Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20100910

Dossier : IMM-6499-09

Référence : 2010 CF 889

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2010

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

LUZ MARINA CIFUENTES BONILLA

LEONARDO TORRES CASTRO

NICHOLL ALEJANDRA GUTIERREZ CIFUENTES

DANNA VALENTINA TORRES CIFUENTES et

LUISA FERNANDA GUTIERREZ CIFUENTES

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs voudraient faire annuler une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR), datée du 19 décembre 2009, qui leur a refusé, parce qu’ils avaient présenté des documents frauduleux, la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger, en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

LES FAITS

Le contexte

[2]               Les demandeurs sont Colombiens. MmeLuz Marina Cifuentes Bonilla est la mère demanderesse, âgée de 44 ans. Elle a trois filles, qui sont également demanderesses dans la présente affaire, Luisa Fernanda Gutierrez Cifuentes, âgée de 20 ans, Nicholl Alejandra Gutierrez Cifuentes, âgée de 15 ans, et Danna Valentina Torres Cifuentes, âgée de 10 ans. Le mari de la demanderesse, Leonardo Torres Castro, âgé de 45 ans, est lui aussi demandeur dans la présente affaire. Les demandeurs sont entrés au Canada le 10 juillet 2007 et ont immédiatement demandé l’asile.

 

[3]               Les demandeurs vivaient dans l’un des quartiers pauvres de Bogota. La mère demanderesse était activiste communautaire et coordonnatrice de l’emploi des jeunes au nom de l’aile jeunesse du Parti libéral colombien, et elle organisait des activités pour les jeunes de son quartier depuis 1996. Son quartier, El Rincon de Los Molinos, était un endroit où les FARC recrutaient des partisans et menaient des attaques à cause de la présence d’une prison à sécurité maximale où étaient incarcérés des membres des FARC. En septembre et novembre 1999, la demanderesse a reçu deux appels téléphoniques menaçants d’agents des FARC qui l’accusaient de trahison et la priaient de mettre fin à son travail politique. Elle n’a pas tenu compte de cette injonction et, en décembre 1999, elle a accepté un poste de coordonnatrice de l’emploi des jeunes pour le Comité d’action communautaire de son quartier. La sœur de la demanderesse, qui n’est pas partie à la présente instance, a accepté un poste similaire, mais, devant les intimidations des FARC, elle a fui au Canada, où elle a été acceptée comme réfugiée le 2 juin 2005.

 

[4]               Le 22 décembre 1999, la mère demanderesse a reçu des FARC un autre appel téléphonique chargé de menaces. Elle a communiqué avec la police en janvier 2000, mais la police lui a dit qu’elle ne pouvait pas l’aider. Le 18 janvier 2000, une école où elle avait organisé une réunion plus tôt durant la journée fut attaquée à la grenade. Elle a continué de recevoir des menaces par téléphone et elle a donc quitté la Colombie à la faveur d’un faux passeport argentin le 31 octobre 2000. Les demandeurs ont demandé l’asile aux États-Unis le 6 novembre 2001. Leur demande d’asile a été rejetée le 9 mars 2007. La fille aînée de la demanderesse, Luisa, a depuis obtenu la résidence permanente en Espagne à la faveur d’un parrainage le 1er août 2007. La mère demanderesse a demandé l’asile le 10 juillet 2007 au nom de tous les demandeurs, dont Luisa, qui était revenue au Canada pour se présenter à l’audience portant sur sa demande d’asile.

 

La décision contestée

[5]               Le 19 novembre 2009, la SPR a rejeté la demande d’asile, parce qu’elle n’avait pu s’assurer de l’authenticité de deux des trois principaux documents justificatifs produits par la mère demanderesse. Elle a conclu que les demandeurs avaient produit de faux documents et qu’ils n’étaient donc pas crédibles. La SPR a ensuite ajourné la demande d’asile de Luisa, puisqu’elle avait eu la possibilité de fuir en Espagne, où elle est résidente permanente. Les demandeurs ne contestent pas explicitement l’ajournement de la demande d’asile de Luisa.

 

[6]               Durant l’audience de la SPR, les demandeurs ont consenti à ce que la SPR vérifie l’authenticité des documents justificatifs suivants :

1.      une lettre datée du 8 février 2005 de M. Jose Felix Montenegro confirmant que la mère demanderesse travaillait pour le Comité d’action communautaire;

2.      une lettre datée du 28 avril 2005 de M. Jaime Alzate confirmant que la mère demanderesse était membre du Parti libéral colombien et qu’elle avait dû fuir la Colombie à cause des FARC;

3.      des dossiers médicaux datés du 19 janvier 2000 et délivrés par l’hôpital de Santa Clara pour la mère demanderesse.

 

La SPR a décidé durant l’audience, à la page 12 de la transcription, d’autoriser les demandeurs à présenter des observations ou, subsidiairement, à présenter une demande de réouverture de l’audience après réception des conclusions de la direction de la recherche de la SPR :

[traduction]

 

LE COMMISSAIRE :  … Nous allons donc lever la séance. Lorsque nous aurons reçu la réponse de nos spécialistes de la recherche à propos de la vérification de ces trois documents, elle sera communiquée à votre conseil, et vous, conseil, lorsque vous aurez en main cette réponse, vous pourrez, en fonction de ce qu’elle contiendra, faire plusieurs choses; si la réponse vous convient, vous pourrez tout simplement m’envoyer une note en ce sens et peut-être me communiquer vos observations écrites sur la raison pour laquelle la demande d’asile devrait être accueillie, et, dans cette note, vous pourriez m’indiquer les raisons pour lesquelles la demande d’asile de la fille aînée devrait être rejetée, au lieu qu’elle soit l’objet d’une mesure d’exclusion…

 

Si vous n’êtes pas satisfait du résultat de la recherche, je présume que vous demanderez la réouverture de l’audience, et la fixation d’une nouvelle date, et cette demande sera accueillie.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[7]               Les demandeurs ont reçu le 24 septembre 2009 la réponse de la direction de la recherche, laquelle indiquait que seule la lettre du Comité d’action communautaire était reconnue comme authentique. La direction de la recherche avait communiqué à la SPR les résultats de sa recherche, qui étaient les suivants :

1.      une lettre datée du 2 juillet 2009 confirmant les activités de la mère demanderesse au Comité d’action communautaire;

2.      une lettre datée du 23 juillet 2009 de l’hôpital de Santa Clara indiquant que l’hôpital n’avait pas de dossiers concernant la mère demanderesse;

3.      une lettre datée du 6 juillet 2009 du secrétaire général du Parti libéral colombien, mais dont le nom était masqué, indiquant que ni la mère demanderesse ni M. Jaime Alzate, qui prétendait certifier la qualité de membre de la mère demanderesse, ne figuraient comme membres dans les bases de données du Parti, et indiquant en outre que les seules personnes au sein du Parti autorisées à attester la qualité de membre étaient M. Cesar Gavrial Trujillo, directeur national du Parti, et l’auteur de la lettre.

 

 

[8]               Le 30 octobre 2009, les demandeurs ont fait savoir à la SPR que les réponses négatives aux interrogations de la SPR adressées à la direction de la recherche indiquaient, pour la mère demanderesse, le mauvais numéro de pièce d’identité, alors que la réponse positive indiquait le bon numéro. La mère demanderesse a produit une lettre de M. Jose Noe Rios Munroz, secrétaire général du Parti libéral colombien, portant la date du 23 octobre 2009, qui indiquait que la lettre datée du 6 juillet 2009 comportait une erreur dans le numéro de pièce d’identité. La demanderesse a produit une lettre datée du 6 octobre 2009 de l’hôpital de Santa Clara et l’affidavit d’un assistant juridique, où il était écrit que les dossiers médicaux en Colombie doivent, en vertu de la loi, être conservés durant au moins cinq ans à l’hôpital et durant 15 années supplémentaires au registre central. Les demandeurs ont présenté la requête de procédure suivante à la page 2 de leurs observations :

[traduction]

 

[…] Nous demandons que, si les commissaires sont satisfaits des preuves dont ils disposent maintenant, une décision soit rendue conformément aux indications données par le président de l’audience à la levée de séance. Si cependant les commissaires ne sont pas en mesure de rendre une décision au vu des preuves, nous demandons ici une reprise de la séance pour répondre aux questions non résolues.

 

 

[9]               La SPR a rendu sa décision le 19 novembre 2009, sans reprendre l’audience. Elle a pris note des observations des demandeurs, mais a rejeté, aux paragraphes 16 à 18, l’explication relative aux mauvais numéros de pièces d’identité :

16      Le conseil soutient que la lettre du Parti libéral et le rapport d’hôpital contiennent un numéro d’identité incorrect et que les pièces de correspondance subséquentes des deux organismes confirment maintenant la participation de la demandeure d’asile et ses antécédents médicaux.

 

17      En réponse à cette affirmation, je fais remarquer que le numéro d’identité est incorrect sur les deux documents non certifiés; cependant, il s’agit du même numéro d’identité incorrect sur les deux documents.

 

18      Cela signifierait que le Parti libéral et l’hôpital, tous deux indépendants l’un de l’autre, non seulement ont inscrit le mauvais numéro, mais le même numéro incorrect. J’estime que cela n’est pas vraisemblable.

 

 

[10]           La SPR n’a accordé aucun poids à la nouvelle lettre du Parti libéral colombien datée du 23 octobre 2009, parce qu’elle était signée par une personne autre que M. Cesar Gavrial Trujillo ou que l’auteur de la lettre du 6 juillet 2009. Elle a conclu que la lettre initiale du Parti libéral colombien était un faux et que la deuxième lettre ne pouvait pas fortifier la demande d’asile, parce que les demandeurs n’étaient plus crédibles après avoir présenté des documents justificatifs frauduleux. La SPR a estimé que l’affiliation au Parti libéral colombien était l’élément essentiel de la demande d’asile. Puisque cet aspect de la demande d’asile était entaché de fraude, la SPR a rejeté la demande dans sa totalité.

 

LES DISPOSITIONS APPLICABLES

[11]           L’article 96 de la LIPR confère la protection aux réfugiés au sens de la Convention :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

[12]           L’article 97 de la LIPR confère la protection à certaines catégories de personnes :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

[13]           Le paragraphe 100(4) de la LIPR oblige le demandeur d’asile à présenter les documents dont la SPR a besoin :

100(4) La preuve de la recevabilité incombe au demandeur, qui doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées et fournir à la section, si le cas lui est déféré, les renseignements et documents prévus par les règles de la Commission.

100(4) The burden of proving that a claim is eligible to be referred to the Refugee Protection Division rests on the claimant, who must answer truthfully all questions put to them. If the claim is referred, the claimant must produce all documents and information as required by the rules of the Board.

 

[14]           L’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, oblige le demandeur d’asile à présenter des documents acceptables à la SPR ou à donner les raisons pour lesquelles ils n’ont pas été présentés :

7. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[15]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

1.      La SPR a-t-elle refusé aux demandeurs le bénéfice de la justice naturelle :

 

a)      en ne leur donnant pas la possibilité de présenter leurs arguments;

b)      en ne leur donnant pas la possibilité de réagir à la preuve produite après l’audience;

c)      en les induisant en erreur, eux et leur conseil, sur la possibilité pour eux d’obtenir une reprise de la séance, et en passant ensuite outre à leur demande de reprise de la séance;

d)      en ne tenant pas compte des éléments de preuve pertinents et en ne motivant pas suffisamment sa décision?

 

2.      La SPR a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de tous les moyens sur lesquels était fondée la persécution des demandeurs?

 

[16]           Il n’est pas nécessaire d’examiner la deuxième question en raison de la conclusion de la Cour sur la première.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[17]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada écrivait, au paragraphe 62, que la première étape d’une analyse relative à la norme de contrôle consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : voir aussi l’arrêt Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, le juge Binnie, au paragraphe 53.

 

[18]           Les questions touchant la crédibilité sont des questions de fait et des questions mixtes de droit et de fait. Il est clair que, en conséquence des arrêts Dunsmuir et Khosa, les conclusions en la matière doivent être contrôlées d’après la norme de la décision raisonnable. La jurisprudence récente confirme que les questions touchant la crédibilité d’un demandeur d’asile sont contrôlées d’après la norme de la décision raisonnable : Mejia c. Canada (MCI), 2009 CF 354, le juge Russell, au paragraphe 29; Syvyryn c. Canada (MCI), 2009 CF 1027, 84 Imm. L.R. (3d) 316, la juge Snider, au paragraphe 3; la décision rendue par le soussigné, Perea c. Canada (MCI), 2009 CF 1173, au paragraphe 23. La norme de contrôle qu’il faut appliquer aux questions touchant les principes de justice naturelle est la décision correcte : Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. n° 2056 (QL), au paragraphe 46; Olson c. Canada (MSPPC), 2007 CF 458, [2007] A.C.F. n° 631 (QL), le juge O’Keefe, au paragraphe 27.

 

[19]           Procédant à l’examen de la décision de la SPR d’après la norme de la décision raisonnable, la Cour s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59.

 

ANALYSE

Prmière question :      La SPR a-t-elle refusé aux demandeurs le bénéfice de la justice naturelle?

 

[20]           Les demandeurs disent que la SPR leur a refusé le bénéfice de la justice naturelle pour les motifs suivants :

  1. elle ne leur a pas donné la possibilité de présenter leurs arguments;
  2. elle ne leur a pas donné la possibilité de réagir aux nouveaux éléments de preuve;
  3. elle les a induits en erreur, eux et leur conseil;
  4. elle n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents.

 

[21]           La pratique suivie par la SPR pour vérifier l’authenticité de documents justificatifs après que l’audience s’est achevée a été examinée dans la décision Szylar c. Canada (MEI) (1994), 79 F.T.R. 47, rendue par le juge Denault, où il écrivait, au paragraphe 6, que la SPR peut demander à son centre de documentation de vérifier des faits et documents, à condition qu’elle reprenne ensuite l’audience :

6        J’estime que le tribunal a agi dans le cadre de l’audience dans la mesure où, lors du délibéré, s’appuyant sur une preuve (A-6) qui lui permettait de douter de la pertinence du document, il pouvait « prendre des mesures nécessaires à une instruction approfondie de l’affaire » aux termes de l’article 67.(2) d) de la Loi. N’ayant pas encore statué sur la revendication, la Section du statut n’était pas dessaisie de ses fonctions, et elle pouvait exercer les pouvoirs que lui accorde la loi « pourvu qu’elle le fît de façon appropriée en donnant à l’intimé la possibilité de se faire entendre à la reprise de l’audience... » (SALINAS c. CANADA [1992] 3 C.F. 247, à la page 253). Dans LAWAL, on a accueilli la demande fondée sur l’article 28 parce que le tribunal, après avoir lui-même recueilli de la preuve, n’avait pas ordonné de réouverture d’audience. Tel n’est pas le cas en l’instance. Après avoir obtenu cette preuve additionnelle, le tribunal a tenu une nouvelle audience mais n’a pas retenu les objections du requérant et a rejeté sa demande.

 

 

[22]           La décision du juge Denault a été suivie dans la décision Afzal c. Canada (MCI), [2000] 4 C.F. 708, 192 F.T.R. 40, rendue par le juge Lemieux, au paragraphe 43. Dans ce précédent, le juge Lemieux a accueilli la demande, parce que, dans cette affaire, la SPR avait amené le demandeur dans un débat sur le droit pakistanais et avait exigé de lui qu’il réfute une réponse obtenue du centre de documentation de la SPR, sans reprendre l’audience. Selon le juge Lemieux, il y avait eu manquement aux principes de justice naturelle, parce que la SPR n’avait pas repris l’audience et avait rejeté la demande d’asile sur la foi d’une nouvelle preuve obtenue du centre de documentation.

 

[23]           Il peut y avoir renonciation à l’obligation pour la SPR de reprendre l’audience : Albert c. Canada (MCI) (2000), 180 F.T.R. 231, le juge Rouleau, au paragraphe 33. Le fait pour la SPR de ne pas reprendre l’audience ne constituera pas un manquement aux principes de justice naturelle s’il n’en résulte aucune injustice, au sens où une nouvelle audience n’aurait rien changé à l’appréciation de la preuve : décision Albert, précitée, au paragraphe 37.

 

[24]           En l’espèce, les demandeurs n’ont pas renoncé à bénéficier d’une nouvelle audience. La Cour ne doute pas que les demandeurs ont clairement affirmé qu’ils se réservaient le droit d’obtenir une nouvelle audience dans le cas où la SPR serait d’avis que la preuve documentaire qu’ils avaient produite était fausse et jugerait par conséquent non crédible leur demande d’asile. Les demandeurs contestent aussi la conclusion de la SPR selon laquelle ils ont produit de faux documents.

 

[25]           Par ailleurs, la SPR avait explicitement accepté de reprendre l’audience dans le cas où la crédibilité des demandeurs serait mise en doute du fait que l’authenticité de leurs documents justificatifs n’avait pu être établie. Elle n’a pas précisé dans sa décision les raisons qu’elle avait de se dédire de sa promesse aux demandeurs selon laquelle l’audience serait reprise si le centre de documentation de la SPR ne parvenait pas à établir l’authenticité de leurs documents. Il fut déterminé que les documents en cause étaient essentiels à la demande d’asile. Selon moi, il incombait à la SPR de donner aux demandeurs la possibilité d’expliquer, au cours d’une audience, les contradictions de leurs documents justificatifs et d’établir leur authenticité.

 

[26]           La SPR a commis un manquement à la justice naturelle, parce qu’elle n’a pas repris l’audience, contrairement à sa promesse antérieure et en dépit de la requête écrite que lui avaient adressée les demandeurs. Puisqu’il y a eu manquement à la justice naturelle, il n’est pas nécessaire d’aborder la seconde question, et la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

[27]           La Cour relève que le numéro inexact de huit chiffres de la pièce d’identité n’est inexact que pour l’un des huit chiffres. Il pourrait s’agir là d’une « erreur typographique » qui expliquerait pourquoi la réponse initiale obtenue par la SPR était que ces documents étaient des faux.

 

AUCUNE QUESTION À CERTIFIER

[28]           Les deux parties ont informé la Cour que la présente affaire ne soulevait aucune question grave de portée générale devant être certifiée. La Cour partage leur avis.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre tribunal pour nouvelle décision.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6499-09

 

INTITULÉ :                                       Luz Marina Cifuentes Bonilla et autres c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 août 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 10 septembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Brodzky

 

POUR LES DEMANDEURS

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Brodzky

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.