Cour fédérale |
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Federal Court |
[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2010
En présence de monsieur le juge Phelan
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. INTRODUCTION
[1] La demanderesse, Raj Rani Minhas, s’est vu refuser le statut de résidente permanente à titre de travailleuse qualifiée, car elle n’a pas obtenu suffisamment de points pour satisfaire aux critères applicables à l’immigration. La demanderesse aurait obtenu assez de points si l’agente des visas avait accepté qu’elle avait un parent (le frère de son mari) au Canada. La présente est une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agente des visas.
II. LE CONTEXTE
[2] La demanderesse, une citoyenne de l’Inde, a présenté une demande de visa de résidente permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés à titre d’enseignante au niveau secondaire. Elle a inclus son mari dans sa demande.
[3] Sa demande a été refusée, car elle a obtenu 64 points, alors que le nombre exigé est 67. Elle n’a reçu aucun point du fait qu’elle a de la famille au Canada.
[4] La demanderesse soutient que la preuve concernant la citoyenneté canadienne de son
beau-frère, M. Ranjit Singh Minhas (Ranjit Singh, le présumé beau-frère) qu’elle a jointe à sa demande, comprenait des copies de la fiche d’établissement, de la carte personnelle de soins de santé de l’Alberta, de la carte d’assurance sociale et du passeport canadien de ce dernier. Elle a aussi soumis, comme preuve de la relation fraternelle avec son mari, le Ministry of Defence Junior Air Certificate Examination (Examen de certification des cadets de l'Air subalternes du ministère de la Défense) de Ranjit Singh et le certificat d’examen d’immatriculation daté de 1981 de ce dernier.
[5] Dans son affidavit déposé en l’espèce, l’agente des visas atteste qu’elle n’a reçu, à titre de renseignement complémentaire, que les documents suivants : le certificat d’examen d’immatriculation comme preuve de sa relation fraternelle et le passeport canadien de Ranjit Singh comme preuve de citoyenneté de ce dernier. En outre, l’agente des visas avait déjà reçu des copies de la carte de citoyenneté de Ranjit Singh et de la déclaration de revenus de celui-ci.
[6] L’agente des visas a remarqué que la date de naissance figurant sur le passeport canadien de Ranjit Singh et celle figurant sur son certificat d’examen d’immatriculation daté de 1981 étaient différentes. Un des documents indiquait comme date de naissance le 26 août 1963 et l’autre le 6 février 1964.
[7] L’agente des visas, en se fondant seulement sur cette contradiction, a conclu que la preuve ne permettait pas de conclure que la demanderesse avait de la famille au Canada.
[8] À la suite de la décision de l’agente des visas, la demanderesse a soumis des documents supplémentaires visant à démontrer l’existence d’un lien entre son mari et Ranjit Singh. L’agente des visas atteste avoir tenu compte de l’un des nouveaux documents, un document relatif au titre de propriété indien, qui indiquait que Ranjit Singh possédait un bien immeuble (ce document ne comportait aucune indication de la date de naissance) mais elle a apparemment refusé d’examiner les autres documents, c’est-à-dire une procuration qui autorise le mari de la demanderesse à gérer les biens immeubles de Ranjit Singh, un arbre généalogique qui montre la part de propriété de chaque frère et le certificat de décès de la mère.
[9] La question déterminante dans la présente demande de contrôle porte sur la prise en compte par l’agente des visas de la différence entre la date de naissance de Ranjit Singh figurant sur son passeport canadien et celle figurant sur son diplôme d’études secondaires.
III. L’ANALYSE
[10] Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agente des visas est celle de la décision raisonnable (Wai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 780) et le défendeur soutient qu’il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision de l’agente des visas.
[11] Les parties ont raison en ce qui concerne la norme de contrôle applicable à la décision. La tentative d’accorder une importance primordiale à la retenue ne peut pas servir à ramener la norme de la « raisonnabilité » à l’ancienne norme du caractère « manifestement déraisonnable ». C’est toujours sur « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel » et sur la question de savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit qu’il faut mettre l’accent.
[12] La demanderesse soulève aussi la question de l’équité procédurale, car l’agente des visas, avant de rendre sa décision, ne l’a pas interrogée au sujet de la différence entre les dates de naissance. Dans la mesure où il s’agit d’une question sérieuse en suspens, elle doit être examinée selon la norme de la décision correcte.
[13] En supposant que l’équité procédurale n’exigeait pas, dans ces circonstances inhabituelles, que l’agente des visas exprime ses doutes au sujet des documents contradictoires, la question consiste à savoir si la décision était raisonnable.
[14] Contrairement au point de vue de la demanderesse, il ne s’agit pas d’un cas où l’on privilégie une date de naissance plutôt qu’une autre. Il est évident que le certificat d’examen d’immatriculation était le seul document dont disposait l’agente des visas pour établir un lien entre les prétendus frères.
[15] Si les renseignements figurant dans le certificat sont justes, alors la conclusion de l’agente des visas serait raisonnable. Le citoyen canadien né le 26 août 1963 ne serait pas la même personne que le citoyen indien né le 6 février 1964. L’autre conclusion, moins probable, est que Ranjit Singh a utilisé de faux documents pour obtenir son passeport canadien.
[16] Par conséquent, tout repose sur la véracité du certificat d’examen d’immatriculation parce qu’il va à l’encontre de l’essentiel de la preuve au sujet de Ranjit Singh.
[17] Par conséquent, la présente affaire ne repose pas sur le caractère suffisant de la preuve comme le prétend le défendeur, mais plutôt sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de la preuve.
[18] La Cour a déjà statué que les agents des visas ne sont pas tenus de faire part aux demandeurs de leurs doutes quant au caractère adéquat, intégral ou suffisant des documents. Cependant, la Cour a statué que lorsque l’exactitude ou l’authenticité des renseignements est en litige, un demandeur a le droit de savoir qu’un agent des visas a des doutes à cet égard.
[19] La juge Snider dans la décision Baybazarov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 665, a résumé l’état du droit comme suit aux paragraphes 11 et 12 :
11 D’abord et avant tout, il incombe au demandeur d’établir son droit à un visa. Le demandeur a la responsabilité de produire l’information nécessaire au traitement de sa demande. L’agent n’a pas l’obligation d’informer le demandeur de ses réserves qui découlent directement des exigences de la loi. L’agent n’est pas tenu non plus de fournir au demandeur un « résultat intermédiaire » des lacunes que comporte sa demande. Voir Rukmangathan, précitée, au paragraphe 23; Nabin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 200, [2008] A.C.F. no 250, au paragraphe 7; Rahim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1252, 58 Imm. L.R. (3d) 80, au paragraphe 14.).
12 Ensuite, l’agent doit informer le demandeur a) s’il a des doutes quant à la crédibilité, à l’exactitude ou à l’authenticité des renseignements fournis (voir Nabin, précitée, au paragraphe 8); b) s’il s’est fondé sur des éléments de preuve extrinsèques (voir Rukmangathan, précitée, au paragraphe 22; Nabin, précitée, au paragraphe 8; Mekonen, précitée, au paragraphe 4). Cette obligation vise à ce que le demandeur ait une occasion équitable et raisonnable de savoir ce qui lui est reproché et de dissiper les doutes.
[20] Les doutes de l’agente des visas entraient dans l’exception à la règle voulant que l’agent des visas n’est pas obligé d’aviser le demandeur de ses doutes quant à la preuve (Voir Nabin, susmentionné).
[21] Il serait profondément injuste de tirer une conclusion défavorable à un demandeur en raison d’une erreur typographique ou administrative qui pourrait facilement être réglée. L’équité est à la base de l’obligation de l’agente des visas d’aviser la demanderesse de la différence entre les dates de naissance. Aucun avis n’a été donné.
IV. CONCLUSION
[22] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agente des visas est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen à un autre agent des visas qui donnera l’occasion à la demanderesse de traiter des questions soulevées en l’espèce.
[23] Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, la décision de l’agente des visas soit annulée et que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen à un autre agent des visas qui donnera l’occasion à la demanderesse de traiter des questions soulevées en l’espèce.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1637-10
INTITULÉ : RAJ RANI MINHAS
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 21 octobre 2010
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 15 novembre 2010
COMPARUTIONS :
M. Richard Kurland
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Mme Susan Jane Bennett
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Kurland, Tobe Avocats Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LA DEMANDERESSE |
M. Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LE DÉFENDEUR |