Cour fédérale |
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Federal Court |
Référence : 2010 CF 1134
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2010
En présence de monsieur le juge Zinn
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et visant une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SAI a rejeté la demande du demandeur en vue d’obtenir un sursis d’exécution de la mesure d’expulsion pour des motifs d’ordre humanitaire.
[2] La demande devra être accueillie. La SAI a commis une erreur en admettant en preuve les rapports de police qui décrivaient dans les moindres détails les infractions alléguées pour lesquelles le demandeur avait été acquitté et en donnant une fausse représentation des infractions criminelles dont le demandeur avait été reconnu coupable. Le droit du demandeur à l’équité procédurale était ainsi violé.
[3] Le demandeur est un homme de 32 ans. Il est résident permanent au Canada et vit ici depuis l’âge de 13 ans. Il est né le 28 octobre 1978 en Malaisie, pays dont il est citoyen. Les événements qui ont donné naissance à la mesure d’expulsion ne sont pas contestés.
[4] Le 31 mai 2005, à l’âge de 26 ans, M. Fong a été reconnu coupable de possession de pornographie juvénile en violation du paragraphe 163.1(4) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46. Il s’agit d’une infraction passible d’un emprisonnement maximal de moins de 10 ans. Une peine conditionnelle de 16 mois a été prononcée, sans période d’incarcération. Il a été en outre condamné à une période de probation qui devait expirer le 30 novembre 2006. L’une des conditions de l’ordonnance de probation était que M. Fong [traduction] « ne se trouve pas en compagnie d’une personne de moins de 18 ans, sauf en présence d’une personne de plus de 21 ans ».
[5] Le 14 mars 2006, M. Fong a été arrêté et accusé de quatre infractions : leurre d’un enfant de moins de 16 ans en violation de l’alinéa 172.1(1)b) du Code criminel, agression sexuelle en violation de l’article 271 du Code criminel et deux chefs de défaut de se conformer à une ordonnance de probation en violation du paragraphe 733(1) du Code criminel. M. Fong a plaidé coupable relativement aux accusations de manquement aux conditions de la probation et a été acquitté des autres chefs d’accusation au terme d’un procès de quatre jours. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement, en plus du temps qu’il avait purgé en détention présentencielle. La Cour d’appel de l’Ontario a réduit la peine, dans un jugement bref (2007 ONCA 657) rédigé ainsi :
[Traduction]
1 À notre avis, cette peine était manifestement excessive. Le juge de première instance a, dans les faits, imposé une peine de 34 mois, étant donné la détention présentencielle. L’appelant n’avait pas de dossier antérieur pour manquement aux conditions de la probation, n’avait jamais été condamné à une peine d’emprisonnement et avait purgé avec succès une peine d’emprisonnement avec sursis, et ce sans incident.
2 Ces manquements étaient graves et une peine d’emprisonnement était requise, mais une peine de trois à six mois aurait à notre avis été appropriée.
3 En conséquence, l’appel sera accueilli et la peine sera réduite au temps déjà purgé. Le dossier devrait indiquer que l’appelant a reçu un crédit pour six mois de détention présentencielle dans une proportion de deux contre un. L’ordonnance de probation est confirmée.
[6] Le 4 juin 2008, la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, après avoir déterminé que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité au titre de l’alinéa 36(1)a) de la Loi, a ordonné l’expulsion de celui-ci. M. Fong a interjeté appel devant la SAI en vertu de l’article 63 de la Loi, afin d’obtenir un sursis de la mesure d’expulsion. Le paragraphe 68(1) de la Loi prévoit que la SAI peut sursoir à la mesure de renvoi si elle est convaincue « qu’il y a […] des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales ».
[7] Lorsqu’elle est saisie d’une demande de sursis de mesure d’expulsion, la SAI considère les facteurs énoncés dans Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 :
[Traduction]
[…] Dans chaque cas, la Commission examine les mêmes questions générales afin de déterminer si, vu toutes les circonstances de l’espèce, l’appelant ne devrait pas être renvoyé du Canada. Ces circonstances incluent la gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de l’expulsion et la possibilité de réadaptation ou, de façon subsidiaire, les circonstances du manquement aux conditions d’admissibilité, qui est à l’origine de la mesure d’expulsion. La Commission examine la période passée au Canada, le degré d’établissement de l’appelant, la famille qu’il a au pays, les bouleversements que l’expulsion de l’appelant occasionnerait pour cette famille, le soutien dont bénéficie l’appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité, et l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le retour dans son pays de nationalité. Même si les questions générales à examiner sont similaires dans chaque affaire, les faits, eux, ne sont que rarement, voire jamais, identiques. […]
[8] L’audience devant la SAI était prévue pour le 10 novembre 2009, mais le 27 octobre 2009, le conseil du ministre a communiqué au demandeur des documents (dont des copies ont été remises au greffier de la SAI) que le ministre était susceptible d’invoquer à l’audience. Le ministre a écrit que ces documents étaient fournis à la SAI [traduction] « pour donner à ou aux commissaires qui entendr[aie]nt la présente affaire la possibilité d’examiner les documents avant l’audience ». Parmi ces documents figuraient des rapports de police qui avaient trait aux accusations pour lesquelles le demandeur avait été jugé et dont il avait été acquitté. Ces rapports décrivaient dans les moindres détails, sous le titre [traduction] « Opinion de l’agent » et [traduction] « Synopsis », les allégations de fait favorables, selon la police, aux accusations déposées. Ces allégations avaient été obtenues soit de la fille que le demandeur avait été accusé d’avoir leurrée et agressée sexuellement, soit de son père.
[9] Ayant reçu les documents, le conseil du demandeur a écrit à la SAI pour s’objecter à ce qu’ils fussent présentés à celle-ci parce que [traduction] « ces pages contiennent des accusations calomnieuses qui risquent fort, dans les circonstances particulières de la présente affaire, d’empêcher l’appelant de bénéficier d’une audience équitable ». Il a ajouté que les pages constituaient des [traduction] « présentations fausses et désobligeantes des faits » qui nuiraient à son client.
[10] À l’audience, la SAI a admis ces documents en statuant ainsi :
[Traduction]
Le tribunal a lu les communications échangées par les conseils en ce qui concerne la divulgation, en particulier le synopsis de la police, qui y était joint, des allégations entourant le défaut de se conformer à l’ordonnance de probation.
J’attire l’attention des conseils […] [sur le fait que] au titre […] de [l’article] 33, les faits qui emportent l’interdiction de territoire en vertu des articles 34 à 37, et il s’agit de [l’alinéa] 36(1)a), comprennent les faits résultant d’omissions et, sauf s’il en est prévu autrement, les faits pour lesquels il y a des motifs raisonnables de croire qu’ils se sont produits, qu’ils se produisent ou qu’ils pourraient se produire.
Je porte également attention à l’alinéa 175(1)c) de la Loi selon lequel la Section d’appel de l’immigration peut, dans toute affaire dont elle est saisie, recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision.
Sur le fondement de ces deux – je les appellerais à ce stade – lignes directrices législatives ainsi que sur celui de la jurisprudence présentée à la SAI, jurisprudence avec laquelle vous êtes tous deux, sans nul doute, familiers, le tribunal a décidé d’admettre la preuve, d’admettre ces documents en preuve et, au bout du compte, il décidera quel poids leur accorder, le cas échéant.
[11] La décision de la SAI comportait deux erreurs. Premièrement, l’affaire dont la SAI était saisie ne constituait pas une enquête au titre de l’alinéa 36(1)a) de la Loi. Cette enquête avait précédemment eu lieu et le demandeur avait été déclaré interdit de territoire. L’interdiction de territoire était fondée sur les déclarations de culpabilité du demandeur; celui-ci n’a pas été déclaré coupable des accusations d’agression sexuelle et de leurre qui faisaient l’objet des rapports de police admis en preuve.
[12] Deuxièmement, avant d’accepter ces documents en preuve, la SAI n’a pas conclu que les rapports de police satisfaisaient au critère d’admissibilité énoncé par la Cour d’appel fédérale dans Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326. Quoique Sittampalam traitât d’une enquête au titre de l’alinéa 37(1)a) de la Loi, ses observations s’appliquent également à l’audience tenue. La Cour d’appel fédérale écrit au paragraphe 49 :
La Commission n’est pas liée par des règles de preuve strictes dans le cadre des enquêtes. Une fois que le tribunal administratif détermine que la preuve est crédible et digne de foi, celle‑ci est admissible et la question de savoir comment elle a été obtenue est pertinente seulement pour déterminer le poids qu’il convient d’y accorder : article 173 de la LIPR.
[13] Dans la présente affaire, la SAI n’a pas énoncé la conclusion que les rapports de police étaient crédibles et dignes de foi. À la lumière de l’acquittement du demandeur à l’égard des accusations qui faisaient l’objet de ces rapports, ceux-ci n’étaient à première vue ni crédibles, ni dignes de foi, car ils énonçaient les fondements factuels d’accusations qui n’ont pas été démontrées par la suite. Dans ces circonstances, ces rapports de police n’auraient pas dû être admis en preuve.
