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Cour fédérale

Federal Court

Date : 20100930

Dossier : IMM-5485-09

Référence : 2010 CF 974

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

EDWARD AMPONSAH

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre de la décision rendue le 7 juillet 2009 par l’agente des visas Karen Salloum (l’agente). L’agente a rejeté la demande de résidence permanente que le demandeur avait présentée pour motifs d’ordre humanitaire au titre de la catégorie du regroupement familial.

 

 

 

Contexte factuel

[2]               Le demandeur est un citoyen du Ghana âgé de 22 ans. Sa mère et répondante, Mme Georgina Asante (la répondante), est citoyenne du Canada. Elle est d’abord arrivée au Canada en 1996 après avoir été parrainée par ses parents, qui avaient immigré au Canada quelques années auparavant.

 

[3]               Lorsqu’elle a présenté sa demande de résidence permanente, la répondante n’a pas divulgué le fait qu’elle avait un fils. Elle déclare qu’elle était trop gênée pour le dire, car le demandeur avait été conçu quand elle avait 12 ans. Elle ajoute que ses parents n’avait rien su de sa grossesse. Elle aurait omis de divulguer l’existence du demandeur de peur que ses parents ne veuillent plus la parrainer. Elle déclare en avoir informé ses parents quelques jours à peine après son arrivée au Canada, même si son avocat a écrit par erreur dans les observations qu’il a présentées à l’agente que les parents de la répondante étaient au courant de l’existence du demandeur depuis un an seulement.

 

[4]               La première demande de parrainage présentée par la répondante a été rejetée le 22 mars 2006, au motif que le demandeur n’était pas considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial aux termes de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, la répondante ayant omis de le déclarer dans sa demande de résidence permanente. La répondante n’a pas cherché à faire une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire à l’époque parce qu’elle n’était pas au courant de cette possibilité.

 

[5]               En février 2008, la répondante a présenté une autre demande de parrainage, laquelle était fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agente a interrogé le demandeur et la répondante et a conclu, le 7 juillet 2009, que les motifs d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants pour que la résidence permanente soit accordée. M. Amponsah demande le contrôle judiciaire de cette décision.

 

Décision contestée

[6]               Dans sa lettre de refus, l’agente déclare qu’après avoir interrogé le demandeur et la répondante, il lui est apparu évident que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne concordait pas avec la situation réelle. Elle ajoute que la répondante voulait avoir la possibilité de revoir sa demande, mais n’avait finalement jamais apporté de modification. L’agente a conclu que la prise d’une mesure pour des motifs d’ordre humanitaire n’était pas justifiée.

 

[7]               Dans les notes qu’elle a versées au Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI), l’agente signale que la répondante n’avait pas fourni de nouveaux renseignements depuis l’entrevue du 28 janvier 2009. L’agente a donc évalué l’information dont elle disposait et conclu que les motifs d’ordre humanitaire étaient douteux.

 

[8]               L’agente a accepté la preuve génétique montrant que le demandeur était bien le fils biologique de la répondante. Toutefois, l’agente a remis en question l’observation selon laquelle le demandeur n’avait jamais rencontré son père puisque la naissance du demandeur avait été enregistrée en 2001 par le père allégué. L’agente a aussi constaté que peu d’éléments de preuve établissaient que la répondante avait communiqué avec le demandeur ou lui avait fourni du soutien.

 

[9]               Selon les notes de l’agente, le demandeur allait à l’université au Ghana et sa famille élargie s’occupait de lui. L’agente a conclu que le demandeur voulait venir au Canada surtout pour son propre avantage, en vue d’améliorer ses chances de réussite. Elle a pris acte de l’affirmation du demandeur, qui disait que sa mère lui manquait. L’agente a aussi noté que la mère du demandeur, la répondante, n’avait jamais cherché à aller voir son fils au Ghana.

 

[10]           L’agente a consigné dans ses notes une déclaration de la répondante selon laquelle les parents de l’appelante avaient appris très tôt l’existence du demandeur, et écrit qu’elle ne croyait pas que les parents de la répondante ne savaient rien du demandeur encore récemment.

 

[11]           Enfin, l’agente a conclu que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne concordait pas avec les témoignages du demandeur et de la répondante, et que les motifs d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants pour que la résidence permanente soit accordée au demandeur.

 

Questions en litige

[12]           La présente demande soulève les questions suivantes :

1-      L’agente a‑t‑elle commis une erreur en n’appréciant pas correctement les éléments de preuve pertinents dont elle disposait relativement aux motifs d’ordre humanitaire?

 

2-      L’agente a‑t‑elle commis une erreur en ne donnant pas à la répondante l’occasion de dissiper un doute?

 

3-      L’agente a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité en n’accordant pas à la répondante une audience équitable?

 

Dispositions législatives

[13]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

 

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

[14]           Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) s’appliquent aussi en l’espèce :

 

Restrictions

 

117. (9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

 

[…]

 

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

 

Excluded relationships

 

117. (9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

 

 

 

[…]

 

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

 

 

Norme de contrôle

[15]           Depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, les questions concernant la façon dont l’agent des visas traite et examine la preuve produite dans le cas d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée à l’extérieur du Canada sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Odicho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1039, 341 F.T.R. 18). Selon la Cour suprême, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. La décision doit pouvoir se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[16]           Le demandeur a également soulevé des questions d’équité procédurale. Il a été décidé que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Dunsmuir, précité, au paragraphe 129; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43).

 

Analyse

1-      L’agente a‑t‑elle commis une erreur en n’appréciant pas correctement les éléments de preuve pertinents dont elle disposait relativement aux motifs d’ordre humanitaire?

 

[17]           Le demandeur a soulevé certaines questions concernant la façon dont l’agente avait traité la preuve. Tout d’abord, le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait qu’au moment où sa demande a été refusée, le demandeur n’était interdit de territoire pour aucune autre raison que son exclusion de la catégorie du regroupement familial au sens de l’alinéa 117(9)d) du Règlement. Il soutient que l’objet de l’alinéa 117(9)d) est d’empêcher les demandeurs de cacher des renseignements qui entraîneraient l’interdiction de territoire.

 

[18]           Il est bien établi en droit qu’il incombe au demandeur de présenter à l’agent tous les renseignements pertinents. Dans Madan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 198, 172 F.T.R. 262, au paragraphe 6, la Cour s’est ainsi prononcée :

[6] Il est bien établi qu’un demandeur de visa a l’entière responsabilité de présenter à l’agent des visas toute la documentation qui pourrait permettre à ce dernier de rendre une décision favorable. Les agents des visas n’ont par conséquent aucune obligation générale en droit de demander des détails ou des renseignements additionnels avant de rejeter une demande de visa au motif que la documentation soumise ne suffisait pas à les convaincre que le demandeur répondait aux critères de sélection pertinents.

 

[19]           En l’espèce, le demandeur n’a présenté à l’agente aucune observation pour montrer que la résidence permanente lui aurait été accordée (Mei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1044, 85 Imm LR (3d) 99) si sa mère n’avait pas omis de mentionner son existence quand elle avait elle-même présenté sa demande de résidence permanente. Puisqu’il incombe au demandeur de présenter tous les éléments de preuve pertinents, l’agente n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas compte d’un élément qui n’avait fait l’objet d’aucune observation.

 

[20]           Le demandeur ajoute que l’agente a commis une erreur dans les notes qu’elle a consignées sur l’entrevue menée avec la répondante. Selon les notes versées dans le STIDI, la répondante aurait déclaré que ses parents avaient rencontré le demandeur en 1998. Or, dans son affidavit, la répondante maintient qu’elle n’avait pas fait une telle affirmation parce que ses parents n’avaient jamais rencontré le demandeur. Le demandeur soutient qu’il s’agit d’une erreur déterminante, pertinente et substantielle parce que l’agente a fondé son refus sur le fait que la répondante avait présenté de fausses déclarations. Par conséquent, il affirme que le point de vue de l’agente et son interprétation du dossier étaient faussés dès le départ.

 

[21]           Le demandeur renvoie aussi à la décision Nazir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 553, [2010] A.C.F. no 655, dans laquelle la Cour a conclu qu’en l’absence d’affidavit de l’agente des visas attestant de la véracité du contenu des notes du STIDI, c’est la version de la répondante de ce qui s’est produit pendant l’entrevue qui doit prévaloir.

 

[22]           Cependant, la Cour n’est pas convaincue qu’il s’agit d’une erreur importante qui a influé sur la décision de l’agente. De l’avis de la Cour, rien dans les motifs fournis par l’agente n’indique qu’elle s’est fortement appuyée sur cette information pour rendre une décision négative. L’agente fait une seule allusion à la connaissance que les parents de la répondante avaient de l’existence du demandeur, et c’est lorsqu’elle écrit que [traduction] « les parents de la répondante ont appris très tôt l’existence du demandeur, et ce n’est pas vrai qu’ils ne savaient rien de lui encore récemment » [voir les notes du STIDI].

 

[23]           En ce qui concerne la déclaration selon laquelle les parents de la répondante avaient appris très tôt l’existence du demandeur, rien n’indique que l’agente se soit fondée sur l’aveu allégué de la répondante, qui aurait déclaré que ses parents avaient rencontré le demandeur en 1998. D’ailleurs, les renseignements fournis par la répondante et ceux fournis par le demandeur comportent d’autres divergences. Par exemple, le demandeur a déclaré lors de son entrevue que les parents de la répondante étaient au courant de la grossesse de leur fille. En revanche, la répondante a dit que ses parents n’avaient rien su de sa grossesse et qu’ils avaient appris l’existence du demandeur seulement après qu’elle fut arrivée au Canada. Compte tenu des autres incohérences entre les témoignages du demandeur et de la répondante, la Cour ne peut conclure que l’erreur alléguée était une erreur déterminante, pertinente et substantielle qui justifierait l’intervention de la Cour.

 

[24]           Le demandeur soutient en outre que l’agente n’a pas tenu compte du fait que sa mère et lui s’ennuyaient l’un de l’autre et a conclu à tort que le demandeur voulait venir au Canada pour son propre avantage. Dans une lettre manuscrite présentée avec la demande, le demandeur souligne que la répondante a manifesté son désir d’être réunie avec son fils. Le demandeur souligne également avoir déclaré, pendant son entrevue, que sa mère lui manquait. Par conséquent, le demandeur soutient que l’agente ne pouvait se fonder sur aucun élément de preuve pour conclure que le demandeur voulait venir au Canada surtout pour son propre avantage.

 

[25]           Sur ce point, le demandeur renvoie à la décision Krauchanka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 209, [2010] A.C.F. no 245, dans laquelle la Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire parce que l’agente n’avait pas tenu compte du fait que le répondant aimait manifestement son épouse et son enfant, et qu’ils voulaient être ensemble. Le demandeur soutient que l’agente a commis la même erreur en l’espèce.

 

[26]           La Cour ne peut être d’accord parce que l’affaire Krauchanka se distingue de la présente espèce. Dans l’affaire Krauchanka, le répondant avait quitté le Canada pour le Bélarus afin de retrouver son épouse et son enfant. Après avoir essayé en vain de trouver un emploi pendant huit mois, il a dû revenir au Canada parce qu’il était à court d’argent.

 

[27]           Toutefois, dans le présent cas, l’agente a noté que la répondante n’avait jamais cherché à aller voir son fils depuis qu’elle était arrivée au Canada en 1996, que peu d’éléments de preuve faisaient état d’une forme de communication entre la répondante et le demandeur, et qu’aucun élément de preuve n’établissait que la répondante avait fourni un quelconque soutien au demandeur. Dans son entrevue, le demandeur a déclaré que sa mère avait mis du temps avant de le parrainer parce qu’elle voulait que son fils termine d’abord ses études supérieures au Ghana avant d’entreprendre une maîtrise au Canada. Le demandeur a ajouté qu’il voulait venir au Canada parce que sa mère lui manquait et qu’il savait qu’il aurait de meilleures chances de réussite au Canada. D’après la preuve, l’agente a conclu de manière raisonnable que le demandeur semblait vouloir venir au Canada surtout pour son propre avantage, afin d’avoir de meilleures chances de réussite.

 

[28]           Par ailleurs, le demandeur soutient que l’agente a tiré une conclusion défavorable du fait que la répondante n’avait pas modifié sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Selon les notes du STIDI, au cours de son entrevue téléphonique, la répondante avait demandé si elle pouvait modifier sa demande, ce qu’elle n’a finalement jamais fait. Le demandeur déclare qu’il n’aurait pas dû être pénalisé pour cette raison, surtout si la modification visait simplement à corriger une erreur qui s’était glissée dans la déclaration écrite, erreur dont l’agente était au courant.

 

[29]           L’agente a noté que la répondante n’avait pas fourni de nouveaux renseignements même si elle avait exprimé sa volonté de le faire. L’agente a donc examiné les motifs d’ordre humanitaire qui lui avaient été exposés. Rien n’indique à la Cour que l’agente aurait tiré une conclusion défavorable du fait que la répondante n’avait pas modifié sa demande.

 

[30]           Enfin, le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en analysant le degré de communication et de soutien entre la répondante et le demandeur. Le défendeur déclare que ces considérations sont pertinentes lorsqu’il s’agit d’évaluer l’authenticité d’une relation, mais qu’elles ne présentent pas d’intérêt en l’espèce, l’authenticité de la relation étant établie par la preuve génétique admise.

 

[31]           La demande fondée sur des motifs humanitaires présentée par le demandeur reposait sur la réunification de la répondante et de son fils. Même si la preuve génétique avait établi la relation biologique, l’absence de communication et de soutien était un facteur pertinent que l’agente devait prendre en considération pour établir la légitimité de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, qui reposait sur la relation affectueuse entre la répondante et le demandeur. À cet égard, la décision de l’agente était raisonnable.

 

2-      L’agente a‑t‑elle commis une erreur en ne donnant pas à la répondante l’occasion de dissiper un doute?

 

[32]           Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en taisant certaines de ses préoccupations lors de l’entrevue téléphonique menée avec la répondante. Plus précisément, le demandeur affirme que l’agente aurait dû demander à la répondante pourquoi le demandeur avait déclaré que les parents de la répondante étaient au courant de la grossesse de leur fille. Dans son affidavit, la répondante a déclaré clairement que si elle avait su que le demandeur avait formulé une telle déclaration, elle aurait catégoriquement nié le fait.

 

[33]           La Cour n’est pas d’accord. Dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il incombe au demandeur d’établir que sa demande est justifiée. Récemment, dans Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 R.C.F. 360, au paragraphe 45, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée ainsi :

[45] Il est bien établi en droit que le contenu de la notion d’équité procédurale est variable et tributaire du contexte […] La question à se poser dans chaque cas est, en fin de compte, celle de savoir si la personne dont les intérêts sont en jeu a eu « une occasion valable de présenter [sa] position pleinement et équitablement » […] Dans le cas des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire, il est de jurisprudence constante que le demandeur a le fardeau d’établir que l’exemption est justifiée et que l’agent n’est pas tenu de signaler les lacunes de la demande et de réclamer d’autres observations […]

 

[34]           De plus, l’information dont il est question ici ne vient pas d’une source extrinsèque, mais du demandeur lui‑même. Même si l’agent peut être tenu de divulguer les renseignements extrinsèques portés à sa connaissance et donner au demandeur l’occasion d’y répondre, il n’a pas la même obligation quand les renseignements sont fournis par le demandeur ou quand le demandeur a facilement accès aux renseignements. Ainsi, même si elle n’a pas divulgué l’incohérence entre le témoignage du demandeur et celui de la répondante, l’agente n’a pas pour autant porté atteinte à l’équité procédurale.

 

3- L’agente a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité en n’accordant pas à la répondante une audience équitable?

 

[35]           Enfin, le demandeur soutient que l’agente a manqué à son obligation d’équité lorsqu’elle s’est entretenue avec la répondante. Dans son affidavit, la répondante a déclaré qu’il était environ quatre heures du matin quand l’agente l’a questionnée au téléphone. La répondante dit qu’elle avait travaillé tard la veille de l’entrevue téléphonique et dormait profondément quand l’agente l’a appelée. L’agente n’aurait jamais demandé à la répondante si le moment convenait. La répondante ajoute qu’elle était épuisée et qu’elle n’était pas préparée pour passer une entrevue aussi importante. Le demandeur affirme que ce manquement à l’équité procédurale lui a causé un grave préjudice, étant donné que l’agente s’est fondée sur les déclarations faites par la répondante pendant l’entrevue pour rendre une décision négative.

 

[36]           Le demandeur renvoie à l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, dans lequel la Cour suprême du Canada énumère cinq facteurs à prendre en considération lorsqu’il faut évaluer les questions d’équité procédurale. Les voici :

1)      la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

 

2)      la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme;

 

3)      l’importance de la décision pour les personnes visées;

 

4)      les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

 

5)      les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même.

 

[37]           Le demandeur ajoute que l’enjeu est considérable en l’espèce, puisqu’il s’agit de sa réunion avec sa mère. Le demandeur déclare aussi que sa mère ne pourra faire une troisième demande de parrainage à son égard parce qu’il a maintenant 22 ans et ne pourra plus désormais être parrainé à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. Finalement, le demandeur affirme que l’agente avait choisi de téléphoner à la répondante très tôt le matin, un choix qui l’avait privé du traitement équitable auquel il croyait avoir droit.

 

[38]           Bien que la Cour soit sensible au fait que la répondante ait dû répondre à des questions concernant la demande de résidence permanente de son fils, le demandeur, assez tôt le matin, la Cour n’est toujours pas convaincue qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale ayant causé un grave préjudice au demandeur.

 

[39]           Dans l’arrêt Baker, précité, la Cour suprême a discuté de la notion générale qui sous‑tend l’obligation d’équité. Lorsqu’elle a abordé les cinq facteurs indiqués par le demandeur ci‑dessus, la Cour s’est exprimée ainsi, au paragraphe 22 :

[22] Je souligne que l’idée sous‑jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leur points [sic]de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur.

 

[40]           Dans le présent cas, le demandeur soutient avoir subi un grave préjudice en raison du moment où s’est déroulée l’entrevue de la répondante. Il n’a cependant pas précisé de quelle façon il avait été lésé, mis à part le fait que l’agente s’était fondée en partie sur l’information obtenue dans cette entrevue pour rendre sa décision. Il convient également de souligner que le demandeur s’est lui‑même appuyé sur les déclarations faites par la répondante au cours de l’entrevue. La répondante a fourni un affidavit dans lequel elle relate ce qui s’était produit pendant l’entrevue et a ainsi montré qu’elle était suffisamment éveillée à ce moment‑là pour garder en mémoire les détails de la conversation. Qui plus est, ni la répondante, ni le demandeur n’ont souscrit d’affidavit ou soumis des éléments de preuve attestant que la répondante était incapable de présenter son point de vue complètement et équitablement en raison de son épuisement, exception faite d’une affirmation générale non corroborée selon laquelle le demandeur avait subi un grave préjudice.

 

[41]           La Cour remarque également que, pendant l’entrevue téléphonique, la répondante avait indiqué qu’elle voulait modifier sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, ce qu’elle n’a cependant jamais fait. Donc, même si l’entrevue ne s’est pas déroulée à un moment idéal, la Cour ne peut conclure que le demandeur a subi un préjudice, ni que la répondante a été privée de la possibilité de présenter complètement et équitablement son point de vue à l’agente.

 

[42]           La Cour conclut à l’absence de manquement à l’obligation d’équité procédurale.

 

[43]           Pour terminer, la Cour conclut que, d’après la preuve, la décision de l’agente fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Khosa). La présente demande est par conséquent rejetée.

 

[44]           L’avocat du demandeur a proposé que soit certifiée la question suivante :

L’agent des visas ou l’agent d’immigration commet‑il une erreur (aux fins des considérations d’ordre humanitaire) en demandant s’il y a eu des communications régulières entre le parent et l’enfant ou un soutien financier accordé par le parent à l’enfant quand les résultats de l’analyse d’ADN établissent la filiation?

 

[45]           Le fait de trancher une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire uniquement en fonction de l’existence d’une relation familiale vient à l’encontre de l’alinéa 117(9)d) du Règlement, qui dispose que, dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger n’est pas considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial s’il était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et s’il n’a pas fait l’objet d’un contrôle. Donc, et la Cour en convient avec le défendeur, lorsque l’agent des visas examine une demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, son rôle consiste à déterminer s’il existe un lien suffisamment étroit entre le parent et l’enfant pour qu’il soit inhumain ou cruel de ne pas leur permettre d’être réunis en dépit d’une violation de la Loi ou du Règlement.

 

[46]           La Cour est d’avis que la question proposée ne soulève aucune question de portée générale. La question ne sera donc pas certifiée.

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5485-09

 

INTITULÉ :                                       EDWARD AMPONSAH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               9 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE :                                               30 septembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Russell L. Kaplan

 

POUR LE DEMANDEUR

Max Binnie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kaplan Immigration Law Office

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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