[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 30 août 2010
En présence de monsieur le juge O’Keefe
ENTRE :
et
C. & J. CLARK INTERNATIONAL LIMITED
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, visant la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission) par laquelle le registraire des marques de commerce (le registraire) a refusé à la demanderesse (Indigo) l’autorisation de déposer des déclarations d’opposition modifiées dans les procédures d’opposition introduites par elle relativement aux demandes de la défenderesse (Clarks) pour faire enregistrer les marques de commerce INDIGO et INDIGO BY CLARKS.
[2] Indigo sollicite une ordonnance :
1. annulant ou cassant la décision de la Commission;
2. ordonnant à la Commission de permettre à Indigo de déposer les déclarations d’opposition modifiées;
3. subsidiairement, renvoyant la requête en autorisation d’Indigo à la Commission pour réexamen, indépendamment de la requête d’Indigo en prorogation de délai pour déposer des éléments de preuve supplémentaires;
4. accordant à Indigo les dépens de la présente demande;
5. accordant les autres réparations que son avocat peut demander et que la Cour peut autoriser.
Historique
[3] Le 1er mai 2005, Indigo a déposé des déclarations d’opposition en application du paragraphe 38(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13, modifiée (la Loi) relativement aux demandes de Clarks visant à faire enregistrer les marques de commerce INDIGO (demande no 1 191 731) et INDIGO BY CLARKS (demande no 1 191 732) pour leur utilisation au Canada en liaison avec des articles chaussants.
[4] Les motifs d’opposition comprenaient notamment des allégations selon lesquelles les marques de commerce de Clarks i) créent de la confusion avec les enregistrements de marques de commerce, les demandes ou les appellations commerciales d’Indigo « INDIGO » et autres contenant le radical « INDIGO » et ii) ne sont pas distinctives et ne sont pas propres à distinguer les marchandises de Clarks des marchandises et services d’Indigo. Le premier motif reposait sur l’alinéa 12(1)d), le paragraphe 16(3) et les alinéas 30i) et 38(2)a), b) et c) de la Loi. Le deuxième motif reposait sur l’article 2 (définition de « distinctive ») et sur l’alinéa 38(2)d) de la Loi.
[5] Le 13 septembre 2005, Clarks a déposé des contre‑déclarations en application du paragraphe 38(6) de la Loi. Le 11 mai 2006 et le 30 mai 2007, Indigo et Clarks ont déposé leur preuve par voie d’affidavit, respectivement en application des articles 41 et 42 du Règlement sur les marques de commerce (le Règlement). Indigo a procédé à un contre‑interrogatoire relativement à la preuve de Clarks le 17 avril 2008.
[6] Le registraire a demandé aux parties de déposer leurs plaidoyers écrits à l’égard de l’opposition au plus tard le 26 décembre 2008. Le délai a été prorogé de quatre mois, soit jusqu’au 26 avril 2009.
[7] Indigo soutient que les parties tentaient de négocier entre le 26 mars 2008 et le 10 avril 2009.
[8] Le 20 avril 2009, lorsqu’il est devenu manifeste qu’il n’y aurait pas de règlement, Indigo a demandé par écrit au registraire de lui accorder, en application des articles 40 et 44 du Règlement :
1. l’autorisation de déposer les déclarations d’opposition modifiées jointes à la lettre du 20 avril 2009;
2. une prorogation du délai de deux mois, soit jusqu’au 20 juin 2009, pour déposer des éléments de preuve supplémentaires à l’appui des déclarations d’opposition modifiées.
[9] Les modifications proposées contenaient un nouveau motif d’opposition fondé sur l’effet conjugué de l’alinéa 30(i) et de l’article 22 de la Loi, à savoir qu’il n’était pas possible que Clarks ait été convaincue qu’elle avait le droit d’utiliser INDIGO ou INDIGO BY CLARKS au Canada en liaison avec des articles chaussants parce que cet emploi aurait pour effet d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché aux marques de commerce enregistrées INDIGO d’Indigo.
[10] En octobre 2008, dans Parmalat Inc. c. Sysco Corporation, 2008 CF 1104, 69 C.P.R. (4th) 349, la Cour a statué pour la première fois qu’un opposant pouvait invoquer l’article 22 de la Loi dans le contexte d’un motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30i). Pour expliquer pourquoi les demandes d’autorisation n’avaient pas été déposées plut tôt, Indigo a fait expressément référence à la décision Parmalat dans sa lettre du 20 avril 2009 et à ses discussions antérieures avec Clarks en vue d’un règlement.
[11] Le 24 avril 2009, Clarks a répondu au registraire en se prononçant contre l’autorisation. Indigo a envoyé une réponse au registraire le 1er mai 2009.
La décision de la Commission
[12] Le 22 juin 2009, la Commission, agissant pour le compte du registraire, a communiqué sa décision de rejeter la demande d’autorisation présentée par Indigo dans une lettre envoyée à Indigo et à Clarks.
[13] Conformément à l’Énoncé de pratique concernant la procédure d’opposition en matière de marque de commerce (l’Énoncé de pratique), la Commission n’accorde l’autorisation de modifier une déclaration d’opposition ou de présenter des éléments de preuve supplémentaires que si elle est convaincue qu’il est dans l’intérêt de la justice de le faire, compte tenu de tous les faits de l’espèce, y compris de :
1. l’étape où en est rendue la procédure d’opposition;
2. la raison pour laquelle la modification n’a pas été apportée ou la preuve n’a pas été produite plus tôt;
3. l’importance de la modification ou de la preuve;
4. le tort qui sera causé à l’autre partie.
[14] La Commission a examiné l’argument d’Indigo selon lequel il régnait, avant la décision Parmalat, précitée, un doute profond parmi les avocats spécialistes des marques de commerce sur la question de savoir s’il était possible d’invoquer l’article 22 dans le contexte d’un motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30i). La Commission a également tenu compte de la prétention d’Indigo selon laquelle les parties étaient en train de négocier un règlement, présentée comme raison supplémentaire de la modification tardive. Cependant, la Commission a souscrit à la position de Clarks selon laquelle il était beaucoup trop tard dans les procédures pour qu’Indigo demande l’autorisation d’ajouter un nouveau motif d’opposition et de déposer des éléments de preuve supplémentaires.
[15] La Commission s’est également déclarée d’accord avec la prétention de Clarks selon laquelle rien n’empêchait Indigo d’ajouter dans sa déclaration d’opposition originale de 2005 le motif fondé sur l’effet conjugué de l’article 22 et de l’alinéa 30i). Subsidiairement, Indigo aurait pu déposer la requête en modification deux ans plus tôt, après l’arrêt de la Cour suprême du Canada Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824, qui traitait de la possibilité d’invoquer l’article 22. Selon la Commission, l’incapacité d’Indigo d’expliquer de façon satisfaisante pourquoi elle n’a pas demandé plus tôt l’autorisation ainsi que le préjudice considérable que subirait Clarks si on faisait droit à la demande d’Indigo primaient sur l’importance du nouveau motif proposé.
[16] La Commission a par conséquent conclu qu’il n’était pas dans l’intérêt de la justice d’accorder l’autorisation demandée.
Les questions en litige
[17] Indigo ne sollicite pas le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de refuser de lui accorder une prorogation de délai pour déposer des éléments de preuve supplémentaires. Par conséquent, la seule décision contestée est le refus de la Commission de permettre à Indigo de modifier ses déclarations d’opposition.
[18] Les questions suivantes doivent être tranchées :
1. La Cour peut‑elle contrôler la décision interlocutoire de la Commission?
2. Dans l’affirmative, quelle est la norme de contrôle appropriée?
3. La Commission a‑t‑elle commis une erreur susceptible de révision?
Observations écrites de la demanderesse
[19] Indigo fait valoir qu’il existe des circonstances spéciales qui justifient la révision par la Cour du refus de la Commission d’accorder l’autorisation, en dépit du fait que la décision était de nature interlocutoire. De telles circonstances spéciales existent parce que la décision interlocutoire contestée règle définitivement un droit substantiel de l’une des parties.
[20] Indigo fait valoir que la décision de la Commission reposait essentiellement sur une série d’erreurs de droit, exposées ci-après, et que, dans cette mesure, elle était susceptible de révision selon la norme de la décision correcte. Par ailleurs, même si la Commission pouvait à bon droit refuser la requête sur le seul fondement du moment de sa présentation, sa décision de le faire ne serait pas justifiée dans tous les cas. Par conséquent, la décision de la Commission devrait être annulée, et ce, qu’elle soit contrôlée selon la norme de la décision raisonnable ou selon celle de la décision correcte ou selon ces deux normes.
[21] Fondamentalement, la Commission a commis une erreur en ne considérant pas la requête d’Indigo en autorisation de modification des déclarations d’opposition comme distincte de sa requête en autorisation de dépôt d’éléments de preuve supplémentaires. La décision de la Commission reposait sur le sentiment qu’il était trop tard pour déposer de nouveaux éléments de preuve. Cela a eu pour effet d’entacher l’examen de l’autre requête dont trois des quatre facteurs étaient favorables à son acceptation. Par exemple, le fait d’autoriser la modification sans preuve ne pouvait en soi porter préjudice à Clarks.
[22] Deuxièmement, la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’explication donnée par Indigo pour le retard. La question de savoir si Indigo pouvait ou non invoquer le motif fondé sur l’article 22 dès le début de la procédure n’est pas pertinente. Ce qui est pertinent est la raison qu’Indigo a donnée pour justifier le retard, soit le fait qu’elle croyait, jusqu’à la décision Parmalat, que le motif serait rejeté par la Commission.
[23] Troisièmement, la Commission a commis une erreur en déclarant que la Cour suprême avait traité de la possibilité d’invoquer l’article 22 comme un motif d’opposition dans l’arrêt Veuve Clicquot, précité, car elle ne l’a pas fait.
[24] Quatrièmement, la Commission a interprété de manière erronée le préjudice subi par les parties. Dans le contexte de la requête distincte en modification des déclarations d’opposition d’Indigo, il se peut que Clarks veuille modifier son plaidoyer écrit, mais si elle le faisait, cela ne retarderait pas l’audience puisque la date de l’audience n’a pas été fixée et que, de toute façon, l’audience n’aurait probablement pas lieu avant des mois. Cela n’entraînerait pas un retard important ou des dépenses pour Clarks. Cependant, la Commission n’a pas tenu compte du fait qu’Indigo, en cas de rejet de sa requête, ne pourrait pas soulever le motif fondé sur l’article 22 dans tout appel subséquent devant la Cour.
[25] Enfin, la Commission n’a pas considéré la préoccupation d’Indigo voulant que le refus de l’autoriser à inclure le motif fondé sur l’article 22 mènerait la Commission à rendre des décisions contradictoires à l’égard d’autres marques de commerce INDIGO déposées par Clarks et faisant l’objet d’oppositions par Indigo. En fait, Indigo s’est opposée à deux autres demandes INDIGO de Clarks et a inclus le motif fondé sur l’article 22 dans chacune de ces oppositions.
Observations écrites de la défenderesse
[26] Clarks fait valoir que la présente affaire ne comporte pas de circonstances spéciales justifiant le contrôle de la décision interlocutoire de la Commission par la Cour. Indigo soutient que des circonstances spéciales existent du seul fait qu’on ne lui a pas permis d’ajouter un nouveau motif d’opposition. Si cela était vrai, toute décision interlocutoire relativement à un nouveau motif constituerait une circonstance spéciale. L’affaire Parmalat, précitée, dans laquelle la Cour a conclu à l’existence d’une circonstance spéciale, était très différente de la présente espèce. De plus, Indigo dispose d’autres recours. Elle peut, en tout temps, intenter une action contre Clarks pour violation de tout droit qu’elle pourrait avoir en vertu de l’article 22 ou, après enregistrement par Clark, pour obtenir une radiation fondée sur une allégation faite en vertu de l’article 22.
[27] Clarks fait valoir que la jurisprudence a déjà établi la norme de contrôle appropriée, soit la norme de la décision raisonnable. Dans la décision visée en l’espèce, le registraire a appliqué sa propre procédure, conformément à l’Énoncé de pratique, est parvenu ainsi à une décision discrétionnaire.
[28] Selon Clarks, non seulement la décision de la Commission était raisonnable, mais encore elle était correcte. À titre préliminaire, Clarks note que l’Énoncé de pratique fait clairement ressortir que les requêtes en prorogation de délai ne sont généralement pas accordées lorsqu’une prorogation de délai a déjà été accordée, comme c’est le cas en l’espèce.
[29] Examinant les facteurs, Clarks estime que la conclusion de la Commission que la requête avait été présentée trop tardivement dans l’instance était correcte et certainement justifiée. Indigo a présenté son opposition il y avait près de quatre ans. En ce qui concerne le deuxième facteur (l’explication d’Indigo), la jurisprudence ne dit nullement qu’une partie ne peut pas invoquer l’effet conjugué de l’article 22 et de l’alinéa 30i) comme motif d’opposition. Par ailleurs, depuis l’arrêt Veuve Clicquot, précité, il n’est pas rare que les opposants incluent ce motif d’opposition. Le défaut d’Indigo de le faire reflète un choix. La prétention d’Indigo selon laquelle elle était incapable d’inclure le motif avant la décision Parmalat, précitée, est sans fondement. Même si cela était vrai, plus de six mois se sont écoulés entre la décision Parmalat et la requête d’Indigo. Indigo ne devrait pas non plus pouvoir invoquer des propositions de règlement qu’elle a faites à Clarks. Ces discussions sont privilégiées et confidentielles. Cela serait inique si Indigo pouvait les utiliser pour gagner un avantage tactique.
[30] Enfin, la conclusion de la Commission sur le quatrième facteur (préjudice) était justifiée. Clarks subirait un préjudice du fait qu’Indigo a attendu jusqu’au dernier moment pour déposer sa requête. Clarks aurait des frais pour réviser ses actes de procédure et ses arguments, préparer de nouveaux éléments de preuve et conduire de nouveaux contre‑interrogatoires. Si la requête était accueillie, il s’ensuivrait sans nul doute des retards qui entraîneraient le report de la date de l’audience. Par contre, tout préjudice subi par Indigo lui a été infligé par elle‑même du fait qu’elle a attendu si longtemps.
[31] L’argument d’Indigo selon lequel le refus de permettre le motif d’opposition additionnel pourrait mener à des contradictions est sans fondement. Aucune opposition n’avait été présentée au moment de la décision de la Commission.
Analyse et décision
[32] Question 1
La Cour peut‑elle contrôler la décision interlocutoire de la Commission?
Le refus de la Commission d’autoriser Indigo à modifier ses déclarations d’opposition était une décision interlocutoire. La décision a eu lieu dans le cadre du processus menant à une audience sur l’opposition qui n’a pas encore eu lieu.
[33] L’exercice du pouvoir de contrôle de la Cour est discrétionnaire. Les tribunaux refusent souvent d’instruire des demandes de contrôle judiciaire de décisions provisoires ou interlocutoires parce que de telles procédures ont pour effet de fragmenter et de prolonger les procédures administratives. Le refus est également justifié pour le motif qu’il est possible que l’achèvement du processus administratif rende l’affaire théorique (voir Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, [1995] A.C.S. no 1 (QL), paragraphes 34 à 36, Brown, D. J. M., et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, 1998 (édition en feuillets mobiles, mis à jour en septembre 2009), à la page 3:4300).
[34] Lors du contrôle judiciaire de la décision définitive d’un tribunal, il y a des manières par lesquelles un demandeur peut obtenir des réparations pour une décision interlocutoire illégale sans porter atteinte à la règle interdisant les contestations indirectes. Par exemple, il se peut que la décision interlocutoire du tribunal ait rendu le processus administratif inéquitable.
[35] Il peut arriver que les tribunaux autorisent immédiatement la demande de contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire d’un demandeur. Toutefois, la règle générale est que de telles décisions interlocutoires ne sont pas contrôlées judiciairement sauf s’il existe des circonstances spéciales (voir Szczecka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 116 D.L.R. (4th) 333, [1993] A.C.F. no 934 (Q.L.) et la décision Parmalat, précitée, au paragraphe 21). La Cour d’appel fédérale a récemment statué que le contrôle judiciaire des décisions interlocutoires ne devrait avoir lieu que dans « des circonstances très exceptionnelles » (voir Aéroport International du Grand Moncton c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2008 CAF 68, [2008] A.C.F. no 312 (QL) au paragraphe 1).
[36] Des circonstances spéciales existent lorsque, à la fin des procédures, aucun autre recours n’existe (voir l’arrêt Szcecka, précité). À tous égards importants, cette position cadre avec la recherche de l’existence d’un autre recours approprié qui a lieu dans d’autres contextes où les tribunaux s’interrogent sur l’opportunité d’exercer leur pouvoir discrétionnaire pour rejeter une demande de contrôle judiciaire (voir Brown and Evans, précité, à la page 3:2000, voir aussi Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, 96 D.L.R. (3d) 14, et l’arrêt Canadien Pacifique Ltée, précité).
[37] J’examinerai maintenant la question de savoir si Indigo a un autre recours approprié.
[38] À la fin des procédures, Indigo ne peut pas demander un contrôle judiciaire, mais doit exercer le droit accordé par la loi d’interjeter appel des décisions du registraire devant la Cour en vertu de l’article 56 de la Loi. Comme nous le verrons, la portée des appels interjetés à l’encontre de décisions en matière d’opposition à des marques de commerce se limite aux questions contenues dans les déclarations d’opposition. Du point de vue du fond ou de la procédure, les effets de la décision interlocutoire de la Commission de rejeter la requête d’Indigo d’ajouter un motif d’opposition ne sont pas susceptibles de révision.
[39] Dans la décision Parmalat, précitée, la demanderesse, Parmalat, avait de la même façon demandé l’autorisation de modifier sa déclaration d’opposition et, en particulier, d’inclure le motif supplémentaire de la diminution de valeur sur le fondement de l’article 22 et de l’alinéa 30i) de la Loi. Le membre de la Commission a formulé la question à trancher de façon strictement juridique, à savoir si l’article 22 peut être invoqué comme motif d’opposition. Il a ensuite procédé à une analyse et a conclu que les plaintes relatives à la diminution de valeur fondées sur l’article 22 excédaient la portée des motifs d’opposition limités énumérés au paragraphe 38(2). Essentiellement, il a été conclu que les décisions fondées sur l’article 22 excédaient la compétence du registraire dans le contexte des procédures d’opposition et la requête de Parmalat a été rejetée. Le juge Lemieux, en accueillant la demande de contrôle judiciaire présentée par Parmalat relativement à la décision interlocutoire de la Commission, a dit ce qui suit :
24 À mon avis, il y a, dans le contexte des oppositions à l’enregistrement de marques de commerce selon la Loi, des circonstances spéciales qui justifient, dans la présente espèce, le contrôle judiciaire immédiat d’une décision de ne pas accorder l’autorisation d’ajouter un nouveau motif d’opposition. La raison que j’ai de penser ainsi, c’est que, à la fin d’une procédure d’opposition, dont appel peut être interjeté devant la Cour en vertu de l’article 56 de la Loi, au premier niveau d’appel, il n’existe aucun recours approprié autre que la ligne de conduite adoptée ici par Parmalat.
25 Selon la jurisprudence de la Cour fédérale relative aux oppositions en matière de marques de commerce selon la Loi, la Cour fédérale n’a pas compétence pour décider un point qui ne figure pas dans la déclaration d’opposition. [...]
[40] Après avoir procédé à une analyse de la décision McDonald’s Corp. c. Coffee Hut Stores Ltd. rendue par le juge McKeown, 76 F.T.R. 281 (C.F. 1re inst.), [1994] A.C.F. no 638 (QL), le juge Lemieux a conclu ce qui suit :
27 D’après ces précédents, Parmalat ne pouvait, dans un appel formé en vertu de l’article 56 contre une décision de la COMC, prétendre aux avantages de l’article 22 (voir aussi la décision Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2002 CFPI 919).
[41] Indigo soutient être confrontée à la même situation que la demanderesse dans Parmalat. Même s’il ne s’agissait pas en l’espèce d’une question de compétence comme dans Parmalat, le caractère inapproprié du recours contenu à l’article 56 a exactement les mêmes conséquences pour Indigo.
[42] Clarks reconnaît que la portée de l’article 56 est limitée aux motifs soulevés devant le registraire, mais réplique qu’Indigo dispose d’autres recours appropriés en l’espèce sous la forme des autres procédures judiciaires prévues par la Loi.
[43] Les actions sont considérées comme plus appropriées qu’un contrôle judiciaire lorsque des questions factuelles complexes doivent être résolues (voir Banque de Montréal c. Canada (Ministre de l’Agriculture), 241 N.R. 198 (C.A.), [1999] A.C.F. no 697 (C.A.) (QL), Alberta Commercial Fishermen Assn. c. Opportunity (Municipal District) No. 17, 289 A.R. 47 (Q.B.), [2001] A.J. No. 459 (Q.B.) (QL)).
[44] Indigo dispose de deux autres recours judiciaires. Premièrement, Indigo peut en tout temps intenter une action contre Clark, en alléguant que l’utilisation par celle‑ci des marques visées constitue une violation des droits dont peut bénéficier Indigo aux termes de l’article 22. Deuxièmement, dans la mesure où Indigo n’obtient pas gain de cause dans les oppositions et que les demandes de marques de commerce de Clarks donnent lieu à des enregistrements, Indigo pourrait introduire une instance devant la Cour en vue de la radiation de ces enregistrements en vertu de l’article 57 de la Loi, en faisant également valoir une allégation reposant sur l’article 22. Il s’agit de recours appropriés pour toute violation d’un droit substantiel fondé sur l’article 22. Je serais d’accord pour dire qu’il s’agit de recours réalistes appropriés.
[45] On pourrait soutenir que les recours susmentionnés constituent une méthode plus appropriée pour défendre les droits allégués aux termes de l’article 22 que des procédures d’opposition. Comme la Cour suprême l’a expliqué dans l’arrêt Veuve Clicquot, précité, un demandeur présentant une demande fondée sur l’article 22 doit démontrer que le défendeur a déjà utilisé la marque d’une manière susceptible de diminuer la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce du demandeur (paragraphes 46, 47 et 56 à 61). Par conséquent, l’article 22 repose sur une analyse de ce que le défendeur a fait, et non sur ce qu’il se propose de faire, comme c’est le cas dans la plupart des procédures d’opposition. En réitérant ce point, la Cour suprême a expressément indiqué que le lien entre l’utilisation par le défendeur et l’achalandage du demandeur, qui constitue le troisième élément d’une réclamation fondée sur l’article 22, est une question de « preuve, non de spéculation » (paragraphe 60).
[46] Par conséquent, quoique les appels fondés sur l’article 56, qui ont une portée limitée, puissent donner lieu à des circonstances spéciales qui pourraient justifier dans certains cas un contrôle judiciaire immédiat, dans le présent cas, Indigo dispose d’autres recours appropriés et probablement préférables pour faire valoir des droits fondés sur l’article 22.
[47] Dans la décision Parmalat, précitée, la décision du registraire a été annulée parce que le tribunal avait formulé incorrectement la question qui lui était posée en concluant que la Commission n’avait pas compétence pour examiner des questions de diminution de valeur et en concluant ensuite que l’article 22 de la Loi ne constituait pas un motif d’opposition approprié.
[48] À mon avis, la demanderesse n’a pas démontré l’existence de circonstances spéciales qui justifieraient le contrôle judiciaire de la décision interlocutoire. Le fait que le registraire n’a pas autorisé les modifications ne signifie pas inévitablement que l’existence de circonstances spéciales est démontrée. Comme nous l’avons vu précédemment, les faits de certaines affaires dans lesquelles une modification est refusée peuvent constituer des circonstances spéciales justifiant le contrôle judiciaire de la décision interlocutoire. Ce n’est pas le cas en l’espèce, car le registraire a traité des questions dont il était saisi et a exercé son pouvoir discrétionnaire pour rejeter la requête.
[49] Étant donné l’existence des autres recours appropriés dont dispose Indigo, je suis d’avis de refuser de procéder au contrôle judiciaire de la décision interlocutoire de la Commission.
[50] La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée et les dépens sont adjugés à la défenderesse.
JUGEMENT
[51] LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse.
« John A. O’Keefe »
Juge
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo, LL.B.
ANNEXE
Les dispositions législatives pertinentes
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑1
Règlement sur les marques de commerce, DORS/96‑195
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑1185‑09
INTITULÉ : INDIGO BOOKS & MUSIC INC.
‑ et ‑
C.
& J. CLARK INTERNATIONAL LIMITED
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 1er mars 2010
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 30 août 2010
COMPARUTIONS :
John H. Simpson
|
POUR LA DEMANDERESSE |
Steven B. Garland
|
POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bereskin & Parr LLP Toronto (Ontario)
|
POUR LA DEMANDERESSE |
Smart & Biggar Ottawa (Ontario) |
POUR LA DÉFENDERESSE |