[14] Je fais une digression pour observer que je suis très troublé par le fait que le conseil du ministre a présenté en preuve les rapports de police, alors que le demandeur avait subi un procès et avait été acquitté des accusations faisant l’objet des rapports et qu’il y avait un dossier disponible relatif au jugement du juge Hamilton. Le jugement précisait les motifs de l’acquittement et donnait les raisons de la peine imposée pour les manquements aux conditions de la probation : voir R. c. Fong, [2007] O.J. No. 5243 (C.S.J.). S’il était opportun de présenter en preuve à la SAI de la documentation quelconque sur les accusations dont le demandeur avait fait l’objet, c’était les motifs du juge de première instance, dans lesquels ses conclusions de fait étaient formulées, et non les simples allégations, qui se sont finalement révélées fausses, énoncées dans les rapports de police.
[15] Ayant conclu que les rapports de police avaient été abusivement admis en preuve, la Cour doit se pencher sur la question de savoir si cette erreur portait atteinte au droit du demandeur à une audience équitable.
[16] Dans sa décision écrite, la SAI déclare qu’il n’a pas été tenu compte des documents contestés :
Après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve en les replaçant dans leur contexte, le tribunal conclut que les descriptions liées aux accusations d’agressions sexuelles portées contre l’appelant n’ont aucune valeur probante dans le contexte de la présente affaire. Il convient de souligner que l’appelant a été acquitté de ces accusations. Ce serait donc une erreur de droit que d’utiliser ce document pour évaluer le passé criminel de l’appelant.
[17] La SAI déclare ensuite qu’elle est réceptive et attentive au principe juridique selon lequel elle est tenue de donner plein effet à l’acquittement et qu’« il n’est pas permis d’attaquer un jugement en tentant de soulever de nouveau la question sur une autre tribune ». La SAI traite également de la préoccupation exprimée par le conseil du demandeur selon laquelle le contenu de ces documents [traduction] « risque fort d’empêcher l’appelant de bénéficier d’une audience équitable » et, citant De Leon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1532 (1re inst.), elle se déclare convaincue d’« être en mesure de faire le tri dans les renseignements figurant dans le document et de ne retenir que les faits probants et pertinents ».
[18] Les faits probants que la SAI dit avoir retenus des documents de la police sont les suivants :
[…] Le tribunal entend admettre le document en preuve non pas parce qu’il doute de la validité de l’acquittement, mais plutôt parce qu’il souhaite s’en tenir au processus d’audience. Le tribunal conclut que, dans les circonstances de l’affaire, vu l’absence d’autres renseignements concernant les infractions criminelles dont l’appelant a été déclaré coupable, il faut admettre le document en question pour accroître la crédibilité et l’efficacité du processus d’arbitrage dans son ensemble. Suivant ce principe juridique, le tribunal n’utilisera ledit document contesté fourni par l’intimé que pour évaluer les faits qui sous-tendent les deux chefs de défaut de se conformer à une ordonnance de probation et pour comprendre ce qui a poussé la Cour supérieure de justice et la Cour d’appel de l’Ontario à conclure que [traduction] « les infractions commises [par l’appelant] étaient graves et justifiaient une peine d’emprisonnement » et à lui infliger une peine d’emprisonnement relativement longue. Par conséquent, dans la mesure où le contenu du rapport de police pourrait se révéler pertinent et permettre de comprendre les éléments constitutifs des infractions, le tribunal accepte en preuve ledit document. [Non souligné dans l’original.] [Renvoi omis.]
[19] Je note que le demandeur a témoigné dans la présente instance, comme on pouvait s’y attendre, étant donné la nature de l’instance. Son témoignage a fait l’objet d’un contre-interrogatoire par le ministre et « les faits qui sous-tendent » les manquements aux conditions de la probation ont été obtenus de cette manière. Je ne vois pas pourquoi la SAI a pensé qu’elle avait besoin des rapports de police avant l’audience, plutôt que d’attendre pour voir si la preuve qui lui était soumise au moyen de témoignages sous serment était suffisante pour établir les faits en question.
[20] L’autre difficulté soulevée par la déclaration de la SAI citée ci-dessus est qu’elle suppose que les rapports de police énonçaient les faits sous-tendant les manquements aux conditions de la probation. J’ai comparé les allégations contenues dans les rapports de police avec le témoignage du demandeur, avec celui de la plaignante et avec les faits déterminés par le juge de première instance. Plusieurs des allégations contenues dans les rapports de police n’étaient pas factuelles – elles donnaient une représentation erronée des faits et étaient, dans de nombreux cas, fausses. Il ressort clairement de la décision du juge Hamilton que les allégations d’agression sexuelle avec violence contenues dans les rapports de police étaient sans fondement :
[Traduction]
À aucun moment ne lui a-t-elle crié ou hurlé, bien qu’elle ait dit à la police qu’elle avait crié que cela faisait mal.
[…]
À la question de savoir pourquoi elle avait poursuivi le rapport sexuel, elle n’a
pas su donner une bonne réponse et, à aucun moment, ne s’est-elle souvenue d’avoir
dit d’arrêter.
[…]
Auparavant, la plaignante avait déclaré que l’accusé l’avait poussée et tirée
dans sa voiture après leur rencontre dans la forêt; cependant, au procès, elle
a déclaré qu’ils se tenaient la main et qu’il ne l’avait pas poussée ni tirée.
En ce qui concerne le 12 mars, la plaignante a dit à la police qu’elle avait crié et hurlé durant l’incident de trois heures. Au procès, elle a reconnu que cela n’était pas exact. Elle n’avait ni crié, ni hurlé.
L’outil convenant à la détermination par la commissaire de la raison pour laquelle les tribunaux de l’Ontario avaient conclu à l’opportunité d’infliger une peine d’emprisonnement serait logiquement les décisions disponibles au public, dans lesquelles les tribunaux ont répondu expressément à cette question. Contrairement à la déclaration de la SAI dont un extrait a été donné ci-dessus, les rapports de police ne pouvaient pas l’aider à apprécier les faits sous-tendant le manquement ni les raisons pour lesquelles la peine avait été imposée.
[21] J’ai également conclu que la commissaire de la SAI n’avait pas entièrement réussi, pour parvenir à sa décision, à s’enlever de l’esprit les déclarations contenues dans les rapports de police qui avaient trait aux accusations dont le demandeur avait été acquitté. Certains termes de la décision font ressortir clairement que la commissaire de la SAI a considéré que le crime du demandeur était le rapport sexuel avec la fille, non le manquement aux conditions de la probation. À tout le moins, elle a confondu les deux.
[22] Les circonstances du manquement aux conditions de la probation sont pertinentes pour l’application des facteurs énoncés dans Ribic. Les facteurs pertinents comprennent la question de savoir si le manquement a été commis par inadvertance ou de manière délibérée, les actions du demandeur lorsqu’il est devenu conscient du manquement, le nombre de manquements et les circonstances de ceux‑ci.
[23] Dans le cas présent, les manquements étaient délibérés et répétés, et lors de l’un de ceux‑ci, le demandeur a eu un rapport sexuel avec une jeune fille de 15 ans. Cependant, le rapport sexuel était consensuel. Le crime n’était pas le rapport sexuel, mais le fait de s’être trouvé seul avec une personne de moins de 18 ans.
[24] La commissaire écrit dans sa décision que le demandeur « a commis une infraction sexuelle ». Cela est inexact quant aux faits.
[25] La commissaire reconnaît que l’âge du consentement sexuel au moment de la relation avec la jeune fille était de 14 ans, mais elle dit que la Cour, du fait qu’elle avait restreint la capacité du demandeur de se trouver seul avec une personne de moins de 18 ans, avait créé une « possibilité de crime » [un crime inchoatif] spécifique pour le demandeur. Il ne s’agissait pas d’un crime sexuel inchoatif; il ne s’agissait nullement d’un crime inchoatif. Le Black’s Law Dictionary, dans sa 9e édition, définit l’« infraction inchoative » (inchoate offence) comme [traduction] « [u]ne étape en vue de la commission d’un autre crime, l’étape elle-même étant suffisamment grave pour qu’une peine soit infligée ». Comme l’âge du consentement était de 14 ans au moment du rapport sexuel, le demandeur n’accomplissait pas une étape en vue de la commission d’un crime. Le crime consistait en le manquement aux conditions de la probation, qui, dans le cas présent, était le fait d’avoir eu une relation sans surveillance avec une personne de moins de 18 ans. Si le demandeur avait eu un rapport sexuel avec une fille de moins de 14 ans, cela aurait constitué un crime sexuel, et, s’il avait forcé la fille à avoir un rapport sexuel, cela aurait aussi constitué un crime sexuel. Cependant, rien de cela ne s’est produit. Son seul crime a été de se trouver seul avec la fille. Les actes sexuels consensuels, tout aussi répugnants qu’ils puisent être pour la commissaire de la SAI ou pour moi, ne constituent pas en eux‑mêmes un crime. Comme la commissaire a fait reposer sa décision surtout sur la prétendue « infraction sexuelle », je conclus que le demandeur a été privé d’une audience équitable et impartiale.
[26] Je n’accepte pas l’observation du demandeur selon laquelle la SAI a commis une erreur en rejetant l’observation conjointe du ministre et du demandeur.
[27] À l’audience de la SAI, le demandeur a d’abord témoigné en interrogatoire principal, puis il a été contre-interrogé par le ministre. Après le témoignage du demandeur, la commissaire de la SAI a pris la pause de l’après-midi et les conseils des parties ont convenu pendant ce temps d’une recommandation conjointe pour le dispositif de l’appel. Le dispositif proposé aurait sursis à la mesure d’expulsion pendant une période de quatre ans pendant laquelle le demandeur aurait été assujetti à certaines conditions.
[28] Lorsqu’elle a été informée qu’une recommandation conjointe devait être faite, la commissaire de la SAI a répondu : [traduction] « Vous pouvez la faire, mais je vous dirai que je vais y réfléchir très sérieusement. Je suis tout à fait disposée à entendre vos observations ».
[29] Le demandeur a alors présenté ses observations. Il est juste de dire que, durant les observations, la commissaire a fait plusieurs commentaires qui auraient averti le demandeur, si la déclaration ci‑dessus ne l’avait pas fait, qu’elle éprouvait de la difficulté à accepter l’observation conjointe. L’un de ces commentaires, lequel reflète également l’erreur notée précédemment, est le suivant :
[Traduction]
Le tribunal ne parle pas d’un comportement déviant, je ne crois pas avoir utilisé cette diction [sic]. Je parle d’une conduite sexuelle inconvenante, d’un homme de 28 ans qui va dans la maison d’une personne de 15 ans, avec ou sans consentement. Le droit sur le consentement a changé récemment et je sais qu’il n’est pas possible de porter rétroactivement l’âge du consentement à 16 ans, mais qu’il l’ait su ou non, cela aurait pesé lourdement contre lui.
[30] Le demandeur fait valoir que la commissaire de la SAI a rejeté [traduction] « d’emblée » la recommandation conjointe, qu’elle n’a pas accepté la participation du ministre dans la recommandation, et que cela constituait un manquement à l’équité procédurale. Le demandeur dit que, au moment de la recommandation conjointe, ses soutiens (sa famille et les membres de l’église) ont été appelés dans la salle d’audience pour la présentation de l’observation conjointe, mais que la commissaire de la SAI ne les a pas invités à sortir et à revenir pour témoigner.
[31] Je suis d’accord avec l’observation du défendeur selon laquelle la SAI a le droit de rejeter une observation conjointe dans la mesure où elle fournit des motifs pour ce faire : Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 334; Malfeo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 193; Akkawi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 21; Nguyen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1843 (1re inst.). La commissaire de la SAI n’a pas rejeté d’emblée l’observation conjointe. Elle a énoncé des motifs qui expliquaient de manière transparente et intelligible le rejet de l’observation conjointe.
[32] La commissaire de la SAI n’était pas obligée d’inviter les parties à présenter davantage d’éléments de preuve après avoir indiqué qu’elle n’accepterait pas automatiquement l’observation conjointe. Il incombait au demandeur de présenter d’autres éléments de preuve s’il voulait soutenir l’observation conjointe. Le demandeur a décidé de ne pas présenter d’autres éléments de preuve, et il n’y a pas eu de manquement à l’équité ou d’inconvenance dans la manière dont la SAI a traité de l’observation conjointe.
[33] Pour les motifs exposés ci-dessus, la décision de la SAI doit être annulée.
[34] Aucune des parties n’a proposé de question en vue de la certification.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La présente demande est accueillie, la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 22 février 2010, est annulée, et l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de l’ordonnance d’expulsion rendue par la Section de l’immigration de la Commission est renvoyé à un autre commissaire de la Section d’appel de l’immigration de la Commission pour nouvelle décision.
2. Aucune question n’est certifiée.
« Russel W. Zinn »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
Juriste-traducteur et traducteur-conseil
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1430-10
INTITULÉ : CHUO ENG FONG c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 3 novembre 2010
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 12 novembre 2010
COMPARUTIONS :
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Gregory G. George |
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocat
|
POUR LE DEMANDEUR |
MYLES J. KIRVAN Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |