Cour fédérale |
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Federal Court |
TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2010
En présence de monsieur le juge Beaudry
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) à l’encontre de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié (la Commission) en date du 28 janvier 2010, dans laquelle elle a statué que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.
[2] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie pour les motifs suivants.
[3] La demanderesse est citoyenne de la République populaire de Chine (la Chine) et craint d’être persécutée parce qu’elle a fréquenté une maison-église clandestine et qu’elle est de foi chrétienne.
[4] La Commission a pris connaissance de la documentation relative au pays et a conclu que la demanderesse ne faisait l’objet d’aucun mandat d’arrestation et que, partant, elle n’était pas recherchée par le Bureau de la sécurité publique (BSP).
[5] La Commission a conclu à l’inexistence de renseignements convaincants permettant de croire que les groupes restreints comme celui de la demanderesse étaient persécutés en raison de leur religion au Fujian, la province de la demanderesse. Puis, elle est arrivée à la conclusion qu’il n’y avait pas eu de descente de police et que le BSP n’avait pas procédé à l’arrestation de trois membres de l’église de la demanderesse.
[6] La Commission a également conclu que la demanderesse était véritablement chrétienne et qu’elle pouvait pratiquer sa religion dans sa maison-église ou dans une église enregistrée sans crainte d’être persécutée.
[7] L’appréciation des éléments de preuve et l’importance à accorder à ces derniers sont des questions de fait qui relèvent du champ d’expertise de la Commission. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1274, [2008] A.C.F. no 1589 (QL). Lorsqu'elle applique cette norme, la Cour ne peut pas substituer sa propre appréciation à moins que la présence d’erreurs susceptibles de contrôle ne soit démontrée.
[8] On ne peut accepter l’argument de la demanderesse selon lequel la Commission aurait appliqué à sa demande d’asile un raisonnement passe-partout et n’aurait pas examiné l’affaire au fond. Il est vrai que la Commission avait statué sur une autre affaire deux jours auparavant celle de la demanderesse et que les deux décisions renfermaient des passages identiques. Les faits dans l’une et l’autre affaire étaient fort semblables. Les deux parties demanderesses venaient de la province du Fujian et prétendaient être persécutées en raison de leurs croyances religieuses. La documentation produite était elle aussi très semblable. C’est pourquoi une telle affirmation n’est pas suffisante pour infirmer la décision.
[9] La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu’elle n’était pas recherchée par le BSP, en Chine, du fait qu’aucune assignation n’avait été décernée à son intention. Au paragraphe 5 de ses motifs, la Commission s’en remet à la citation suivante :
[...] en Chine, les policiers laissent très souvent les assignations auprès de membres de la famille (ou même d’amis proches, mais cette pratique est moins courante) en les avisant de remettre l’assignation à la personne dont le nom est inscrit sur cette dernière. La personne acceptant l’assignation doit signer un accusé de réception. Il ne s’agit pas de la procédure adéquate, mais cela se produit tout le temps, notamment lorsque la personne visée par l’assignation est difficile à trouver [...]
[10] La demanderesse soutient en outre que, dans son ensemble, la documentation permet de prétendrer que les procédures d’exécution de la loi en Chine varient grandement et sont très arbitraires et qu’il s’ensuit que la remise de l’assignation à un proche n’est pas réellement une procédure régulière. La demanderesse fait donc valoir que la Commission a fait une interprétation erronée de la preuve et que ses conclusions ne reposent sur aucun élément de preuve.
[11] Même en présumant que les observations formulées par la demanderesse à cet égard sont valables et en admettant qu’il s’agisse là de l’unique erreur commise par la Commission, la Cour n’infirmerait pas la décision du fait de cette seule erreur (Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CC 775, [2008] A.C.F. no 979 (QL)).
[12] Cela dit, la Cour souscrit à l’opinion de la demanderesse voulant qu’il y a une contradiction entre les paragraphes 13 et 8 de la décision. Au paragraphe 13, la Commission tient les propos suivants :
[…] Étant parvenu à cette conclusion [que la demandeure d’asile est véritablement chrétienne] et ayant pris en compte la preuve documentaire au sujet de la province de Fujian, le tribunal considère qu’elle pourrait pratiquer sa religion chrétienne dans sa maison-église sans crainte d’être persécutée si elle retournait chez elle […]
En revanche, au paragraphe 8, la Commission déclare :
[…] Cependant, dans d’autres régions, les petites réunions de parents et d’amis sont interdites. Les maisons-églises se heurtent souvent à des difficultés quand le nombre de membres augmente, […]
La preuve démontre que, de quelques personnes, le nombre de membres fréquentant la maison-église de la demanderesse était passé à 28.
[13] La liberté de religion était au cœur de la revendication de la demanderesse et, par conséquent, la Court se doit d’intervenir.
[14] La Cour estime également qu’il était déraisonnable pour la Commission de conclure qu’il était loisible à la demanderesse de pratiquer sa religion en véritable chrétienne dans une église enregistrée en Chine sans de voir obéir à des contraintes sur le plan de la doctrine (paragraphe 16 des motifs).
[15] Soit que la Commission n’a pas tenu compte, soit qu’elle a omis d’analyser d’importants documents faisant état du contraire, c’est-à-dire des restrictions et des obligations imposées aux membres des églises enregistrées en Chine (voir le dossier du tribunal, pages 70-71, 108, 112, 192, 196, 727).
[16] Aucune question n’a été soumise à des fins de certification et aucune ne se pose ici.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judicaire est accueillie. L’affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1052-10
INTITULÉ : YUN JUAN WANG
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 4 novembre 2010
ET JUGEMENT : LE JUGE BEAUDRY
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 15 novembre 2010
COMPARUTIONS :
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POUR LE DEMANDEUR
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Melissa Mathieu |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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POUR LE DEMANDEUR
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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