Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2010
En présence de monsieur le juge O’Reilly
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Aperçu
[1] M. Toni Dedaj a présenté une demande de citoyenneté canadienne en 2007. Il pensait avoir exactement le nombre minimal de jours de résidence au Canada exigé par la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29. La Loi exige que les demandeurs aient vécu au Canada pendant au moins trois des quatre années précédant la demande, soit 1 095 jours. M. Dedaj croyait avoir atteint ce seuil, mais une juge de la citoyenneté ne voyait pas les choses de cet œil. Cette dernière a conclu qu’il lui manquait quelques jours et a rejeté sa demande. M. Dedaj interjette appel de cette décision.
[2] M. Dedaj prétend que la juge a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il ne répondait pas à la condition de résidence pour obtenir la citoyenneté. Il laisse aussi entendre que la juge avait l’obligation d’examiner s’il avait établi et maintenu sa résidence au Canada pendant la période requise, même s’il n’a pas été, dans les faits, physiquement présent au Canada pendant 1 095 jours.
[3]
Selon moi, même si la juge de
la citoyenneté avait le droit de tirer la conclusion de fait que M. Dedaj
n’était pas physiquement présent pour chacun des 1095 jours requis, elle devait
aussi examiner s’il avait établi et maintenu sa résidence au Canada pendant
cette période. Par conséquent, je dois accueillir l’appel du demandeur et
ordonner le réexamen de sa demande de citoyenneté.
II. Analyse
(1) Contexte factuel
[4] M. Dedaj a quitté l’Albanie en 1997, et a déménagé aux États-Unis, où il a rencontré son épouse et s’est marié avec celle-ci. Il est arrivé au Canada en 2002, a présenté une demande d’asile qui a été accueillie, et a obtenu le statut de résident permanent en 2005. Il prétend avoir été physiquement présent au Canada du 2 octobre 2002 jusqu’au 30 août 2007, le jour où il a présenté sa demande de citoyenneté. Parce qu’on lui a accordé une demi-journée pour chaque jour de présence physique au Canada avant l’obtention du statut de résident permanent, et une journée complète pour chaque jour suivant, il avait acquis, selon lui, 1 095 jours de présence physique au Canada en date du 30 août 2007.
(2) La décision de la juge de la citoyenneté
[5] La juge de la citoyenneté a conclu que M. Dedaj n’avait pas satisfait à la condition de résidence, parce qu’il est demeuré chez ses parents aux États-Unis durant quelques nuits au cours de la période pertinente. La juge était aussi préoccupée par le fait que, peu après avoir présenté sa demande de citoyenneté canadienne, M. Dedaj est déménagé aux États-Unis, est devenu un résident permanent de ce pays, a acquis un permis de conduire du Michigan, et a obtenu un numéro d’assurance sociale américain.
(3) La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur?
[6] La retenue judiciaire s’impose à l’égard des conclusions de faits de la juge de la citoyenneté. La Cour n’interviendra que si ces conclusions sont déraisonnables. Dans la présente affaire, il ne m’est pas nécessaire de déterminer si les conclusions tirées par la juge de la citoyenneté étaient déraisonnables, car je suis convaincu que la juge a commis une erreur de droit.
[7] Il y a de cela quelques années, la Cour a reconnu qu’il y avait plus d’une approche valable pour déterminer si un demandeur avait satisfait à la condition de résidence prévue à la Loi. Les deux principales approches sont, d’un côté, un critère purement physique et, de l’autre, un critère de résidence qualitatif : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650, au paragraphe 11. Dans Nandre, j’ai conclu, en invoquant six motifs principaux, que lorsqu’un juge de la citoyenneté conclut qu’un demandeur ne répond pas au critère physique, le ou la juge doit s’en remettre au critère qualitatif. Ce dernier suppose un examen, fondé sur l’étude de plusieurs facteurs, visant à savoir si le demandeur avait établi et maintenu une résidence au Canada pour la période visée. Les facteurs pertinents ont été énoncés dans Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1ere inst.).
[8]
Cette approche, qui a été
adoptée par d’autres juges, constitue l’approche prédominante dans la
jurisprudence récente de la Cour fédérale.
Voir, par exemple, Zhang c. Canada
(Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 483; Canada
(Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Takla, 2009 CF 1120; Canada (Ministre de la
Citoyenneté et de l’Immigration) c. Elzubair, 2010 CF 298.
[9] À mon avis, la juge de la citoyenneté devait appliquer le critère qualitatif. Bien qu’elle ait tenu compte des liens de M. Dedaj avec les États-Unis, et mentionné qu’il y a centralisé son mode de vie, elle s’est surtout fondée sur des événements postérieurs à sa demande de citoyenneté. De plus, elle n’a pas semblé tenir compte de la preuve étayant les liens de M. Dedaj avec le Canada, ni analysé les facteurs pertinents de l’arrêt Koo, précité.
III. Conclusion et dispositif
[10] Je vais accueillir le présent appel parce que la juge de la citoyenneté n’a pas examiné si M. Dedaj avait satisfait à la condition de résidence en ayant établi et maintenu résidence au Canada pour la période requise, même s’il n’était pas physiquement présent au Canada pour la totalité des 1 095 jours. Je vais renvoyer l’affaire à un autre juge de la citoyenneté pour réexamen de la demande de M. Dedaj.
JUGEMENT
1. L’appel est accueilli et que la présente demande de citoyenneté est renvoyée à un autre juge de citoyenneté pour réexamen.
« James W. O’Reilly »
Traduction certifiée conforme
Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2044-09
INTITULÉ : TONI DEDAJ c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 13 juillet 2010
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : Le juge O’Reilly
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 26 juillet 2010
COMPARUTIONS :
Benjamin Kranc |
POUR LE DEMANDEUR
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Alison Engel-Yan
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Kranc Associates Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR |