Cour fédérale |
|
Federal Court |
Date : 20100625
Dossier : IMM-5987-09
Référence : 2010 CF 694
[traduction FRANÇAISE certifiée non révisée]
Ottawa (Ontario), le 25 juin 2010
En présence de monsieur le juge Beaudry
ENTRE :
et
CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui lui a refusé la qualité de réfugié au sens de la Convention et celle de personne à protéger.
[2] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie pour les motifs suivants.
Contexte factuel
[3] Le demandeur, Shoupeng Wei, est un citoyen de la Chine. Il affirme qu’il est un chrétien pratiquant, et, de ce fait, qu’il sera persécuté en Chine. Il prétend avoir eu envie d’embrasser la religion chrétienne lorsque les prières d’un ami l’ont soulagé des problèmes gastriques dont il était atteint en juillet 2005. Le demandeur mentionne qu’une fois guéri, il a fréquenté régulièrement une église non enregistrée, jusqu'à la descente du Bureau de la Sécurité publique (BSP) en avril 2006. Le demandeur s’est caché pendent neuf mois, au cours desquels il a pu se procurer un visa de visiteur canadien auprès d’un passeur. Il est arrivé au Canada le 13 janvier 2007 et a présenté une demande d'asile le 6 février 2007.
Décision contestée
[4] La décision de la Commission se fonde sur la question de la crédibilité et les inférences négatives qu’elle tire à l’égard des activités religieuses du demandeur en Chine et au Canada, et sur le fait qu’il soit poursuivi par les autorités chinoises.
[5] La Commission tire une inférence négative de la prétention du demandeur qu’il est poursuivi par les autorités chinoises, puisque ce dernier a déclaré que le BSP avait lancé un mandat d’arrestation contre lui, mais il n’avait jamais mentionné cette information dans son entrevue initiale ni dans son formulaire de renseignements personnels (FRP). Pour expliquer cette omission, le demandeur a affirmé qu’on ne l’avait pas interrogé directement à ce sujet, et qu’il n’avait pas réussi à obtenir une copie du mandat.
[6] La Commission a tiré une autre inférence négative du fait que le demandeur a obtenu une prorogation du délai de validité de son passeport au cours de la période où il prétend avoir été poursuivi par le BSP. En se fondant sur la preuve documentaire qui décrit le réseau d’information informatisé (le Bouclier d’or), lequel permet à différents organismes gouvernementaux d’échanger des informations, la Commission conclut qu’il n’est pas vraisemblable que le BSP délivre un passeport au demandeur dix jours après la descente à l’église s’il était une personne recherchée dans le cadre d’une enquête criminelle.
[7] La Commission conclut que le témoignage du demandeur, qui affirmait que le BSP le recherchait activement, est peu plausible. Elle renvoie à la preuve documentaire montrant que, pour que le demandeur ait pu quitter la Chine, son identité a dû être confirmée au moyen d’un système d’information informatisé, et conclut que les autorités chinoises auraient eu connaissance de son départ du pays puisqu’il a témoigné avoir utilisé son propre passeport à cette fin. Le demandeur a déclaré que le BSP se présente encore régulièrement à sa résidence et cherche à savoir où il se trouve. La Commission estime que cela est peu vraisemblable puisque les autorités chinoises devraient savoir qu’il a quitté la Chine.
[8] La Commission a affirmé que, comme le demandeur prétend s’être caché pendant neuf mois avant de quitter la Chine, le BSP aurait disposé du temps nécessaire pour inscrire son nom sur une liste d’alerte et la Commission a estimé que son nom n’aurait pas été retiré de la liste, étant donné que le BSP était activement à sa recherche. Le nom d’une personne qui désire quitter la Chine doit être comparé à ceux qui figurent sur une liste de personnes d’intérêt pour le BSP. De ce fait, le témoignage du demandeur, selon lequel il aurait quitté le pays sans problèmes, à l’aide de son propre passeport, amène la Commission à tirer une inférence négative.
[9] Vu les conclusions susmentionnées, la Commission juge que le BSP n’est pas à la recherche du demandeur à cause de ses prétendues activités religieuses.
[10] Pour ce qui est de l’initiation du demandeur au christianisme, la Commission conclut que le demandeur a embelli son témoignage en ce qui a trait à sa conviction que les prières de son ami l’avaient guéri de ses problèmes médicaux. Cette conclusion se fonde sur la déposition du demandeur, qui affirmait que la maladie n’était pas si grave et qu’elle ne l’empêchait pas de travailler sur sa ferme familiale, et qu’il a également été soigné selon des pratiques médicales occidentales et chinoises.
[11] Le demandeur a déclaré être conscient qu’il risquait d’être emprisonné s’il fréquentait une église non enregistrée et que son épouse, enceinte de huit mois, le décourageait de le faire. La Commission conclut qu’il n’est ni crédible, ni vraisemblable, que le demandeur mette en jeu la sécurité financière de sa femme enceinte et de sa fille pour fréquenter une église non enregistrée, et elle tire une inférence négative des explications du demandeur quant aux raisons de ce dernier pour le faire.
[12] Finalement, la Commission se penche sur la question de savoir si le demandeur est aujourd’hui un vrai chrétien. Elle note que le demandeur a fourni un certificat de baptême et une lettre d’un pasteur, dans laquelle ce dernier confirme que le demandeur assiste régulièrement à la messe et à des lectures commentées de la Bible. Cependant, peu de poids est accordé à ces éléments de preuve, puisqu’ils n’attestent pas sa motivation pour aller à l’église ou le fait qu’il soit un authentique chrétien pratiquant. La Commission prend également note de la bonne compréhension dont le demandeur fait preuve des principes fondamentaux du christianisme et sa connaissance de la Bible, mais remarque qu’il ne semble pas éprouver d’engagement émotionnel envers la foi chrétienne. Compte tenu de toutes les inférences négatives qu’elle a tirées, la Commission conclut que le demandeur a acquis ses connaissances une fois au Canada, et seulement afin d’étayer une demande d’asile frauduleuse.
Norme de contrôle judiciaire et analyse
[13] La Commission a fondé sa décision sur son évaluation de la crédibilité du demandeur. Lorsqu’elle examine des conclusions relatives à la crédibilité, la Cour applique la norme de la décision raisonnable (Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 558, [2008] A.C.F. no 700 au paragraphe 4). Par conséquent, la Cour n'interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).
[14] Le demandeur soutient que la Commission a commis des erreurs importantes lorsqu’elle a tiré ses conclusions quant à la crédibilité et que ces erreurs justifient l’intervention de la Cour.
[15] J’ai soigneusement examiné les conclusions de la Commission et je suis d’avis que deux d’entre elles sont entachées d’erreurs susceptibles de révision parce qu’elles sont au cœur de la demande du demandeur.
[16] D’abord, le demandeur soutient que la Commission a exagéré les informations à l’égard du système d’information informatisé, le Bouclier d’or, et qu’un examen du document sur lequel s’appuie la Commission (Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Information indiquant si le Bureau de la sécurité publique (BSP) possède un réseau informatique national permettant l’échange de renseignements; nature et importance des communications entre les bureaux du BSP à l’échelle nationale; information indiquant si les aéroports chinois internationaux sont reliés à un réseau informatique de la police (2003-2006) (le 27 avril 2006), dossier certifié du tribunal, à la page 108) montre qu’il n’est pas certain que la technologie a été mise en place. La source d’information ne confirme pas l’existence d’un système d’échange de l’information centralisé, mais mentionne plutôt l’intention d’en mettre un en place sans confirmer qu’il le soit ou qu’il fonctionne d’une façon telle que le demandeur n’aurait pu se voir accorder une prorogation du délai de validité de son passeport dix jours après la descente à l’église.
[17] Ensuite, le tribunal remarque que le demandeur ne semble pas éprouver d’engagement émotionnel envers la foi chrétienne. Il s’agit d’une conclusion quelque peu étrange, surtout compte tenu du fait que le demandeur a témoigné par l’intermédiaire d’un interprète, et je ne vois pas comment la Commission pourrait évaluer convenablement l’engagement émotionnel du demandeur dans cette situation.
[18] Je suis d'avis que l'intervention de la Cour est justifiée.
[19] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L'affaire est renvoyée pour nouvelle décision à un tribunal différemment constitué de la Commission. Aucune question n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5987-09
INTITULÉ : SHOUPENG WEI
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 22 juin 2010
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : Le
juge Beaudry
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 25 juin 2010
COMPARUTIONS :
Shelley Levine
|
POUR LE DEMANDEUR |
Neal Samson
|
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocat Toronto (Ontario)
|
POUR LE DEMANDEUR |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR |