Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2010
En présence de madame la juge Bédard
ENTRE :
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la LIPR), à l’encontre d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (la Commission), datée du 28 janvier 2010, qui a rejeté la demande d’asile du demandeur et conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR ni une « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR.
Contexte
[2] Le demandeur est citoyen péruvien. Lorsqu’il vivait au Pérou, il travaillait comme préposé aux ordures. Il soutient que le 17 mai 2008, il a été abordé par des individus qui le soupçonnaient d’avoir ramassé, quelques jours plus tôt, un colis qui leur appartenait et qui contenait de la drogue et de l’avoir jeté dans son camion à ordures. Les individus auraient menacé le demandeur pour qu’il leur rende le colis et l’auraient obligé à les amener à son appartement qu’ils auraient fouillé à la recherche du colis. Les individus lui auraient alors donné une semaine pour leur retourner le colis. Le demandeur soutient avoir déposé une plainte auprès des autorités policières.
[3] Le 24 mai 2008, le demandeur aurait à nouveau été abordé par les mêmes individus qui l’auraient conduit dans un endroit isolé près d’une plage. Ils l’auraient battu et lui aurait plongé la tête sous l’eau. Suite à cet évènement, le demandeur aurait été hospitalisé pendant trois jours. Après son hospitalisation, il aurait abandonné son emploi et quitté le pays. Le demandeur a demandé l’asile le 29 août 2008.
La décision contestée
[4] La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif qu’il n’avait pas fourni une preuve crédible de son récit. La Commission a mis en doute la crédibilité du demandeur en raison des omissions et des invraisemblances dans son témoignage et de l’absence de documents pour corroborer ses allégations.
[5] Avant l’audience, le demandeur avait demandé une remise de l’audience afin de lui permettre d’obtenir des documents au soutien de ses allégations. La Commission a refusé la demande de remise.
La question en litige
[6] Le demandeur a contesté la décision de la Commission de refuser la demande de remise. Il a également contesté ses conclusions relativement à sa crédibilité, mais lors de l’audience de la demande de contrôle judiciaire, l’avocat du demandeur a abandonné ce moyen. La présente demande soulève donc uniquement la question suivante : le défaut d’accorder une remise de l’audience équivaut-il à une violation de l’équité procédurale?
Analyse
[7] Le demandeur soutient qu’il était inéquitable en l’espèce que la Commission refuse sa demande de remise. Le demandeur soutient qu’il a donné des explications raisonnables pour justifier sa demande de remise et que les documents en cause, soit une copie de la plainte déposée par le demandeur et un document attestant de son hospitalisation, étaient importants. À cet égard, le demandeur soutient que la Commission a fondé sa conclusion sur sa crédibilité et sur son défaut d’avoir déposé des documents au soutien de ses allégations.
[8] Le demandeur soutient également que lors de l’audition, la Commissaire a indiqué qu’elle verrait à la fin de l’audience s’il était pertinent que le demandeur dépose les documents en cause, mais qu’elle n’était jamais revenue sur cette question à la fin de l’audience.
[9] Le défendeur soutient, pour sa part, que la Commission avait la discrétion d’accorder ou non la demande de remise et que son refus était fondé sur une analyse appropriée des circonstances en l’espèce et des critères applicables.
[10] Il est bien établi que le pouvoir d’accorder une demande de remise relève du pouvoir discrétionnaire de la Commission.
[11] Dans Wagg c. Canada, 2003 CAF 303, [2003] A.C.F. no 1115, la Cour d’appel fédérale a rappelé que la décision d’accorder ou non un ajournement relève du pouvoir discrétionnaire du décideur qui doit exercer ce pouvoir équitablement. La Cour a précisé qu’il n’existe pas de droit automatique à l’ajournement et que la Cour n’interviendra pas dans le refus d’accorder un ajournement sauf dans des circonstances exceptionnelles (par. 19). La Cour a également précisé que le critère ultime à considérer était celui relatif à l’équité du procès :
[22] On pourrait débattre la question de savoir s'il y a eu refus d'accorder un ajournement ou si l'ajournement qui a été consenti était raisonnable eu égard aux circonstances. Cependant, dans les deux cas, le critère est le même. Le demandeur s'est-il vu refuser un procès équitable lorsque le juge du procès a refusé d'inscrire l'affaire au rôle pour une autre date afin de permettre au demandeur de consulter un avocat, après que le juge du procès lui eut expliqué les conséquences de sa position? À mon avis, la réponse est négative.
[12] La règle 48 des Règles de la section de la protection des réfugiés (les Règles de la SPR), DORS/2002-228, telles que modifiées par L.C. 2002, ch. 8, art, 182(3)a), prévoit le processus de traitement des demandes de changement de date d’une procédure et encadre l’exercice décisionnel de la Commission :
[13] Ces facteurs ne sont pas exhaustifs ni conjonctifs et chaque cas doit être apprécié suivant les circonstances particulières de l’affaire. Dans Gittens c. Canada (ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 373, [2008] A.C.F. no 473, la Cour a mentionné que la Règle 48(4) ne devait pas être interprétée comme une directive donnée de reprendre systématiquement chacun des éléments énumérés, qu’ils soient pertinents ou non.
[14] En l’espèce, il appert de la décision de la Commission qu’elle a considéré les motifs invoqués par le demandeur et pris sa décision à la lumière des facteurs pertinents :
[13] Dès le départ, en début d’audience, le demandeur a souhaité obtenir une remise et avoir deux mois de plus pour faire venir des pièces visant à soutenir sa demande.
[14] Or, le demandeur a eu du 29 août 2008 – demande d’audience – jusqu’au 11 janvier 2010, soit plus de seize mois pour obtenir ces documents. Il a fait la demande de ces pièces seulement en décembre 2009; les explications données pour ne pas avoir tenté de les demander plus tôt sont à l’effet qu’il ne voulait pas heurter sa famille et la compromette, explications qu’il n’arrive pas à éclaircir, sauf en ajoutant il y a de la corruption et de la bureaucratie dans son pays. Puisque le demandeur est représenté par un conseil d’expérience et que le demandeur a fait cette demande de remise à la dernière minute – moins de 48 heures -, et qu’il s’agit d’un dossier non complexe pour une seule personne, le tribunal conclut qu’il n’est pas satisfait des efforts fournis par le demandeur car il juge que le demandeur s’est montré passif dans ce processus pour demander des pièces et décide de refuser la demande de remise et de procéder à la tenue de l’audience.
[15] J’ai pris connaissance de la transcription de l’audience et je constate que la Commission était bien fondée de se déclarer insatisfaite des efforts du demandeur et de ses explications pour justifier son retard d’agir. Interrogé sur les raisons pour lesquelles le demandeur a attendu jusqu’au au mois de décembre 2009 pour faire des démarches en vue d’obtenir des documents corroborant ses allégations, le demandeur a fourni les explications suivantes :
[…]
Q. Alors, dans votre dernière phrase, vous nous dites que vous avez fait la demande de vos documents en décembre?
R. En décembre.
Q. Pouvez-vous nous dire quelle date?
R. La première semaine, les premiers jours, j’ai appelé à ma famille parce que, mais raconter mon problème, il ne s’agit pas de dire écoute il m’arrive telle, telle, telle chose, envoie-moi telle, telle, telle chose. C’est petit à petit pour ne pas les inquiéter.
[…]
Q. Pourquoi avez-vous attendu jusqu’au mois de décembre 2009 pour demander ces documents?
R. C’est que je le répète, à cause du problème que j’ai, je ne veux pas mêler ma famille à ça.
– Monsieur, votre famille sait que vous avez quitté le pays depuis 2008.
R. Oui, mais ç’a été soudain. Je leur ai juste dit que j’allais au Canada comme touriste.
Q. En quoi le, le fait de demander ces documents à des membres de votre famille pourrait les compromettre?
R. C’est que, dans mon pays, c’est un pays corrompu, bureau de bureaucratie, beaucoup de corruption et, et ils me disent qu’il y a beaucoup de gens qui appellent pour savoir comment je vais, si je travaille à un autre endroit.
[…]
– Monsieur, qu’il y ait de la bureaucratie, je le comprends et ce n’est pas le seul pays et si vous aviez demandé vos documents au mo… peu de temps après votre demande d’asile, peut-être vous les auriez aujourd’hui.
R. Bien sûr, madame la commissaire a raison, mais je n’ai pas voulu mêler ma famille à ça. Je ne l’ai rien raconté et je leur ai, je leur ai dit, à partir du 26 novembre, quand j’ai reçu la demande, petit à petit. Petit à petit je leur ai demandé s’ils pouvaient demander, m’obtenir les documents, et…
[Sic pour l’ensemble de la citation]
[16] De plus, il appert du dossier que dès le 29 septembre 2008, l’agente d’immigration au point d’entrée a indiqué au demandeur qu’il était dans son intérêt d’avoir davantage de documents à l’appui de sa revendication. Le demandeur n’a pas démontré qu’il avait fait preuve de diligence.
[17] Le demandeur soutient qu’il était injuste de la part de la Commission de refuser sa demande de remise puisqu’elle s’est ensuite appuyée sur le défaut du demandeur d’avoir déposé des documents pour mettre en doute sa crédibilité.
[18] Avec égards, le demandeur ne m’a pas convaincue que les documents qu’il voulait déposer auraient été déterminants et qu’ils auraient amené la Commission a jugé son récit crédible.
[19] D’abord, la Commission a bien mentionné que le demandeur n’avait pas déposé une copie de la plainte qu’il avait déposée auprès des autorités policières, mais elle n’en a pas tiré une inférence négative. La Commission a par ailleurs indiqué que, comme le demandeur n’avait pas déposé de pièces pour soutenir sa demande, elle l’a interrogé sur la façon dont il avait procédé pour déposer sa plainte. La Commission a ensuite jugé que les réponses données par le demandeur démontraient qu’il ne connaissait pas bien le processus de plainte qu’il prétendait pourtant avoir suivi.
[20] Quant à l’absence de documents à propos du séjour à l’hôpital du demandeur, la Commission souligne qu’il n’a déposé aucun document, mais sa conclusion à cet égard n’apparaît pas comme ayant été déterminante.
[21] La Commission n’a pas cru le récit du demandeur, mais cette conclusion est fondée sur plusieurs raisons. D’abord, la Commission n’a pas cru que l’incident du 24 mai 2008 s’était produit parce que le demandeur n’avait pas mentionné cet évènement, qui était le plus important de son récit, dans son formulaire de renseignements personnels. La Commission n’a pas été satisfaite des explications données par le demandeur pour justifier cette omission.
[22] La Commission a ensuite remis en doute la crédibilité du demandeur parce qu’il a démontré lors de son témoignage qu’il ne connaissait pas la procédure pour déposer une plainte auprès des autorités policières. Quant à son séjour à l’hôpital, la Commission n’a pas cru le demandeur parce qu’il n’a pas été en mesure de préciser la nature des examens subis ni de celle des soins qu’il a reçus et des médicaments qu’on lui aurait prescrits.
[23] Je considère donc que les documents en cause n’étaient pas des éléments déterminants dans l’évaluation de la demande d’asile.
[24] Le demandeur reproche également à la Commissaire de ne pas être revenue sur le sujet des documents à la fin de l’audience, comme elle s’était engagée à le faire en début d’audience.
[25] Il appert de la transcription de l’audience qu’après avoir refusé la demande de remise de l’audience, la Commissaire a effectivement indiqué que si nécessaire, il serait possible de revenir sur la question des pièces à la fin de l’audience. Néanmoins, cette dernière n’est effectivement pas revenue sur le sujet. Sans doute a-t-elle jugé qu’elle n’avait pas besoin de ces pièces pour rendre sa décision.
[26] Je note toutefois que le demandeur n’a pas non plus demandé à la Commissaire la permission de déposer ses documents après l’audience. Compte tenu des commentaires de la Commissaire en début de séance, j’estime que le demandeur aurait pu demander à la Commissaire la permission de déposer ses documents après l’audience s’il les jugeait si importants. Il aurait également pu se prévaloir de la Règle 37(1) des Règles de la SPR et effectuer une demande formelle de dépôt de documents après l’audience, ce qu’il n’a pas fait.
[27] Pour tous ces motifs, je considère qu’en refusant la demande de remise du demandeur, la Commission a respecté les paramètres de son pouvoir discrétionnaire et n’a pas violé les règles d’équité procédurale ou de justice naturelle.
[28] Les parties n’ont proposé aucune question d’importance aux fins de certification et aucune question ne sera certifiée.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-971-10
INTITULÉ : CESAR AUGUSTO CASTANEDA ESCATE c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 12 octobre 2010
MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE BÉDARD
DATE DES MOTIFS : Le 26 octobre 2010
COMPARUTIONS :
Oscar Fernando Rodas
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POUR LE DEMANDEUR |
Tony Abi Nasr
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Oscar Fernando Rodas Montréal, Québec
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POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous-Procureur Général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |