Cour fédérale |
|
Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2010
En présence de monsieur le juge Boivin
ENTRE :
CORPORATION
Applicant
et
OF CANADA
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Cette demande a été déposée afin de trancher un litige qui oppose Canadian Broadcasting Corporation / la Société Radio-Canada (ci-après la SRC) et Information Commissioner of Canada / la Commissaire à l’information du Canada (ci-après la Commissaire). Le litige dont il est question porte essentiellement sur la compétence de la Commissaire d’ordonner à la SRC la production de documents en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, LRC, 1985, c A-1 (ci-après la Loi).
[2] Par cette demande de contrôle judiciaire, la SRC vise à obtenir une déclaration que la Commissaire n’a pas compétence d’ordonner, par ordonnance ou autrement, l’accès aux documents de la SRC au motif que ces derniers tombent sous le coup de l’exclusion prévue à l’article 68.1 de la Loi.
Contexte factuel
[3] Depuis septembre 2007, à la suite d’un amendement législatif, la SRC est assujettie à la Loi sur l’accès à l’information. Cet amendement législatif assujettissant la SRC à la Loi a préalablement fait l’objet de nombreuses discussions et échanges au sein de comités et de groupes d’études. Au terme de cet exercice, ledit amendement législatif a été introduit par l’article 68.1. Il se lit comme suit :
EXCLUSIONS
Société Radio-Canada
68.1 La présente loi ne s’applique pas aux renseignements qui relèvent de la Société Radio-Canada et qui se rapportent à ses activités de journalisme, de création ou de programmation, à l’exception des renseignements qui ont trait à son administration. |
EXCLUSIONS
Canadian Broadcasting Corporation
68.1 This Act does not apply to any information that is under the control of the Canadian Broadcasting Corporation that relates to its journalistic, creative or programming activities, other than information that relates to its general administration.
|
[4] Par la suite, entre les mois de décembre 2007 et juin 2009, la SRC a reçu plusieurs demandes d’accès à l’information. Plusieurs de ces demandes ont été rejetées aux motifs qu’elles étaient considérées comme étant exclues de l’application de la Loi en vertu de l’article 68.1. Par ailleurs, la Cour note que la lettre de refus de la demande d’accès que fait parvenir la SRC au demandeur d’accès indique qu’il est possible de déposer une plainte relative au refus auprès de la Commissaire à l’information [Dossier de la demanderesse, Onglet B : interrogatoire de Pierre Nollet, p 52, para 150-151].
[5] La Commissaire à l’information a pour sa part reçu seize (16) plaintes provenant d’individus dont la demande d’accès auprès de la SRC leur a été refusée. La Commissaire a débuté une enquête afin de traiter les plaintes. Dans le cadre de son enquête, la Commissaire a demandé à la SRC de lui communiquer un certain nombre de documents.
[6] La demande de la Commissaire a été refusée par la SRC au motif que les informations contenues dans les documents visés par les seize (16) demandes d’accès sous enquête sont exclues de l’application de la Loi, puisqu’en vertu de l’article 68.1, ces documents relèvent des activités de journalisme, de création ou de programmation.
[7] En réponse au refus de la SRC, la Commissaire affirme au contraire que l’article 68.1 de la Loi lui confère la compétence d’examiner les documents afin de déterminer si elle peut exercer sa compétence prévue par la Loi en ce qui a trait aux renseignements relatifs à l’administration de la SRC. Afin d’établir sa compétence, la Commissaire est d’avis que la Loi lui confère le droit d’examiner tous les documents de la SRC incluant ceux qui, de l’avis de la SRC, contiennent des informations qui se rapportent à des activités de journalisme, de création ou de programmation. Par conséquent, la Commissaire estime qu’elle a l’autorité d’ordonner à la SRC de lui communiquer ces documents pour examen.
[8] Le 15 septembre 2009, la Commissaire a ordonné à la SRC de lui communiquer une copie des documents visés par les demandes d’accès. Entre-temps, la SRC a entamé une procédure de contrôle judiciaire visant à faire déclarer que la Commissaire n’a pas la compétence d’ordonner la communication de documents qui sont exclus en vertu de l’article 68.1 de la Loi. À la suite de ce développement, la Commissaire a consenti à suspendre son enquête en attendant la décision finale de cette Cour.
Question en litige
[9] La seule question qui se pose dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est la suivante : Est-ce que la Commissaire à l’information du Canada détient la compétence d’ordonner à la SRC de communiquer des documents, incluant ceux, qui de l’avis de la SRC, se rapportent à ses activités de journalisme, de création ou de programmation, afin de déterminer si ces documents tombent ou non sous le coup de l’exception et partant s’ils sont exclus en vertu de l’article 68.1 de la Loi ?
Norme de contrôle
[10] Dans l’arrêt Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la Cour suprême du Canada a établi qu’il existe deux normes de contrôle en vertu desquelles les décisions des organismes administratifs et des tribunaux fédéraux doivent être révisées : la norme correcte et la norme raisonnable. La Cour suprême du Canada a également ajouté que lorsqu’il s’agit d’une question de droit ou de véritable compétence, dont il est question dans la présente cause, la norme de révision doit être celle de la norme correcte :
[59] […] Il importe en l’espèce de considérer la compétence avec rigueur. Loin de nous l’idée de revenir à la théorie de la compétence ou de la condition préalable qui, dans ce domaine, a pesé sur la jurisprudence pendant de nombreuses années. La « compétence » s’entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question. Autrement dit, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question. L’interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence : D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 14‑3 et 14‑6. […]
[11] Comme la présente demande soulève une question de véritable compétence, la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est donc la norme correcte.
Analyse
[12] Afin d’interpréter l’article 68.1 de la Loi et se prononcer sur la compétence de la Commissaire, il est utile à ce stade-ci de faire un bref survol de certaines dispositions de la Loi.
[13] Le principe général qui doit guider l’interprétation de la Loi se trouve à l’article 2. Cet article énonce en toutes lettres que l’objet de la Loi est d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, sous réserve d’exceptions et d’exclusions précises et limitées.
[14] L’esprit de la Loi repose sur le principe de la divulgation. En vertu de la Loi, la non-divulgation de l’information sous le contrôle des institutions gouvernementales est l’exception (voir Société canadienne des postes c Canada (Ministre des travaux publics) (C.A.) [1995] 2 CF 110, [1995] ACF no 241, au para 34). En cas de refus d’accès, la Loi établit un processus de révision à la Commissaire à l’information du Canada. La Commissaire dans le cadre de ses fonctions est indépendante et impartiale. Elle agit de facto en tant qu’ombudsman. Dans l’arrêt Rowat c Canada (Commissaire à l’information), [2000] ACF no 832, 193 FTR 1, au para 28, la Cour a établi l’indépendance de la fonction de la Commissaire:
[28] Quant à l'indépendance du Commissaire, les observations suivantes qui ont été avancées par le Commissaire n'ont pas été contestées:
[TRADUCTION]
Le Commissaire est un ombudsman impartial et indépendant dont la fonction consiste à superviser l'application de la Loi sur l'accès à l'information, de même que les mesures gouvernementales relatives à cette dernière; son pouvoir se limite à formuler des recommandations à l'intention des institutions fédérales ou du Parlement au sujet de la divulgation de renseignements gouvernementaux et de l'administration de la Loi sur l'accès à l'information. [Loi sur l'accès à l'information, art. 2(1), 30, 37, 38, 39, 55 et 56] […]
[15] Par ailleurs, en vertu de l’article 4 de la Loi, les institutions fédérales doivent donner suite à toutes les demandes d’accès, à moins qu’elles puissent démontrer que l’information tombe sous une exception prévue par la Loi (voir Rubin c Canada (Ministre des Transports) (C.A.), [1998] 2 CF 430, [1997] ACF no 1614, au para 19).
[16] Il convient également de noter que dans Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 3 CF 609, [1996] ACF no 1076, au para 47, la Cour a reconnu que la Loi sur l’accès à l’information a un statut quasi-constitutionnel:
[47] Cette approche libérale, fondée sur l'objet même de la loi, et que la Cour a retenue dans l'interprétation aussi bien de la Loi sur l'accès à l'information que de la Loi sur la protection des renseignements personnels, est en partie due au statut particulier reconnu aux deux textes. Selon le paragraphe 4(1) de la Loi sur l'accès à l'information, celle-ci s'applique "nonobstant toute autre loi fédérale", ce qui confère au texte un statut quasi constitutionnel. […]
[17] En ce qui a trait au fonctionnement de la Loi, cette dernière prévoit un mécanisme de révision en deux étapes par lequel le refus d’une demande d’accès par une institution gouvernementale puisse être révisé afin d’assurer la protection du demandeur d’accès.
[18] En effet, il appartient à la Commissaire nommée par le Parlement et indépendante du gouvernement d’effectuer la première étape de la révision. La Loi prévoit également qu’une fois que la Commissaire a terminé son enquête et que son rapport a été publié, la deuxième étape de la révision est attribuée à la Cour fédérale (articles 40 et 41).
[19] Un plaignant dont la demande d’accès a été refusée a droit à une enquête objective et indépendante ainsi qu’à des conclusions de la Commissaire sur le résultat de l’enquête. Comme l’a observé la Cour d’appel fédérale dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (ministre de la Défense nationale), [1999] ACF no 522, 240 NR 244, au para 27 :
[27] L'enquête que doit mener le Commissaire est la pierre angulaire du système d'accès à l'information. Elle représente une méthode informelle de résolution des conflits où l'institution fédérale se voit investie non pas d'un pouvoir décisionnel, mais bien d'un pouvoir de recommandation auprès de l'institution concernée. L'importance de cette enquête est soulignée par le fait qu'elle constitue un préalable à l'exercice du pouvoir de révision, selon que le prévoient les articles 41 et 42 de la Loi.
[20] En l’espèce, la SRC appuie ses prétentions sur les principes applicables en matière d’interprétation des lois selon lesquels il faut lire les termes d'une loi en prenant en compte l’analyse contextuelle (voir Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 RCS 141, au para 9). La SRC avance aussi qu'une analyse textuelle des articles 36(2) et 68.1 de la Loi mène à la conclusion que la Commissaire ne peut ordonner à la SRC de lui communiquer des informations. Les paragraphes 36(1) et 36 (2) s’énoncent comme suit :
Pouvoirs du Commissaire à l’information pour la tenue des enquêtes
36. (1) Le Commissaire à l’information a, pour l’instruction des plaintes déposées en vertu de la présente loi, le pouvoir :
a) d’assigner et de contraindre des témoins à comparaître devant lui, à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment et à produire les pièces qu’il juge indispensables pour instruire et examiner à fond les plaintes dont il est saisi, de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives;
b) de faire prêter serment;
c) de recevoir des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux;
d) de pénétrer dans les locaux occupés par une institution fédérale, à condition de satisfaire aux normes de sécurité établies par l’institution pour ces locaux;
e) de s’entretenir en privé avec toute personne se trouvant dans les locaux visés à l’alinéa d) et d’y mener, dans le cadre de la compétence que lui confère la présente loi, les enquêtes qu’il estime nécessaires;
f) d’examiner ou de se faire remettre des copies ou des extraits des livres ou autres documents contenant des éléments utiles à l’enquête et trouvés dans les locaux visés à l’alinéa d).
Accès aux documents
(2) Nonobstant toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve, le Commissaire à l’information a, pour les enquêtes qu’il mène en vertu de la présente loi, accès à tous les documents qui relèvent d’une institution fédérale et auxquels la présente loi s’applique; aucun de ces documents ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé.
[…] |
Powers of Information Commissioner in carrying out investigations
36. (1) The Information Commissioner has, in relation to the carrying out of the investigation of any complaint under this Act, power
(a) to summon and enforce the appearance of persons before the Information Commissioner and compel them to give oral or written evidence on oath and to produce such documents and things as the Commissioner deems requisite to the full investigation and consideration of the complaint, in the same manner and to the same extent as a superior court of record;
(b) to administer oaths;
(c) to receive and accept such evidence and other information, whether on oath or by affidavit or otherwise, as the Information Commissioner sees fit, whether or not the evidence or information is or would be admissible in a court of law;
(d) to enter any premises occupied by any government institution on satisfying any security requirements of the institution relating to the premises;
(e) to converse in private with any person in any premises entered pursuant to paragraph (d) and otherwise carry out therein such inquiries within the authority of the Information Commissioner under this Act as the Commissioner sees fit; and
(f) to examine or obtain copies of or extracts from books or other records found in any premises entered pursuant to paragraph (d) containing any matter relevant to the investigation.
Access to records
(2) Notwithstanding any other Act of Parliament or any privilege under the law of evidence, the Information Commissioner may, during the investigation of any complaint under this Act, examine any record to which this Act applies that is under the control of a government institution, and no such record may be withheld from the Commissioner on any grounds.
… |
[21] Alors que le paragraphe 36(1) attribue certains pouvoirs à la Commissaire, dont celui d’examiner ou de se faire communiquer des documents, le paragraphe 36(2) donne accès au Commissaire à tous les documents qui relèvent d’une institution fédérale. Le procureur de la SRC souligne toutefois que l’article 36(2) comporte une importante réserve en ce que la Commissaire a accès aux documents « auxquels la présente loi s’applique ». Or, comme l’article 68.1 définit les documents auxquels la Loi ne s’applique pas, la SRC allègue que la Commissaire n’a pas compétence pour contraindre la SRC à lui communiquer des documents auxquels la Loi ne s’applique pas.
[22] La SRC s’appuie également largement sur le contexte historique qu’elle qualifie de primordial, dans la mesure où il permet de mieux cerner l’intention du législateur. Entre autres, la SRC fait référence au groupe d’étude interministériel créé par le gouvernement du Canada en 2000 pour examiner tous les éléments du régime d’accès et recommander des améliorations. À cette époque, la SRC soulève les conséquences possibles d’un assujettissement à la Loi sur l’ensemble de ses activités journalistiques, notamment son indépendance vis-à-vis le gouvernement. En 2002, le Commissaire de l’époque dans un rapport déposé auprès du Parlement privilégie le régime de l’exception par rapport à celui de l’exclusion et propose en 2005 une série de modifications allant dans ce sens. Cette proposition n’est pas retenue par le législateur dans le projet de loi C-2 intitulé Loi prévoyant des règles sur les conflits d’intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation. En mai et juin 2006, le Commissaire s’oppose à l’établissement d’un régime d’exclusions pour la SRC craignant qu’il empêche un examen indépendant par la Commission et la Cour fédérale. La Loi est amendée et le Parlement inclut l’exclusion à l’article 68.1. [Dossier de la demanderesse, Mémoire du demandeur, aux pp 10-18]
[23] Se basant sur l’analyse historique entourant l’adoption de l’article 68.1 ainsi que sur l’objectif de la Loi et le sens grammatical - notamment de l’article 36(2) -, la SRC soumet que la Commissaire n’a pas la compétence de lui ordonner de communiquer des documents que la SRC juge exclus de la Loi par l’article 68.1.
[24] Pour sa part, le procureur de la Commissaire a fait valoir que l’objet de la Loi doit être interprété de façon large et libérale et que la Commissaire doit avoir compétence pour déterminer si les documents tombent sous le coup de l’exception. Le contraire irait à l’encontre de l’objectif de la Loi et permettrait à la SRC de contourner les mécanismes de révision prévus dans la Loi alors qu’elle y est assujettie depuis 2007.
[25] D’une part, cette Cour est d’avis que même s’il est vrai que les débats parlementaires et les discussions qui émanent de comités peuvent aider à interpréter une loi, car ils fournissent un contexte qui se présentait au législateur, il est également reconnu qu’ils ne sont pas déterminants en soi et que leur poids demeure relatif (voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) [1998] 1 RCS 27, [1998] ACS no 2, au para 35; A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada (Agence du revenu), 2007 CSC 42, [2007] 3 RCS 217 au para 12; Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 4e éd, Montréal, Thémis, 2009, aux pp 505-506). Après avoir pris connaissance des échanges qui ont eu lieu en comités, dans les circonstances, bien que pertinent, le contexte historique n’est pas concluant en soi. D’autre part, bien que la rédaction de l’article 68.1 ne soit pas, pour ainsi dire, un modèle de limpidité, l’interprétation qu’en fait la SRC ne cadre pas avec l’objet de la Loi qui prône une interprétation libérale de celle-ci (article 2). Cette Cour ne peut donc souscrire à l’interprétation de l’article 68.1 avancée par la SRC pour les raisons suivantes.
[26] L’article 68.1 stipule que « la présente loi ne s’applique pas aux renseignements qui relèvent de la Société Radio-Canada et qui se rapportent à ses activités de journalisme, de création ou de programmation ». Tel que mentionné plus haut, la SRC s’appuie sur le libellé « La présente loi ne s’applique pas » pour étayer la prétention selon laquelle la Commissaire ne peut s’autoriser de l’article 36 pour ordonner à la SRC de lui communiquer des documents. Toutefois, il est important de noter que le même article stipule également « à l’exception des renseignements qui ont trait à son administration ». Les renseignements se rapportant à l’administration de l’institution fédérale comprennent ceux qui ont trait à ses dépenses en matière de déplacements, d’hébergement et d’accueil » (article 3.1 de la Loi).
[27] L’article 68.1 tel que rédigé contient une double négation à savoir une exception à l’exclusion. Cette exception à l’exclusion qui fait référence aux renseignements qui ont trait à l’administration de la SRC peut apporter un éclairage à la compétence de la Commissaire. En effet, comment la Commissaire peut-elle évaluer si des renseignements ont trait à l’administration de la SRC et, partant, tombent sous le coup de l’exception contenue à l’article 68.1, si elle n’a pas la compétence d’examiner tous les documents en question incluant ceux qui se rapportent aux activités de journalisme, de création ou de programmation de la SRC ?
[28] La Cour note l'argument de la SRC selon lequel en créant parallèlement un régime d'exceptions (articles 13 à 26 de la Loi) et un régime d'exclusions (articles 68 à 69.1de la Loi) le législateur n'a certes pas voulu que les deux régimes soient soumis aux mêmes règles.
[29] Toutefois, la Cour ne peut que constater que la rédaction des articles 68.1 et 68.2 qui ont tous deux fait l'objet de l'amendement à la Loi comportent une exception à l'exclusion. Ainsi, la Cour est d’avis que l'article 68.1 bien qu'inclus sous la rubrique "exclusion" de la Loi ne peut échapper, de par sa rédaction, à un examen indépendant de la Commissaire. À la lecture de l’article 68.1, la Commissaire doit avoir compétence afin de déterminer de façon objective et indépendante si les documents tombent sous le coup de l’exception et s’ils peuvent ou non être exclus à juste titre (voir Canada (procureur général) c Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25, [2001] ACF no 282, au para 21). Le contraire aurait pour conséquence de mettre la SRC à l’abri de la Loi et contreviendrait non seulement à l’objet de celle-ci (article 2) mais également à son esprit, car, depuis 2007, la SRC y est assujettie.
[30] La SRC soutient qu’elle est la mieux placée pour effectuer cet exercice, car elle détient une expertise en la matière. Aussi, puisque la Loi indique clairement « qu’elle ne s’applique pas », la Commissaire ne détient aucune compétence et n’a aucun pouvoir d’enquête en l’espèce. Bref, suivant cette logique, la SRC détiendrait la pleine compétence pour déterminer si des documents faisant l’objet d’une demande d’accès tombent ou non sous le coup de l’exception de l’article 68.1. La Cour ne partage pas cette interprétation.
[31] La thèse avancée par la SRC consacre la Société d’État comme juge et partie en ce qui a trait aux demandes d’accès qu’elle reçoit. À cet égard, il ressort de la preuve au dossier que la SRC n’a établi aucune directive écrite qui permettrait d’avoir une uniformité dans le processus du traitement des demandes d’accès [Dossier de la demanderesse, Onglet B, interrogatoire de Pierre Nollet, p 22, para 54].
[32] Surtout, cette approche érige un régime parallèle en marge de la Loi. En se référant à l’arrêt Davidson v Canada (Solicitor General), [1989] 2 FC 341, [1989] FCJ No 105, au para 14, cette Cour est d’avis que non seulement cette interprétation retire à la Commissaire sa compétence, mais elle prive également le demandeur d’accès d’un palier pour la révision de sa plainte :
[14] It is no doubt true, as the appellant argued, that a Federal Court trial judge, on a review of a refusal of access by an institution head which, as here, is upheld by the Commissioner, has adequate powers of review over the decision of the institution head, though it must be said that a judge sitting in Court lacks the investigative staff and flexibility of the Commissioner. More important, if new grounds of exemption were allowed to be introduced before the judge after the completion of the Commissioner's investigation into wholly other grounds, as is the issue in the case at bar, the complainant would be denied entirely the benefit of the Commissioner's procedures. He would thus be cut down from two levels of protection to one. No case could better illustrate than the present one the advantages of a two-stage process, because it was only at the second stage that the fatal flaw in the initial ground was discovered.
[33] De plus, rien dans la Loi ou, a fortiori, dans les débats qui ont eu cours en comités ne permet de conclure que le législateur ait eu l’intention en adoptant l’amendement à la Loi de judiciariser le processus de demande d’accès à l’information en retirant la compétence de la Commissaire et en créant une bifurcation du processus qui se traduirait dans les faits en un seul recours direct en contrôle judiciaire à la Cour fédérale.
[34] Par ailleurs, la SRC trace un parallèle avec l’arrêt Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 RCS 574, dans lequel la Cour suprême du Canada a statué que le Commissaire à la protection de la vie privée ne pouvait obtenir accès à des informations visées par le privilège avocat-client, même si cet accès visait à s’assurer que la revendication du privilège était fondée. À l’audience devant cette Cour, le procureur de la SRC a fait un rapprochement entre le privilège avocat-client et les sources journalistiques. Dans le cas qui nous occupe, la Cour ne souscrit pas à cet argument avancé par la SRC puisque Blood Tribe ne concerne pas un cas d’exclusion. De plus, les principes élaborés dans Blood Tribe portent sur les cas d’information protégée par la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000, c 5, dont le corollaire est l’inverse de la Loi sur l’accès à l’information.
[35] Quant au rôle de la Commissaire à l’information, les articles 36 et 37 de la Loi énumèrent les pouvoirs de la Commissaire. Il est clair à la lecture de ces articles qu’elle n’a ni pouvoir décisionnel, ni pouvoir coercitif. Comme le souligne la Commissaire, le résultat de son enquête lui octroie seulement un pouvoir de recommandation envers les institutions fédérales et la décision de mettre en œuvre ou non ces recommandations relève des institutions. Il ressort également de l’article 35(1) de la Loi que les enquêtes de la Commissaire sont secrètes et confidentielles. Il importe aussi de souligner qu’il n’y donc pas de divulgation à ce stade (voir Rubin, para 9). De plus, en vertu de l’article 36(5) de la Loi, les institutions fédérales qui produisent des documents peuvent exiger que la Commissaire les retourne dans les dix jours. En somme, la Loi a été rédigée avec des paramètres bien définis.
[36] La Cour voit difficilement le préjudice qui pourrait être causé à la SRC dans l’exercice de son mandat si la Commissaire obtenait une copie des documents pour vérifier s’ils se rapportent à l’administration de la SRC en vertu de l’article 68.1 (voir Dossier du défendeur, Onglet B : interrogatoire de Pierre Nollet, aux pp 94-95). Il faut garder à l’esprit que la Commissaire est une entité neutre, les enquêtes sont secrètes et confidentielles et que le regard posé doit donc être objectif. La communication de documents à la Commissaire n’équivaut pas à leur divulgation. Il faut effectivement faire la distinction entre, d’une part, le partage des informations et des documents avec la Commissaire en réponse à une plainte pour refus d’accès et, d’autre part, la divulgation publique de ces informations dans le cas où la demande d’accès est accordée. Advenant un désaccord entre la SRC et la Commissaire à la suite des conclusions de cette dernière, la SRC peut porter son désaccord devant la Cour fédérale.
[37] À la lumière de ce qui précède et en tenant compte de l’économie de la Loi et de ses dispositions lues dans leur ensemble, la Cour conclut que la Commissaire détient, en vertu de l’article 68.1, la compétence d’ordonner à la SRC de communiquer des documents, incluant ceux, qui de l’avis de la SRC, se rapportent à ses activités de journalisme, de création ou de programmation, afin de déterminer si ces documents tombent sous le coup de l’exception et partant s’ils sont assujettis à l’exclusion.
[38] Pour toutes ces raisons, la Cour rejette cette demande de contrôle judiciaire.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
ANNEXE
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1552-09
INTITULÉ : CANADIAN BROADCASTING CORPORATION v. INFORMATION COMMISSIONER OF CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 13 septembre 2010
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE BOIVIN
DATE DES MOTIFS : Le 24 septembre 2010
COMPARUTIONS :
André Lespérence Sylvie Gadoury
|
POUR LA DEMANDERESSE |
Douglas C. Mitchell Julien Lussier
|
POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lauzon Bélanger inc. Montréal (Québec)
|
POUR LA DEMANDERESSE |
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r. Montréal (Québec) |
POUR LA DÉFENDERESSE |