Cour fédérale |
|
Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2010
En présence de madame la juge Bédard
ENTRE :
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la LIPR), à l’encontre d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (la Commission), datée du 23 février 2010, qui a rejeté la demande d’asile du demandeur et conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR ni une « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR.
Contexte
[2] Le demandeur est citoyen du Guatemala. Il craint d’être menacé par les membres de la bande criminalisée, la Mara Salvatrucha (Maras) s’il retourne dans son pays.
[3] Le demandeur était pêcheur. En décembre 2004, alors qu’il pêchait avec un ami, ils auraient été approchés par les Maras qui auraient tenté de les extorquer en exigeant qu’ils leur remettent les produits de leur pêche trois jours par semaine. Ils ont obtempéré jusqu’en décembre 2005.
[4] Le 20 décembre 2005, les Maras ont exigé qu’ils leur remettent les produits de leur pêche tous les jours. L’ami du demandeur a refusé et il a été battu et menacé de mort par les Maras. Le 22 décembre 2005, le demandeur et son ami sont retournés pêcher, mais ils ont choisi de jeter à la mer la majorité de leur prise plutôt que de la remettre aux Maras. Lorsque les Maras ont remarqué la maigre prise que le demandeur et son ami rapportaient, ils les ont battus. Le demandeur a réussi à fuir. Il est retourné chez lui durant la nuit et ses parents l’ont informé qu’ils avaient reçu la visite des Maras qui le cherchaient. Le demandeur est allé se cacher chez son oncle à Retalhuleu. Le 25 décembre 2005, la mère du demandeur a informé le demandeur que son ami avait disparu et que les Maras le cherchaient partout, même à Retalhuleu.
[5] Le demandeur a quitté le Guatemala le 15 janvier 2006 et s’est rendu aux États-Unis. Il y est demeuré jusqu’à ce qu’il se présente au Canada en janvier 2007 et y demande l’asile.
La décision contestée
[6] La Commission a rejeté la demande d’asile pour deux motifs. Dans un premier temps, elle a considéré que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État. Il importe de noter que la Commission a précisé ne pas avoir jugé utile d’évaluer la crédibilité du demandeur puisque même s’il était crédible, il n’avait pas réussi à réfuter la présomption. À cet égard, la Commission a indiqué qu’il y avait lieu de présumer que le Guatemala était capable de protéger ses citoyens et que le demandeur n’avait fait aucun effort pour demander la protection des autorités du Guatemala. La Commission n’a pas été satisfaite des explications du demandeur selon lesquelles il avait peur de porter plainte parce qu’il avait été averti par les Maras de se taire sinon il serait mort, que même s’il faisait arrêter les Maras avec qui il avait eu des problèmes, d’autres membres de ce gang se seraient vengés et que la police du Guatemala était infiltrée par ces derniers.
[7] Dans un second temps, la Commission a estimé que le demandeur n’avait pas fait la preuve d’une crainte subjective de persécution. La Commission a jugé qu’en demeurant aux États-Unis illégalement pendant presque deux ans sans y demander l’asile, le demandeur n’avait pas eu le comportement d’une personne qui craint pour sa vie. La Commission n’a pas été satisfaite des explications du demandeur à cet égard.
La question en litige
[8] La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions :
1) La Commission a-t-elle errée en concluant que le demandeur n’avait pas renversé la présomption que le Guatemala était en mesure de le protéger?
2) La Commission a-t-elle errée en concluant que le demandeur n’avait pas fait la preuve de sa crainte subjective de persécution et, le cas échéant, cette conclusion était-elle déterminante?
[9] Pour les motifs qui suivent, j’estime que la Commission a commis des erreurs qui justifient l’intervention de la Cour.
Analyse
La norme de contrôle
[10] Il est établi que les questions relatives au caractère adéquat de la protection de l’État constituent des questions mixtes de fait et de droit qui sont assujetties à la norme de la raisonnabilité (Hinzman c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, [2007] A.C.F. no 584; Rocque c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 802, [2010] A.C.F. no 983). La première question sera donc analysée en vertu de la norme de la raisonnabilité.
[11] Il est bien également établi que les conclusions de fait de la Commission, et plus particulièrement, son appréciation de la preuve, sont, elles aussi, assujetties à la norme de la raisonnabilité. Il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre appréciation de la preuve à celle de la Commission et elle n’interviendra que si les conclusions de la Commission sont tirées de façon arbitraire, abusive ou rendues sans tenir compte de la preuve (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339; Martinez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 798, [2009] A.C.F. no 933; Alinagogo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 545, [2010] A.C.F. no 649).
[12] La deuxième question met également en cause une sous-question de droit : la conclusion de la Commission eu égard à la crainte subjective du demandeur était-elle fatale à sa demande d’asile? Cette question fera l’objet d’une révision selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir).
[13] Le rôle de la Cour lors du contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité a été établi dans Dunsmuir, au paragraphe 47 :
[…] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
Analyse
a. La Commission a-t-elle errée en concluant que le demandeur n’avait pas renversé la présomption que le Guatemala était en mesure de le protéger?
[14] Le demandeur soutient que la Commission a fait une analyse superficielle et sélective de la preuve relative à la capacité du Guatemala de protéger ses citoyens et qu’elle a omis de considérer la preuve documentaire qu’il a soumise et qui constituait une preuve claire et convaincante de l’incapacité du Guatemala à assurer la protection de ses citoyens.
[15] Le défendeur, pour sa part, soutient que la Commission est présumée avoir considéré l’ensemble de la preuve et qu’elle n’a pas à mentionner tous les éléments de preuve soumis, que la conclusion de la Commission était appuyée sur la preuve et qu’il appert d’une lecture de la décision que la Commission était consciente de l’existence des problèmes de corruption au Guatemala. Le défendeur soutient également que, de toute façon, la preuve documentaire soumise par le demandeur ne constituait pas une preuve claire et convaincante de l’incapacité du Guatemala à protéger ses citoyens et qu’en l’absence de toute tentative du demandeur de solliciter l’aide des autorités du Guatemala, la conclusion de la Commission était raisonnable.
[16] J’estime qu’à priori, la Commission a énoncé les bons principes, mais qu’elle a fait une analyse insuffisante et superficielle de la preuve soumise par le demandeur.
[17] Dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême a clairement établi qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il existe une présomption qu’un pays est en mesure de protéger ses citoyens et qu’une personne doit se prévaloir des mesures de protection dans son pays avant de demander l’asile dans un pays étranger.
[18] Le juge La Forest a expliqué de la manière suivante le principe sous-tendant le régime de protection des réfugiés et l’importance cruciale de la présomption selon laquelle l’État d’origine offre une protection à ses citoyens :
Il est utile d’examiner, au départ, la raison d’être du régime international de protection des réfugiés, car cela influe sur l’interprétation des divers termes à l’étude. Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu’on s’attend à ce que l’État fournisse à ses ressortissants. Il ne devait s’appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement. La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s’adresser à leur État d’origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d’autres États ne soit engagée. C’est pourquoi James Hathaway qualifie le régime des réfugiés de [traduction] « protection auxiliaire ou supplétive » fournie uniquement en l’absence de protection nationale; voir The Law of Refugee Status (1991), à la p. 135. Cela étant, j’examinerai maintenant les éléments particuliers de la définition de l’expression « réfugié au sens de la Convention » que nous avons à interpréter.
[Je souligne]
[19] La présomption concernant la disponibilité de la protection de l’État ne peut être réfutée que lorsque le demandeur apporte la preuve « claire et convaincante » de l’incapacité de son pays d’origine à lui offrir une protection efficace (Ward). Dans Carillo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, la Cour d’appel fédérale a traité de la qualité de la preuve qui était exigée et précisée, au paragraphe 30 : « Autrement dit, le demandeur d'asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l'État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l'État en question est insuffisante ».
[20] Dans Kadenko c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] F.C.J. No. 1376, 143 D.L.R. (4th) 532, (CAF), le juge Décary a indiqué que le fardeau de la preuve reposait sur le demandeur et qu’il était proportionnel au degré de démocratie du pays en cause.
[21] La Commission a correctement énoncé les principes ci-haut énoncés dans sa décision. Elle a par la suite conclu que le demandeur n’avait pas renversé la présomption de protection de l’État, notamment parce qu’il n’avait pas sollicité l’aide des autorités du Guatemala avant de demander l’asile. La Commission n’a pas retenu les explications du demandeur pour justifier son omission.
[22] De façon générale, le demandeur doit avoir sollicité l’aide des autorités avant de conclure que l’État n’est pas en mesure de lui accorder une protection adéquate, mais ce n’est pas nécessaire dans tous les cas. Comme la Cour suprême l’a indiqué dans Ward:
Un réfugié peut prouver une crainte bien fondée d'être persécuté lorsque les autorités officielles ne le persécutent pas, mais qu'elles refusent ou sont incapables de lui offrir une protection adéquate contre ses persécuteurs [...] toutefois, il doit démontrer qu'il a demandé leur protection une fois convaincu, comme c'est le cas en l'espèce, que les autorités officielles -- lorsqu'elles étaient accessibles -- n'avaient rien à voir -- de façon directe ou indirecte, officielle ou non officielle -- dans la persécution dont il faisait l'objet. (José Maria da Silva Moreira, décision T86-10370 de la Commission d'appel de l'immigration, 8 avril 1987, aux pp. 4 et 5, V. Fatsis.)
Ce n'est pas vrai dans tous les cas. La plupart des États seraient prêts à tenter d'assurer la protection, alors qu'une évaluation objective a établi qu'ils ne peuvent pas le faire efficacement. En outre, le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d'un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l'encontre de l'objet de la protection internationale.
[23] Dans Ramirez Chagoya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 721, le juge Martineau, traitant du défaut de solliciter l’aide des autorités, s’est exprimé comme suit:
[…] D’ailleurs, cette Cour a rappelé récemment dans Shimokawa c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 445, [2006] A.C.F. no 555 (QL), au paragraphe 21 : « [...] le demandeur d'asile n'est pas tenu de faire preuve de courage ou de témérité pour demander la protection de l'État. Il lui incombe seulement de tenter d'obtenir la protection de l'État si celle-ci est considérée comme étant raisonnablement assurée. Si le demandeur d'asile prouve de façon claire et convaincante qu'il serait inutile d'entrer en contact avec les autorités ou que cela empirerait la situation, il n'est pas tenu de prendre d'autres mesures ». En somme, il est déraisonnable de forcer un revendicateur d’asile à demander une protection qui a peu de chances de se concrétiser en pratique, ou qui continuera encore longtemps à se faire attendre, et ce, simplement pour démontrer l’inefficacité de la protection étatique sollicitée.
[24] Il appartient toutefois au demandeur de démontrer qu’il n’était pas raisonnable de lui imposer de solliciter la protection du Guatemala pour justifier son omission. En l’espèce, le demandeur a expliqué qu’il ne s’était pas adressé aux autorités pour trois raisons: les Maras l’avaient averti de se taire à défaut de quoi il serait mort; il craignait la vengeance de d’autres Maras, même si les Maras avec lesquels il avait eu des démêlés étaient arrêtés; et la police est infiltrée de Maras. Le demandeur a également produit de la preuve documentaire au soutien de ses allégations.
[25] La Commission a reconnu qu’il existait beaucoup de corruption au Guatemala, mais estimé que le pays faisait des efforts pour régler ses problèmes et protéger ses citoyens. La Commission a appuyé sa conclusion sur deux documents. Elle a cité un extrait de l’US Country Report pour l’année 2008 qui indique que des élections libres ont eu lieu au Guatemala en novembre 2007 et que le parti au pouvoir a été élu pour un terme de quatre ans. La Commission a également cité un extrait d’une réponse à une demande d’information du 5 mai 2009 qui énonce le mécanisme de plainte à la disposition des personnes victimes de crime.
[26] Le demandeur soutient que les documents cités par la Commission ne démontrent aucunement que le Guatemala est en mesure de protéger ses citoyens alors que la Commission a ignoré la preuve documentaire qu’il avait invoquée à l’audience. Il réfère notamment à trois documents compris dans le Cartable national de documentation sur le Guatemala : l’onglet 2.3 du Cartable national qui traite d’impunité pour les criminels et du faible taux de condamnations, l’onglet 7.2 du Cartable national qui traite de l’incapacité des forces policières à contrôler les gangs et de la corruption au sein des forces policières et l’onglet 7.5 du cartable national qui traite de la corruption des forces policières, de la violence et de l’extorsion des gangs ainsi que de l’épidémie de violence.
[27] Il est exact d’affirmer, comme le fait le défendeur, que la Commission est présumée avoir considéré l’ensemble de la preuve et qu’il n’est pas nécessaire qu’elle mentionne tous les éléments de preuve documentaire dont elle disposait (Florea c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. No. 598 (C.A.F.); Ramirez Chagoya c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 721). Toutefois, lorsque le demandeur soumet des éléments de preuve sur un élément important qui contredisent directement les conclusions tirées par la Commission, celle-ci a l’obligation de traiter de cette preuve et d’expliquer pourquoi elle a choisi de l’écarter. Dans Cedepa- Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no, 1425, 157 F.T.R. 35, le juge Evans a très bien exposé les paramètres applicables à cet égard:
15 La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l'égard de l'interprétation qu'un organisme donne de sa loi constitutive, s'il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d'un organisme en l'absence de conclusions expresses et d'une analyse de la preuve qui indique comment l'organisme est parvenu à ce résultat.
16 Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraire à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.
17 Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait. [Je souligne]
[28] J’estime qu’en l’espèce, les documents sur lesquels la Commission s’appuie n’offrent aucune indication sur l’efficacité des mécanismes de protection et n’étaient pas suffisants pour conclure que le demandeur n’avait pas renversé la présomption de protection de l’État compte tenu de la preuve qui allait en sens inverse. La Commission n’a pas mentionné, et encore moins traité dans sa décision, la preuve soumise par le demandeur qui tendait à appuyer son allégation quant à l’incapacité des autorités de le protéger contre les Maras. La Commission n’avait pas à retenir cette preuve, mais cette preuve était pertinente et elle tendait à contredire la conclusion que l’État est en mesure de protéger ses citoyens contre la violence des Maras. La déclaration générale de la Commission sur l’existence des problèmes de corruption au Guatemala n’était pas, en l’espèce, suffisante. La Commission devait mentionner ces éléments de preuve et expliquer pourquoi elle ne la retenait pas (voir au même effet : Khakim c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 909; Sanchez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1336, [2008] A.C.F. no 1673; Aguirre c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 916, [2010] F.C.J. No. 1116).
[29] Je considère donc que la décision de la Commission est déraisonnable eu égard à l’existence de la protection de l’État.
2) La Commission a-t-elle errée en concluant que le demandeur n’avait pas fait la preuve de sa crainte subjective de persécution et cette conclusion était-elle déterminante?
[30] Le demandeur soutient que le défaut de demander l’asile aux États-Unis ne devrait pas être déterminant parce que la Commission n’a pas mis en doute sa crédibilité.
[31] Le défendeur soutient pour sa part que le défaut du demandeur de revendiquer l’asile aux États-Unis affecte sa crédibilité et démontre une absence de crainte subjective qui est fatale à sa demande d’asile.
[32] Il importe de recadrer la conclusion de la Commission. D’abord, la Commission n’a pas analysé la demande d’asile distinctement en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR. Je présume toutefois, à ma lecture de la décision, qu’elle a traité de l’absence de crainte subjective du demandeur dans le contexte de la « crainte de persécution » qui est propre à une analyse en vertu de l’article 96 de la LIPR. La Commission s’exprime comme suit :
[14] De plus le demandeur n’a pas eu un comportement d’une personne qui craint pour sa vie. En effet, le demandeur est allé aux États-Unis et y est demeuré près de deux ans illégalement sans y faire une demande d’asile. Le tribunal l’a confronté avec ce défaut d’avoir demandé l’asile aux États-Unis. Il explique qu’il ne veut pas demander l’asile aux États-Unis parce qu’il a peur d’être retourné dans son pays comme c’est arrivé à d’autres réfugiés.
[15] Le tribunal juge ces explications insuffisantes pour justifier un séjour de deux jours aux États-Unis sans y demander l’asile alors que le demandeur prétend qu’il avait peur d’être retourné dans son pays. Le tribunal juge opportun de rappeler ici le sens des propos exprimés par l’honorable juge MacKay dans la cause Ilie : « Le défaut d’un demandeur de revendiquer le statut de réfugié dans un pays signataire de la Convention ou du Protocole de 1967 contredit la prétention selon laquelle il craint d’être persécuté. »
[16] Sur ce point, la jurisprudence a déjà établi le principe selon lequel une personne qui dit craindre pour sa vie, doit profiter de la première occasion où elle se trouve dans un pays signataire de la Convention et/ou le Protocole relatif au statut des réfugiés, pour réclamer sa protection; ce que le demandeur n’a pas fait et qui nous fait mettre en doute sa crainte subjective. Et, au sujet de cette absence de crainte subjective, il convient de rappeler les propos de la Cour fédérale dans l’arrêt Kamana : « L’absence de preuve quant à l’élément subjectif de la revendication constitue une lacune fatale qui justifie à elle seule le rejet de la revendication puisque les deux éléments de la définition de réfugié, subjectif et objectif, doivent être rencontrés.
[33] Analysée sous l’angle de l’article 96 de la LIPR, la conclusion de la Commission était déterminante. Ce n’est toutefois pas le cas en vertu de l’article 97 de la LIPR qui commande l’application d’un test objectif. Dans Cruz Herrera c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 979, [2007] A.C.F. no 1297, le juge Beaudry a indiqué que « l’absence de crainte subjective de la part du demandeur permet de statuer convenablement sur sa demande relative à l’article 96, mais l’élément subjectif n’est pas nécessaire pour conclure qu’un demandeur est une personne à protéger en application du paragraphe 97(1) ». (Voir également Sanchez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CAF 99, [2007] A.C.F. no 336; Singh c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1070, [2009] A.C.F. no 1312; Balakumar c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 20, [2008] A.C.F. no 30).
[34] Je considère par ailleurs que la crainte subjective peut parfois être un élément pertinent aux fins d’évaluer la véracité des allégations d’une personne qui prétend être une personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR.
[35] À tout évènement, j’estime qu’il était déraisonnable en l’espèce pour la Commission de conclure que le demandeur n’avait pas eu le comportement d’une personne qui craint pour sa vie. Comme l’a indiqué la Cour suprême dans Ward : « l’élément subjectif se rapporte à l’existence de la crainte de persécution dans l’esprit de la personne ». La Commission a inféré du fait que le demandeur n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis qu’il n’avait pas le comportement d’une personne qui craint pour sa vie. En concluant ainsi, la Commission se trouve en fait à remettre en cause la véracité du récit du demandeur qui soutient craindre pour sa vie. Or, la Commission a expressément indiqué, au début de sa décision, qu’elle n’avait pas évalué la crédibilité du demandeur. Elle ne pouvait donc, sans analyse, tirer des inférences négatives sur la crédibilité du demandeur. Je considère donc que la conclusion de la Commission est déraisonnable.
[36] Les parties n’ont proposé aucune question d’importance aux fins de certification et aucune question ne sera certifiée.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que le dossier soit retourné devant la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés afin que la demande d’asile du demandeur soit réexaminée par un panel différent.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1412-10
INTITULÉ : NELSON RUBEN RALDA GOMEZ c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 13 octobre 2010
MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE BÉDARD
DATE DES MOTIFS : Le 22 octobre 2010
COMPARUTIONS :
Claude Whalen
|
POUR LE DEMANDEUR |
Simone Truong
|
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Claude Whalen Montréal, Québec
|
POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous-Procureur Général du Canada
|
POUR LE DÉFENDEUR |