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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20101110

Dossier : IMM-540-10

Référence : 2010 CF 1078

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

ERIK SOLIS JIMINEZ,

PATRICIA RODRIGO NONIGO,

VANIA SOLIS RODRIGO,

ZAIRA SOLIS RODRIGO,

MAYLING MARYORI SOLIS RODRIGO

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant la décision du 24 novembre 2009 par laquelle une agente d’examen des risques avant renvoi (l’agente) a rejeté la demande soumise par les demandeurs afin d’être dispensés pour des motifs d’ordre humanitaire, en application de l’article 25 de la Loi, de l’obligation d’obtenir un visa d’immigration avant de venir au Canada (la demande CH).

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs que je vais maintenant exposer.

 

[3]               Les demandeurs sont des citoyens du Mexique. Erik Solis Jimenez (le demandeur principal) et son épouse (Patricia Rodriguez Nonigo) ont trois enfants, Vania Solis Rodrigo, Zaira Solis Rodrigo et Mayling Maryori Solis Rodrigo, qui sont également des demanderesses dans la présente affaire.

 

[4]               Les demandeurs sont venus au Canada en raison de problèmes causés au Mexique par un trafiquant de drogue et escroc, dénommé Fredi Duque Dominguez (Fredi), qui aurait demandé au demandeur principal de repeindre des automobiles volées ayant fait l’objet de réclamations d’assurance. Le demandeur principal ayant refusé son aide, on a menacé de s’en prendre à ses filles. Des voisins ont appris au demandeur principal que Fredi non seulement se livrait au trafic de drogue, mais aussi disposait de la protection de policiers et de fonctionnaires. Le demandeur principal a par conséquent décidé de partir au Guatemala avec sa famille en août 2003, après que diverses menaces eurent été portées contre lui et ses enfants.

 

[5]               En janvier 2004, soit cinq mois après leur départ, le demandeur principal et sa famille sont retournés au Mexique en raison de problèmes de santé et parce que les enfants n’avaient pas pu fréquenter l’école au Guatemala.

 

[6]               Quelques mois après le retour de la famille au Mexique, l’épouse du demandeur principal a appris que Fredi avait été arrêté et que les complices de ce dernier croyaient que son mari était derrière cette arrestation. Peu après en avoir été informé, le demandeur principal s’est enfui avec sa famille dans la ville de Puebla, où il a pris les arrangements nécessaires en vue de leur départ pour le Canada.

 

[7]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 5 août 2005, puis ont présenté une demande d’asile plus tard le même mois. Le 16 juin 2005, leur demande d’asile a été rejetée; leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant cette décision a également été rejetée, le 20 septembre 2005. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a estimé dans sa décision que le récit des demandeurs n’était pas entièrement crédible et que, même s’il y avait au Mexique des problèmes de corruption, le demandeur principal pouvait y obtenir la protection de l’État. Le tribunal a également souligné le fait que les demandeurs avaient pu se rendre à Puebla et y vivre pendant un mois sans y rencontrer le moindre problème.

 

[8]               Le demandeur principal et sa famille ont ensuite soumis une demande CH le 25 novembre 2005, ainsi qu’une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) en juillet 2009.

 

[9]               Les demandeurs ont fait valoir au soutien de leur demande CH a) qu’ils seraient exposés à un risque personnalisé s’ils devaient retourner au Mexique; b) qu’ils étaient établis au Canada; c) qu’il était dans l’intérêt des enfants de demeurer au Canada, comme il leur serait difficile de réintégrer le système scolaire mexicain et d) qu’un diagnostic de trouble d’anxiété ayant été établi pour Vania, l’aînée des enfants, ils s’inquiétaient que celle-ci ne puisse pas recevoir des soins appropriés au Mexique.

 

[10]           Le 27 janvier 2010, le demandeur principal et sa famille ont appris qu’ils seraient renvoyés du Canada le 9 février 2010. Le demandeur principal a alors soumis une demande de report du renvoi. On a accueilli cette demande, le renvoi étant reporté à la fin de l’année scolaire en cours pour ne pas interrompre l’année scolaire des enfants.

 

[11]           Dans sa décision défavorable rendue à l’égard de la demande CH fondée sur la crainte que Fredi inspirait aux demandeurs, l’agente a conclu que les articles produits en preuve ne lui permettaient pas de conclure que la protection offerte par l’État au Mexique était inadéquate. Selon l’agente, de plus, le demandeur principal n’avait pas épuisé tous les recours qui s’offraient à lui.

 

[12]           Quant à l’établissement des demandeurs au Canada, l’agente a conclu que, bien que ceux-ci aient déployé des efforts considérables pour trouver du travail et être autonomes sur le plan financier, ils n’avaient pas démontré en quoi la cessation de l’emploi occupé au Canada et des études en théologie de l’épouse du demandeur principal leur occasionnerait des difficultés pouvant être considérées « inhabituelles, injustifiées ou excessives ». L’agente a également conclu que leurs liens sociaux et familiaux établis dans leur pays d’origine étaient plus solides que ceux établis au Canada.

 

[13]           Pour ce qui est de l’intérêt supérieur des enfants, l’agente a reconnu que les trois filles du demandeur principal auraient à déployer des efforts pour se réintégrer dans le système scolaire mexicain. Elle a toutefois conclu que le fait pour les enfants d’avoir un accent, de devoir faire reconnaître leurs années de scolarité à l’étranger ou de devoir passer des examens d’admission ou d’évaluation n’équivalait pas en l’occurrence à subir des difficultés pouvant être qualifiées d’inhabituelles, d’injustifiées ou d’excessives.

 

[14]           L’agente a en outre conclu, en ce qui a trait à Vania, l’ainée des demandeurs, et aux arguments concernant son état psychologique et son trouble d’anxiété, qu’au Mexique il était possible d’obtenir les soins d’un professionnel de la santé mentale et qu’il existait divers programmes d’aide pour les personnes ne disposant pas d’une assurance privée. L’agente a ajouté que l’intérêt supérieur des enfants était l’un des nombreux facteurs d’importance qu’il faut prendre en compte dans l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire. Ainsi, le concept d’intérêt supérieur de l’enfant ne l’emporte pas à lui seul sur tous les autres facteurs.

 

[15]           Une question de justice naturelle et d’équité procédurale et la question de savoir si un agent d’ERAR a appliqué le bon critère quant aux difficultés dans l’analyse du risque effectuée d’une demande CH présentée en application de l’article 25 de la LIPR constituent des questions de droit et elles appellent comme norme de contrôle judiciaire la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Zambrano c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 481, [2008] A.C.F. n° 601 (QL); Barrack c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 962, [2008] A.C.F. n° 1197 (QL)).

 

[16]           C’est la norme de la raisonnabilité, par contre, que l’on doit appliquer aux questions de fait (Dunsmuir, précité; Baker c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817).

 

[17]           Premièrement, les demandeurs soutiennent en l’espèce que l’agente a manqué à leur endroit aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale lorsqu’elle a conclu qu’ils pourraient avoir accès à des ressources en santé mentale adéquates au Mexique sur le fondement d’un article de l’Organisation mondiale de la santé qui ne leur avait pas été communiqué ni n’avait été mis à leur disposition avant la prise de sa décision (Haghighi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.), Level (tutrice à l’instance) c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 227, 71 Imm. L.R. (3d) 52, 324 F.T.R. 71; Zamora c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 1414, [2004] A.C.F. n° 1739 (QL)).

 

[18]           Dans l’affaire Level, où la preuve extrinsèque en cause était un rapport médical, la Cour a déclaré ce qui suit (paragraphe 15) :

À mon sens, la question qu’il faut se poser est celle de savoir si la requérante a eu connaissance des renseignements de façon à pouvoir corriger les malentendus ou les déclarations inexactes susceptibles de nuire à sa cause. La source des renseignements ne constitue pas un élément distinctif en soi, pour autant que les renseignements ne sont pas connus de la partie requérante. Ce qu’il faut savoir, c’est si celle‑ci a eu la possibilité de répondre à la preuve. C’est ce que les règles d’équité sur le plan de la procédure exigent, selon une jurisprudence établie depuis longtemps. Pour reprendre les commentaires bien connus que lord Loreburn L.C. a formulés dans l’affaire Board of Education c. Rice, [1911] A.C. 179 (H.L.), à la page 182 :

 

[traduction]

 

Ils peuvent obtenir des renseignements de la façon qu’ils jugent la meilleure, en accordant toujours à ceux qui sont parties au différend la possibilité raisonnable de corriger ou de contredire toute affirmation pertinente qui est préjudiciable à leur opinion.

 

 

[19]           Je conclus qu’il n’y a pas eu en l’espèce atteinte à l’équité procédurale. Les renseignements sur lesquels l’agente s’est fondée étaient largement accessibles et, même si les demandeurs n’ont pas lu l’article particulier qui nous occupe, il s’agissait d’un élément d’information qu’il aurait été facile de trouver en furetant. Il m’est difficile de croire que les demandeurs ignoraient qu’outre les soins privés de santé, ils pouvaient recourir au régime public de soins au Mexique. En outre, l’article en question n’a été que l’un des facteurs pris en compte par l’agente quant à la situation de Vania.

 

[20]           Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que l’agente n’a pas appliqué le bon critère juridique aux fins de l’évaluation des difficultés auxquelles ils seraient exposés et que leur degré d’établissement au Canada et la perte des liens qu’ils avaient établis au Mexique leur occasionneraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils devaient retourner dans ce pays (Pacia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 804, [2008] A.C.F. n° 1014 (QL); Pinter c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 296, [2005] A.C.F. n° 366 (QL)).

 

[21]           Une bonne analyse de l’état du droit sur cette question a été faite par le juge Lagacé dans la décision Markis c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 428, [2008] A.C.F. n° 564 (QL) (paragraphes 23 et 24) :

Les demandeurs disent que l’agente a appliqué la mauvaise norme juridique lorsqu’elle a évalué les difficultés auxquelles ils seraient exposés. La Cour faisait une remarque instructive, au paragraphe 1 de la décision Sahota c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 651, [2007] A.C.F. n° 882 (QL) :

 

Bien qu’elle ne soit peut-être pas toujours évidente dans les faits, la distinction entre un examen des risques avant renvoi (l’ERAR) et une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire déposée depuis le Canada est manifeste en droit.

 

En effet, même si les deux demandes prennent toutes deux en compte le risque, « dans le cadre d’une demande d’ERAR, le “risque” visé par l’article 97 de la LIPR exige qu’on se demande si le demandeur serait personnellement exposé au risque d’être soumis à la torture ou à une menace à sa vie, ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités » (décision Sahota, précitée, paragraphe 7), tandis que, dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, « le risque devrait être considéré comme un des facteurs pertinents à la question de savoir si le demandeur aurait à surmonter des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. L’accent est donc mis sur les difficultés qui comportent une composante de risque sans constituer un risque en tant que tel » [Non souligné dans l’original.] (décision Sahota, précitée, paragraphe 8).

 

 

[22]           En l’espèce, l’agente a considéré le fait que les demandeurs avaient pu voyager non seulement au Guatemala, mais aussi dans différentes villes du Mexique sans éprouver le moindre problème, et elle a souligné qu’ils n’avaient pas mentionné avoir eu de la difficulté à obtenir des passeports.

 

[23]           L’agente a appliqué le bon critère lorsqu’elle a analysé et pris en compte le facteur du risque dans le cadre de la demande CH ici en cause.

 

[24]           Troisièmement, les demandeurs soutiennent que l’agente ne s’est pas montrée réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants lorsqu’elle a rendu sa décision.

 

[25]           Il est bon de réitérer les principaux principes applicables à la prise en compte, aux fins des demandes CH, de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le juge Décary a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Legault c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CAF 125, 212 D.L.R (4th ) 139 (aux paragraphes 11 et 12) :

La Cour suprême, dans Suresh, nous indique donc clairement que Baker n’a pas dérogé à la tradition qui veut que la pondération des facteurs pertinents demeure l’apanage du ministre ou de son délégué. Il est certain, avec Baker, que l’intérêt des enfants est un facteur que l’agent d’immigration doit examiner avec beaucoup d’attention. Il est tout aussi certain, avec Suresh, qu’il appartient à cet agent d’attribuer à ce facteur le poids approprié dans les circonstances de l’espèce. Ce n’est pas le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les agents.

 

Bref, l’agent d’immigration doit se montrer « réceptif, attentif et sensible à cet intérêt » (Baker, précité, au paragraphe 75), mais une fois qu’il l’a bien identifié et défini, il lui appartient de lui accorder le poids qu’à son avis il mérite dans les circonstances de l’espèce. […] Ce n’est pas parce que l’intérêt des enfants voudra qu’un parent qui se trouve illégalement au Canada puisse demeurer au Canada (ce qui, comme le constate à juste titre le juge Nadon, sera généralement le cas), que le ministre devra exercer sa discrétion en faveur de ce parent. Le Parlement n’a pas voulu, à ce jour, que la présence d’enfants au Canada constitue en elle-même un empêchement à toute mesure de refoulement d’un parent se trouvant illégalement au pays (voir Langner c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 29 C.R.R. (2d) 184 (C.A.F.), permission d’appeler refusée, [1995] 3 R.C.S. vii).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[26]           En l’espèce, l’agente a pris en compte la situation personnelle des trois enfants et elle a étayé de motifs convaincants sa conclusion selon laquelle on ne pouvait pas considérer être inhabituelle, injustifiée ou excessive les difficultés alléguées. Elle a aussi procédé à l’analyse de documents produits par les demandeurs (lettre provenant d’une école de Mexico et rapport d’un psychologue). En résumé, les demandeurs demandent à la Cour d’apprécier de nouveau les facteurs déjà considérés par l’agente. Je conclus qu’aucune erreur susceptible de contrôle qui justifierait l’intervention de la Cour n’a été commise.

 

[27]           Quatrièmement, les demandeurs soutiennent que l’agente a commis plusieurs erreurs de fait dans l’examen de la preuve dont elle était saisie.

 

[28]           Après examen de la preuve, une fois encore, la Cour ne peut conclure que l’agente a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. La décision de l’agente dans son ensemble est transparente et intelligible et elle appartient aux issues possibles acceptables.

 

[29]           Aucune question de portée générale n’a été proposée, et la présente affaire n’en soulève aucune.

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-540-10

 

INTITULÉ :                                       ERIK SOLIS JIMINEZ, PATRICIA RODRIGO NONIGO, VANIA SOLIS RODRIGO, ZAIRA SOLIS RODRIGO, MAYLING MARYORI SOLIS RODRIGO ET MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 2 NOVEMBRE 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 10 NOVEMBRE 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marjorie Hiley

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alex C. Kam

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marjorie Hiley

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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