de nombreuses années après sa libération de l’armée rend le lien de causalité d’autant plus difficile à établir.
[64] Dans Nisbet c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1106, une autre demande de contrôle judiciaire en matière de pension, le juge Beaudry déclare sans équivoque que la présomption ne joue qu’une fois le lien de causalité établi :
18 Le demandeur a le fardeau de démontrer l’existence d’un lien de causalité entre l’invalidité alléguée et ses années de service dans la GRC. Ce n’est qu’une fois ce lien de causalité établi qu’il deviendra nécessaire de prendre en compte l’alinéa 21(2)a) et la présomption énoncée à l’alinéa 21(3)a) de la Loi sur les pensions. La Cour d’appel fédérale a confirmé ce principe dans Elliot c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 298, [2003] A.C.F. no 1060 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 23 :
L’appelant reproche au juge d’instance inférieure de ne pas avoir traité spécifiquement des questions se rapportant aux alinéas 21(2)a) et 21(3)f) de la Loi. Je partage l’avis du défendeur selon lequel, à moins que l’appelant n’ait gain de cause à l’égard de la première question en litige – l’existence ou non d’un lien de causalité entre le repas pris à la BFC de Borden et son SCI –, il n’y a pas de raison de traiter des questions se rapportant aux alinéas 21(2)a) et 21(3)f). Je vais donc examiner la première question soulevée dans le cadre du présent appel.
[Non souligné dans l’original]
[65] Enfin, l’affaire Weare c. Canada (Procureur général) (1998), 153 F.T.R. 75, [1998] A.C.F. no 1145, ressemble à divers égards au cas sous étude, notamment en ce qui touche la longue période écoulée entre la blessure et la demande de pension. Dans cette affaire, le Tribunal a conclu que la preuve médicale était insuffisante pour permettre de conclure que l’état du rachis lombaire du demandeur était attribuable à son service dans la Force régulière ou qu’il existait un lien entre l’état de sa colonne vertébrale et l’affection de pied plat bilatéral dont il souffrait et pour laquelle il recevait déjà une pension. Le demandeur, qui avait été libéré en 1959, avait présenté une demande de pension en 1994. Le juge MacKay a déclaré ce qui suit :
19 Or, le Tribunal peut rejeter la preuve médicale du demandeur quand il dispose d’une preuve médicale contradictoire, comme le mentionne le juge Cullen dans la décision Hornby. En outre, il ne faut pas entendre par les articles 3 et 39 de la Loi [sur le Tribunal des anciens combattants] que quelle que soit l’allégation que fait un ancien combattant, les membres du Tribunal doivent automatiquement l’accepter. La preuve doit être crédible et doit être raisonnable. Enfin, l’ancien combattant est tenu de présenter une preuve dénotant un lien de causalité entre son service dans les Forces et l’affection dont il se plaint. Comme l’a remarqué le juge Reed dans la décision Hall c. Canada (Procureur général) :
Bien que le demandeur affirme à juste titre que les éléments de preuve non contredits qu’il soumet doivent être acceptés à moins que l’on conclue à une absence de vraisemblance et que les conditions qui lui sont les plus favorables doivent être tirées et que toute incertitude quant au bien‑fondé de sa demande doit être tranchée en sa faveur, le demandeur est quand même tenu de démontrer que le trouble médical dont il souffre présentement découle de son service militaire ou y est rattaché. En d’autres termes, il doit faire la preuve d’un lien de causalité.
20 En l’espèce, ayant examiné le dossier dont le Tribunal disposait, bien qu’il n’y ait aucun doute que le demandeur souffre d’affections aux genoux et de troubles d’audition, je ne peux trouver dans la preuve qu’il a présentée que peu ou point d’éléments qui établissent un lien de causalité entre son service militaire et ces affections. D’autre part, le rapport préparé par le Service de consultation médicale indique que la perte d’audition du demandeur n’est pas imputable à son service militaire et qu’aucune preuve n’étaie la conclusion que les problèmes que lui causent ses genoux découlent de son service dans les forces armées.
21 Pour ces motifs, j’estime qu’on ne peut pas dire que le Tribunal est parvenu à une conclusion manifestement déraisonnable ou qu’il n’a pas tenu compte de la preuve médicale d’une façon appropriée relativement aux prétentions de M. Weare à l’égard de ses genoux et de son audition. Comme le demandeur n’a pas établi de lien de causalité, le Tribunal ne peut pas conclure qu’il en existe un quand les rapports médicaux qu’il a demandés indiquent le contraire. Dans ces circonstances, le Tribunal ne peut pas simplement conclure que les affections qui se sont développées de nombreuses années après la démobilisation de M. Weare étaient causées par sa chute pendant l’entraînement en 1958.
[66] En résumé, donc, je suis d’avis que la présomption établie par le paragraphe 21(3) ne s’applique pas à moins qu’un lien de causalité soit établi. M. Lunn n’a pas démontré l’existence d’un lien de causalité. Le fait que la lettre du Dr Lalonde n’est pas concluante n’aide pas M. Lunn, car aucun élément de preuve n’atteste que son audition a subi un dommage durant son service, que la blessure qu’il a subie au dos était importante et a persisté après la physiothérapie (en fait, la preuve indique le contraire) ou que la santé de son dos et son audition n’étaient pas « normales » au moment où il a quitté l’armée.
[67] Je ne crois pas non plus que les avantages reconnus par l’article 39 de la Loi aident le demandeur. Celui‑ci n’a tout simplement pas démontré au Tribunal, selon la prépondérance des probabilités, que la déficience auditive dont il souffre aujourd’hui peut être attribuable d’une manière ou d’une autre à ce qui s’est passé au cours de son service militaire. De fait, le demandeur a admis à l’audience qu’il ne disposait d’aucun élément de preuve pour étayer cette allégation, si ce n’est de sa propre conviction et de son affirmation à cet effet.
[68] Je ne vois pas comment la Cour pourrait conclure que les motifs et les conclusions du Tribunal quant à la déficience auditive du demandeur n’appartiennent pas aux issues possibles exposées dans l’arrêt Dunsmuir.
[69] Le demandeur déclare par ailleurs qu’à son avis, le refus du Tribunal de lui accorder une pension pour sa déficience auditive constitue une violation des droits que lui reconnaissent les articles 7 et 15 de la Charte. Cette affirmation demeure subjective, et le demandeur n’a présenté aucun précédent ni argument de principe expliquant pourquoi il en serait ainsi.
[70] Les dispositions pertinentes de la Loi ne créent pas un régime de pensions axé sur l’appartenance aux Forces canadiennes. La loi exige qu’il y ait un lien de causalité entre la blessure et l’accomplissement du service militaire. Cela signifie que le législateur commande au Tribunal de tenir compte des circonstances de la blessure et d’évaluer la force du lien de causalité entre la blessure et le service militaire effectué par le demandeur.
[71] C’est là tout ce qui s’est passé en l’espèce, et le Tribunal a tout simplement décidé que le demandeur n’avait pas établi le lien de causalité requis. Partant, je ne vois pas pourquoi ce qui s’est passé en la présente instance soulèverait une question liée aux articles 7 ou 15 de la Charte.
[72] Dans l’affaire McTague c. Canada (Procureur général) (1re inst.), [2000] 1 C.F. 647, les faits sont semblables à ceux de l’espèce. Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) confirmant des décisions antérieures selon lesquelles le demandeur n’était pas admissible à une pension d’invalidité au titre de l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions. Le demandeur avait été gravement blessé par un véhicule qui l’avait heurté alors qu’il traversait une route pour rentrer à la base où il était en service, après avoir pris son dîner dans un restaurant parce qu’il n’y avait pas de cantine à la base. Le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a jugé que le lien de causalité entre le service militaire du demandeur et la blessure subie était insuffisant pour remplir les conditions de l’alinéa 21(2)a). La Cour a procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable. Dans le cadre de cette analyse, le juge Evans a établi une distinction entre les droits en cause et les droits protégés par les articles 7 et 15 de la Charte, ces droits, à son avis, n’étant pas « de la même importance » :
33 Deuxièmement, la nature des droits sur lesquels se prononce le Tribunal est également pertinente. Une pension d’invalidité est sans aucun doute d’une grande importance pour la personne intéressée, mais un refus de l’accorder n’est normalement pas susceptible de livrer le demandeur débouté à la misère, ni de l’empêcher d’intenter d’autres recours, telle, en l’espèce, une action en responsabilité délictuelle contre le propriétaire du véhicule qui a heurté l’adjm McTague ou une demande fondée sur la loi provinciale sur l’indemnisation des victimes d’accidents de véhicules automobiles.
34 À mon avis, les droits en cause en l’espèce ne sont pas de la même importance que le droit d’être reconnu comme réfugié (Pushpanathan, précité), ou celui de ne faire l’objet d’aucune discrimination [page 664] (Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554). Les droits d’origine législative qui étaient en cause dans ces affaires étaient étroitement liés aux droits que garantissent respectivement les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés […]
[73] La décision Krasnick (Succession) c. Anciens Combattants Canada, 2007 CF 1322, porte sur le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le ministère des Anciens Combattants a refusé de reconnaître au demandeur le droit de bénéficier d’un remboursement de prestations pour soins prolongés. Le demandeur avait été membre des Forces armées canadiennes durant la Seconde Guerre mondiale. À cette époque, il a été blessé, ce qui lui a valu une petite pension du ministère des Anciens Combattants. Le demandeur a été placé dans un établissement de soins de longue durée pour lequel le ministère des Anciens Combattants a accepté de payer mais a refusé le remboursement rétroactif des frais à la date d’admission du demandeur dans cet établissement. Le demandeur a demandé à la Cour, entre autres, de faire certaines déclarations relatives à la Charte. Le juge Hughes s’est appuyé sur l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999]1 R.C.S. 497, pour statuer sur l’application de l’article 15 aux faits de cette affaire :
29 Les demandeurs font également valoir que le paragraphe 15(1) de la Charte s’applique et qu’Horace, en tant qu’ancien combattant n’étant plus mentalement capable de gérer ses affaires, a été privé d’avantages égaux. Dans Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, la Cour suprême du Canada a examiné ce qu’un demandeur doit établir en premier en vertu de l’article 15 de la Charte. Le juge Binnie a, au nom de la Cour, résumé trois facteurs au paragraphe 23 : 1) si la loi impose une différence de traitement entre le demandeur et d’autres personnes; 2) si un motif de discrimination énuméré ou analogue constitue le fondement de la différence de traitement, et 3) si la loi en question a un but ou des effets « discriminatoires ».
30 L’avocat des demandeurs soutient qu’on a omis de prévoir, dans le Règlement, les soins ou l’accès aux soins pour les personnes qui ne sont pas mentalement capables de s’en prévaloir. Il ne s’agit pas d’une disposition « discriminatoire » du Règlement, mais, au mieux, d’une omission de prévoir une disposition spéciale pour un groupe particulier de personnes. Il n’y a pas de « discrimination » dans le Règlement : toutes les personnes sont traitées de façon identique, aucun groupe ne fait l’objet de discrimination directe ou indirecte et l’application du Règlement n’a aucun effet discriminatoire. Les demandeurs ne parviennent simplement pas à franchir le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Law.
31 Les demandeurs ne réussissent pas non plus à prouver le troisième volet du critère. Comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [[2000] 1 R.C.S. 703], 2000 CSC 28, au paragraphe 58, il peut y avoir une privation financière, mais il faut pouvoir démontrer que la législation favorise l’opinion que la personne est moins capable ou moins digne d’être reconnue ou valorisée en tant qu’être humain ou en tant que membre de la société canadienne :
La question n’est donc pas seulement de savoir si l’appelant a été privé d’un avantage financier, ce qui est le cas, mais plutôt de savoir si cette privation favorise l’opinion que les individus souffrant d’une déficience temporaire sont « moins capables ou […] moins [dignes] d’être reconnus ou valorisés en tant qu’êtres humains ou en tant que membres de la société canadienne qui méritent le même intérêt, le même respect et la même considération » (je souligne). Dans l’arrêt Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, le juge McLachlin a souligné, au par. 132, que « des distinctions fondées sur des motifs énumérés ou des motifs analogues peuvent, à l’examen, se révéler non discriminatoires ».
32 On n’a pas démontré que le Règlement réduit de quelque façon que ce soit le sentiment de capacité, de dignité ou de valeur des anciens combattants frappés d’incapacité mentale. Le Règlement met en place un régime en vertu duquel les prestations peuvent être octroyées, et rien dans ce régime ne crée une impression défavorable d’une personne d’aucune des façons envisagées dans Granovsky.
33 Par conséquent, je conclus que la Charte n’aide pas les demandeurs. Par conséquent, je n’ai pas à examiner la question de savoir si le recours fondé sur la Charte peut survivre au décès d’Horace.
[74] Je dois préciser que la Cour suprême a récemment confirmé dans l’arrêt R. c. Kapp, 2008 CSC 41, le critère énoncé dans l’arrêt Law. La Cour suprême, en effet, a déclaré :
14 Près de 20 années se sont écoulées depuis l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, la première décision de la Cour portant sur l’art. 15. L’arrêt Andrews établit le modèle à suivre en ce qui concerne l’importance que notre Cour attache à l’égalité réelle – un modèle qui a été enrichi mais qui n’a jamais été abandonné par la jurisprudence ultérieure.
17 Le modèle établi dans l’arrêt Andrews, qui a été explicité dans une série de décisions ayant abouti à l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, établissait essentiellement un critère à deux volets devant être utilisé pour démontrer l’existence de discrimination au sens du par. 15(1) : (1) La loi crée‑t‑elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue? (2) La distinction crée‑t‑elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes? Il était question de trois volets dans l’arrêt Law, mais nous estimons que le critère est essentiellement le même.
[75] Je suis d’avis que le raisonnement appliqué par le juge Hughes dans la décision Krasnick s’applique également en l’espèce. La situation de M. Lunn ne satisferait pas au critère établi dans l’arrêt Law. M. Lunn n’a pas été visé en particulier pour faire l’objet d’un traitement différentiel; sa demande a tout simplement été refusée. La jurisprudence atteste le pouvoir du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) de refuser une demande de pension lorsque le lien de causalité n’a pas été établi. De plus, la jurisprudence ne laisse pas entendre que l’article 21 de la Loi sur les pensions est discriminatoire.
T‑289‑10 : Discopathie dégénérative du rachis lombaire
[76] Des problèmes similaires de lien de causalité et de preuve se posent relativement à la demande de pension du demandeur pour la blessure qu’il a subie au dos.
[77] Le Tribunal a accepté que le demandeur s’est blessé en 1990, ainsi que celui‑ci l’a décrit dans son témoignage à l’audience de révision. Là encore, toutefois, le demandeur n’a présenté au Tribunal, si ce n’est de ses propres convictions subjectives, [traduction] « aucun élément de preuve médicale qui appuierait la proposition que le [demandeur] a subi en 1990 une blessure importante qui aurait accéléré l’apparition de la discopathie dégénérative du rachis lombaire ».
[78] Cette conclusion était étayée par la preuve qui établissait que :
a) le demandeur n’a pas signalé la blessure de 1990;
b) le demandeur s’est plaint en 1991 lorsqu’il s’est à nouveau blessé au dos en pelletant de la neige, mais cette blessure a été guérie à l’aide de traitements;
c) le demandeur n’a formulé aucune autre plainte concernant son dos jusqu’à la présentation de sa demande de pension en 2008, et son Examen médical pour libération des Forces canadiennes, effectué en 1994, indique que sa colonne a été évaluée comme étant « normale ».
[79] Le nouvel avis médical du Dr Lalonde, estampillé le 20 octobre 2009, appuie en réalité les conclusions du Tribunal puisqu’il y est clairement énoncé qu’on ne saurait dire que la maladie du rachis lombaire dont souffre le demandeur a été causée par ce qui est arrivé durant le service militaire et que cette affection pourrait être [traduction] « tout simplement un processus de vieillissement normal ou un état occasionné et exacerbé par la surcharge pondérale importante [du demandeur] ».
[80] Le Tribunal a aussi relevé que la radiographie d’août 2008 sur laquelle s’appuie le demandeur laisse voir [traduction] « des changements de nature dégénérative peu avancés, compatibles avec le processus de vieillissement normal, puisque le [demandeur] était âgé de 53 ans au moment où la radiographie a été prise ».
[81] Compte tenu de la preuve dont disposait le Tribunal, la Cour ne saurait conclure que la décision du Tribunal quant au problème de dos était déraisonnable au sens que précise à cet égard l’arrêt Dunsmuir.
[82] Le demandeur soulève, sur ce point également, des questions concernant les articles 7 et 15 de la Charte, mais, pour les motifs déjà exposés au regard du dossier T‑288‑10, je ne crois pas que ces questions se posent relativement aux faits en l’espèce.
CONCLUSION
[83] Les maux dont souffre de toute évidence le demandeur inspirent de la sympathie à la Cour. Toutefois, la sympathie n’est pas le critère dont la loi prescrit l’application dans l’examen d’une demande de contrôle judiciaire. À la lumière des critères juridiques exposés dans les présents motifs, je ne crois pas que l’on puisse dire que la décision du Tribunal dans ces deux affaires est déraisonnable, et je dois par conséquent rejeter les deux demandes.
JUGEMENT
1. La demande dans chacun des dossiers T‑288‑10 et T‑289‑10 est rejetée;
2. Le défendeur n’a pas demandé l’adjudication de dépens, de sorte qu’aucuns dépens ne sont adjugés;
3. L’intitulé est modifié dans chacune des deux demandes de façon à ce que le Procureur général du Canada soit désigné comme il se doit à titre de défendeur.
Traduction certifiée conforme
Édith Malo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIERS : T‑288‑10, T‑289‑10
INTITULÉ : HUGH VINCENT LUNN
demandeur
‑ et ‑
ANCIENS COMBATTANTS CANADA
défendeur
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 4 octobre 2010
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : Le 6 décembre 2010
COMPARUTIONS :
Hugh Vincent Lunn |
LE DEMANDEUR
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Lynn Marchildon |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Hugh Vincent Lunn Smith Falls (Ontario) |
LE DEMANDEUR
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Myles J. Kirvan Sous‑procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |