Cour fédérale |
|
Federal Court |
Date : 20100326
Dossier : IMM-2589-09
Référence : 2010 CF 338
Ottawa (Ontario), le 26 mars 2009
En présence de monsieur le juge Harrington
ENTRE :
MARIE-GAVRINE BAKANDASI
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défenderesse
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Marie-Gavrine Bakandasi est la fille d’un militant congolais de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), parti opposé au régime du président Joseph Kabila. Avec sa mère, elle aurait aidé son père, notamment en distribuant des documents critiquant M. Kabila et l’autre candidat à la présidence de la République démocratique du Congo, M. Bemba. La famille toute entière a été arrêtée à deux reprises par les autorités congolaises. Depuis la deuxième arrestation, on est sans nouvelles du père. Mme Bakandasi et sa mère ont, quant à elles, été emprisonnées et torturées. Avec l’aide d’un gardien, elles se sont échappées de prison et ont rejoint la République du Congo. Elles sont par la suite arrivées au Canada, où elles ont demandé l’asile.
[2] Leurs demandes ont été traitées simultanément par la Section de protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SPR a accordé le statut de réfugié à la mère de Mme Bakandasi, mais a refusé la demande de celle-ci. Mme Bakandasi demande la révision judiciaire de la partie de la décision refusant sa demande.
[3] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190. La Cour suprême, au paragraphe 47, explique que « [le] caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »
[4] La SPR a rendu sa décision le 27 février 2009. Dans le cas de la mère, elle était d’avis que la demande était fondée sur deux éléments : ses activités de distribution de documents politiques et son appartenance à l’UDPS. Elle avait des doutes concernant la crédibilité de la mère quant aux allégations de distribution de documents politiques, mais elle a conclu que la mère est membre de l’UDPS, et qu’en tant que membre de l’UDPS, elle peut être ciblée par le régime congolais. La SPR a donc accepté la demande d’asile de la mère.
[5] Par contre, la demande d’asile de Mme Bakandasi a été rejetée par la SPR pour manque de crédibilité. car elle ignorait le contenu des documents qu’elle aurait distribués, alors que dans son FRP elle a décrit le contenu de ces documents.
[6] Il est important de souligner ce que la SPR n’a pas inclus dans ses motifs. Elle a analysé les deux cas séparément sans préciser que Mme Bakandasi et sa mère avaient déclaré avoir été persécutées ensemble. De même, la SPR ne fait pas mention du père de Mme Bakandasi, militant d’opposition présumé emprisonné ou mort.
[7] La décision de la SPR est fondée sur une simple différence entre Mme Bakandasi et sa mère. Selon elle, ni l’une ni l’autre n’auraient distribué des documents politiques. Cependant, la mère est membre de l’UDPS et peut être ciblée par le régime congolais; Puisque que Mme Bakandasi ne l’est pas, elle n’est donc apparemment pas en danger. En conséquence, la mère est une réfugiée au sens de la Convention tandis que Mme Bakandasi ne l’est pas.
[8] Je n’arrive pas à comprendre sur quoi la SPR base cette distinction, alors que Mme Bakandasi et sa mère ont toutes deux été persécutées en même temps et torturées dans des pièces adjacentes par les mêmes personnes. Il me semble que la revendication de Mme Bakandasi n’est pas basée sur le fait qu’elle craint d’être persécutée pour avoir distribué des documents, mais plutôt qu’elle a déjà été persécutée, et ce, principalement parce qu’elle est membre de la famille d’un militant d’opposition. Que cette dernière ait réellement distribué des documents ou non, et qu’elle soit « officiellement » membre de l’UDPS ou non, elle risque d’être à nouveau persécutée en République démocratique du Congo en tant que fille d’un militant de l’UDPS.
[9] Les motifs de la SPR ne fournissent aucune explication justifiant son défaut de considérer cet aspect de la demande de Mme Bakandasi.
[10] En l’absence d’une telle explication, cette décision est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
2. La décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié concernant Mme Bakandasi est annulée.
3. L'affaire est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié pour faire l'objet d'une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué.
4. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
« Sean Harrington »
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
INTITULÉ : Bakandasi v. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : le 16 mars 2010
ET ORDONNACE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : le 26 mars 2010
COMPARUTIONS :
Tshimanga Tsilumba Bukasa
|
POUR LA DEMANDERESSE |
Melissa Mathieu
|
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Dieudonné Kamuena Kandolo Avocat et notaire Toronto (Ontario)
|
POUR LA DEMANDERESSE |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
|
POUR LE DÉFENDEUR |