[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 26 mai 2010
En présence de monsieur le juge Harrington
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il se pourrait bien que Mme Dong ne fût même pas en Chine lors de la période où elle allègue avoir fait l’objet de persécution par les autorités en raison de son appartenance à une église chrétienne clandestine. Il se pourrait bien qu’elle fût au Pérou. Cependant, la décision rendue par le président de l’audience de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est tellement truffée d’erreurs, de conjectures et de conclusions tirées sans analyse que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.
[2] Mme Dong affirme qu’elle n’avait pu se trouver un emploi après avoir terminé ses études secondaires en 2005, au cours desquelles elle a notamment suivi des cours d’anglais pendant trois ans. Elle était, à toutes fins utiles, restée chez ses parents pendant les deux années suivantes à lire des livres. L’année d’après, sa tante avait adhéré à une église clandestine après être devenue veuve; quelques mois plus tard, elle avait fait connaître l’évangile à sa nièce, Mme Dong.
[3] La demanderesse avait joint les rangs de l’église, laquelle avait peu de temps après fait l’objet d’une descente. La demanderesse s’est enfuie et, avec l’aide d’un passeur, elle s’est rendue à Toronto, là où elle a demandé l’asile.
[4] Le commissaire a conclu qu’elle n’était pas crédible et que, de toute manière, elle n’avait pas qualité de personne à protéger.
[5] Il a conclu qu’il était impossible de croire qu’une personne ayant accumulé douze années de scolarité ne pouvait se trouver un travail en Chine. Cependant, aucune analyse n’a été réalisée quant au marché du travail.
[6] Mme Dong n’avait pas amené avec elle de documents qui démontraient qu’elle avait bel et bien été en Chine après décembre 2005. Le Tribunal ne croyait pas qu’une personne comme elle n’aurait laissé derrière elle ou amené avec elle une trace écrite.
[7] Elle a omis de mentionner dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu’elle avait eu un petit ami et qu’ils avaient rompu. Il semblerait que les demandeurs d’asile ne puissent jamais faire la bonne chose. De cette omission a découlé une inférence négative en matière de crédibilité. Le FRP met en garde les demandeurs d’asile de s’en tenir aux éléments essentiels. Qui aurait cru qu’une histoire d’amour antérieure était pertinente quant à une demande d’asile?
[8] Le commissaire croyait que la tante que la demanderesse aurait dû faire connaître l’évangile à sa nièce plus tôt. La demanderesse a répondu, et ce devait être une hypothèse, que sa tante voulait avoir une meilleure compréhension de la religion chrétienne avant d’en parler. Pourquoi devrait‑on tirer une inférence défavorable des gestes posés par autrui?
[9] Il y avait une certaine question légitime ainsi que de la confusion en ce qui concerne le véritable passeport chinois de Mme Dong et un passeport contrefait de Hong Kong, mais cela n’était pas suffisant pour rejeter la demande d’asile.
[10] À son arrivée à Toronto, la demanderesse a donné une déclaration écrite dans laquelle elle affirmait que les autorités s’étaient rendues au domicile de ses parents pour l’arrêter le mardi suivant la descente à l’église, descente qui s’était produite le deuxième lundi de décembre. Dans les notes qu’il a prises au point d’entrée, l’agent a mentionné que la demanderesse avait prétendu que les autorités s’étaient rendues à son domicile le dimanche même. Il est évident que la demanderesse n’aurait pas délibérément fait de déclarations contradictoires simultanées. La conclusion qu’il faut tirer de cela, c’est que les notes sont incomplètes.
[11] Le commissaire était certainement sur une bonne piste lorsqu’il a analysé le parcours de la demanderesse, de Changle (République populaire de Chine) à Toronto. Selon le FRP de la demanderesse, elle avait quitté Changle le 20 décembre 2007 et elle est arrivée au Canada le 25 décembre 2007. Le vol en direction de Toronto était son quatrième vol. Selon le témoignage de la demanderesse, elle avait utilisé son passeport chinois lors du premier vol et elle avait par la suite utilisé le faux passeport de Hong Kong. Le Tribunal a tenu pour acquis que sa première escale fût à Hong Kong. Rien dans le dossier n’appuie cette pure conjecture. Dans tous les cas, selon les renseignements qui figurent dans le FRP, elle a passé la nuit à sa première destination, elle a fait de même à la deuxième destination, elle était arrivée à sa troisième destination le 22 décembre et ce n’est que le 25 décembre qu’elle a pris un vol en direction du Canada. Selon les informations provenant des autorités de l’aéroport de Toronto, elle était arrivée sur un vol en provenance de Lima, au Pérou.
[12] Le commissaire a conclu qu’il était invraisemblable que la demanderesse n’eût aucune idée où elle était lorsqu’elle a pris ses quatre vols pendant une période de cinq jours. Je conviens avec lui que cela est difficile à croire; toutefois, il n’a posé aucune question. Par exemple : Était‑elle restée dans les aéroports? Était‑elle restée à l’hôtel? Avec quels transporteurs aériens a‑t‑elle voyagé? Qu’en était‑il de ses cartes d’embarquement et de ses talons de billet? Quel type de nourriture avait‑elle mangé? Quelle était la température ambiante?
[13] Tout cela a conduit le commissaire à conclure qu’elle ne faisait pas partie d’une église clandestine dans la province de Fujian, comme elle l’avait prétendu.
[14] Cependant, le commissaire a ensuite analysé le degré de connaissance de Mme Dong au sujet du christianisme. Il a admis qu’elle avait une bonne connaissance de la religion, mais il a affirmé qu’elle était confuse au sujet du commandement « Tes père et mère honoreras » : la demanderesse n’aurait pas dû joindre les rangs d’une église clandestine, étant donné l’opposition de ses parents. Il semblerait que Mme Dong avait une meilleure connaissance du christianisme que le commissaire. Un vrai croyant, tout en respectant et en honorant ses parents, doit suivre le chemin, la vérité et la lumière.
[15] Le commissaire a analysé un grand nombre d’éléments de preuve documentaire se rapportant à l’arrestation de chrétiens et de rapports quant aux descentes effectuées dans les maisons‑églises. Aucune des arrestations signalées n’avait eu lieu dans la province de Fujian. Bien qu’il ait fait mention des rapports de descentes dans les maisons‑églises dans un certain nombre de provinces, il n’a pas renvoyé aux descentes effectuées dans la province du Fujian, et ce, malgré le fait que la Commission en a fait mention dans les Réponses aux demandes d’information du 22 juin 2007.
[16] Le commissaire a renchéri en affirmant que si la demanderesse d’asile retournait en Chine, elle pourrait adhérer à l’église patriotique, laquelle est parrainée par le gouvernement. Elle y verrait la même Bible et elle y découvrirait que les croyances en Dieu et en Jésus Christ sont les mêmes. Elle pourrait prendre part aux activités de l’église patriotique sans craindre d’être arrêtée ou détenue. Cette affirmation traduit une conception erronée fondamentale de la liberté de religion, qui est l’un des motifs de protection prévus à la Convention des Nations Unies et que l’on retrouve à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Une personne a le droit de choisir son lieu de culte et sa secte.
[17] Le Commissaire semble avoir l’impression qu’une pratiquante n’est pas victime de persécution si seul son lieu de culte est détruit, et qu’elle n’est pas arrêtée. La liberté de religion comprend le droit de s’exprimer ouvertement, de faire connaître l’évangile et de rendre témoignage. Comme monsieur le juge Denault l’a déclaré dans la décision Fosu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 90 FTR 182, 27 Imm LR (2d) 95, en se fondant sur le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le Statut de réfugié, Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés :
Il m’apparaît qu’en l’instance, une analyse minutieuse de la preuve et de la décision m’oblige à intervenir. J’estime en effet que la Section du statut a restreint indûment la notion de pratique religieuse, la limitant au fait "de prier Dieu ou d’étudier la Bible". Il va de soi que le droit à la liberté de religion comprend aussi la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. Comme corollaire de cet énoncé, il me semble que la persécution du fait de la religion peut prendre diverses formes telles que l’interdiction de célébrer le culte en public ou en privé, de donner ou de recevoir une instruction religieuse, ou la mise en oeuvre de mesures discriminatoires graves envers des personnes du fait qu’elles pratiquent leur religion. En l’occurrence, j’estime que l’interdiction prononcée contre les Témoins de Jéhovah de se réunir pour la pratique de leur culte pouvait équivaloir à de la persécution. C’est précisément ce qu’avait à analyser la Section du statut.
[18] Pour l’ensemble des motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée pour nouvelle décision. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.
ORDONNANCE
POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI-DESSUS;
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
2. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, pour nouvelle décision à la lumière des présents motifs.
3. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.
« Sean Harrington »
Traduction certifiée conforme
Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5203-09
INTITULÉ : FENG ZHU DONG c
M.C.I.
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 25 MAI 2010
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS
ET DE L’ORDONNANCE : LE 26 MAI 2010
COMPARUTIONS :
Hart A. Kaminker
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POUR LA DEMANDERESSE |
Khatidja Moloo
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Hart A. Kaminker Avocat Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR |