Cour fédérale
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Federal Court
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Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2010
En présence de monsieur le juge Russell
ENTRE :
et
DYWIDAG SYSTEMS INTERNATIONAL,
CANADA, LTD., M. BOB BISHOP
ET M. KENNETH SOSTEK
défendeurs
ET ENTRE :
DYWIDAG SYSTEMS INTERNATIONAL, CANADA, LTD.
demanderesse reconventionnelle
et
GARFORD PTY LTD.
défendeur reconventionnel
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une requête présentée par Garford Pty Ltd. (la demanderesse) en vue de signifier et de présenter une autre déclaration modifiée.
[2] Il n’y a aucun différend entre les parties concernant le pouvoir de la Cour de consentir à des modifications à ce stade. La seule objection soulevée par Dywidag Systems International, Canada, Ltd. (la défenderesse) est que les modifications soulèvent des allégations fondées sur l’enrichissement sans cause à titre de demandes accessoires à des causes d’action déjà plaidées par la demanderesse et qui ne relèvent pas du pouvoir de trancher de la Cour.
[3] Les modifications proposées se lisent comme suit :
[traduction]
1.k) une déclaration que les défendeurs se sont enrichis et continuent de s’enrichir sans cause aux dépens de la demanderesse en réalisant des profits acquis de façon malhonnête par suite d’actes illicites qu’ils ont commis en acquérant Thiessen, Ground Control et SMP et en concluant des ententes de non-concurrence avec les propriétaires des sociétés acquises, enlevant ainsi la possibilité pour Garford d’obtenir une licence pour les brevets 806 et 622 au Canada, ce qui donne aux défendeurs l’occasion de pénétrer malhonnêtement le marché, grâce auquel ils ont déjà réalisé des profits de façon malhonnête;
l) une déclaration que les défendeurs détiennent les profits acquis de façon malhonnête dans une fiducie par interprétation au bénéfice de la demanderesse;
[...]
Les défendeurs se sont enrichis et continuent de s’enrichir sans cause aux dépens de la demanderesse en réalisant des profits acquis de façon malhonnête par suite d’actes illicites qu’ils ont commis en acquérant Thiessen, Ground Control et SMP et en concluant des ententes de non-concurrence avec les propriétaires des sociétés acquises, enlevant ainsi la possibilité pour Garford d’obtenir une licence pour les brevets 806 et 622 au Canada, ce qui donne aux défendeurs l’occasion de pénétrer malhonnêtement le marché, grâce auquel ils ont déjà réalisé des profits de façon malhonnête;
[4] Je suis en règle générale d’accord avec l’évaluation des défendeurs des principes juridiques en cause dans la présente requête et je m’en servirai pour résumer la jurisprudence pertinente et son applicabilité à la situation dont je suis saisi.
[5] Le critère pour déterminer la compétence de la Cour n’est point contesté. Dans ITO International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et al., [1986] 1 R.C.S. 752, [1986] A.C.S. no 38, au paragraphe 11, la Cour suprême du Canada énonce les trois conditions qui doivent être réunies pour que la Cour ait compétence pour statuer sur une cause d’action.
Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.
Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence.
La loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
[6] Les causes d’action de common law qui ne répondent pas à ce critère ne sont pas du ressort de la Cour. Voir Robinson c. Canada, [1996] A.C.F. no 463 (C.F. 1re inst.) et Pacific Western Airlines Ltd. c. Canada, [1979] A.C.F. no 135 (C.A.).
[7] En outre, la loi fédérale invoquée doit prévoir un recours civil pour régler la question. La création d’une infraction n’accordera pas, en soi, la compétence pour instruire une action civile fondée sur l’inconduite alléguée. Lorsque le législateur a prévu une cause d’action civile précise en cas de violation d’une obligation légale, cette cause d’action est une exception à la règle générale. Voir Bande indienne de Stoney c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2005 CAF 220, [2005] A.C.F. n° 1181.
[8] La Cour n’a pas compétence en equity en vertu de l’article 3 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. Cette attribution de compétence confère effectivement à notre Cour une certaine compétence en equity. Cette attribution de compétence permet à la Cour d’appliquer les règles de l’equity aux affaires sur lesquelles elle a par ailleurs compétence (par exemple en matière d’amirauté), mais ne lui confère pas une compétence générale pour examiner des moyens et réparations en equity dans une action civile fondée sur une cause d’action prévue par la loi. Voir Bédard c. Kellogg, 2007 CF 516, [2007] A.C.F. no 714.
[9] Une attention particulière doit donc être portée à la loi particulière selon la compétence qui est revendiquée. Lorsque la loi invoquée prévoit une cause d’action civile particulière qui ne comprend pas une action pour enrichissement sans cause, le fond d’une demande d’enrichissement sans cause ne relève pas du champ d’application du droit fédéral et la Cour n’a pas compétence à l’égard de cette question.
[10] Les allégations d’enrichissement sans cause et de fiducie par interprétation incluses dans les modifications proposées s’inscrivent dans le contexte des violations alléguées prévues dans la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34. L’allégation de la demanderesse en vertu de la Loi sur la concurrence est présentée en vertu de l’article 36, qui prévoit ce qui suit :
36. (1) Toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite :
a) soit d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI;
b) soit du défaut d’une personne d’obtempérer à une ordonnance rendue par le Tribunal ou un autre tribunal en vertu de la présente loi,
peut, devant tout tribunal compétent, réclamer et recouvrer de la personne qui a eu un tel comportement ou n’a pas obtempéré à l’ordonnance une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu’elle est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n’excède pas le coût total, pour elle, de toute enquête relativement à l’affaire et des procédures engagées en vertu du présent article.
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36. (1) Any person who has suffered loss or damage as a result of
(a) conduct that is contrary to any provision of Part VI, or
(b) the failure of any person to comply with an order of the Tribunal or another court under this Act,
may, in any court of competent jurisdiction, sue for and recover from the person who engaged in the conduct or failed to comply with the order an amount equal to the loss or damage proved to have been suffered by him, together with any additional amount that the court may allow not exceeding the full cost to him of any investigation in connection with the matter and of proceedings under this section.
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[11] L’article 36 prévoit une réparation civile aux termes de laquelle une personne qui a subi une perte en raison de certaines infractions prévues dans la Loi sur la concurrence peut être indemnisée, exclusivement, pour la perte ou les dommages réels. Le défaut de la demanderesse de démontrer qu’il a subi une perte ou des dommages réels porte un coup fatal à la demande. L’article 36 ne prévoit pas de moyen de récupérer l’enrichissement d’une personne fautive, et il ne constitue pas le fondement d’un recours en equity ou en restitution, c.-à-d., une action pour enrichissement sans cause. Les recours possibles en cas de violation de la Loi sur la concurrence se limitent au recouvrement des pertes et des dommages réels de la demanderesse. Voir Maritime Travel Inc. c. Go Travel Direct.Com Inc., 2008 NSSC 163 et 947101 Ontario Ltd. (c.o.b. Throop Drug Mart) c. Barrhaven Town Centre Inc. (1995), 121 D.L.R. (4th) 748 (Ont. Div. gén.).
[12] Dans la décision Bédard, précitée, aux paragraphes 44 à 47, la juge Gauthier a énoncé la directive suivante en ce qui concerne une allégation d’enrichissement sans cause dans le contexte de la Loi sur la concurrence :
Il est vrai que la Cour est une Cour d’« equity » (paragraphe 3 de la Loi sur les Cours fédérales). Bien que ceci permette à la Cour d’appliquer des principes d’« equity » dans les affaires où elle a par ailleurs juridiction (par exemple en matière d’amirauté), cela ne lui confère pas une juridiction générale en matière de recours civil.
La thèse principale mise de l’avant par la demanderesse a récemment été discutée dans le cadre d’un appel d’une décision ontarienne autorisant un recours collectif (appareil Sure Step System) dans Serhan Estate v. Johnson & Johnson, 2006 CanLII 20322 (ON SCDC), [2006] O.J. No. 2421[12], où la Cour a conclu que le droit au Canada n’était pas clair. Il ressort de cette affaire que les diverses théories auxquelles réfère la demanderesse sont soit des causes d’action distinctes, soit un mode de réparation (remedy) particulier.
Dans les deux cas, il est assez évident que la Cour n’a pas juridiction pour les considérer. En effet, s’il s’agit d’une cause d’action distincte de celle prévue à l’article 36; elle est de compétence provinciale.
S’il s’agit plutôt d’un mode de réparation, il va au-delà de ce qui est prévu à l’article 36 qui édicte clairement que le montant alloué est compensatoire, c’est-à-dire fixé en fonction de la perte ou du dommage subi. Alors qu’au contraire, la réparation dans les décisions citées par la demanderesse est fixée en fonction du bénéfice retiré par la défenderesse [...]
[13] L’article 36 de la Loi sur la concurrence prévoit une cause d’action et un recours qui ne laissent aucune place aux demandes pour enrichissement sans cause et fiducie par interprétation. Si ces dispositions sont appliquées aux allégations de la demanderesse en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence, par conséquent, les modifications proposées ne sont pas du ressort de la cour et doivent être refusées.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE ET ADJUGE QUE :
La requête en modification est rejetée.
Les parties peuvent s’adresser à la Cour pour la question des dépens. Elles devraient le faire, du moins au début, par écrit.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1270-08
INTITULÉ : GARFORD PTY LTD.
demanderesse
et
DYWIDAG SYSTEMS INTERNATIONAL et al.
défendeurs
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Les 7 et 8 septembre 2010
DATE DES MOTIFS : Le 6 octobre 2010
COMPARUTIONS :
P. Bradley Limpert DEMANDERESSE
Christina Cupone Settimi
Heather E.A. Watts DÉFENDEURS
Robert J.C. Deane
Cameron MacKendrick LLP DEMANDERESSE
Intellectual Property Law
Toronto (Ontario)
Deeth Williams Wall LLP DÉFENDEURS
Avocats
Toronto (Ontario)