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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date :  20101012

Dossier :  IMM-1899-10

Référence :  2010 CF 1004

Ottawa (Ontario), le 12 octobre 2010

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

KAROLYNE BORS

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               La jurisprudence est évaluée à travers l’histoire par la manière qu’elle traite la condition humaine, comme un pays est jugé par la manière qu’il traite ses minorités (résumé de l’œuvre d’Émile Zola (1840-1902) à l’égard du système de justice et son cri de conscience qui évoque la voix de ceux qui sont sans voix).

 

Jurisprudence is evaluated throughout history in the manner it treats the human condition, as is a country judged in the manner it treats its minorities (summary of the writings of Emile Zola (1840-1902) on the system of justice and his cry of conscience for a voice of the voiceless).

II.  Introduction

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) à l’encontre de la décision de l’agente d’examen des risques avant renvoi (ERAR), rendue le 17 février 2010, à l’effet que la demanderesse ne serait pas exposée au risque d’être persécutée, ni mise en péril, si elle était renvoyée dans son pays de nationalité au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[3]               La demanderesse, ainsi que les membres de sa famille, sont des Roms et leur appartenance à ce groupe ethnique ainsi que leur crédibilité n’a pas été contestée.

 

Situation des Roms - Historique

(Avant le 21e siècle – basée en grande partie sur un article du Courrier international, intitulé « Abandonnés sur le bord du chemin », daté du 12 novembre 2009, tel que cité par le défendeur comme étant devant l’agente d’ERAR)

 

[4]               C’est vers l'an 1000 que les Roms quittèrent l'Inde dont ils sont originaires pour se rendre en Perse. (Or, dans nombre de pays, on les appela, selon une erreur d’histoire, des gitanes, en pensant que leurs origines étaient en Égypte. C’est aussi faux que les indigènes du Canada sont des Indiens suite à l’erreur de Christophe Colomb). Dans les Balkans, on les a appelés par un nom qui avait été donné à l'origine à une secte manicheï de prêtres, Athiganoie - Atsiganos, d'où un nouveau groupe de noms - Zingaro (en italien), Tsigane (en français), Zigeuner (en allemand), Ciganie (en langues slaves) et Cikani en tchèque.

 

[5]               Quant à la question à savoir qui sont les Roms, la réponse a été donnée par hasard, en 1763, par Stefan Vali, étudiant hongrois en théologie, qui a rencontré à Leyden en Hollande, plusieurs Indiens, Malabars, étudiants en médecine. Vali a été étonné par leur ressemblance avec les Roms qu'il avait connus en Hongrie. Ne se contentant pas d'une impression extérieure, il a noté plus de mille mots malabars qu'ils utilisaient et leurs significations. De retour dans sa patrie, il s'est adressé aux Roms pour connaître la signification de ces mots. Il a été surpris par la ressemblance de leurs langues. Par la suite, des linguistes, historiens et ethnologues ont constaté l'origine indienne des Roms.

 

[6]               Les Roms atteignirent les Balkans vers le 14e siècle. En se dispersant à travers l’Europe, ils adoptent la religion majoritaire de la population européenne. C’est en Europe de l’Ouest qu’ils connaîtront leur plus grande vague de migration au 16 e siècle, où certains pays les ont déportés dans les colonies africaines et américaines.

 

[7]               Jusqu’au 19e siècle, les Roms étaient considérés, dans les pays de l’Europe de l’Est, comme des personnes non libres, souvent traitées comme des esclaves.

 

[8]               Dès 1930, ils ont été victimes de la politique raciale des nazis par l’extermination et le génocide. Entre 250 000 et 500 000 les Roms ont été déportés et tués dans des chambres à gaz sur les 700 000 qui vivaient en Europe. Cette période porte pour les Roms le nom de Samudaripen, c’est à dire « meurtre total » en langue Romani.

 

[9]               En 1982, l’Allemagne a reconnu officiellement ses responsabilités envers les Roms; en France en 1997, le Président de la République a fait référence à leur sort dans une cérémonie en mémoire des victimes de la déportation.

 

[10]           Les documents, cités directement à l’intérieur de la liste des 19 documents soumis à l’agente d’ERAR, tels qu’énumérés par le défendeur dans son Mémoire supplémentaire, démontrent si oui ou non la situation a changé au cours des dernières années (cette même preuve est citée par la Cour ci-dessous à l’intérieur de l’analyse de la preuve).

 

[11]           Le « Macleans », du 10 septembre 2009, spécifie:

Hungary’s Roma population is so afraid of attacks by right-wing groups that they have started protecting their neighbourhoods through nighttime patrols. Their fear is justified: six Roma have been murdered in violent assaults since last November. After a huge police investigation, four men, alleged Roma haters who carefully planned their crimes, were detained for the deadly attacks in late August.

 

One of the worst attacks occurred in Tatárszentgyörgy last February. Erzsebet Csorba woke up to the sound of gunfire outside her house. She discovered her mortally wounded son not far from his firebombed house. Her grandson was nearby. “His whole small body was full with holes from the bullets,” she told Voice of America. The child soon died.

 

Many fear the violence directed at the nation’s 660,000 Roma will continue, despite the arrests. For the poor ethnic minority, segregation and discrimination increased after the fall of Communism when unskilled and unemployed Roma tended to concentrate in rural villages. Life was cheaper than the cities, but with little chance of work.

 

Tomás Polgár, a popular right-wing blogger, voices a common refrain among Hungarians: “They are criminals and they are a threat to us, the majority. They make more children, they’re taking over.” Ominously, he states, “It’s a war.” In June, Jobbik, a far-right party with a platform of getting tough on “Gypsy criminality,” captured 15 per cent of the vote in European elections.

 

The intimidation can be frightening. Viktória Mohácsi, a former Roma European politician, receives countless email threats. “I feel like I’m in a war,” she told a Dutch newspaper. While she isn’t sure if patrols of Roma areas are a good idea, she concedes there are few alternatives: “We can either set up an army or flee.”

 

[12]           L’article du Reuters, intitulé « As crisis deepens, Roma a powderkeg in Hungary », mercredi, le 12 août 2009, rapporte :

 

But in Hungary, both the crisis and the violence are particularly drastic. The country was the first nation in the European Union to turn to the IMF for help last year, and faces deep recession and mounting unemployment.

 

The economic slowdown has especially hurt the Roma, who account for 6 to 7 percent of the population and find it hard getting jobs even in prosperous times.

 

The crisis has reinforced social tensions, and the recent brutal attacks on the Roma have brought the country to the brink of open conflict, according to its president.

 

"We know that the situation is tense to the point of explosion," Laszlo Solyom told a news conference this week, urging Hungarians to feel compassion for Roma, or gypsies: more than half a dozen, including children, have died in recent violent attacks.

 

 

"Employers seal the gates," said Istvan Szirmai, an official at Hungary's Labor Ministry. "They have the right to choose ... and they do not accept Gypsies."

 

 

(La Cour souligne).

 

[13]           En ce qui concerne la protection de l’État pour les Roms en Hongrie, celle-ci a été rapportée comme étant inefficace à travers la documentation soumise; selon, « Amnesty International Report 2009 - Hungary » :

Legal, constitutional or institutional developments

 

In June, the Constitutional Court rejected amendments to the civil code and penal code passed by parliament in November 2007 and February 2008 respectively. The amendments represented the fourth attempt by parliament since 1992 to change the law on hate speech. They would have criminalized incitement targeted against a minority group and allowed a maximum two-year prison sentence for anyone using inflammatory expressions about specific ethnic groups or offending their dignity. The Court considered these amendments to be unconstitutional as they would curtail freedom of expression.

 

[14]           De plus, l’article intitulé « Racist Crime Wave - Hungary’s Roma Bear Brunt of Downturn », en date du 24 février 2009, précise:

 

ERRC director Kushen says that while the Hungarian government has made some efforts to address the issues of the social marginalization suffered by the Roma, not enough has been done and whatever programs are in place are not sufficiently funded. "It is a failure of political will to introduce programs that require a higher level of investment," he says, adding that officials are often unwilling to take the heat for supporting unpopular measures.

 

On Tuesday Hungary's ombudsman on minority affairs, Erno Kallai, took the unprecedented step of addressing the national parliament about the spate of attacks on Roma families. "I strongly urge you to come up with an ethnic peace plan," he said. "Not hollow statements but concrete measures that can be implemented immediately and understood by the whole of society." He also criticized the police for failing to catch the perpetrators of Monday's murders.

 

 

III.  Faits

[15]           La demanderesse, madame Karolyne Bors, est née le 18 février 1943, et est citoyenne de la Hongrie.

[16]           Elle est veuve et mère de quatre enfants, dont un est décédé en 1987 et dont les trois autres demeurent en Hongrie. Deux de ses enfants ont essayé d’obtenir le statut de réfugié au Canada, soit sa fille Erzsébet Kalànyos et son fils Jànos Bors. Ses petits-fils sont Christopher Rolland Nagy, Reno Nico Nagy et Gabor Kovacs.

 

[17]           La demanderesse et sa famille appartiennent au groupe ethnique des Roms.

 

[18]           La demanderesse est arrivée au Canada avec sa famille en février 2001. Elle a alors revendiqué le statut de réfugié avec les membres de sa famille.

 

[19]           En octobre 2001, elle est retournée en Hongrie avec les membres de sa famille.

 

[20]           En décembre 2001, la demanderesse est revenue au Canada et la famille a repris sa demande pour le statut de réfugié.

 

[21]           Le 17 juillet 2002, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a accordé la demande d’asile à la demanderesse et à sa famille.

 

[22]           Le 10 février 2004, la demanderesse ainsi que sa famille s’est présentée devant Citoyenneté et Immigration Canada (CIC)  pour manifester leur intention de quitter le Canada. Sa fille, Erzsébet Kalànyos, a expliqué que son fils Reno Nico Nagy était malade et qu’elle souhaitait le faire soigner en Hongrie.

[23]           Le 23 février 2004, la demanderesse est retournée en Hongrie. Également, la demanderesse allègue que sa famille avait pris la décision de retourner en Hongrie pour accompagner son fils, Jànos Bors, dont la demande de statut de réfugié avait été rejetée. Son fils Jànos était gravement malade; et, selon la famille, il avait besoin de soins urgents.

 

[24]           Le 7 avril 2004, une demande de constat de perte de qualité de réfugié a été déposée devant la SPR. La demande était fondée sur le fait que la demanderesse et sa famille étaient retournées à nouveau en Hongrie.

 

[25]           Le 28 juin 2004, la SPR a accueilli la demande, entraînant la perte du statut de réfugiés pour la demanderesse et les membres de sa famille.

 

[26]           Depuis leur retour en Hongrie, en 2004, la demanderesse allègue qu’elle et sa famille furent victimes de violentes agressions physiques et d’insultes de la part de skinheads.

 

[27]           Les skinheads auraient battu Jànos Bors à plusieurs reprises. Il serait tombé dans le coma suite à une attaque des skinheads qui auraient incendié sa maison en lançant des cocktails molotov. Ils auraient également fusillé la maison.

 

[28]           La demanderesse aurait également été blessée lorsque les skinheads seraient entrés par effraction dans son domicile et l’auraient battue. Elle aurait été gravement blessée en tentant de défendre son fils. Elle aurait par la suite été hospitalisée et aurait dû subir des interventions chirurgicales.

 

[29]           La demanderesse a allégué ne pas pouvoir revenir plus tôt au Canada en raison de son état de santé précaire suite aux attaques des skinheads, ainsi qu’en raison de difficultés financières.

 

[30]           Le 29 octobre 2009, la demanderesse est revenue au Canada, accompagnée de son petit-fils Gabor Kovacs, la conjointe de son petit-fils et de leur enfant mineur. Elle a déposé une demande d’asile.

 

[31]           Le même jour, la demande d’asile de la demanderesse est jugée irrecevable en vertu de l’alinéa 101(1)c) de la LIPR, en raison de sa demande antérieure devant la SPR. La demanderesse et son petit-fils ont dû faire une demande d’ERAR.

 

[32]           La décision négative d’ERAR a été rendue le 17 février 2010. L’agente d’ERAR a conclu que la demanderesse ne s’était pas déchargée de son fardeau d’établir que l’État hongrois n’était pas en mesure de la protéger.

 

[33]           La demanderesse a présenté une requête pour surseoir à son renvoi qui était prévu pour le 15 avril 2010. La requête était greffée à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. La requête en sursis fut accordée par la juge Danièle Tremblay-Lamer, le 12 avril 2010.

 

IV.  La décision faisant l’objet de la demande

[34]           Après avoir analysé l’ensemble de la preuve, l’agente d’ERAR a jugé qu’il n’y avait pas de possibilité raisonnable de persécution envers la demanderesse dans l’éventualité de son retour en Hongrie.

 

[35]           L’agente d’ERAR a conclu que la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de renverser la présomption qui existe par rapport à la protection étatique dans son pays. Sur ce point, une partie de la décision de l’agente d’ERAR se lit comme suit :

Dans ce dossier, l’importance de la discrimination des « rom », la présence d’un groupe d’extrême droite dénommée « Hungarian guards » et la recrudescence marquée de la violence envers cette communauté entre janvier 2008 et septembre 2009 ne sont pas litigieuses. La preuve documentaire objective et récente dont celle soumise par le représentant de la demanderesse démontre la présence de ces problématiques au sein de la société hongroise. Malgré l’absence d’éléments de preuve pour établir que le demanderesse fut victime de violence et d’agression en raison de son origine « rom », la preuve documentaire démontre que même dans cette éventualité, elle aurait pu obtenir la protection de l’État, même si cette protection est imparfaite. Tel qu’établit par Ward, à moins de l’effondrement de l’État, il appartient au demandeur de démontrer de manière claire et convaincante qu’il ne peut obtenir la protection de l’Etat. La demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve. La Hongrie est un pays démocratique, membre de l’Union Européenne, qui a un système judiciaire fonctionnel et prend les mesures nécessaires pour protéger ses citoyens dont sa minorité « roms ».

 

(Décision de l’agente d’ERAR, p. 5)

 

V.  Questions en litige

[36]           (1) L’agente d’ERAR a-t-elle erré dans son évaluation de la preuve documentaire portant sur la protection en Hongrie pour les personnes qui font partie du groupe ethnique des Roms?

(2) L’agente d’ERAR a-t-elle commis une erreur en faisant abstraction de la preuve ou en omettant de l’apprécier convenablement ?

(3) Dans les circonstances, la discrimination à l'égard de la demanderesse équivaut-elle à de la persécution?

 

VI.  Les dispositions législatives pertinentes et l’interprétation à leur égard

[37]           Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a publié un ouvrage intitulé Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (réédité à Genève en janvier 1992) (Guide). Ce Guide fournit notamment des conseils relativement à l’interprétation de l’article 96 de la LIPR. La Cour suprême a elle-même souligné l’importance du Guide comme instrument d’interprétation de la Convention :

[27]      [...] Bien qu'il ne lie pas officiellement les États signataires, ce guide a été approuvé par les États membres du comité exécutif du HCNUR, dont le Canada, et les tribunaux des États signataires se sont fondés sur lui […]

 

(Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 103 D.L.R. (4th) 1).

 

[38]           Dans l’arrêt Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, 128 D.L.R. (4th) 213, la Cour suprême a utilisé le Guide dans son analyse relative à l’admission d’un réfugié :

[46]      [...] Au contraire, comme je l'ai indiqué, je suis d'avis que l'appelant a droit au réexamen de sa revendication par un tribunal de la Commission, conformément au Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le « Guide du HCNUR ». Comme je l'ai signalé dans l'arrêt Ward, aux pp. 713 et 714, bien qu'il ne lie pas officiellement les États signataires, dont fait partie le Canada, le Guide du HCNUR résulte de l'expérience acquise relativement aux procédures et critères d'admission appliqués par les États signataires. Ce guide, souvent cité, a été approuvé par les États membres du comité exécutif du HCNUR, y compris le Canada, et il est utilisé, à titre indicatif, par les tribunaux des États signataires. En conséquence, le Guide du HCNUR doit être considéré comme un ouvrage très pertinent dans l'examen des pratiques relatives à l'admission des réfugiés. Il va de soi que les observations qui précèdent valent non seulement pour la Commission mais également pour les cours chargées d'examiner le bien-fondé des décisions de celle-ci. (La Cour souligne).

 

[39]           Récemment, le Guide est repris et utilisé d’une façon formelle par la Cour fédérale dans Gorzsas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 458, 346 F.T.R. 169.

 

[40]           Les paragraphes suivants du Guide sont pertinents :

b) Persécutions

 

[...]

 

52. La question de savoir si d'autres actions préjudiciables ou menaces de telles actions constituent des persécutions dépendra des circonstances de chaque cas, compte tenu de l'élément subjectif dont il a été fait mention dans les paragraphes précédents. Le caractère subjectif de la crainte d'être persécuté implique une appréciation des opinions et des sentiments de l'intéressé. C'est également à la lumière de ces opinions et de ces sentiments qu'il faut considérer toute mesure dont celui-ci a été effectivement l'objet ou dont il redoute d'être l'objet. En raison de la diversité des structures psychologiques individuelles et des circonstances de chaque cas, l'interprétation de la notion de persécution ne saurait être uniforme.

 

53. En outre, un demandeur du statut de réfugié peut avoir fait l'objet de mesures diverses qui en elles-mêmes ne sont pas des persécutions (par exemple, différentes mesures de discrimination), auxquelles viennent s'ajouter dans certains cas d'autres circonstances adverses (par exemple une atmosphère générale d'insécurité dans le pays d'origine). En pareil cas, les divers éléments de la situation, pris conjointement, peuvent provoquer chez le demandeur un état d'esprit qui permet raisonnablement de dire qu'il craint d'être persécuté pour des «motifs cumulés». Il va sans dire qu'il n'est pas possible d'énoncer une règle générale quant aux «motifs cumulés» pouvant fonder une demande de reconnaissance du statut de réfugié. Toutes les circonstances du cas considéré doivent nécessairement entrer en ligne de compte, y compris son contexte géographique, historique et ethnologique.

c) Discrimination

 

54. Dans de nombreuses sociétés humaines, les divers groupes qui les composent font l'objet de différences de traitement plus ou moins marquées. Les personnes qui, de ce fait, jouissent d'un traitement moins favorable ne sont pas nécessairement victimes de persécutions. Ce n'est que dans des circonstances particulières que la discrimination équivaudra à des persécutions. Il en sera ainsi lorsque les mesures discriminatoires auront des conséquences gravement préjudiciables pour la personne affectée, par exemple de sérieuses restrictions du droit d'exercer un métier, de pratiquer sa religion ou d'avoir accès aux établissements d'enseignement normalement ouverts à tous.

 

55. Lorsque les mesures discriminatoires ne sont pas graves en elles-mêmes, elles peuvent néanmoins amener l'intéressé à craindre avec raison d'être persécuté si elles provoquent chez lui un sentiment d'appréhension et d'insécurité quant à son propre sort. La question de savoir si ces mesures discriminatoires par elles-mêmes équivalent à des persécutions ne peut être tranchée qu'à la lumière de toutes les circonstances de la situation. Cependant, il est certain que la requête de celui qui invoque la crainte des persécutions sera plus justifiée s'il a déjà été victime d'un certain nombre de mesures discriminatoires telles que celles qui ont été mentionnées ci-dessus et que, par conséquent, un effet cumulatif intervient. (La Cour souligne).

 

VII.  Prétention des parties

[41]           Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas démontré que l’agente d’ERAR a erré en fait ou en droit. Il soutient que la décision est raisonnable et que les documents déposés par la demanderesse au soutien de sa demande ne font valoir aucun motif sérieux susceptible de permettre à cette Cour d’intervenir au présent dossier afin d’annuler la décision de l’agente d’ERAR.

 

[42]           La demanderesse soumet que l’agente d’ERAR a commis une erreur en concluant à une insuffisance de preuve sans accorder de poids à la preuve testimoniale, et sans tenir compte de toute la preuve documentaire soumise à son attention à l’effet que l’État hongrois ne fournit pas une protection efficace à la population rome.

 

VIII.  Norme de contrôle

[43]           La norme de contrôle à appliquer en l’espèce est celle de la raisonnabilité. Tel que l’a expliqué le juge Maurice Lagacé dans la décision Pareja c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1333, [2008] A.C.F. no 1705 (QL), l’agent d’ERAR, dans la détermination de ses conclusions sur les risques avant renvoi, procède essentiellement à une analyse des faits qui lui sont soumis. Une grande déférence doit être accordée à ces conclusions de faits :

[12]      La détermination des risques avant renvoi par l’agente ERAR repose essentiellement sur une appréciation de faits à laquelle cette Cour doit accorder une grande déférence. En conséquence, la norme de la « déraisonnabilité » s’applique aux conclusions de fait de la décision de l’agente ERAR, et d’ailleurs le demandeur ne conteste pas la norme applicable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

 

[44]           Ainsi, cette Cour ne pourra intervenir que si la décision de l’agente d’ERAR est déraisonnable.

 

IX.  Analyse

[45]           La décision de l’agente d’ERAR portait sur deux points en particulier : le manque de preuve corroborative au dossier et la protection « suffisante » de l’État hongrois. L’agente d’ERAR a donc conclu à l’inexistence d’un risque dans l’éventualité d’un retour dans le pays de nationalité.

 

 

 

 

 

(1) L’agente d’ERAR a-t-elle erré dans son évaluation de la preuve documentaire portant sur la protection en Hongrie pour les personnes qui font partie du groupe ethnique des Roms?

 

Portrait des Roms en Hongrie

(Pour les cinq prochains paragraphes inclusivement le contenu tel que vu dans le document soumis à l’agente d’ERAR « Hongrie : information sur le traitement réservé aux Roms : mesures prises par l’État pour protéger les Roms (2006-septembre 2009) » datée du 15 octobre 2009, démontre les données officielles décrivant le climat qui règne à l’égard des Roms, appuyé par les 19 documents soumis directement et également à l’attention de l’agente d’ERAR par la demanderesse tels que cités par le défendeur dans son Mémoire supplémentaire).

 

[46]           La communauté ethnique rome constitue une minorité ethnique considérable en Hongrie :

Selon le directeur de la Fondation hongroise pour l’autonomie, les ONG comme la Fondation pour les droits civils des Roms (Roma Civil Rights Foundation - RPA), le Bureau de défense juridique des minorités nationales et ethniques (Legal Defence Bureau for National and Ethnic Minorities - NEKI) et le Bureau de consultation juridique du parlement rom (Legal Counselling Office of the Roma Parliament) jouissent d’une meilleure réputation que les organismes gouvernementaux pour ce qui est d’aider les Roms victimes de discrimination (22 août 2009). Des ONG offrent également une formation sur la lutte contre la discrimination aux membres du système judiciaire (Nations Unies 4 janv. 2007, paragr. 49). D’après le HHC, [traduction] « les ressources financières et humaines limitées » du NEKI et de la RPA restreignent le nombre de dossiers sur lesquels elles peuvent se pencher annuellement (HHC juin 2009, 3). En date de juin 2009, une coalition d’ONG financées par l’OSI serait en voie d’établir un programme d’aide juridique à l’intention des victimes de crimes haineux (ibid.) […]

 

[47]           Quant à la violence à caractère raciste envers les Roms en Hongrie, il n’existe pas de données précises nationales hongroises à ce sujet à cause de l’interdiction de la loi hongroise concernant la signalisation d’un peuple particulier dans les données statistiques répertoriées par l’État. Selon Amnistie internationale (citée dans le document ci-dessus), la multiplication des attaques visant des Roms et leur domicile a créé un climat de peur et d’intimidation.

 

Les Roms et la police

[48]           Selon un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) du Conseil de l’Europe, les Roms qui sont victimes de violence éprouvent de la réticence à signaler les agressions perpétrées contre eux pour diverses raisons, notamment la honte, la crainte de représailles ou le sentiment que leur plainte ne mènera à aucun résultat positif.

 

[49]           Des rapports du Conseil de l’Europe ont rapporté plusieurs cas de brutalité policière envers les Roms. En 2008, un comité indépendant de cinq juristes a été formé par le Parlement hongrois afin que des recommandations soient déposées en vue d’améliorer le travail des policiers.

 

[50]           À l’instar de cette démarche, le gouvernement de la Hongrie a pris des mesures d’ordre juridique et institutionnel pour améliorer la situation des Roms. Cependant, un document de mai 2008 publié par le bureau du vérificateur de l’État de Hongrie indiquait que « les ressources ne parviennent souvent pas jusqu’aux groupes dont les besoins sont les plus criants ». C’est dans ce climat que sont survenus les événements entourant les Roms qui découlent de la preuve soumise à l’agente d’ERAR.

 

La norme de protection de l’État

[51]           Dans sa décision, l’agente d’ERAR a conclu que même dans l’éventualité où la demanderesse aurait été persécutée, « elle aurait pu obtenir la protection de l’État, même si cette protection est imparfaite » (Décision de l’agente d’ERAR, p. 5). L’agente a souligné l’existence de plusieurs éléments dans le système hongrois visant à protéger spécifiquement la communauté rome. Les mesures relevées par l’agente comprennent l’arrestation de quatre suspects suite à des meurtres perpétrés dans la communauté rome, la prise de conscience générale du climat de violence par l’État hongrois, la multiplication des investigations policières, ainsi que l’implication des autorités policières relativement à la violence envers les Roms.

 

[52]           Tel qu’établi par l’arrêt Ward, ci-dessus, il appartient à la demanderesse de réfuter la présomption à l’effet que l’État peut protéger ses ressortissants en démontrant qu’il n’aurait pas pu obtenir la protection de l’État. Dans l’arrêt Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CAF 94, 165 A.C.W.S. (3d) 146, la Cour d’appel fédérale explique que la preuve d’une allégation d’insuffisance ou d’inexistence de la protection de l’État envers un de ses citoyens requiert que le réfugié :

[38]      […] supporte la charge de présentation de produire des éléments de preuve en ce sens et la charge ultime de convaincre le juge des faits que cette prétention est fondée. La norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités, sans qu'il soit exigé un degré plus élevé de probabilité que celui que commande habituellement cette norme. Quant à la qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption de la protection de l'État, cette présomption se réfute par une preuve claire et convaincante de l'insuffisance ou de l'inexistence de ladite protection.

 

[53]           À l’appui de son allégation à l’effet que la protection de l’État est insuffisante, l’agente d’ERAR a eu versé au dossier une preuve documentaire considérable, ainsi qu’une lettre signée par monsieur Dezsö Nömös, vice-président du Conseil de la minorité tzigane de Svitgetvar, datée du 27 octobre 2009, qui atteste des événements de violence dont les Roms étaient victimes à cette époque.

 

[54]           L’agente d’ERAR n’a pas l’obligation de mentionner ni de réfuter chaque élément de preuve dans sa décision. Il est de la compétence de l’agente d’ERAR d’accorder plus de poids à une partie de la preuve documentaire qu’à une autre. La décision doit néanmoins refléter la prise en compte de cette preuve. Dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL), 157 F.T.R. 35, la Cour fédérale affirme que :

[15]      La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. […]

 

[…]

 

[17]      Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

[55]           Dans son étude de la preuve documentaire relativement aux actions prises par les autorités pour assurer la protection des Roms, l’agente d’ERAR ne cite sélectivement que la preuve suivante : un article de la revue Macleans, un court extrait d’un rapport d’Amnistie internationale de 2009, avec un article paru dans le Time, ainsi qu’un article de la BBC News. L’agente d’ERAR ne se base que sur cette preuve d’extraits isolés pour conclure à deux reprises que suite aux arrestations de suspects en août 2009, « les agressions ont vraisemblablement cessé » (Décision de l’agente d’ERAR, p. 5) et que « depuis ces arrestations effectuées en août 2009 la preuve documentaire ne fait pas mention que de telles agressions se seraient produites » (Décision de l’agente d’ERAR, p. 6).

 

[56]           Ce constat deux fois réitéré de la part de l’agente d’ERAR dénote une erreur dans son étude de la preuve documentaire contradictoire versée au dossier.

 

[57]           Suite à l’envergure de l’ensemble de la preuve, l’agente d’ERAR n’a pas pu raisonnablement conclure qu’aucune autre agression n’a été commise à l’encontre des Roms en Hongrie suite à la période de janvier 2008 à août 2009. Elle n’explique pas non plus pourquoi elle rejette ou omet de prendre en compte le contenu de la lettre de monsieur Nömös, datée d’octobre 2009, qui affirme que « […] Les Tziganes vivent dans la terreur, ils ont peur des attaques et des assassinats, ils n’osent plus sortir » (Lettre, traduite du hongrois, p. 2). À la date de la décision, il semblait prématuré, en se basant sur la preuve documentaire, de conclure que les événements de janvier 2008 à août 2009 constituaient une recrudescence momentanée et passagère de la violence contre les Roms.

 

[58]           L’agente d’ERAR doit au moins évaluer la preuve significative portant sur la détérioration des conditions de vie du peuple rom. Il était déraisonnable pour l’agente d’ERAR de conclure que les agressions envers les Roms ont cessé en Hongrie, en n’expliquant pas comment elle en est arrivée à cette conclusion. Cette constatation est centrale dans la prise de décision, car une décision d’ERAR sert à déterminer s’il existe un risque à renvoyer la personne dans son pays de nationalité, et non s’il y avait un risque au moment de son départ vers le Canada.

 

Le changement de circonstances

[59]           L’agente d’ERAR a affirmé que la demanderesse aurait pu obtenir la protection de l’État, même si cette protection est imparfaite. En énumérant les changements souhaités dans l’État hongrois au cours des dernières années, l’agente d’ERAR semble venir à la conclusion que l’État hongrois aurait subi un changement de circonstances. Dans son livre « The Law of Refugee Status », le professeur James Hathaway énumère les trois conditions pour que l’on puisse conclure à un changement de circonstances dans un pays donné : le changement de circonstances doit être substantiel, effectif et durable, comme spécifié par la demanderesse dans son mémoire (James Hathaway, « The Law of Refugee Status », Butterworths, Toronto, 1991, p. 199 et suiv.)

 

[60]           Dans la décision Streanga c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 792, 2007 CarswellNat 2342, cette Cour traitait de la protection d’État dans le cadre d’une demande d’ERAR et de la norme à remplir pour qu’il existe une protection efficace dans un État donné :

[15]      La demanderesse soutient que l’agent d’ERAR a commis une erreur en prenant comme critère juridique les « mesures sérieuses ». Dans la décision Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1438 (1re inst.) (QL), au paragraphe 15, la Cour a établi que, pour qu’il existe une protection de l’État adéquate, un gouvernement doit avoir la volonté et la capacité de mettre en œuvre sa législation et ses programmes :

 

 

[…] Non seulement le pouvoir protecteur de l'État doit-il comporter un encadrement légal et procédural efficace, mais également la capacité et la volonté d'en mettre les dispositions en œuvre.

 

(La Cour souligne).

 

[61]           Dans un contexte similaire traitant de la situation des Roms en Hongrie, le juge Yvon Pinard, dans la décision Balogh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 809, 221 F.T.R. 203, a souligné que la preuve de l’amélioration et des progrès réalisés par l’État ne constitue pas une preuve que les mesures actuelles équivalent à une protection efficace :

[37]      […] je suis d'avis que le tribunal a commis une erreur lorsqu'il a donné à entendre que la volonté de régler la situation de la minorité rome en Hongrie pouvait être assimilée à une protection d'État […]

 

[62]           Dans la décision Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 359, 295 F.T.R. 35, le juge Luc Martineau s’est également exprimé sur la question de la protection de l’État :

[27]      Pour déterminer si le revendicateur d'asile a rempli son fardeau de preuve, la Commission doit procéder à une véritable analyse de la situation du pays et des raisons particulières pour lesquelles le revendicateur d'asile soutient qu'il « ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection » de son pays de citoyenneté ou de résidence habituelle (alinéas 96a) et b) et sous-alinéa 97(1)b)(i) de la Loi). La Commission doit considérer non seulement la capacité effective de protection de l'État mais également sa volonté d'agir. À cet égard, les lois et les mécanismes auxquels le demandeur peut avoir recours pour obtenir la protection de l'État peuvent constituer des éléments qui reflètent la volonté de l'État. Cependant, ceux-ci ne sont pas en eux-mêmes suffisants pour établir l'existence d'une protection à moins qu'ils ne soient mis en œuvre dans la pratique : voir Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1081, [2003] 2 C.F. 339 (C.F. 1re inst.); Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 429, [2003] 4 C.F. 771 (C.F. 1re inst.). (La Cour souligne).

 

[63]           Ainsi, il ne suffit pas de démontrer les changements et les améliorations contenues dans l’État hongrois, notamment l’existence de plusieurs recours et la possibilité d’obtenir une protection de l’État hongrois. Encore faut-il prouver que les changements sont mis en œuvre de façon efficace dans la pratique. La preuve d’une volonté d’amélioration et des progrès tentés par l’État ne devrait pas constituer, pour le décideur, un indice décisif à l’effet que les mesures potentielles équivalent à une protection efficace dans le pays sous étude. Comme la jurisprudence ci-dessus le démontre, la volonté, aussi bonne qu’elle pourrait l’être, n’équivaut pas à l’action.

 

[64]           Dans l’affaire Babai c. Canada (Ministère de l’Immigration et de la Citoyenneté), 2004 CF 1341, 2004 CarswellNat 3439, le décideur devait apprécier la preuve documentaire contradictoire indiquant un risque pour le demandeur:

[22]      Le demandeur affirme qu’il était loisible à l’agente d’ERAR de faire sa propre analyse de la protection offerte par l’État. Toutefois, elle a commis une erreur en ne tenant pas compte d’une preuve documentaire volumineuse qui corrobore fortement l’allégation selon laquelle le demandeur sera exposé à de la persécution sans espoir de se voir protéger par l’État, si on le force à retourner en Hongrie […]

 

[65]           Dans le cas présent, la preuve documentaire démontre que la conclusion selon laquelle la protection de l’État hongrois envers les Roms serait efficace ne fait pas l’unanimité parmi les organisations internationales. Par exemple, en 2009, l’article « Racist Crime Wave - Hungary’s Roma Bear Brunt of Downturn », ci-dessus, rapportait les paroles du directeur de l’ « European Roma Right Center » (ERRC) :

ERRC director Kushen says that while the Hungarian government has made some efforts to address the issues of the social marginalization suffered by the Roma, not enough has been done and whatever programs are in place are not sufficiently funded. "It is a failure of political will to introduce programs that require a higher level of investment," he says, adding that officials are often unwilling to take the heat for supporting unpopular measures.

 

[66]           Dans l’arrêt Ward, ci-dessus, le juge Gerard V. La Forest a déclaré que « le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d’un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l’encontre de l’objet de la protection internationale » (par. 55).

 

[67]           Le fait que l’État hongrois fait des efforts pour se diriger vers une amélioration de la situation des Roms est perçu par la preuve; néanmoins, dans le cas présent, la gravité du danger et des événements de violence à laquelle la demanderesse et sa famille auraient dû faire face, les extrémités auxquelles la famille aurait dû se réduire en cachette, en plus de la fréquence ou de la continuité des événements vécus et le laps de temps sur lesquels les événements auraient dû se produire manifestent que l’État ne semble pas avoir démontré une protection efficace à leur égard.

 

[68]           La Cour conçoit, selon la preuve, que la demanderesse ou sa famille n’auraient pas directement demandé la protection de la police. Après des événements non contredits incluant un domicile incendié par un cocktail molotov, l’utilisation d’armes à feu et l’hospitalisation de la demanderesse et de son fils pour blessures graves, la demanderesse et sa famille auraient pu penser que la police, ou du moins les autorités étatiques concernées, auraient été au courant de l’état de détresse dans lequel se trouvait leur famille, et de leur situation de crise. De plus, tel que discuté ci-dessus, la preuve documentaire démontre la précarité du lien de confiance entre les autorités policières et les communautés romes. Comme spécifié par le Guide, une crainte des autorités peut provoquer un manque de confiance dans l’appareil étatique suite aux antécédents qui auraient marqué des individus concernés. (Voir le par. 198 du Guide : « 198. Une personne qui, par expérience, a appris à craindre les autorités de son propre pays peut continuer à éprouver de la défiance à l'égard de toute autre autorité. Elle peut donc craindre de parler librement et d'exposer pleinement et complètement tous les éléments de sa situation. »)

 

(2) L’agente d’ERAR a-t-elle commis une erreur en faisant abstraction de la preuve ou en omettant de l’apprécier convenablement ?

 

[69]           L’agente d’ERAR a déploré l’absence d’éléments de preuve au dossier pour établir les faits sur lesquels repose l’existence de risque de retour de la demanderesse en Hongrie. Dans la décision d’ERAR, le seul passage qui traite de l’insuffisance de la preuve est le suivant :

Dans un premier temps, on note l’absence au dossier d’élément de preuve pour établir les faits sur lesquels repose l’existence de risque de retour. Ainsi, la demandeure qui soumet avoir subi plusieurs attaques suite à son retour en Hongrie et été hospitalisée et opérée suite à des séquelles découlant de ces attaques, n’a pas soumis de documents pour établir ces faits. Outre la mention très peu détaillée à l’effet qu’elle et les membres de sa famille ont a subi plusieurs agressions, on note l’absence au dossier d’éléments de preuve personnels tel qu’attestation médicale ou autres provenant de services de santé faisant mention du type de blessures subies, de leur gravité et des soins médicaux requis. De plus, on note l’absence au dossier d’élément de preuve, rapport de police ou autres indiquant que la demandeure a tenté d’obtenir la protection auprès des autorités hongroises.

 

(Décision de l’agente d’ERAR, p. 4)

 

[70]           La Cour est attentive au fait que des cas de brutalité policière envers les Roms ont été si marquants que les autorités hongroises elles-mêmes, ont pris note de la gravité de la situation. Donc, est-ce que dans le cas particulier de la demanderesse, son esprit l’aurait mené à signaler ces difficultés aux autorités plutôt que de s’occuper des craintes de toute sa famille !

[71]           La demanderesse a soumis un témoignage portant sur les événements de violence survenus contre elle et contre sa famille en Hongrie. Elle base sa demande sur sa déclaration contenue dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), ainsi que sur la déclaration de son petit-fils, Gabor Kovacs, dont le témoignage corrobore les événements de violence desquels sa famille a été victime.

 

[72]           La preuve subjective contenue dans le témoignage de la demanderesse s’harmonise avec l’ensemble de la preuve documentaire objective portant sur la protection offerte par la Hongrie, déposée dans le dossier. En ce sens, la preuve documentaire pourrait corroborer le récit de la demanderesse, si les faits de ce récit avaient été évalués dans leur ensemble par le décideur. L’agente d’ERAR a commis une erreur en ne prenant pas au moins en compte les faits contenus dans le témoignage de la demanderesse.

 

[73]           La déposition de la demanderesse spécifiant les sévices subis par elle et sa famille alors qu’ils se trouvaient en Hongrie aurait dû être au moins prise en compte par l’agente d’ERAR. L’agente d’ERAR ne fournit pas de justification pour mettre la preuve par témoignage de côté autre que pour la question de savoir que la demanderesse aurait pu demander la protection de l’État sans avoir démontré l’appréciation de la preuve entière convenablement.

 

(3) Dans les circonstances, la discrimination à l'égard de la demanderesse équivaut-elle à de la persécution?

 

[74]           Étant donné que la décision de l’agente d’ERAR traite principalement de la question de la capacité de l'État de protéger la demanderesse, l'analyse de l’agente d’ERAR quant à la persécution semble en apparence être inexistante compte tenu de la maison incendiée, des graves agressions physiques à l’égard de la demanderesse et de son fils et de leur hospitalisation; même suite à ces événements non contredits, aucune mention n’a été faite d’une démonstration d’action de la part des autorités qui seraient intervenues suite aux graves événements. La preuve documentaire relate d’une façon approfondie le contexte dans lequel le peuple rom a été traité et les situations qu’il a vécues; l’agente d’ERAR, elle–même, n’a pas remis en doute « l’importance de la discrimination des ‘rom’ » (Décision d’ERAR, p. 5).

 

[75]           Pour ce qui est de ce qui constitue de la persécution au sens de l’article 96 de la LIPR, le Guide prévoit que des circonstances adverses qui s’ajoutent à des mesures diverses, telles que de la discrimination, peuvent faire en sorte qu’un demandeur craigne d’être persécuté « pour des motifs cumulés » (par. 53 du Guide). La discrimination équivaut à de la persécution lorsque « les mesures discriminatoires auront des conséquences gravement préjudiciables pour la personne affectée » (par. 54 du Guide) qui donc par le cumul devient de la persécution.

 

[76]           L’ensemble de la preuve met en relief toutes les circonstances du cas, notamment le contexte géographique, historique et ethnologique; les allégations de crainte de persécution exprimée par la demanderesse doivent être appréciées en s’assurant que le décideur aurait tenu compte de la preuve documentaire. Pour cela, il faudrait que l’étude approfondie de la preuve documentaire, en elle-même, démontre s’il existe une possibilité de persécution dans ce cas.

 

[77]           Les décideurs des faits ont l’obligation par leur mandat d’entreprendre une analyse individuelle puisque la protection de l’État dépend de la possibilité pour l’État de fournir une protection efficace à l’égard de la personne sous étude qui revendique la protection selon la preuve, la loi et la jurisprudence, cas par cas.

 

[78]           Dans l’affaire Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 429, [2003] 4 C.F. 771 (C.F. 1re inst.), la demande de révision des Roms en question fut accueillie par la Cour :

[56]      La Commission commet aussi une erreur de droit en adoptant une approche « systémique » qui peut avoir comme résultat net le rejet de demandes particulières de statut de réfugié pour le seul motif que la preuve documentaire indique généralement que le gouvernement hongrois fait certains efforts pour protéger les Roms de la persécution ou de la discrimination exercée par les autorités policières, les autorités chargées du logement et les autres groupes qui les ont persécutés jusqu’ici. L’existence de mesures contre la discrimination ne constitue pas en soi une preuve que la protection de l’État est disponible en fait. […] Par conséquent, il y a lieu dans tous les cas de confronter la situation théorique avec le vécu de chaque revendicateur. (La Cour souligne).

 

[79]           Comme pour la protection de l’État qui devait être analysée à la lumière des faits en présence, les risques que court la demanderesse doivent également être évalués selon l’ensemble de la preuve soumise devant le décideur. Dans le cas présent, la preuve non contredite démontre que les actes récurrents auraient ciblé la famille de la demanderesse d’une violence extrême, au point de la mener à l’hôpital; et, l’intimité du domicile de la famille de la demanderesse aurait été gravement violée. Le témoignage de la demanderesse reflète qu’il s’agit d’événements répétés, qui ont mis la vie de la demanderesse et de son fils en péril.

 

[80]           L’agente aurait dû analyser et évaluer la notion de la persécution dans les motifs de sa décision. La situation vécue par les Roms telle qu’étayée dans la preuve documentaire doit être soupesée avec la preuve de la situation personnelle de la demanderesse. Dans le cas présent, l’agente d’ERAR n’a pas effectué une étude de la preuve de la demanderesse en conjonction avec la preuve documentaire dans le but de déterminer si les faits permettaient de croire qu’il était persécuté en raison de sa race, et si l’État hongrois était en mesure de lui fournir une protection.

 

X.  Conclusion

[81]           À la lumière de ces faits, la demanderesse semble avoir démontré que, dans sa situation, elle n’est pas protégée et donc, la décision d’ERAR ne peut être raisonnable sans analyse plus approfondie à l’égard de l’ensemble de la preuve. Ce cas nécessite une nouvelle considération complète avec une analyse plus pondérée pour en arriver à une conclusion qui harmoniserait la preuve subjective avec la preuve objective.


 

JUGEMENT

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire et soumet le dossier à un autre agent d’immigration pour une nouvelle considération. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

Obiter

 

            L’historique du peuple rom dans le passé, même récent, est imprégné d’ostracisme, d’exclusion, de marginalisation, de discrimination et, dans certains cas, de persécution en raison de leur race. La situation des Roms exige que le décideur évalue la protection à l’égard de chaque individu qui réclame la protection suite à la preuve de traitements subis par des ressortissants qui réclament la protection du pays.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1899-10

 

INTITULÉ :                                       KAROLYNE BORS c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Université du Québec à Montréal (UQAM)

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 5 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 12 octobre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Me Serban Mihai Tismanariu

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Alain Langlois

Me Patricia Nobl

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SERBAN MIHAI TISMANARIU

Avocat

Vieux Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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