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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20101202

Dossier : IMM-2084-10

Référence : 2010 CF 1219

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2010

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

SOFIA RAMIREZ ONOFRE

JOSE MANUEL RAMOS ROMERO

DIEGO OMAR RAMOS RAMIREZ

demandeurs

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse principale, Sofia Ramirez Onofre (la demanderesse), son conjoint, Jose Manuel Ramos Romero (le demandeur) et leur fils mineur Diego Omar Ramos Ramirez, en application de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 c. 27 (la LIPR), d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 24 mars 2010, rejetant leur demande d’asile.

 

Contexte

[2]               La demande d’asile des demandeurs est fondée sur les allégations suivantes : la demanderesse a travaillé pour l’entreprise Cablecom à partir de décembre 2005, d’abord comme journaliste et ensuite, comme éditrice. En mars 2007, une collègue de travail avec qui elle s’était liée d’amitié a été congédiée injustement. Le 13 avril 2007, le père de cette collègue, qui était propriétaire du journal Imagen, a, pour se venger du renvoi de sa fille, publié un article qui révélait les activités illégales de deux dirigeants de la compagnie Cablecom, notamment des activités liées au trafic de drogue et à la production de matériel pornographique.

 

[3]               Quelques jours plus tard, alors qu’elle était demeurée au bureau pour y travailler en soirée, la demanderesse a surpris ces mêmes deux dirigeants en possession de paquets contenant de la drogue. L’un des dirigeants lui a dit de s’en aller et l’a sommée de ne rien révéler. Le lendemain de cet incident, un deuxième article traitant de Cablecom et des activités illégales de ses dirigeants a été publié dans le journal Imagen.

 

[4]               La demanderesse soutient que les dirigeants l’ont rapidement soupçonnée d’avoir coulé l’information aux journalistes ayant rédigé les articles incriminants. La demanderesse a été congédiée le 30 avril 2007. Le 10 mai 2007, elle a reçu des menaces de la part d’un des dirigeants de Cablecom. Elle a déposé une plainte auprès du Ministère public, mais malgré ses demandes de suivi, l’enquête n’a jamais abouti.

 

[5]               En février 2008, la demanderesse a été informée qu’un nouvel article incriminant les dirigeants de Cablecom s’apprêtait à être publié. Le 14 février 2008, le demandeur a été accosté et battu à sa sortie du travail par deux individus à la solde de Cablecom qui lui ont dit de passer le message à sa conjointe d’arrêter de divulguer des informations. Il a été hospitalisé deux jours suite à cette agression et il a par la suite déposé une plainte auprès du Ministère public. Malgré le suivi fait par les demandeurs, leur plainte n’a pas eu de suite. Le 20 mars 2008, les demandeurs ont consulté un avocat qui leur a confirmé qu’aucune protection de l’État n’était offerte dans des situations comme la leur.

 

[6]               Le 30 mars 2008, la demanderesse a été l’objet d’une tentative d’enlèvement par des dirigeants de Cablecom, mais elle a réussi à s’enfuir. Après cet incident, les demandeurs ont quitté leur maison et se sont réfugiés chez une amie qui habitait dans une ville située à deux heures de route de leur domicile. Le 10 mai 2008, la demanderesse a reçu des menaces de mort au téléphone. Les demandeurs ont alors décidé de quitter le Mexique. Ils sont arrivés au Canada le 1er juin 2008 et ont demandé l’asile quatre jours plus tard.

 

La décision contestée

[7]               La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés, ni des personnes à protéger. La Commission a jugé que la conduite alléguée des demandeurs n’était pas compatible avec le comportement de personnes craignant pour leur vie. Elle a fondé sa conclusion sur trois principaux éléments :

- Le fait que les demandeurs soient demeurés dans leur domicile jusqu’au 30 mars 2008, malgré la succession d’agressions relatées;

- Le fait que les demandeurs n’ont pas quitté le Mexique avant le 1er juin 2008, bien qu’ils avaient reçu le passeport pour leur enfant le 17 avril 2008;

- Le fait que les demandeurs ont attendu quelques jours après leur arrivée au Canada avant de demander l’asile.

 

Questions en litiges

[8]               La présente demande de contrôle judiciaire soulève les deux questions suivantes :

a.      La Commission a-t-elle apprécié la preuve de façon déraisonnable en omettant de tenir compte des éléments de preuve soumis par les demandeurs?

b.      La Commission a-t-elle apprécié la crédibilité des demandeurs de façon déraisonnable?

 

Analyse

Norme de contrôle

Il est bien établi que les conclusions de faits de la Commission, et plus particulièrement, son appréciation de la preuve et de la crédibilité du demandeur, sont assujetties à la norme de la raisonnabilité. Il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre appréciation des faits à celle de la Commission et elle n’interviendra que si les conclusions de la Commission sont fondées sur des conclusions de faits tirées de façon arbitraire, abusive ou sans tenir compte de la preuve présentée (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339; Martinez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 798, [2009] A.C.F. no 933; Allinagogo c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 545, [2010] A.C.F. no 649.

 

[9]               Le rôle que la Cour doit jouer lors du contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité a été établi dans Dunsmuir, au paragraphe 47 :

[…] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

1. La Commission a-t-elle apprécié la preuve de façon déraisonnable, en omettant de tenir compte des éléments de preuve soumis par les demandeurs?

[10]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a omis de tenir compte et de traiter dans sa décision des éléments de preuve suivants qu’ils ont déposés et qui corroboraient leur récit :

- La carte de presse de la demanderesse;

- Les articles de journaux publiés sur Cablecom;

- La plainte déposée par la demanderesse auprès du Ministère public le 10 mai 2007;

- Le certificat médical qui fait état des blessures subies par le demandeur et de son hospitalisation suite à l’agression dont il a été victime le 14 février 2008;

- La plainte déposée par le demandeur auprès du Ministère public le 16 février 2008;

- La déclaration de l’ancienne collègue de travail de la demanderesse;

- La déclaration de l’amie des demandeurs qui les a hébergés du 30 mars au 1er juin 2008.

 

[11]           Il est bien établi que la Commission est présumée avoir considéré l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée et qu’elle n’a pas à faire mention de chacun des éléments dans sa décision. De plus, les motifs de la Commission ne doivent pas être décortiqués à la loupe par la Cour qui siège en révision. La Cour doit plutôt vérifier si l’ensemble de la preuve permettait raisonnablement de soutenir ses conclusions.

 

[12]           Par ailleurs, la jurisprudence a établi que la Commission doit mentionner dans sa décision des éléments de preuve qui portent sur un élément important et qui contredisent les conclusions tirées par le décideur. Dans Cepeda-Gutierrez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 FTR. 35, [1998] A.C.F. no 1425, le juge Evans a très bien campé les principes applicables :

[15]      La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. […]

 

[16]      Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

 

[17]      Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.) […]

 

 

[13]           Appliquant ces principes en l’espèce, je ne peux conclure que la Commission a omis de tenir compte des éléments de preuve qui lui ont été soumis. Je conviens que la Commission n’a pas mentionné dans ses motifs les éléments de la preuve matérielle déposés par les demandeurs. Toutefois, dans sa décision, la Commission a considéré et analysé tous les éléments factuels invoqués par les demandeurs et sa conclusion est fondée sur son appréciation de leur comportement qu’elle a jugé incompatible avec celui de personnes craignant pour leur vie.

 

[14]           Certains des éléments de preuve déposés par les demandeurs corroborent quelques-unes de leurs allégations et notamment, les plaintes déposées auprès du Ministère public et la déclaration de la personne qui a hébergé les demandeurs. Néanmoins, ces éléments ne contredisent pas directement les conclusions de la Commission quant aux délais des demandeurs à quitter leur domicile, à quitter leur pays et à demander l’asile au Canada.

 

 

[15]           Il appert de la décision que le comportement des demandeurs, à partir de l’agression de M. Ramos Romero (le 14 février 2008) jusqu’à leur départ du Mexique, a été déterminant pour la Commission et que cette conclusion est fondée sur son appréciation de l’ensemble des faits invoqués.

 

[16]           Rien ne permet en l’espèce d’inférer que la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve déposés pour corroborer certains faits dont la Commission a clairement traité dans sa décision. Je considère que la mention dans la décision que la Commission a « analysé l’ensemble la preuve » était suffisante en l’espèce. Il n’y a donc pas lieu que la Cour intervienne sur ce motif.       

 

2. La Commission a-t-elle apprécié la crédibilité des demandeurs de façon raisonnable?

[17]           Les demandeurs reprochent également à la Commission d’avoir tiré des conclusions d’invraisemblance qui sont déraisonnables et d’avoir, sans égard à la preuve, rejeté les explications des demandeurs. Il appert des passages qui suivent que la Commission a tiré deux conclusions négatives au sujet de la vraisemblance du récit des demandeurs.

 

[18]           La Commission a exprimé comme suit son raisonnement relativement au fait que les demandeurs aient continué de demeurer au même endroit jusqu’au 30 mars 2008 :

[18]      Le tribunal ne voit pas, dans le fait que les demandeurs soient demeurés tout ce temps au même endroit, de comportement compatible avec celui d’une personne qui craint pour sa vie. Il estime qu’il n’est pas vraisemblable, dans les circonstances, que la demandeure ait pu craindre à ce point ses anciens patrons, de qui elle avait reçu des menaces de mort, tout en ne déménageant pas après avoir été prévenue de la publication d’un article qui risquait d’attirer leurs foudres et après que son conjoint eût été battu. La demandeure ne peut alléguer dans un même souffle qu’elle est demeurée au même endroit parce qu’elle croyait que les policiers seraient en mesure de la protéger et prétendre aussi que la police était totalement inefficace dans son dossier, et qu’elle avait reçu l’avis d’un avocat à l’effet que l’état mexicain ne pouvait la protéger. Cela ne constitue pas une explication raisonnable, dans les circonstances.

 

[19]           La Commission a également tiré une inférence négative du fait que les demandeurs n’ont pas quitté le Mexique avant le 1er juin 2008 et elle a jugé leur explication déraisonnable :

[19]      Le 30 mars 2008, après que la demanderesse principale eût été suivie, les demandeurs seraient déménagés chez une qui vivait à deux heures de leur lieu de résidence habituel. Ils ont [sic] quitté le Mexique que le 1er juin 2008. Au tribunal, qui voulait savoir pourquoi ils n’avaient pas quitté leur pays plus tôt, les demandeurs ont répondu qu’ils ne pouvaient obtenir de passeport pour leur enfant sans qu’il n’ait subi un examen chez le pédiatre. Au tribunal, qui faisait remarquer à la demanderesse principale que leur enfant avait obtenu son passeport le 17 avril et que cela n’expliquait pas pourquoi ils étaient demeurés au pays jusqu’au 1er juin, la demanderesse a répondu qu’ils souhaitaient voyager en haute saison et que l’agence n’avait pas été en mesure de leur trouver de billets avant cette date.

 

[…]

 

[21]      Encore une fois, le tribunal n’y voit pas de comportement compatible avec celui de quelqu’un qui craint pour sa vie. Il retient que les demandeurs sont demeurés du 30 mars au 1er juin chez leur amie alors qu’ils avaient déjà pris la décision de quitter le Mexique et qu’ils disposaient de tous les documents pour ce faire. Il ne croit pas qu’il soit plausible, dans les circonstances, que la demandeure ait mis la vie de toute sa famille en danger en attendant les billets d’avion pour le Canada. Il ne s’explique pas qu’aucune place n’ait pu être trouvée sur un vol à destination du Canada pendant toute cette période.

 

[20]           La Commission a tiré une troisième inférence négative sur la crédibilité des demandeurs du fait qu’ils n’ont pas demandé l’asile dès leur arrivée au Canada.

 

[21]           Dans Khaira c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 62, [2004] A.C.F. no 46 au par. 14, le juge Martineau a bien résumé la latitude dont dispose la Commission en matière d’appréciation de la crédibilité et les paramètres d’intervention de la Cour qui siège en révision :

[14]      […] En effet, le rôle de cette Cour, dans le cadre d'une demande de contrôle, n'est pas d'apprécier à nouveau la preuve produite devant la Commission. Au contraire, si la preuve peut raisonnablement appuyer les conclusions tirées quant à la crédibilité, cette Cour ne doit pas intervenir. La Commission est le juge des faits et elle est autorisée à tirer des conclusions raisonnables quant à la crédibilité du récit du revendicateur en se fondant sur le manque de vraisemblance, le bon sens et la raison (Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 629 au paragraphe 4 (C.F. 1re inst.) (QL)). Faut-il le rappeler, c'est la Commission qui a entendu les témoignages, posé des questions et noté les réponses. Par conséquent, celle-ci est mieux placée que cette Cour pour tirer ses conclusions.

 

 

[22]           Je partage l’opinion de mon collègue et je considère qu’en l’espèce, les conclusions de la Commission quant à la vraisemblance de certains aspects du récit des demandeurs et son appréciation globale de leur comportement ne sont pas déraisonnables. La Commission a bien identifié les éléments de l’histoire des demandeurs qui l’ont amené à conclure à l’invraisemblance de certains aspects de leur récit et à l’absence de crédibilité. En outre, ses motifs sont articulés, son raisonnement est logique et ses conclusions sont raisonnablement appuyées sur la preuve.

 

[23]            Lorsque les conclusions de la Commission appartiennent aux issues possibles acceptables au regard de la preuve, la Cour ne doit pas substituer sa propre appréciation et sa propre opinion à celle de la Commission, et ce, même si une autre avenue lui aurait semblé préférable.

[24]           Il n’y a donc pas lieu que la Cour intervienne.

 

[25]           Les parties n’ont soumis aucune question aux fins de certification.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

                                                                                                                                    


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2084-10

 

INTITULÉ :                                       SOFIA RAMIREZ ONOFRE ET AL. c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stéphanie Valois

 

POUR LES DEMANDEURS

Lynne Lazaroff

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphanie Valois

Montréal, Québec

 

POUR LES DEMANDEURS

Miles J. Kirvan

Sous-Procureur Général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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