Cour fédérale |
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Federal Court |
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 11 mai 2010
En présence de monsieur le juge Campbell
ENTRE :
carla ruiz rubio,
carlos emmanuel trejo ruiz
et oscar alberto trejo ruiz
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La présente demande vise les membres d’une famille, citoyens du Mexique, qui présentent une demande d’asile en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) parce qu’ils craignent d’être persécutés du fait de leurs opinions politiques et de la crainte du risque d’être tués s’ils devaient être tenus de retourner au Mexique.
[2] Lors du rejet de la demande des demandeurs, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) n’a pas tiré de conclusion défavorable quant à la crédibilité et, par conséquent, le témoignage des demandeurs à l’appui de leur demande doit être accepté comme étant véridique. Néanmoins, la SPR a rejeté la demande en raison de l’existence d’une PRI viable au Mexique.
[3] Les conclusions de fait de la SPR sont les suivantes :
Oscar Hugo Trejo Abelar (le demandeur d’asile), Carla Ruiz Rubio (la demandeure d’asile), Oscar Alberto Trejo Ruiz et Carlos Emmanuel Trejo Ruiz (les demandeurs d’asile mineurs), des citoyens du Mexique selon les copies certifiées conformes de leurs passeports, demandent l’asile aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).
ALLÉGATIONS
Les demandeurs d’asile présentent les allégations suivantes.
Les demandeurs d’asile forment un couple en union libre et sont les parents des demandeurs d’asile mineurs. La famille résidait à Coacalco, dans l’État du Mexique. En juillet 2002, le demandeur d’asile a commencé à faire du bénévolat pour un organisme appelé « Vive sin Drogas » (Vivre sans drogue), un centre de réadaptation privé pour les jeunes, qui aide les enfants de la rue à ne pas consommer de drogues. Dans le cadre de ses activités sociales, des équipes sportives et des collectes de fonds à leur intention. Il a rencontré Victor Aviles Cruz (Aviles Cruz), un ancien membre de la police fédérale, qui était narcotrafiquant. Le 17 septembre 2005, Aviles Cruz a pointé un fusil sur la tempe du demandeur d’asile et a menacé de le tuer parce qu’il lui enlevait des clients. Le 20 septembre 2005, le demandeur d’asile a dénoncé Aviles Cruz, qui a été accusé et devait être emprisonné pendant 10 à 13 ans pour trafic de stupéfiants. Le 23 février 2006, le demandeur d’asile a témoigné contre Aviles Cruz devant le tribunal. Il croyait alors qu’Aviles Cruz était en prison.
En décembre 2005, le demandeur d’asile a présenté une demande en vue de venir travailler au Canada pour gagner de l’argent dans le but d’agrandir son entreprise de taxis. Il s’est rendu au Canada le 9 avril 2006 et est retourné au Mexique le 28 novembre 2006. En décembre 2006, il a repris ses activités de bénévolat auprès de Vive sin Drogas. Il n’a pas vu Aviles Cruz à cette époque. Le 9 mars 2007, le demandeur d’asile est revenu travailler au Canada. Il a dû retourner brièvement au Mexique un mois plus tard parce que son père était gravement malade. Il est ensuite revenu au Canada où il a séjourné jusqu’au 11 septembre 2007.
À la mi-mai 2007, la demandeure d’asile a dit au demandeur d’asile qu’elle recevait des appels téléphoniques suspects. À la fin de mai, elle a quitté son emploi. Elle et les demandeurs d’asile mineurs ont alors abandonné la maison familiale pour aller vivre avec sa sœur à Prados Sur, à environ une heure de Coacalco. Ils ne sont jamais retournés vivre dans la maison familiale. Les demandeurs d’asile mineurs ont également arrêt de fréquenter l’école à ce moment-là. À son retour du Canada, le demandeur d’asile a rejoint sa famille à Prados Sur. Ils se sont rendus peu après à Puebla pour rendre visite au père du demandeur d’asile, qui était à l’article de la mort. Pendant qu’il séjournait à Puebla, le demandeur d’asile a appris qu’Aviles Cruz avait été mis en liberté et qu’il était à sa recherche à Coacalco. La famille a séjourné à Puebla jusqu’au 4 octobre 2007, environ, puis s’est rendue à Mexico. Le demandeur d’asile est arrivé au Canada le 6 octobre 2007. Il a demandé l’asile le 24 mars 2008.
Deux ou trois jours après le départ du demandeur d’asile du Mexique, la demandeure d’asile et les demandeurs d’asile mineurs sont allés se cacher à Veracruz avec une autre de ses sœurs. Le 13 avril 2008, la demandeure d’asile s’est rendue au Canada et a demandé l’asile le 18 avril 2008. Les demandeurs d’asile mineurs sont restés à Veracruz jusqu’à ce qu’ils viennent au Canada, le 2 novembre 2008. Ils ont demandé l’asile le 3 novembre 2008.
[4] L’avocat des demandeurs soutient que la conclusion suivante relativement à la PRI constitue une erreur de droit :
J’estime que les demandeurs d’asile doivent déménager, dans ce cas, à Guadalajara, et, s’ils ont des problèmes avec Aviles Cruz à cet endroit, ils doivent demander l’aide de l’État avant de demander au Canada de les protéger. Je note qu’Aviles Cruz avait été arrêté et emprisonné pendant quelque temps et, en me fondant sur ce renseignement, je conclus que la police avait assuré au demandeur d’asile la protection. Je ne dispose pas d’une preuve convaincante selon laquelle la police n’assurerait pas la protection au demandeur d’asile ultérieurement, s’il la demandait.
[…]
Je crois fermement qu’il ne faut quitter à contrecœur son propre pays pour demander la protection internationale à titre de réfugié qu’en dernier recours et que nul ne peut prendre cette décision sans avoir au préalable tenté, sans succès et en vain, de prendre d’autres mesures, par exemple en cherchant une PRI dans son propre pays. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Il est inutile de dire que des demandeurs d’asile sont tenus de tenter d’abord de trouver un endroit où vivre, travailler et étudier dans leur propre pays avant de décider de le quitter.
Je souligne que le demandeur d’asile n’a pas tenté de chercher une PRI ailleurs dans la République du Mexique. La demandeure d’asile et les demandeurs d’asile mineurs ont d’abord déménagé dans un État du Mexique, puis à Veracruz. Pendant qu’ils vivaient dans ces deux endroits, je note qu’ils n’ont été victime d’absolument aucun préjudice ou menace pendant presque un an, pour ce qui est de la demandeure d’asile, et pendant un an et demi pour ce qui est des demandeurs d’asile mineurs. D’après la preuve relative à ces demandes d’asile, j’estime qu’il incombait aux demandeurs d’asile de déménager dans une PRI, en l’espèce à Guadalajara, avant de quitter le pays. Les demandeurs d’asile ne se sont pas acquittés de leur responsabilité de démontrer l’existence du risque de préjudice auquel ils seraient exposés dans toutes les régions du Mexique aux termes de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR.
[Non souligné dans l’original.]
(Paragraphes 17, 22 et 23 de la décision.)
[5] Il ne fait aucun doute que l’avocat des demandeurs a raison. Dans Alvapillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1160, au paragraphe 3, le juge Rothstein énonce le droit comme suit :
La viabilité d’une PRI doit être objectivement déterminée, et il n’est pas loisible à un demandeur, simplement pour ses propres raisons, de rejeter la possibilité de réinstallation dans son propre pays, s’il peut le faire sans crainte de persécution; voir Thirunavukkarasu c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.), aux pages 597 à 599). Toutefois, la façon dont le tribunal a caractérisé le critère de la PRI en l’espèce n’est pas juste. Le tribunal semble dire qu’il appartient à un individu, avant qu’il ne demande la protection de substitution assurée par le Canada, de mettre à l’épreuve la viabilité de la PRI dans son propre pays. La conclusion logique de cette idée est qu’un demandeur est tenu de mettre à l’épreuve la PRI et de connaître la persécution avant de faire une revendication du statut de réfugié au Canada. Il ne peut en être ainsi. Il n’incombe nullement à un demandeur de mettre personnellement à l’épreuve la viabilité d’une PRI avant de demander la protection de substitution au Canada.
Dans Victor Manual Martinez et al. c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (IMM‑3598‑08, le 11 février 2009), le juge Barnes a appliqué la décision du juge Rothstein.
[6] En conséquence, je conclus que la décision faisant l’objet du présent contrôle comporte une erreur de droit susceptible de contrôle. Le fait que les témoignages présentés par les demandeurs ont été tenus comme véridiques est particulièrement important en l’espèce. À mon avis, cet élément de la demande des demandeurs ne devrait pas faire l’objet d’une nouvelle décision lors d’un nouvel examen, car il serait très inéquitable de leur demander de témoigner encore une fois. La question de savoir s’il existe une PRI au Mexique est la seule question à examiner de nouveau et, par conséquent, dans l’ordonnance qui suit, je donne des directives pour atteindre ce résultat.
ordonnance
LA COUR ORDONNE :
La décision faisant l’objet du présent contrôle est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment pour qu’il effectue un nouvel examen en conformité avec les directives suivantes :
1. le nouvel examen doit être effectué en tenant pour acquis que les témoignages et la preuve des demandeurs présentés à l’appui de leur demande d’asile à la SPR sont véridiques;
2. le nouvel examen doit être axé uniquement sur la question de savoir si les demandeurs disposent d’une PRI au Mexique;
3. en ce qui a trait à la seule question de la PRI, il est loisible aux demandeurs et au défendeur de présenter des éléments de preuve supplémentaires mais, quoi qu’il en soit, les demandeurs doivent être prêts à répondre à d’autres questions sur les éléments de preuve déjà fournis à la SPR, ainsi qu’à tout nouvel élément de preuve présenté.
Il n’y a aucune question n’est à certifier.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
cour fédérale
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4817-09
Intitulé : OSCAR HUGO TREJO ABELAR et al.
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 11 mai 2010
et ordonnance : le juge CAMPBELL
DATE DES MOTIFS
ET DE L’ORDONNANCE : Le 11 mai 2010
Comparutions :
Leigh Salsberg |
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Ned Djordjevic |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jackman and Associates Toronto (Ontario)
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Pour les demandeurs
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada |
Pour le défendeur |