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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100611

Dossier : T-683-09

Référence : 2010 CF 632

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2010

En présence de Monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

MICHAEL DANIEL MYMRYK

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]         Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 24 février 2009, par laquelle la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Section d’appel) a, en application de l’alinéa 147(4)a) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi), confirmé la décision en date du 4 septembre 2008 par laquelle la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission) a refusé au demandeur la semi‑liberté et la libération conditionnelle totale.


I - Le contexte

[2]         Le demandeur est incarcéré depuis 1977. Il purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au premier degré.

 

[3]         Avant sa dernière demande, le demandeur a demandé et obtenu la libération conditionnelle en 1992 et ensuite en 2003. Il a présenté une demande de libération conditionnelle en 2006, mais cette demande a été rejetée.

 

[4]         En 1996, le demandeur s’est vu révoquer la libération conditionnelle après avoir été reconnu coupable de port d’une arme dissimulée (qui était inopérante) et condamné à deux mois d’emprisonnement. En 2004, il s’est vu à nouveau révoquer la libération conditionnelle après qu’une analyse régulière d’urine eut révélé la présence de cocaïne.

 

[5]         Le demandeur a contesté avec véhémence l’allégation selon laquelle l’analyse d’urine a révélé la présence de cocaïne et, peu après sa réincarcération, il a demandé une nouvelle analyse. Pour diverses raisons qui ne sont pas pertinentes en l’espèce, la nouvelle analyse n’a pu être effectuée avant que l’échantillon d’urine ne soit détruit. Le demandeur a déposé plusieurs griefs auprès du Service correctionnel du Canada (SCC), dont le dernier a fait l’objet d’un contrôle judiciaire qui a été accueilli en partie (voir Mymryk c. Canada (Procureur général), 2007 CF 32 (Mymryk)).

 

[6]         En octobre 2007, le demandeur a fait l’objet d’un transfèrement non sollicité de l’Établissement Montée Saint‑François, à sécurité minimale, vers l’Établissement Archambault, à sécurité moyenne, par suite d’allégations de contrebande, de trafic et de consommation de drogues à l’intérieur de la prison. Le demandeur conteste ces allégations et il fait actuellement l’objet d’une procédure de règlement de grief. Selon ce qui ressort de la preuve, aucune accusation d’infraction disciplinaire ou criminelle n’a été portée contre le demandeur. De plus, rien au dossier n’indique que le demandeur a été à l’origine d’autres problèmes dans les établissements où il a passé ses quelques trente ans d’incarcération. 

 

[7]         Le 4 septembre 2008, le demandeur a comparu devant la Commission pour une audience concernant ses plus récentes demandes de semi‑liberté et de libération conditionnelle totale. Avant l’audience, conformément à l’article 141 de la Loi, on lui a communiqué la plupart des renseignements qui seraient utilisés par la Commission. Suivant le paragraphe 141(4) toutefois, la Commission lui a refusé la communication de trois rapports sur les renseignements de sécurité, datés de décembre 2005, d’octobre 2007 et de novembre 2007. Il n’est pas contesté que ces rapports concernent la participation présumée du demandeur à des activités liées à la drogue à l’Établissement Montée Saint‑François.

 

[8]         Aucun résumé distinct de ces rapports n’a été fourni au demandeur. En fait, les seules indications sur le contenu des rapports en question figurent dans d’autres documents communiqués, à savoir le Suivi du plan correctionnel no 22 (Suivi no 22), la Note no 34 versée au dossier (Note no 34) et la Note no 36 versée au dossier (Note no 36). Toutefois, après examen de ces documents, je constate la présence de seulement quelques phrases dans le document plus volumineux qui ont trait aux allégations d’inconduite liée à la drogue formulées contre le demandeur; nulle part dans ces documents n’est résumé le contenu des rapports en cause.

 

II – Les décisions contestées

[9]         À la fin de l’audience, la Commission a rejeté la demande de semi‑liberté du demandeur ainsi que sa demande de libération conditionnelle totale pour les motifs suivants :

1.      La mise en liberté sous condition a été antérieurement révoquée deux fois en raison de la conduite du demandeur en 1996 et 2004;

2.      La demande de libération conditionnelle déposée en 2006 a été rejetée notamment en raison de l’attitude négative du demandeur envers l’équipe de gestion des cas (EGC) chargée de son dossier. À la date de l’audience, très peu de progrès avaient été faits entre le demandeur et l’EGT chargée de son dossier;

3.      La participation du demandeur à des activités criminelles, notamment au trafic de la drogue à l’intérieur de l’établissement à sécurité minimale, ce qui a entraîné son transfèrement dans un établissement à sécurité plus élevée, montre qu’il reste attaché à ses valeurs criminelles;

4.      L’EGT chargée de son dossier cote actuellement le potentiel de réinsertion sociale du demandeur comme faible;

5.      Un rapport psychologique de juin 2008 estime qu’il serait prématuré d’accorder au demandeur la libération conditionnelle;

6.      L’EGT chargée de son dossier estime que le plan de libération proposé n’est pas bien structuré et ne tient pas compte des facteurs qui ont contribué à sa criminalité. Le demandeur doit participer à l’élaboration d’un plan correctionnel réaliste contenant des objectifs clairs qui répondent à ses besoins.

 

[10]           Le demandeur a porté en appel la décision de la Commission aux motifs que celle‑ci a violé l’équité procédurale et s’est fondée sur des renseignements incomplets et erronés. Plus précisément, le demandeur a allégué que la Commission a omis de prendre en considération ses réalisations (il a suivi, par exemple, tous les programmes obligatoires et a satisfait aux exigences en matière de counselling), qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve concernant la non‑fiabilité du résultat négatif de l’analyse d’urine subie en 2004, et qu’elle n’a pas fourni au demandeur des renseignements détaillés au sujet de sa participation à des activités illégales à l’intérieur de l’établissement de sécurité minimale.  

 

[11]           Le 24 février 2009, la Section d’appel a confirmé la décision de la Commission et a dit ce qui suit :

[traduction] […] nous sommes d’avis que la conclusion de la Commission est raisonnable, compte tenu des faits portés à votre dossier, et que ladite décision est fondée sur suffisamment de renseignements fiables et convaincants [...] [N]ous vous rappelons que la Commission a le droit de prendre en considération tous les renseignements pertinents existants et qu’elle a le pouvoir discrétionnaire de déterminer la façon appropriée de vérifier la fiabilité des renseignements qui lui sont soumis […] À cet égard, vous et votre assistant juridique avez amplement eu l’occasion de répondre aux préoccupations de la Commission et de présenter votre version des faits ayant mené à votre transfèrement non sollicité dans l’établissement à sécurité moyenne. Nous soulignons qu’à la lumière des renseignements à cet égard contenus dans le dossier et de votre conduite à ce jour, il n’était pas déraisonnable pour la Commission de conclure que les renseignements au dossier étaient fiables et convaincants.

 

[…] [À]près examen de tous les renseignements dont disposait la Commission, présentés au dossier et à l’audience, la Section d’appel conclut que la Commission disposait de suffisamment de renseignements fiables et convaincants pour étayer sa décision. La décision de la Commission de refuser la semi‑liberté et la libération conditionnelle totale est raisonnable et conforme aux critères prélibératoires énoncés dans la loi et les politiques de la Commission.

 

 

[12]     Le demandeur s’en prend maintenant à la validité de la décision contestée rendue par la Section d’appel, pour les motifs suivants :

1.   La Commission a manqué à un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale en ne communiquant pas au demandeur suffisamment de renseignements lui permettant de présenter une défense adéquate aux allégations de trafic de la drogue;

2.   La décision de la Commission de rejeter toute forme de libération et la décision de la Section d’appel de confirmer le refus de libération sont autrement déraisonnables et non étayées par le droit et les faits en l’espèce, et ne constituent pas la mesure la moins restrictive selon la loi.

 

III - Analyse

[13]     La jurisprudence établit clairement que, lorsque le demandeur demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de confirmer la décision de la Commission, la Cour est essentiellement appelée à s’assurer de la légalité de cette dernière (Cartier c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 317, au paragraphe 10 (C.A.F.)).

 

[14]     J’estime que la question d’équité procédurale soulevée dans la présente demande est décisive. Il est bien établi que les questions d’équité procédurale sont examinées suivant la norme de la décision correcte, le décideur ayant soit respecté l’obligation d’équité procédurale, soit manqué à cette obligation (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53). Pour les motifs qui suivent, je ne crois pas que la Commission a respecté l’obligation d’équité procédurale, et par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[15]     Les seuls documents qui n’ont pas été communiqués au demandeur étaient les trois rapports sur les renseignements de sécurité mentionnés ci‑dessus. Il est évident que la  Commission s’est appuyée sur ces rapports, lesquels contiennent les allégations formulées contre le demandeur au sujet de ses activités liées au trafic de la drogue à l’intérieur de l’établissement à sécurité minimale, lorsqu’elle a décidé de rejeter ses demandes de libération conditionnelle. Toutefois, comme il est expliqué plus loin, je conclus que la Commission n’a pas communiqué suffisamment de détails concernant ces allégations pour permettre au demandeur d’y répondre de manière intelligente.

 

[16]     Le droit d’être informé de la preuve au dossier est au coeur de l’obligation d’équité procédurale. L’article 141 de la Loi établit l’obligation de la Commission de communiquer l’information dont elle dispose, avant une audience en examen :

141.(1) Au moins quinze jours avant la date fixée pour l’examen de son cas, la Commission fait parvenir au délinquant, dans la langue officielle de son choix, les documents contenant l’information pertinente, ou un résumé de celle-ci.

 

 

 

 

 

(2) La Commission fait parvenir le plus rapidement possible au délinquant l’information visée au paragraphe (1) qu’elle obtient dans les quinze jours qui précèdent l’examen, ou un résumé de celle-ci.

 

 

(3) Le délinquant peut renoncer à son droit à l’information ou à un résumé de celle-ci ou renoncer au délai de transmission; toutefois, le délinquant qui a renoncé au délai a le droit de demander le report de l’examen à une date ultérieure, que fixe la Commission, s’il reçoit des renseignements à un moment tellement proche de la date de l’examen qu’il lui serait impossible de s’y préparer; la Commission peut aussi décider de reporter l’examen lorsque des renseignements lui sont communiqués en pareil cas.

 

(4) La Commission peut, dans la mesure jugée strictement nécessaire toutefois, refuser la communication de renseignements au délinquant si elle a des motifs raisonnables de croire que cette communication irait à l’encontre de l’intérêt public, mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite.

141. (1) At least fifteen days before the day set for the review of the case of an offender, the Board shall provide or cause to be provided to the offender, in writing, in whichever of the two official languages of Canada is requested by the offender, the information that is to be considered in the review of the case or a summary of that information.

 

(2) Where information referred to in subsection (1) comes into the possession of the Board after the time prescribed in that subsection, that information or a summary of it shall be provided to the offender as soon as is practicable thereafter.

 

(3) An offender may waive the right to be provided with the information or summary referred to in subsection (1) or to have it provided within the period referred to, but where an offender has waived that period and any information is received by the offender, or by the Board, so late that the offender or the Board is unable to sufficiently prepare for the review, the offender is entitled to, or the Board may order, a postponement of the review for such reasonable period as the Board determines.

 

 

(4) Where the Board has reasonable grounds to believe

 

(a) that any information should not be disclosed on the grounds of public interest, or

 

(b) that its disclosure would jeopardize

 

(i) the safety of any person,

 

(ii) the security of a correctional institution, or

 

(iii) the conduct of any lawful investigation,

 

the Board may withhold from the offender as much information as is strictly necessary in order to protect the interest identified in paragraph (a) or (b).

 

 

[17]     Bien que la Commission ait le droit de refuser la communication au délinquant des renseignements visés au paragraphe 141(4), elle doit agir en ce sens « dans la mesure jugée strictement nécessaire » (non souligné dans l’original). La justice fondamentale exige que la Commission fournisse au délinquant les renseignements pertinents sur lesquels elle entend faire reposer sa décision (Strachan c. Canada (Procureur général), 2006 CF 155, au paragraphe 22). 

 

[18]     Pour l’examen de la question du transfèrement non sollicité dans un établissement à sécurité supérieure, l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Demaria c. Comité régional de classement des détenus, [1987] 1 C.F. 74, aux pages 77 et 78 (C.A.F.) (Demaria), donne des indications utiles sur l’obligation de divulgation que la Commission doit respecter :

Il incombe toujours aux autorités d’établir qu’elles n’ont refusé de transmettre que les renseignements dont la non‑communication était strictement nécessaire à de telles fins. Outre son caractère invraisemblable, une affirmation générale, comme celle en l’espèce, voulant que « tous les renseignements concernant la sécurité préventive » soient « confidentiels et (ne puissent) être communiqués », est tout simplement trop large pour être acceptée par un tribunal chargé de protéger le droit d’une personne à un traitement équitable. En dernière analyse, il s’agit de déterminer non pas s’il existe des motifs valables pour refuser de communiquer ces renseignements mais plutôt si les renseignements communiqués suffisent à permettre à la personne concernée de réfuter la preuve présentée contre elle.

                        [Notes de bas de page omises. Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[19]     Dans cette affaire, le seul avis transmis au demandeur avant son transfèrement dans un établissement à sécurité supérieure indiquait qu’il y avait « des motifs raisonnables et probables de croire qu’[il a] introduit dans [l]’établissement un objet interdit, à savoir un poison appelé cyanure » (voir page 75). Aucune mesure disciplinaire ni procédure criminelle n’avait été prise contre lui. En concluant que le critère susmentionné n’a pas été rempli, la Cour a jugé qu’aucune indication n’avait été fournie au demandeur sur la nature de ces motifs raisonnables, et elle dit ce qui suit, à la page 77 :

Comme il était simplement allégué qu’il existait des motifs de croire qu’il avait introduit du cyanure dans la prison, l’appelant était réduit à nier les faits allégués – ce qui en soi est presque toujours moins convaincant qu'une affirmation – et à se livrer à des spéculations futiles sur la nature réelle de la preuve présentée contre lui.

 

 

[20]     Il est important de souligner que l’article 27 de la Loi, qui régit l’obligation de divulgation incombant au SCC lorsqu’il rend une décision au sujet d’un délinquant (tel le transfèrement non sollicité en cause dans l’arrêt Demaria, précité), ressemble beaucoup à l’article 141 de la Loi. Plus précisément, les deux dispositions prévoient une exception à la règle générale selon laquelle il faut communiquer au délinquant tout renseignement ayant servi à une décision, s’il y a des motifs raisonnables de croire que cette communication mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite (voir les paragraphes 27(3) et 141(4)). De plus, et comme le souligne le défendeur en l’espèce, les deux dispositions permettent au délinquant d’obtenir le résumé de l’information pertinente; il n’est pas nécessaire que la divulgation soit complète (paragraphe 27(1), paragraphe 141(1) et Hudon c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1313, au paragraphe 44). En ce qui a trait à l’article 27 de la Loi, je pense qu’il est important de souligner les propos de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, au paragraphe 95, selon lesquels la Loi « impose au SCC une lourde obligation de communication ». C’est en ayant ces observations à l’esprit que je conclus que la Commission ne s’est pas acquittée de son obligation de divulgation prévue à l’article 141 de la Loi.

 

[21]     Le défendeur soutient qu’en l’espèce, l’essentiel des rapports non divulgués par la Commission a été communiqué au demandeur au moyen d’autres documents, à savoir le Suivi no 22, la Note no 34 et la Note no 36. Par conséquent, il n’a pas eu de manquement à l’obligation d’équité procédurale et il n’y a eu non plus de manquement à l’obligation de communication prévue à l’article 141 de la Loi. À l’appui de son argument, le défendeur invoque plus particulièrement la décision Cartier c. Canada (Procureur général) (1998), 165 F.T.R. 209, [1998] A.C.F. no 1211 (C.F. 1re inst.) (QL) (Cartier).

 

[22]     La décision Cartier, précitée, portait sur l’article 27 de la Loi et concernait, tout comme l’arrêt Demaria, précité, une décision du SCC d’imposer le transfèrement d’un détenu d’un établissement à sécurité maximale vers une unité spéciale de détention. Dans cette affaire, certaines informations indiquaient que le demandeur avait été impliqué dans une agression grave sur un autre détenu, en plus des allégations de trafic d’influence et de trafic de stupéfiants à l’intérieur de l’établissement. On avait communiqué au détenu en cause des sommaires des renseignements réunis contre lui, et la Cour, ce qui est le plus important, a conclu que ces sommaires satisfaisaient à l’obligation d’équité procédurale. En tirant cette conclusion, la Cour a mis l’accent sur la nature de la décision rendue, et particulièrement sur le fait qu’une décision de transférer un détenu vers un établissement à sécurité supérieure (tout comme dans le cas d’une décision concernant la libération conditionnelle d’un délinquant) ne met pas en cause l’innocence ou la culpabilité de la personne en question. L’obligation d’équité procédurale est donc moindre qu’en matière criminelle, où la divulgation complète est requise.

 

[23]     Je ne saurais souscrire au raisonnement et aux arguments avancés par le défendeur. Celui‑ci ne tient pas compte des particularités et des différences notables qui distinguent la présente affaire de l’affaire Cartier, où la Cour a conclu que les sommaires transmis au détenu étaient suffisants et qu’il n’était pas ainsi nécessaire d’examiner la question de savoir si les autorités avaient suffisamment établi la nécessité de la non‑divulgation.

 

[24]     Premièrement, même si les allégations formulées contre le demandeur dans Cartier portaient notamment sur le trafic de la drogue, l’allégation principale avait trait à un crime violent, à savoir son implication dans une agression grave contre un codétenu. Deuxièmement, grâce aux sommaires communiqués dans Cartier, le demandeur était informé d’un nombre de détails importants, notamment de son implication alléguée dans un réseau criminel connu sous le nom de Rock Machine, dont les membres usaient d’intimidation et faisaient du trafic de stupéfiants, du fait qu’il avait été vu à une certaine réunion tenue le jour où il a été décidé d’éliminer un détenu, du fait que le détenu en cause avait plus tard fait l’objet d’une agression grave, et du fait que le demandeur avait été dénoncé par un informateur comme faisant partie des agresseurs.

 

[25]     En l’espèce, il n’a pas été expliqué pourquoi les autres renseignements contenus dans les rapports sur les renseignements de sécurité ne pouvaient être communiqués. Les documents soumis à la Commission ne contiennent aucune explication à ce sujet, et le défendeur n’a pas déposé auprès de la Cour d’affidavit pour expliquer la non-divulgation.

 

[26]     De plus, tout comme dans l’affaire Demaria, précitée, les renseignements communiqués au demandeur au moyen du Suivi no 22 et de la Note no 34 contiennent une simple allégation de contrebande et de trafic de drogues à l’intérieur de l’établissement de même que de consommation de drogues. Le Suivi no 22 ajoute que l’activité en cause est présumée se dérouler depuis un certain temps et que le demandeur [traduction] « est considéré comme un fournisseur important à l’intérieur de l’établissement […] détenant ainsi une position clé dans un réseau organisé ». La Note no 34 précise simplement que les allégations en cause concernent des activités qui auraient eu lieu dès 2005. Enfin, la Note no 36, et le résumé le plus détaillé communiqué au demandeur, indique que celui-ci était [traduction] « désigné comme un fournisseur de drogues » par « des sources jugées fiables » et que l’argent a été « transféré […] au demandeur et à son lieu de travail ». Bien que la Note no 36 semble plus détaillée que les deux autres documents, il faut souligner qu’une allégation de trafic suppose nécessairement que les consommateurs ont payé le demandeur en échange des drogues; ces renseignements supplémentaires fournissent donc peu d’indications au demandeur.

 

[27]     Hormis les simples allégations, les seuls détails fournis au demandeur incluent le fait que celui-ci est présumé avoir participé à ces activités entre 2005 et octobre 2007, et que de l’argent a été transféré à son lieu de travail. Comme il a été souligné dans Demaria, précité, au paragraphe 8, il manque des détails importants. Par exemple, trois ans c’est beaucoup de temps. Aucune date ou autres renseignements plus précis sur le moment où ces transactions ont été effectuées ne sont fournis. De plus, la nature des substances présumées avoir fait l’objet du trafic, de la contrebande et de la consommation n’est pas précisée, ni la méthode par laquelle le demandeur aurait procuré ces substances ou l’endroit où il les aurait gardées.

 

[28]     En l’espèce, l’insuffisance des détails fournis au demandeur ressort également après examen de l’enregistrement de l’audience, où le demandeur ne peut que nier toute participation à des activités liées au trafic de la drogue, ce qui en soi, comme l’a judicieusement fait remarquer la Cour d’appel fédérale, « est presque toujours moins convaincant qu’une affirmation » (Demaria, précité, au paragraphe 9).

 

[29]     Il ne s’agit pas ici d’une tentative d’élever l’obligation d’équité procédurale incombant à la Commission. Il est largement reconnu que, lorsqu’elle communique des renseignements pertinents, la Commission doit tenir compte de plusieurs intérêts, dont le plus important est la protection de la société (voir alinéa 101a) de la Loi). Pour ce qui est de la communication de renseignements de nature délicate, il faut aussi prendre en considération la sécurité des autres détenus et du personnel de l’établissement. Cela dit, la Loi précise clairement que la Commission peut refuser de communiquer des renseignements dans la mesure jugée strictement nécessaire. En l’espèce, le défendeur n’a pas démontré pourquoi les renseignements en cause ne devaient pas être communiqués, ce qui, outre l’information minimale fournie au demandeur, constitue une erreur qui justifie l’intervention de la Cour.

 

[30]     La nécessité de communiquer suffisamment de renseignements au demandeur au sujet des allégations en cause est d’autant plus évidente lorsqu’on considère que la Commission ne s’en est pas seulement servie de ces allégations pour prouver que le demandeur restait attaché à ses valeurs criminelles. Après examen de la preuve, il est manifeste que le rapport psychologique, en plus de l’opinion de l’EGT, sur lesquels s’est appuyée la Commission lorsqu’elle a rejeté les demandes du demandeur, sont fondés sur les renseignements concernant ces allégations d’activités liées à la drogue.

 

[31]     Vu l’importance de ces allégations pour la décision de la Commission, l’absence de justification suffisante de la non‑divulgation par celle‑ci (ou par extension par le SCC) et l’absence de renseignements permettant au demandeur de connaître la preuve au dossier, on ne saurait affirmer que celui‑ci a eu réellement l’occasion de se défendre. 

 

[32]     Compte tenu de la conclusion relative à la question d’équité procédurale, qui est favorable au demandeur, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur la raisonnabilité de la décision de la Commission de rejeter toute forme de libération et celle de la Section d’appel de confirmer le refus de libération, ou sur la question de savoir si ces décisions sont étayées par le droit et les faits en l’espèce, ou ne constituent pas la mesure la moins restrictive selon la loi.

 

[33]     Les parties ont déjà proposé conjointement que, si la Cour décidait d’accueillir la demande de contrôle judiciaire, ce qui est le cas maintenant, le recours qui convient serait d’annuler la décision de la Section d’appel et d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant une Commission différemment constituée, avec instruction de ne pas s’appuyer sur les allégations selon lesquelles le demandeur a participé au trafic ou à la contrebande alors qu’il était détenu dans un établissement à sécurité minimale, ni de leur accorder de force probante, à moins que des renseignements supplémentaires ne soient communiqués au demandeur, avant la tenue de la nouvelle audience, comportant suffisamment de détails pour lui permettre de répondre adéquatement aux allégations formulées contre lui.

 

[34]     Par conséquent, en accueillant la présente demande et en renvoyant l’affaire à la Commission, la Cour formulera ces instructions en vertu du pouvoir que lui confère l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales (voir Côté c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. n1079 (QL)).

 

[35]     Les dépens seront accordés au demandeur. Cela dit, la présente affaire ne se prête pas à l’octroi des dépens selon un barème plus élevé ou sur une base avocat‑client.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.      La décision de la Section d’appel est annulée et une nouvelle audience sera tenue devant une Commission différemment constituée. La Commission ne peut s’appuyer sur les allégations portant que le demandeur a participé au trafic ou à la contrebande alors qu’il était détenu dans un établissement à sécurité minimale, ni leur accorder de force probante, à moins que des renseignements supplémentaires ne soient communiqués au demandeur, avant la tenue de la nouvelle audience, comportant suffisamment de détails pour lui permettre de répondre adéquatement aux allégations formulées contre lui;

3.      Les dépens sont accordés au demandeur.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-683-09

 

INTITULÉ :                                                   MICHAEL DANIEL MYMRYK

                                                                        et

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL

                                                                        DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 12 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   Le 10 juin 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Diane Condo

 

POUR LE DEMANDEUR

Éric Lafrenière

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Condo Law Office

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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