[traduction française certifiée, non révisée]
Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2010
En présence de monsieur le juge Kelen
ENTRE :
et
LA CITOYENNETÉ ET DE L’ IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 15 novembre 2009 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), L.C. 2001, ch. 27, parce que sa crainte d’être persécuté n’est pas justifiée et que le risque qu’il court est généralisé.
LES FAITS
Historique
[2] Le demandeur est un citoyen juif d’Israël âgé de trente-cinq ans et un ancien citoyen de l’Ukraine. Il est arrivé au Canada le 6 avril 2005 et a présenté une demande d’asile le 5 juillet 2007. Le demandeur est marié et a une fille. Ni son épouse ni sa fille ne sont parties à la présente instance.
[3] Né en Ukraine, le demandeur a été victime de discrimination et de harcèlement en raison de sa foi juive. Il a immigré en Israël en 2003 avec son épouse et sa fille en vertu de la loi du retour et a obtenu automatiquement la citoyenneté. Convoqué quatre mois après son arrivée au quartier général de l’armée, il a été informé qu’il devrait faire un mois de service militaire chaque année et qu’il pouvait également être mobilisé en cas de guerre. Le demandeur ne voulait participer à aucune guerre ni se trouver contraint à tuer des gens parce que cela irait à l’encontre de sa conscience. Il redoutait de se faire tuer par des soldats ennemis, car il ne pouvait pas répondre à leurs tirs. Le demandeur craint en outre les conséquences négatives qu’un attentat terroriste pourrait avoir sur lui et sa famille.
[4] Pour éviter le service militaire obligatoire en Israël, le demandeur est retourné en Ukraine en 2004. Il y a été autant harcelé qu’avant son immigration en Israël. Le 6 avril 2005, il a quitté l’Ukraine et est arrivé au Canada. Il n’a pas immédiatement demandé l’asile. Il a plutôt attendu plus de deux ans avant de le faire. En effet, il voulait voir si la situation en Israël sur le plan de la sécurité s’améliorait, en particulier après la guerre israélo-libanaise de l’été de 2006. Le 5 juillet 2007, le demandeur a présenté sa demande d’asile.
La décision contrôlée
[5] La SPR a rejeté la demande d’asile le 15 décembre 2009 pour le motif que la crainte de la persécution du demandeur n’était pas justifiée et que le risque qu’il courait était généralisé.
[6] Les questions déterminantes consistaient à savoir si le demandeur était victime de persécution pour une raison prévue par la Convention et si les citoyens d’Israël font généralement face aux risques allégués par le demandeur. La SPR a noté que le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés reconnaissait que la conscription militaire et une peine raisonnable pour le non-respect de cette obligation ne constituaient pas de la persécution.
[7] Pour les motifs qui suivent, la SPR a conclu que l’objection invoquée par le demandeur pour ne pas accomplir son service militaire ne reposait pas sur d’authentiques raisons de conscience :
1. il ne suffisait pas que le demandeur déclare simplement qu’il [traduction] « ne pouvait pas tuer des gens » pour établir que son objection reposait sur de véritables croyances politiques, religieuses ou morales;
2. le demandeur a accompli son service militaire en Ukraine en 1994 pendant 19 mois dans les forces de défense antiaériennes en étant affecté à des tâches de cuisine et, selon ce qu’il prétend, en refusant de s’entraîner au maniement des armes;
3. en Israël, le demandeur n’a informé aucune autorité ni aucun membre du personnel militaire du fait qu’il s’opposait à son service militaire et il n’a pas tenté d’obtenir une exemption de service au moyen de l’un des mécanismes existants.
[8] La SPR décrit, aux paragraphes 13 et 14 de la décision, les recours administratifs dont l’objecteur de conscience dispose pour obtenir une exemption de son service militaire ou une mesure d’adaptation pour ce service :
¶13 Même si le demandeur d’asile mentionne qu’il ne servait à rien de mentionner au personnel militaire qu’il ne pouvait participer à la guerre, les éléments de preuve documentaire indiquent qu’il existe des circonstances exceptionnelles dans lesquelles l’armée israélienne accepte d’exempter certaines personnes du service militaire. Les recrues qui se voient attribuer le profil 21 (classification médiale) en raison d’un état pathologique qui les empêcherait d’exercer correctement leurs fonctions militaires sont exemptées du service au sein de l’IDF (Haaretz, 5 déc. 2006; The Jerusalem Post, 1er févr. 2006). Environ 20 p. 100 des recrues ont été exemptées du service pour des raisons médicales (ou psychologiques). Les soldats qui se voient attribuer le profil 41, qui signifie qu’ils ont des [traduction] « difficultés d’adaptation », ne sont pas libérés, mais se voient plutôt attribuer un service allégé (Maariv, 9 avr. 2003).
¶14 Les dispenses pour les objecteurs de conscience masculins sont considérées au cas par cas par un comité militaire spécial et par le ministre de la Défense.
La SPR a conclu au paragraphe 19 que le demandeur n’avait pas épuisé tous les recours dont il disposait en Israël avant de fuir et qu’il ne pouvait pas réfuter la présomption de la protection de l’État :
¶19 […] J’estime, selon la prépondérance des probabilités et compte tenu des éléments de preuve documentaire, que l’IDF déploie de sérieux efforts pour prendre en compte l’état pathologique et psychologique du soldat à tous les niveaux du service et au moment d’envisager son exemption du service militaire. Je suis d’avis que, en ne consultant aucune personne à ce sujet, le demandeur d’asile n’a pas épuisé toutes les voies de recours possibles en Israël avant de demander la protection internationale. Je conclus que le demandeur d’asile n’a pas fourni d’éléments de preuve clairs et convaincants pour réfuter la présomption de la protection de l’État.
[9] La SPR a également tiré deux conclusions défavorables quant à la crédibilité. Elle a estimé que le témoignage du demandeur selon lequel il ne savait pas qu’il y avait conscription militaire en Israël jusqu’à son arrivée dans ce pays n’était pas crédible du fait que :
1. avant d’immigrer, le demandeur avait assisté à trois séances de consultation au consulat israélien au cours desquelles on l’aurait normalement informé du régime israélien de service militaire obligatoire;
2. la SPR disposait au dossier d’un « guide du nouvel immigrant » qui contenait des renseignements sur le service militaire en Israël et qui était disponible en russe.
[10] Le fait que le demandeur ait tardé à demander l’asile après son arrivée au Canada, pays où il attendait une amélioration de la situation en Israël, démontre l’inexistence d’une crainte subjective. En outre, la SPR a jugé que l’intention déclarée du demandeur de retourner en Israël dans l’éventualité où il y aurait une amélioration de la sécurité étayait la conclusion qu’il fuyait les attentats terroristes en Israël, et non le service militaire obligatoire.
[11] La SPR a conclu que le risque d’attentats terroristes était un risque général auquel étaient exposés tous les Israéliens et qu’il n’ouvrait donc aucun droit à la protection aux termes du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR. La demande d’asile a par conséquent été rejetée.
LÉGISLATION
[12] L’article 96 de la LIPR accorde protection aux réfugiés au sens de la Convention :
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques : a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner. |
96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,
(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or
(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country. |
[13] L’article 97 de la LIPR accorde protection à certaines catégories de personnes :
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :
a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles, (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. |
97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally
(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or
(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if
(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country, (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country, (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and
(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care. |
LES QUESTIONS EN LITIGE
[14] Le demandeur soulève les questions suivantes :
1. Le tribunal a-t-il privé le demandeur de son droit à la justice naturelle et à l’équité lors de l’audience sur la demande d’asile, notamment au regard de la mauvaise qualité de l’interprétation?
2. Le tribunal a-t-il commis une erreur susceptible de révision dans son appréciation de la crainte du demandeur de participer à des actions militaires ainsi que des conséquences auxquelles il s’exposait en refusant de participer à de telles actions?
LA NORME DE CONTRÔLE
[15]
Dans Dunsmuir c.
Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada
a statué au paragraphe 62 que, lors de la première étape d’une analyse
relative à la norme de contrôle judiciaire, « la
cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière
satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions
en particulier » (voir
aussi Canada (MCI) c. Khosa, 2009 CSC 12, le juge Binnie, paragraphe 53).
[16] Les questions de crédibilité, de protection de l’État et de PRI sont des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit. Depuis Dunsmuir et Khosa, il est clair que de telles questions doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte. La jurisprudence récente réitère que la norme de contrôle applicable à la question de savoir si un demandeur a une PRI valide est celle de la décision raisonnable (voir Mejia c. Canada (MCI), 2009 CF 354, le juge Russell, paragraphe 29; Syvyryn c. Canada (MCI), 2009 CF 1027, 84 Imm. L.R. (3d) 316, la juge Snider, paragraphe 3, et ma décision dans Gonzalez Perea c. Canada (MCI), 2009 CF 1173, paragraphe 23). La question de savoir si le droit du demandeur à une audience équitable et à la justice naturelle n’a pas été respecté à cause d’une mauvaise traduction est une question d’équité procédurale susceptible de révision selon la norme de la décision correcte (Sherpa c. Canada (MCI), 2009 CF 267, 344 FTR 30, le juge Russell, paragraphes 20 à 22).
[17] En contrôlant la décision de la SPR selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi que « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, paragraphe 47; Khosa, précité, paragraphe 59).
Question no 1 :
Le tribunal a-t-il privé le demandeur de son droit à la justice naturelle et à
l’équité lors de l’audience sur la demande d’asile, notamment au regard de la
mauvaise qualité de l’interprétation?
[18] Le demandeur fait valoir que la SPR a manqué à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur durant l’audience pour les motifs suivants :
- la SPR n’a pas tenu compte des préoccupations de l’avocat quant à la qualité des services d’interprétation;
- l’avocat du demandeur a été interrompu plusieurs fois par la SPR, laquelle faisait pression sur lui pour qu’il termine l’interrogatoire du demandeur en moins du tiers du temps prévu pour l’audience;
- la SPR a refusé le dépôt tardif d’un article de la presse juive européenne sur l’antisémitisme en Ukraine;
- la SPR a fait preuve de partialité et a donné l’impression d’avoir préjugé les questions.
[19] L’arrêt de principe en ce qui a trait à la norme à laquelle il faut satisfaire en ce qui concerne l’interprétation dans une audience relative à une demande d’asile est Mohammadian c. Canada (MCI), 2001 CAF 191, [2001] 4 C.F. 85, le juge Stone. Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale a confirmé au paragraphe 4 que, bien qu’il ne soit pas nécessaire que l’interprétation soit parfaite, elle doit être 1) continue, 2) fidèle, 3) compétente, 4) impartiale et 5) concomitante. Le demandeur doit dès qu’il le peut s’opposer à une interprétation de qualité insuffisante pour éviter que l’on conclue qu’il a renoncé à son droit de contester la qualité de l’interprétation (Mohammadian, précité, paragraphe 19). Dans Nsengiyumva c. Canada (MCI), 2005 CF 190, j’ai indiqué, au paragraphe 16, qu’une traduction défectueuse ne constituait une atteinte aux principes d’équité procédurale que si elle n’était pas sans conséquence sur l’issue de la cause :
¶16 La Cour a décidé à plusieurs reprises qu’une traduction défectueuse ne constitue pas nécessairement une atteinte aux principes d’équité procédurale si, comme en l’espèce, les erreurs en cause sont sans conséquence sur l’issue de la cause. Voir Gajic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 154, le juge O’Keefe; Baharyn c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1317, le juge Blais, et Haque c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1114, le juge Lutfy (maintenant juge en chef de la Cour fédérale).
(Voir aussi Sherpa, précité, aux paragraphes 60 à 63)
[20] Dans la décision Nsengiyumva, précitée, le demandeur avait produit l’affidavit d’un interprète qui avait écouté les enregistrements de l’audience afin de signaler les erreurs importantes. Dans la présente affaire, le demandeur n’a fourni à la Cour aucun élément de preuve qui permettrait à celle-ci de rendre une décision éclairée quant à la qualité de la traduction. Le demandeur demande à la Cour de conclure qu’on l’a privé de son droit à l’équité procédurale sur le fondement de la prétention de l’avocat selon laquelle il était d’avis que l’interprétation était déficiente. La Cour ne peut conclure sans preuve que l’interprétation était inadéquate. Cela suffit pour rejeter ce motif de contrôle.
[21] Même si le demandeur avait présenté une preuve de la qualité déficiente de la traduction, il ressort de la preuve au dossier, aux pages 27 et 28 de la transcription, qu’il avait renoncé à son droit d’opposition afin d’accélérer l’audience :
[traduction]
AVOCAT :
J’ai conseillé à mon client de demander un interprète différent, mais il veut
poursuivre l’audience aujourd’hui.
COMMISSAIRE :
Je propose que nous poursuivions, puis vous pourrez, Maître, présenter une requête
écrite pour faire vérifier l’interprétation à la présente audience et vous
recevrez les résultats de cette vérification. La vérification sera faite de
manière indépendante, elle ne sera pas faite par cet interprète et vous
recevrez les résultats de la vérification et personne ne vous empêche de faire
cela.
[…]
AVOCAT :
Je comprends votre recommandation et, si une vérification a lieu, je demanderai
qu’on me la fasse parvenir.
[22] L’audience s’est poursuivie. Le demandeur n’a jamais demandé une vérification du service d’interprétation comme la SPR l’avait suggéré. Le défaut d’effectuer une vérification et d’évaluer la qualité de l’interprétation porte un coup fatal à ce motif de contrôle. La Cour doit conclure que le demandeur a renoncé à son droit d’opposition quant à la qualité de l’interprétation du fait qu’il n’a pas pris de mesures de suivi suffisantes pour prouver ses allégations.
[23] Le demandeur fait valoir que son avocat n’aurait pas dû être interrompu plusieurs fois et qu’on n’aurait pas dû faire pression sur celui‑ci pour qu’il termine son interrogatoire du demandeur dans moins du tiers du temps prévu pour l’audience. Cette observation est dénuée de fondement. Le demandeur avait donné des directives à son avocat pour que celui-ci s’assure que l’audience se termine le jour même. Par ailleurs, la SPR interrompait l’avocat lorsqu’il répétait des questions qui avaient déjà été posées par la SRP ou par l’agent de la protection des réfugiés. À d’autres occasions, la SPR a rappelé à l’avocat que le demandeur n’était pas qualifié pour répondre à des questions techniques, telles que le droit en matière de citoyenneté en Ukraine. Le demandeur fait valoir que la SPR aurait dû lui permettre de déposer au début de l’audience un article de la presse européenne juive sur l’antisémitisme en Ukraine. Aucun de ces arguments n’est convaincant, car il s’agit de questions procédurales mineures qui relèvent raisonnablement de la SPR. Il est bien établi en droit que la SPR est maîtresse de sa propre procédure (Rezaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1259, [2003] 3 C.F. 421, le juge Beaudry, paragraphe 70). Il était loisible à la SPR de refuser de permettre le dépôt, le jour de l’audience, d’un document sur la situation dans un pays. La SPR a une règle d’équité procédurale voulant que les parties doivent communiquer leurs documents vingt jours avant la tenue de l’audience. Le document que le demandeur voulait présenter à l’audience aurait dû respecter cette règle. Étant donné les faits de l’espèce, la Cour conclut que la SPR n’a pas violé le droit du demandeur à l’équité procédurale.
[24] Le demandeur soutient que la SPR a fait preuve de partialité. Le critère de la crainte raisonnable de partialité a été énoncé par le juge Grandpré de la Cour suprême du Canada dans Committe for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369. La Cour écrit à la page 394 :
Selon le passage
précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une
personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et
prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la
Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en
arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en
profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute
vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision
juste? »
La Cour a en outre indiqué que la norme de l’impartialité pouvait s’ajuster à la situation du tribunal particulier qui a rendu la décision faisant l’objet du contrôle (voir aussi Ahumada c. Canada (MCI), 2001 CAF 97, le juge Evans, paragraphe 21).
[25] Le demandeur fait valoir que la partialité de la SPR ressort clairement de ses décisions procédurales et de la façon dont elle a traité l’avocat du demandeur. La Cour ne peut pas accepter cette prétention. La Cour a déjà statué que les décisions procédurales de la SPR ne relevaient pas de sa compétence et qu’elles n’avaient pas entraîné une iniquité procédurale envers le demandeur. Celui-ci ne peut citer aucune déclaration du tribunal de la SPR démontrant une hostilité à son égard ou que sa demande d’asile était préjugée. À mon avis, une personne éclairée examinant la question de manière réaliste et pratique n’estimerait pas raisonnable de conclure que, selon toute vraisemblance, la SPR avait, consciemment ou inconsciemment, tranché l’affaire de manière partiale ou avec une idée préconçue. Ce motif de contrôle doit par conséquent échouer.
Question litigieuse no 2 :
Le tribunal a-t-il commis une erreur susceptible de révision dans son appréciation
de la crainte du demandeur de participer à des actions militaires ainsi que des
conséquences auxquelles il s’exposait en refusant de participer à de telles
actions?
[26] Le demandeur fait valoir que les appréciations de la crédibilité et des risques auxquelles la SPR a procédé sont erronées du fait que la SPR a fait preuve d’un zèle excessif dans sa recherche des menues incohérences pouvant discréditer le demandeur.
[27] Le demandeur s’appuie sur l’arrêt Attakora c. Canada (MCI), 99 M.R. 168 (C.A.F.), dans lequel la Cour d’appel fédérale a statué que la SPR ne devrait pas manifester « une vigilance excessive en examinant à la loupe les dépositions de personnes qui, comme le présent requérant, témoignent par l’intermédiaire d’un interprète et rapportent des horreurs dont il existe des raisons de croire qu’elles ont une réalité objective ».
[28]
Le témoignage sous
serment est présumé vrai sauf s’il existe des raisons de mettre sa véracité en
doute (voir Maldonado c. Canada (MEI), [1980] 2 C.F. 302
(C.A.F.), le juge Heald, paragraphe 5). Une conclusion défavorable sur la
crédibilité peut se fonder sur tout aspect du témoignage du demandeur ainsi que
sur les actions de celui-ci, comme la présentation tardive de sa demande d’asile
au Canada (Zheng c. Canada
(MCI), 2007 CF 673, 158 A.C.W.S. (3d) 799,
le juge Shore, paragraphe 17; Espinosa c. Canada (MCI), 2003 CF
1324, le juge Rouleau, paragraphe 16; Negwenya c. Canada (MCI),
2008 CF 156, le juge suppléant Frenette, paragraphe 19). La présentation tardive
de la demande d’asile ou le défaut de présenter une telle demande constitue un
facteur important pour l’évaluation du bien-fondé de la demande. Les raisons invoquées pour ne pas demander l’asile dans
un pays étranger doivent être valides afin d’éviter une inférence défavorable (Bobic
c. Canada (MCI), 2004 CF 1488, le juge Pinard, paragraphe 6). La Cour
n’est pas dans une aussi bonne position que la SPR pour évaluer la crédibilité
de la preuve (Aguebor c. Canada (MEI) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)).
[29] La SPR a estimé que le temps que le demandeur a pris pour présenter sa demande d’asile au Canada était déraisonnable. Le demandeur a quitté Israël en 2004 et a demandé l’asile en 2007. Il s’agit d’un laps de temps important que le demandeur n’a pas expliqué. Il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure que l’explication donnée par le demandeur, selon laquelle il a attendu pour voir si la sécurité en Israël s’améliorait, pouvait constituer une excuse raisonnable pour la présentation tardive de la demande. De même, la SPR était en droit de conclure que cette tardiveté indiquait que le demandeur craignait le terrorisme et non le service militaire obligatoire, et d’en tirer une inférence défavorable quant à sa crédibilité.
[30] La Cour d’appel fédérale a statué, dans Hinzman c. Canada (MCI), 2007 CAF 171, 362 N.R. 1, le juge Sexton, au paragraphe 50, que le défaut du demandeur de se prévaloir de tous les recours qui pourraient lui permettre d’obtenir une exemption du service militaire à titre d’objecteur de conscience constituait un refus de chercher à obtenir la protection de l’État. L’obligation de chercher des solutions de remplacement au service obligatoire en Israël a été réitérée dans Gebre-Hiwet c. Canada (MCI), 2010 CF 482, le juge Phelan, au paragraphe 19 :
¶19 S’agissant de la question de l’opposition au service militaire, la norme juridique est que la conscription est permissible comme loi d’application générale et qu’elle ne constitue pas de la persécution. Le fils n’était pas un objecteur de conscience à toutes les guerres et il n’a pas démontré non plus qu’il serait obligé de commettre des crimes contre l’humanité. La fille n’a fait aucune démarche pour se réclamer des autres possibilités de service offertes aux véritables objecteurs de conscience. La conclusion selon laquelle il n’existe aucune discrimination pour ce qui est du service militaire était également raisonnable.
[31] Dans Hinzman c. Canada (MCI), 2010 CAF 177, la juge Trudel de la Cour d’appel fédérale a fait les commentaires suivants au paragraphe 24, quoique dans le contexte de l’évaluation des difficultés excessives dans le cadre de demandes CH, en ce qui avait trait aux motivations du demandeur de se soustraire à son service militaire :
¶24 Les convictions et les motivations de M. Hinzman étaient des éléments cruciaux pour la décision finale, vu le contexte des demandes CH. Les appelants avaient par ailleurs soumis certains éléments de preuve visant à démontrer que le droit à l’objection de conscience « est une partie naissante du droit international des droits de l’homme » (Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 C.F. 540 (CAF), paragraphe 15). L’agente avait accordé une certaine importance, dans sa décision d’ERAR, à l’opinion d’Amnistie Internationale. Force est toutefois de constater qu’elle n’a pas examiné ces facteurs dans sa décision CH.
Cette décision nous indique que, pour apprécier les considérations humanitaires et les difficultés excessives, les agents d’immigration ont besoin d’évaluer les raisons pour lesquelles une personne se soustrait à son service militaire en désertant. En l’espèce, la SPR s’est penchée sur les motivations du demandeur et a pris note de sa réponse, à savoir que sa conscience lui interdisait de tuer un autre être humain.
[32] Dans la présente affaire, le demandeur n’a fait aucun effort en vue d’obtenir une exemption de service militaire en Israël, malgré la disponibilité des exemptions pour des raisons médicales et psychologiques et l’existence d’un comité spécial chargé d’accommoder les objecteurs de conscience. Il n’a donné aucune raison pour expliquer son défaut de s’enquérir de la possibilité d’obtenir une exemption. Au lieu de cela, il a quitté Israël à la fin de la période d’un an de son exemption de service. Il était loisible à la SPR de conclure que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État, qui est en l’espèce particulièrement forte du fait qu’Israël est un pays démocratique doté de dispositifs précis pour accommoder les personnes se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur.
[33] En ce qui concerne sa crainte des attentats terroristes, le demandeur a témoigné qu’il n’y avait pas de raison pour laquelle lui ou sa famille serait plus à risque que le reste de la population. Le demandeur a peur parce qu’il a failli être blessé après qu’une bombe humaine ait explosé dans un autobus duquel il était sorti 15 minutes plus tôt. Quoique malheureux et horrible, ce fait ne place pas le demandeur dans une position différente du reste de la population israélienne qui court le risque aléatoire de se trouver en présence d’une bombe humaine. Il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure que la crainte des attentats terroristes du demandeur était un risque général qui n’est pas visé par la LIPR. Ce motif de contrôle doit par conséquent être rejeté.
QUESTION CERTIFIÉE
[34] Les deux parties ont fait savoir à la Cour que la présente affaire ne soulève pas de question importante de portée générale à certifier en vue d’un appel. La Cour en convient.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-117-10
INTITULÉ : Yuriy Goltsberg c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 24 août 2010
DATE DES MOTIFS ET
DU JUGEMENT : Le 9 septembre 2010
COMPARUTIONS :
M. Joseph Milevich
|
POUR LE DEMANDEUR |
Mme Khatidja Moloo
|
POUR DE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
M. Joseph Milevich Avocat Toronto (Ontario)
|
POUR LE DEMANDEUR |
M. Myles Kirvan, Sous-procureur général du Canada
|
POUR LE DÉFENDEUR |