Cour fédérale |
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Federal Court |
Référence : 20101122
Dossier : IMM-217-10
Référence : 2010 CF 1171
[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2010
En présence de monsieur le juge O’Reilly
ENTRE :
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(ALIAS FABUS DELANDES) |
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Aperçu
[1] Monsieur Deslandes Fabus a présenté une demande d’asile au Canada fondée sur sa crainte d’être persécuté par un puissant propriétaire foncier, M. Lucas, dans son pays d’origine, Haïti. Monsieur Fabus a publiquement critiqué M. Lucas parce qu’il aurait été impliqué dans un massacre en 1987. Lorsque M. Fabus a été menacé en 1997, il s’est enfui dans une autre ville et a ensuite quitté Haïti pour aller aux États‑Unis en 1999. Il est arrivé au Canada en 2007.
[2] Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de M. Fabus au motif que la possibilité qu’il soit en danger s’il retourne en Haïti est infime, puisque beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis les principaux événements à l’origine de sa demande. Monsieur Fabus prétend que la Commission ignorait le fait que sa maison a été brûlée complètement en 2004 et que sa femme a donc été obligée de se cacher. Un voisin a affirmé que le propriétaire foncier, M. Lucas, en était responsable. Monsieur Fabus affirme que la Commission a commis une erreur en estimant que le danger auquel il était confronté avait diminué avec le temps.
[3] Monsieur Fabus me demande d’infirmer la décision de la Commission et d’ordonner qu’un autre tribunal examine de nouveau sa demande. Je ne vois aucune raison d’annuler la décision de la Commission et, par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire.
[4] La question soulevée en l’espèce est celle de savoir si la décision de la Commission est déraisonnable ou si ses motifs sont inadéquats.
II. La décision de la Commission
[5] La Commission a appris que M. Fabus était un professeur dans la région du nord-ouest d’Haïti. De plus, M. Fabus aidait des paysans de la région à garder leur terre. Il travaillait également comme caissier dans un magasin appartenant à M. Lucas, qui était propriétaire de nombreuses propriétés. Lorsque M. Lucas a été arrêté en lien avec un massacre de paysans, M. Fabus l’a ouvertement critiqué. Les membres de la famille Lucas l’ont averti de se taire.
[6] La Commission a également appris que, en 1997, un groupe de cinq individus ont arrêté M. Fabus et l’ont menacé. Par conséquent, il n’est pas retourné enseigner et est demeuré caché dans la maison d’un ami. En 1999, il a appris qu’il était recherché, alors il s’est enfui aux États‑Unis. Il a demandé l’asile, mais sa demande a été rejetée.
[7] La Commission a fait observer que, en 2004, l’épouse de M. Fabus avait échappé de peu à une attaque. Le lendemain, sa maison était réduite en cendres. Elle s’est donc cachée.
[8] La Commission a estimé que le témoignage de M. Fabus était crédible. Toutefois, elle a conclu qu’il n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour lui permettre de conclure qu’il était persécuté pour des raisons d’ordre politique. Monsieur Fabus ne conteste pas cette conclusion. Il conteste toutefois la conclusion de la Commission portant qu’il ne risquerait pas d’être gravement maltraité s’il retournait en Haïti, compte tenu du temps qui s’est écoulé.
III. La décision de la Commission est‑elle déraisonnable ou inadéquatement expliquée?
[9] Selon M. Fabus, la conclusion de la Commission selon laquelle le temps qui s’est écoulé depuis les événements a amoindri le danger auquel il était confronté en Haïti est déraisonnable et inadéquatement expliquée. Il affirme principalement que le fait que la Commission, dans son analyse de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), n’a pas mentionné que la maison de son épouse a été complètement brûlée en 2004 indique qu’elle n’a pas correctement apprécié le danger auquel il est confronté encore aujourd’hui. Par conséquent, il affirme que la conclusion de la Commission selon laquelle M. Lucas ne serait plus intéressé par le demandeur est déraisonnable ou, à tout le moins, inadéquatement expliquée.
[10] La Commission a admis le témoignage de M. Fabus concernant le massacre de 1987 et l’arrestation de M. Lucas. Elle a pris acte de la préoccupation de M. Fabus portant que M. Lucas est toujours une figure influente en Haïti et qu’il risque encore des représailles de sa part. Toutefois, la Commission a ensuite conclu qu’« [i]l n’apparait pas raisonnable, ni plausible, d’imaginer que ce puissant personnage veuille s’en prendre aujourd’hui à la vie ou à la personne du demandeur ». Monsieur Fabus soutient que la conclusion de la Commission ne peut être maintenue puisque cette dernière n’a pas mentionné l’incident de 2004.
[11] À mon avis, la décision de la Commission n’est pas déraisonnable. La Commission était parfaitement au courant de l’incident de 2004 puisqu’elle y a fait expressément référence dans son analyse de l’article 96 de la LIPR. En outre, l’incident de 2004 ne contredit pas la conclusion de la Commission selon laquelle M. Fabus ne risquait probablement plus d’être maltraité par la famille Lucas. Cet incident aurait pu aider à établir que M. Fabus aurait toujours été menacé par la famille Lucas en 2004, mais il n’a pas démontré qu’il est toujours en danger en décembre 2009, lorsque la Commission a rendu sa décision.
[12] De plus, le défaut de la Commission de mentionner l’incident de 2004 dans son analyse de l’article 97 de la LIPR ne rend pas ses motifs inadéquats. Les motifs de la Commission doivent être interprétés dans leur ensemble et il ne fait aucun doute qu’elle était au courant de l’incident de 2004. Son défaut de le mentionner dans une partie de sa décision ne rend pas forcément les motifs inadéquats alors qu’il est mentionné ailleurs. Les buts des motifs écrits « seront atteints si [ceux‑ci], considérés dans leur contexte, indiquent pourquoi le juge a rendu sa décision » (R. c. REM, [2008] 3 R.C.S. 3, par. 17). En l’espèce, les motifs de la Commission sont suffisants.
IV. Conclusion et dispositif
[13] La décision de la Commission n’est pas déraisonnable à la lumière de la preuve dont elle disposait; ses motifs ne sont pas non plus inadéquats. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a demandé la certification d’une question de portée générale, et aucune n’est formulée.
JUGEMENT
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.
Traduction certifiée conforme
Mylène Boudreau, B.A. en trad.
Annexe « A »
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
Définition de « réfugié »
96. A
qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui,
craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion,
de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions
politiques :
Personne à protéger 97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée : a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture; b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles, (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. (2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.
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Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27
Convention refugee
96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion, (a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or (b) not having a country of
nationality, is outside the country of their former habitual residence and is
unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.
Person in need of protection 97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally (a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or (b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country, (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country, (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.
(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-217-10
INTITULÉ : FABUS DESLANDES c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 2 novembre 2010
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE O’REILLY
DATE DES MOTIFS : Le 22 novembre 2010
COMPARUTIONS :
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POUR LE DEMANDEUR |
Tamrat Gebeyehu |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocat Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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