Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100527

Dossier : T-737-08

Référence : 2010 CF 579

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2010

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

EUROCOPTER

demanderesse / défenderesse reconventionnelle

 

et

 

BELL HELICOPTER TEXTRON

CANADA LIMITÉE

 

défendeur / demanderesse reconventionnelle

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] À l’occasion des interrogatoires au préalable de Messieurs Bernard Certain, Pierre Prud’homme Lacroix et Joseph Mairou, conduits en France au mois de septembre 2009 (la première ronde), Eurocopter s’est objectée à diverses questions et demandes de documents formulées par Bell Helicopter Textron Canada Limitée (Bell Helicopter).

 

  • [2] L’instance est déjà en gestion spéciale. Le 12 mars 2010, dans l’exercice de sa discrétion, Me Richard Morneau, le protonotaire désigné, a tranché tout près de 200 objections tantôt en faveur d’Eurocopter, tantôt en faveur de Bell Helicopter (Eurocopter c. Bell Helicopter Textron Canada Ltée., 2010 CF 293). Une deuxième ronde d’interrogatoires au préalable a déjà eu lieu en avril 2010. Le présent appel de Bell Helicopter porte sur une quarantaine d’objections d’Eurocopter à l’occasion de la première ronde.

 

  • [3] Les objections maintenues par le protonotaire et qui sont encore en litige aujourd’hui ont trait aux items 29 à 34, 39 à 47, 51 et 52, 146 à 150, 152 à 155, 159 et 160, 168, 170, 172 à 174, 176 et 177, 180 à 183, et 185 à 190 du « Tableau relatif à la requête de défenderesse », annexé à l’ordonnance du protonotaire.

 

  • [4] À l’audience devant le juge soussigné, les procureurs ont convenu que le contenu du « Tableau relatif à la requête de la défenderesse » reflète fidèlement la position adoptée par chaque partie à l’occasion de la présentation de la requête en mars 2010.

 

  • [5] Pour les fins de cet appel, un « Tableau récapitulatif des objections sujettes à l’appel de Bell Helicopter », basé sur le tableau annexé à l’ordonnance du protonotaire, a été préparé par les procureurs d’Eurocopter. La confidentialité de ce dernier document n’est pas revendiquée par les parties, de sorte que celui-ci est reproduit en annexe (Tableau « A »).

 

  • [6] Lecture faite des motifs du protonotaire, des procédures, des affidavits, des transcriptions d’interrogatoires, et ayant considéré les représentations écrites et orales des parties, le présent appel doit échouer.

 

  • [7] Pour les raisons qui suivent, il ne s’agit pas d’un cas où le juge en appel doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire de novo.

 

  • [8] En l’espèce, je ne suis pas satisfait que l’ordonnance du protonotaire est entachée d’erreur flagrante (en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits), ou que son ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue de la cause.

 

  • [9] Premièrement, qu’il s’agisse de questions d’ordre technique ou relevant de l’interprétation du brevet en cause adressées aux inventeurs et pour lesquelles les experts seront appelés à fournir leur opinion au procès; de questions concernant la commercialisation et la mise en application, par Eurocopter, d’un train d’atterrissage pour hélicoptère; de questions ayant trait à la date à laquelle Eurocopter a eu connaissance de diverses pièces et à la manière dont cela s’est produit; de questions reliées aux dommages et aux profits réclamés par Eurocopter; de questions relatives à la poursuite du brevet en cause (notamment l’obtention de la correspondance avec les agents de brevet et le dossier interne de poursuite); ou d’autres questions pour lesquelles le protonotaire a maintenu les objections d’Eurocopter, Bell Helicopter ne m’a pas satisfait que l’ordonnance du protonotaire porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue de l’affaire.

 

  • [10] J’ajouterais que la sanction à la non-communication d’informations et de documents demandés par une partie et refusés par l’autre partie lors d’un interrogatoire au préalable est bien établie. En l’espèce, vu le maintien des objections touchant la communication de calculs, d’analyses ou de tests demandés par Bell Helicopter (notamment les items 29, 31, 32 et 34), au procès, Eurocopter ne pourra ultérieurement mettre en preuve tels calculs, analyses ou tests pour tenter de réfuter en défense toute allégation de Bell Helicopter à l’effet que certaines revendications du brevet en cause sont invalides (faute notamment de démonstration de l’utilité de l’invention ou bien du respect des exigences de la règle de la « prédiction valable »).

 

  • [11] Deuxièmement, à moins que la question soit déterminante pour l’issue de l’affaire, le juge en appel ne doit pas procéder derechef à une micro-analyse de toutes et chacune des objections formulées par une partie à l’occasion d’un interrogatoire au préalable, à moins que l’erreur prétendument commise par le protonotaire et relevée par la partie appelante, soit flagrante. En l’espèce, il n’y a aucune erreur flagrante, et même si je me trompe à cet égard, il n’y a aucune raison spéciale ou particulière pour que j’exerce ici ma discrétion de novo de façon différente de celle du protonotaire désigné.

 

  • [12] Les faits de la présente affaire et les principes applicables sont bien résumés par le protonotaire. La décision dont appel est manifestement fondée sur l’application simple, par le protonotaire désigné, du paragraphe 222(2) et des articles 240 et 242 des Règles des Cours fédérales, et d’autres principes généraux déjà bien définis par la jurisprudence. Ici, on ne peut dire que le protonotaire désigné a exercé sa discrétion en se fondant sur une appréciation déraisonnable du contexte dans lequel les questions ou les demandes de documents ont été formulées, celui-ci bénéficiant d’une large latitude pour apprécier la pertinence d’une question ou d’une demande de documents.

 

  • [13] Il est manifeste que les deux parties s’entendent sur les principes applicables, mais pas sur leur application particulière par le protonotaire dans des cas donnés (regroupés en catégories diverses pour les fins de l’adjudication de la requête originale pour trancher des objections). Ici, en plus des motifs généraux dans la décision dont appel, le protonotaire a indiqué dans le tableau accompagnant son ordonnance, par une double barre transversale║, à quel raisonnement intégral ou partiel de l’argumentation de l’une ou l’autre des parties, il souscrivait quant au maintien ou au rejet de chaque objection. En l’espèce, je suis d’avis que l’argumentation retenue par le protonotaire fournit une assise rationnelle au maintien des objections d’Eurocopter, même si je conviens qu’une autre issue pouvait raisonnablement être ouverte au protonotaire si celui-ci avait plutôt choisi d’accepter l’argumentation de Bell Helicopter.

 

  • [14] L’évaluation de la pertinence n’est pas une science exacte; tout dépend de la perspective où le décideur se place et il n’y a pas un champ de vision unique. Il convient donc de faire preuve de retenue au sujet des questions de pertinence, et ce,même si techniquement parlant, la pertinence est une question d’ordre juridique : Létourneau c. Clearbrook Iron Works Ltd., 2005 CF 475 au paragraphe 22. En l’espèce, le protonotaire désigné de la gestion de l’instance est déjà très bien placé pour déterminer s’il est raisonnable ou non de supposer qu’une demande d’information ou de document permettra directement ou indirectement à une partie de faire valoir ses arguments ou de réfuter ceux de l’autre partie. Souscrivant par ailleurs entièrement à ce que mes collègues Hugessen, Hughes et Tremblay-Lamer ont respectivement écrit sur le sujet dans Ruman c. Canada, 2005 CF 474, au paragraphe 7, Astrazeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 1301, aux paragraphes 9 à 23, et Galerie au Chocolat Inc. c. Orient Overseas Container Line Ltd., 2010 FC 327, aux paragraphes 11 à 14, il n’y a pas lieu de reprendre l’affaire depuis le début.

 

  • [15] De surcroît, rejetant dans le cadre de cet appel l’argumentation de Bell Helicopter, force est de conclure que les motifs particuliers de maintien des objections soulevées aux paragraphes 23 à 44 des représentations écrites d’Eurocopter en date du 10 mai 2010, ont, dans l’ensemble, un caractère péremptoire. Ceci suffit pour disposer du présent appel et il n’est pas nécessaire de reprendre l’argumentation d’Eurocopter dans les présents motifs. De plus, même si dans quelques cas isolés (items 29, 31, 32 et 34), j’aurais peut-être moi-même considéré, à première vue, pertinentes certaines questions ou demandes de documents de Bell Helicopter, cela ne suffit pas pour accueillir cet appel.

 

  • [16] Faut-il le rappeler, la pertinence soulève une question de degré, au demeurant fort variable d’un cas à l’autre. En somme, si le spectre de la question permise est fonction de l’avancement de la cause d’une partie, l’exercice de la discrétion du décideur dépendra du contexte et des circonstances particulières de l’affaire. Ici, je ne suis pas satisfait en l’espèce que les réponses ou documents demandés par Bell Helicopter (incluant les items 29, 31, 32 et 34) sont essentiels pour qu’une décision juste soit rendue dans cette affaire. Il faut notamment veiller à mettre en balance ce qui doit être communiqué avec l’effet, le cas échéant, que l’information ou le document demandé peut avoir (Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2008 CAF 287). D’ailleurs, ce que j’ai déjà écrit plus haut au paragraphe 10, concernant les conséquences de l’objection d’Eurocopter à la communication des calculs, analyses ou tests demandés par Bell Helicopter, pèse également en faveur du maintien de l’ordonnance du protonotaire.

 

  • [17] En tout état de cause, considérant qu’il y a déjà eu deux rondes d’interrogatoires au préalable en France et que le procès doit débuter en janvier 2011, soit dans quelques mois, dans l’exercice de ma discrétion, je ne crois pas en l’espèce que les fins de la justice et le déroulement de l’instance en vue d’un règlement à l’amiable ou de l’adjudication finale du litige, seront favorisés ou mieux servis en me substituant aujourd’hui au protonotaire et en ordonnant à Eurocopter de répondre ou de fournir les documents demandés par Bell Helicopter dans son avis de requête en appel (tel qu’amendé par la lettre de son procureur en date du 12 mai 2010).

 

  • [18] Ayant entendu à l’audition les représentations des procureurs au sujet des dépens, la présente requête en appel de Bell Helicopter est rejetée et les dépens sont adjugés en faveur d’Eurocopter.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE la requête en appel de Bell Helicopter soit rejetée avec dépens en faveur d’Eurocopter.

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-737-08

 

INTITULÉ :  EUROCOPTER

  et

  BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LIMITÉE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  13 MAI 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :  LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :  27 MAI 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Marek Nitoslowski

Me David Turgeon

 

POUR LA DEMANDERESSE /

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Me Judith Robinson

Me Louis Gratton

 

 

POUR LE DÉFENDEUR/ DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fasken Martineau DuMoulin

S.E.N.C.R.L, s.r.l

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE /

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

Ogilvy Renault, LLP

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR/ DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.