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Federal Court

 

Cour fédérale


 

Date : 20100413

Dossier : T-524-09

Référence : 2010 CF 396

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MANDAMIN

 

 

ENTRE :

JOCKEY CANADA COMPANY LIMITED

demanderesse

 

et

 

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Jockey Canada Company Limited (JCC) en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales et visant une décision rendue par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) le 3 mars 2009. La décision avait été rendue pour répondre à la demande de JCC visant à faire annuler une lettre d’instruction antérieure du 20 octobre 2008.

 

[2]               Le demandeur sollicite un bref de certiorari annulant la décision, particulièrement en ce qui a trait à la conclusion que, en vertu de l’article 32.2 de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 ch. 1 (2suppl.) (la Loi), JCC avait « des motifs de croire » que sa méthode d’évaluation des marchandises importées en 2005 était inexacte.

[3]               Je rejette la demande de contrôle judiciaire, car j’estime que la Cour fédérale n’est pas compétente pour statuer sur la présente affaire pour les motifs exposés ci-dessous.

 

CONTEXTE

[4]               JCC est un importateur et un distributeur de vêtements de marque Jockey établi à London, en Ontario. Sa société mère est Jockey International Inc. (JII) dont le siège est situé au Wisconsin, aux États-Unis.

 

[5]               Dans le passé Jockey International Inc. (JII) vendait des vêtements de marque Jockey au Canada en expédiant les marchandises à des entrepôts au Canada, puis en les redistribuant aux détaillants. JJI payait des droits sur les marchandises en conformité avec une décision de 1991 de l’agence ayant précédé l’ASFC, qui enjoignait à JII de calculer les droits sur ses importations selon la méthode fondée sur la valeur de référence.

 

[6]               JCC a été constituée en personne morale en 1996 à titre de filiale à 100 pour 100 de JII. JCC importait les vêtements de marque Jockey en vertu d’une convention de vente et de distribution (la convention de vente) avec JII. La convention de vente prévoyait que JII vendrait à JCC des vêtements portant les marques Jockey, fabriqués par JII et pour elle, aux États-Unis et pour lesquels JCC paierait un prix déterminé à JII.

 

[7]               JCC, à titre d’importateur au Canada, payait alors des droits sur les importations Jockey, mais continuait de calculer la valeur en douane sur les importations selon la méthode fondée sur la valeur de référence. quelque temps avant l’an 2000, JCC a commencé à acheter des marchandises de JII qui étaient fabriquées par ses filiales en Jamaïque, au Honduras et au Costa Rica. JCC payait JII pour ces marchandises caribéennes et payait les droits en utilisant la méthode de la valeur reconstituée. Quelque temps avant 2005, JCC s’est mise également à importer des marchandises de JII qui étaient fabriquées en Asie. JCC a payé les droits sur ces marchandises en calculant leur valeur en douane selon la méthode de la valeur transactionnelle.

 

[8]               Le 18 avril 2005, le bureau de London de l’ASFC a avisé JCC qu’il procèderait à un contrôle de la valeur en douane de JCC conformément à la Loi et qu’il exigeait la production de certains documents pour procéder à l’examen de la valeur en douane pour l’année 2005. Ce fut le point de départ d’un processus d’une durée de 42 qui s’est conclu par la lettre contestée du 3 mars 2009 de l’ASFC, laquelle fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[9]               Le 20 octobre 2008, l’ASFC a produit une lettre d’instruction (la lettre d’instruction) et un rapport d’évaluation. La lettre d’instruction concluait que les trois méthodes utilisées par JCC pour établir la valeur en douane de ses importations provenant des trois sources différentes étaient incorrectes. Il y était également dit que JCC avait « des motifs de croire » qu’il en était ainsi depuis 2005. Il y était également déclaré que la lettre constituait une décision nationale des douanes liant JCC sauf si elle était révoquée. Sous le titre [traduction] « Recommandations générales » de la lettre d’instruction, il était écrit ce qui suit :

 

[traduction]

L’article 32.2 de la Loi sur les douanes prescrit aux importateurs de corriger les erreurs constatées dans les déclarations relatives au classement tarifaire, à la valeur en douane ou à l’origine des produits. Suivant l’article 32.2, vous êtes tenu de corriger les déclarations déposées à compter de la date à laquelle vous avez des « motifs de croire » qu’elles sont inexactes. L’article 32.2 vous accorde un délai de 90 jours pour effectuer les déclarations corrigées. Vous trouverez d’autres renseignements sur le « processus d’autorajustement » dans le mémorandum D11‑6‑6. Veuillez noter que cet article ne permet pas d’exiger ou d’autoriser une correction entraînant une demande de remboursement de droits.

 

            (Non souligné dans l’original.)

 

 

LA DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[10]           Le 21 novembre 2008, JCC demandait par écrit à l’ASFC d’annuler la lettre d’instruction, faisant valoir entre autres les points suivants :

 

a.         l’examen de la valeur en douane a été effectué d’une manière inéquitable et préjudiciable;

 

b.         JCC n’avait « aucun motif de croire » que l’une quelconque des méthodes qu’elle utilisait pour établir la valeur en douane était incorrecte;

 

c.         la lettre d’instruction était truffée d’erreurs.

 

 

[11]            À la suite de la lettre que JCC a envoyée le 21 novembre 2008, trois de ses représentants ont rencontré à Ottawa le 16 décembre 2008 quatre représentants officiels de la Direction des programmes commerciaux. L’ASFC a procédé à un réexamen. Le 3 mars 2009, Mme Kline, directrice de la Division de l’origine et de l’établissement de la valeur à l’ASFC a répondu que la lettre d’instruction ne serait pas modifiée.

 

[12]           Je paraphrase et souligne ci-dessous les parties pertinentes de la réponse du 3 mars 2009 de l’ASFC.

 

a.         Manquement à l’équité : après avoir examiné le temps pris pour procéder à la vérification des produits importés en 2005, l’ASFC a reconnu que ses fonctionnaires avaient été inactifs pendant 19 mois et, en conséquence, elle était disposée à renoncer ou à annuler les intérêts pour cette période.

 

b.         Nouvelle cotisation : la politique de l’ASFC sur l’établissement d’une nouvelle cotisation était fondée sur l’article 59 de la Loi lequel prévoit que l’ASFC peut imposer de nouvelles cotisations à l’égard des déclarations inexactes et que l’importateur doit apporter des corrections à toute déclaration inexacte restante qui n’a pas déjà fait l’objet d’une nouvelle cotisation en vertu de l’article 32.2 de la Loi.

 

c.         Motifs de croire : l’ASFC soutient que JCC avait des motifs de croire que ses déclarations de valeurs en douane étaient inexactes. Elle s’est servie de la méthode de la valeur transactionnelle pour une vente d’exportation entre JCC et sa société mère. Les relevés détaillés de rajustement que JCC a soumis par la suite se rapportent à la méthode de la valeur reconstituée pour une période antérieure et ne reflètent pas la méthode d’établissement de la valeur applicable aux pratiques d’exploitation dont il a été constaté qu’elles étaient en usage durant la période examinée et ils ne sont donc pas pertinents. Le critère des motifs de croire a été utilisé pour établir une nouvelle cotisation à l’égard d’une période antérieure maximale de quatre ans et, dans tous les autres cas, il s’ensuit de la vérification menée par l’ASFC que l’importateur doit corriger sa déclaration pour l’exercice visant les douze mois précédents.

 

d.         Erreurs factuelles ou omissions : l’ASFC n’a pas conclu qu’il y avait des erreurs importantes susceptibles d’affecter la décision.

 

 

LÉGISLATION

 

[13]           La Loi sur les Cours fédérales prévoit ce qui suit :

 

18.5  Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l’impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.

18.5  Despite sections 18 and 18.1, if an Act of Parliament expressly provides for an appeal to the Federal Court, the Federal Court of Appeal, the Supreme Court of Canada, the Court Martial Appeal Court, the Tax Court of Canada, the Governor in Council or the Treasury Board from a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal made by or in the course of proceedings before that board, commission or tribunal, that decision or order is not, to the extent that it may be so appealed, subject to review or to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with, except in accordance with that Act.

 

 

 

[14]           La Loi sur les douanes prévoit ce qui suit :

 

32.2  (1) L’importateur ou le propriétaire de marchandises ayant fait l’objet d’une demande de traitement tarifaire préférentiel découlant d’un accord de libre-échange, ou encore la personne autorisée, sous le régime de l’alinéa 32(6)a) ou du paragraphe 32(7), à effectuer la déclaration en détail ou provisoire des marchandises, qui a des motifs de croire que la déclaration de l’origine de ces marchandises effectuée en application de la présente loi est inexacte doit, dans les quatre-vingt-dix jours suivant sa constatation :

a) effectuer une déclaration corrigée conformément aux modalités de présentation et de temps réglementaires et comportant les renseignements réglementaires;

b) verser tout complément de droits résultant de la déclaration corrigée et les intérêts échus ou à échoir sur ce complément.

 

(2) Sous réserve des règlements pris en vertu du paragraphe (7), l’importateur ou le propriétaire de marchandises ou une personne qui appartient à une catégorie réglementaire de personnes relativement à celles-ci, ou qui est autorisée en application de l’alinéa 32(6)a) ou du paragraphe 32(7) à effectuer la déclaration en détail ou provisoire des marchandises, ayant des motifs de croire que la déclaration de l’origine de ces marchandises, autre que celle visée au paragraphe (1), la déclaration du classement tarifaire ou celle de la valeur en douane effectuée à l’égard d’une de ces marchandises en application de la présente loi est inexacte est tenue, dans les quatre-vingt-dix jours suivant sa constatation :

a) d’effectuer une correction à la déclaration en la forme et selon les modalités réglementaires et comportant les renseignements réglementaires;

b) de verser tout complément de droits résultant de la déclaration corrigée et les intérêts échus ou à échoir sur ce complément.

 

(3) Pour l’application de la présente loi, la correction de la déclaration faite en application du présent article est assimilée à la révision prévue à l’alinéa 59(1)a).

 

(4) L’obligation de corriger une déclaration, prévue au présent article, à l’égard de marchandises importées prend fin quatre ans après leur déclaration en détail au titre des paragraphes 32(1), (3) ou (5).

59.  (1) L’agent chargé par le président, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie d’agents, de l’application du présent article peut :

a) dans le cas d’une décision prévue à l’article 57.01 ou d’une détermination prévue à l’article 58, réviser l’origine, le classement tarifaire ou la valeur en douane des marchandises importées, ou procéder à la révision de la décision sur la conformité des marques de ces marchandises, dans les délais suivants :

 

(i) dans les quatre années suivant la date de la détermination, d’après les résultats de la vérification ou de l’examen visé à l’article 42, de la vérification prévue à l’article 42.01 ou de la vérification de l’origine prévue à l’article 42.1,

 

(ii) dans les quatre années suivant la date de la détermination, si le ministre l’estime indiqué;

b) réexaminer l’origine, le classement tarifaire ou la valeur en douane dans les quatre années suivant la date de la détermination ou, si le ministre l’estime indiqué, dans le délai réglementaire d’après les résultats de la vérification ou de l’examen visé à l’article 42, de la vérification prévue à l’article 42.01 ou de la vérification de l’origine prévue à l’article 42.1 effectuée à la suite soit d’un remboursement accordé en application des alinéas 74(1)c.1), c.11), e), f) ou g) qui est assimilé, conformément au paragraphe 74(1.1), à une révision au titre de l’alinéa a), soit d’une correction effectuée en application de l’article 32.2 qui est assimilée, conformément au paragraphe 32.2(3), à une révision au titre de l’alinéa a).

(6) La révision ou le réexamen fait en vertu du présent article ne sont susceptibles de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues au paragraphe 59(1) ou aux articles 60 ou 61.

32.2  (1) An importer or owner of goods for which preferential tariff treatment under a free trade agreement has been claimed or any person authorized to account for those goods under paragraph 32(6)(a) or subsection 32(7) shall, within ninety days after the importer, owner or person has reason to believe that a declaration of origin for those goods made under this Act is incorrect,

(a) make a correction to the declaration of origin in the prescribed manner and in the prescribed form containing the prescribed information; and

(b) pay any amount owing as duties as a result of the correction to the declaration of origin and any interest owing or that may become owing on that amount.

 

(2) Subject to regulations made under subsection (7), an importer or owner of goods or a person who is within a prescribed class of persons in relation to goods or is authorized under paragraph 32(6)(a) or subsection 32(7) to account for goods shall, within ninety days after the importer, owner or person has reason to believe that the declaration of origin (other than a declaration of origin referred to in subsection (1)), declaration of tariff classification or declaration of value for duty made under this Act for any of those goods is incorrect,

(a) make a correction to the declaration in the prescribed form and manner, with the prescribed information; and

(b) pay any amount owing as duties as a result of the correction to the declaration and any interest owing or that may become owing on that amount.

 

(3) A correction made under this section is to be treated for the purposes of this Act as if it were a re-determination under paragraph 59(1)(a).

 

(4) The obligation under this section to make a correction in respect of imported goods ends four years after the goods are accounted for under subsection 32(1), (3) or (5).

59.  (1) An officer, or any officer within a class of officers, designated by the President for the purposes of this section may

(a) in the case of a determination under section 57.01 or 58, re-determine the origin, tariff classification, value for duty or marking determination of any imported goods at any time within

 

(i) four years after the date of the determination, on the basis of an audit or examination under section 42, a verification under section 42.01 or a verification of origin under section 42.1, or

 

(ii) four years after the date of the determination, if the Minister considers it advisable to make the re-determination; and

(b) further re-determine the origin, tariff classification or value for duty of imported goods, within four years after the date of the determination or, if the Minister deems it advisable, within such further time as may be prescribed, on the basis of an audit or examination under section 42, a verification under section 42.01 or a verification of origin under section 42.1 that is conducted after the granting of a refund under paragraphs 74(1)(c.1), (c.11), (e), (f) or (g) that is treated by subsection 74(1.1) as a re-determination under paragraph (a) or the making of a correction under section 32.2 that is treated by subsection 32.2(3) as a re-determination under paragraph (a).

(6) A re-determination or further re-determination made under this section is not subject to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with except to the extent and in the manner provided by subsection 59(1) and sections 60 and 61.

 

(emphasis added)

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[15]           La demanderesse et le défendeur ont soulevé diverses questions dans le cadre de présente demande. Je considère les questions sur un plan plus fondamental. Je suis d’avis que les questions de fond soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire sont mieux formulées de la façon la suivante :

a.       L’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, ou l’autre recours prévu par la Loi, empêchent-t-ils la demanderesse de présenter une demande de contrôle judiciaire?

 

b.      Y a-t-il un fondement à la conclusion de l’ASFC selon laquelle la demanderesse avait des « motifs de croire » en 2005 que ses valeurs en douane étaient erronées?

 

c.       Le retard dans l’examen des droits sur les importations de 2005 constitue-t-il un manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale?

 

 

ANALYSE

 

[16]           La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la conclusion de l’ASFC selon laquelle JCC avait des « motifs de croire », depuis 2005, que ses méthodes d’établissement de la valeur de ses produits importés étaient inexactes, et elle demande, conjointement ou subsidiairement l’annulation de cette décision, d’autres mesures de réparation.

 

[17]           Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que la Cour fédérale a compétence exclusive pour instruire toute demande de réparation, de la nature de celle qui est présentée par la demanderesse, à l’encontre de tout office fédéral. L’article 18.1 prévoit qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par quiconque est directement touché par l’objet de la demande. L’article 18. 5 limite la portée de ces deux dispositions. Il est libellé comme suit :

18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant […] la Cour d’appel fédérale […] d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.

(Non souligné dans l’original.)

 

[18]           S’agissant de la Loi sur les douanes, l’article 32.2 prescrit à l’importateur de corriger ses déclarations de l’origine et de la valeur en douane s’il « a des motifs de croire » qu’elles sont inexactes. Le paragraphe 32.2(3) prévoit que la correction de la déclaration faite en application de cet article est assimilée à la révision prévue à l’alinéa 59(1)a).

 

[19]           L’alinéa 59(1)a) de la Loi prévoit la révision de la valeur en douane par les agents de l’ASFC.

 

[20]           Lorsque la révision effectuée par l’agent est contestée, la Loi prévoit la révision par le président de l’ASFC (articles 60 et 61), la possibilité d’interjeter appel de la décision du président devant le TCCE (paragraphe 67(1)), et enfin la possibilité d’interjeter appel de la décision du TCCE sur une question de droit à la Cour d’appel fédérale (paragraphe 68). Trois clauses privatives protègent ce processus, soit les articles 62, 67(3) et 72.1.

 

[21]           Dans Abbott Laboratories, Limited and Abbot Laboratories International c. Canada (Ministre du Revenu national) 2004 CF 140 (Abbot Laboratories), le juge François Lemieux a statué ce qui suit : 

Je ne pense pas qu’en adoptant cette structure, le législateur aurait pu exprimer son intention plus clairement. Le législateur voulait que les intéressés utilisent les recours administratifs, quasi judiciaires et judiciaires à l’exclusion de toute autre voie de révision ou d’appel. Cette structure comprend des organismes, comme le commissaire et le TCCE, qui possèdent une expertise reconnue dans le domaine. En outre, c’est la Cour d’appel fédérale et non pas la Cour fédérale qui exerce un pouvoir de surveillance judiciaire sur le TCCE, conformément à l’alinéa 28(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale.

D’après moi, le législateur avait clairement l’intention d’écarter le contrôle judiciaire exercé par la Cour fédérale aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale et cette intention interdit également à notre Cour d’examiner la question de savoir si la voie de révision prévue par la Loi constitue un autre recours approprié.

 

Je suis d’accord avec le juge Lemieux.

 

[22]           Dans 1099065 Ontario Inc. (faisant affaire sous le nom de Outer Space Sports) c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1263, confirmé par 2008 CAF 47, la juge Anne Mactavish a également exprimé son accord avec la conclusion du juge Lemieux dans Abbot Laboratories, à savoir que le régime d’examen exhaustif prévu par la Loi a pour effet de priver la Cour fédérale de sa compétence, et elle a statué de manière similaire sur la demande dont elle était saisie.

 

[23]           La juge Mactavish a ensuite considéré la question subsidiaire de savoir si le régime de révision établi par la Loi prévoyait un autre recours approprié, de sorte que la Cour devrait refuser la demande de contrôle judiciaire. Elle a fait remarquer que le juge Lemieux avait conclu que la complexité du régime révision prévu par la Loi ne signifiait pas que celle‑ci ne prévoyait aucun autre recours approprié. Elle a signalé que le demandeur avait présenté une demande de révision en vertu de la Loi. En conséquence, elle a en outre refusé de statuer sur l’affaire pour le motif qu’un autre recours approprié existait. En appel, la Cour d’appel fédérale a confirmé les conclusions de la juge Mactavish sur les deux points.

 

[24]           Enfin, la Cour d’appel fédérale a analysé l’effet de l’article 32.2 de la Loi dans Fritz Marketing Inc. c. Canada (Fritz Marketing Inc.), 2009 CAF 62. La juge Karen Sharlow s’est d’abord penchée sur les mêmes dispositions législatives que celles qui sont pertinentes en l’espèce. Son analyse est exhaustive et mérite d’être répétée :

5Le paragraphe 58(1) de la Loi sur les douanes confère à l’Agence le pouvoir de déterminer la valeur en douane de marchandises importées. Cependant, si l’Agence ne fait pas cette détermination, au titre du paragraphe 58(2), la détermination est réputée avoir été faite selon les énonciations formulées dans la déclaration de l’importateur. Ainsi, en l’absence d’une détermination initiale par l’Agence de la valeur en douane de marchandises importées, la déclaration de l’importateur est traitée comme la détermination de l’Agence.

6En vertu du paragraphe 32.2(2) de la Loi sur les douanes, l’importateur qui a des motifs de croire que sa déclaration de la valeur en douane est inexacte doit effectuer une déclaration corrigée dans le délai prescrit et payer tout complément de droits payables, le cas échéant. Le paragraphe 32.2(3) dispose que, pour l’application de la Loi sur les douanes, une telle correction est assimilée à la révision par l’Agence prévue à l’alinéa 59(1)a) de la Loi sur les douanes. L’obligation d’effectuer des corrections prend fin après quatre ans (paragraphe 32.2(4) de la Loi sur les douanes).

7En vertu de l’alinéa 59(1)a) de la Loi sur les douanes, l’Agence peut procéder à une révision de la valeur en douane des marchandises importées, mais elle doit le faire dans les quatre années suivant la date de la détermination initiale. Des réexamens sont aussi permis par l’alinéa 59(1)b), à l’intérieur d’autres délais prescrits dans certains cas.

[…]

9L’importateur qui reçoit un relevé détaillé de rajustement peut demander au président de l’Agence de procéder à un réexamen en vertu de l’article 60. La demande doit être présentée dans le délai prescrit, lequel peut être prorogé par le président ou, dans certaines circonstances, par le Tribunal canadien du commerce extérieur (le TCCE) (articles 60.1 et 60.2). L’article 61 de la Loi sur les douanes confère au président de l’Agence le pouvoir de procéder à un réexamen, sous réserve de certaines conditions qui ne sont pas pertinentes pour le présent appel.

10En vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes, la décision du président à la suite d’une demande présentée en application de l’article 60 et la révision effectuée par le président au titre de l’article 60 ou de l’article 61 peuvent être portées en appel devant le TCCE. La décision du TCCE peut à son tour être portée en appel devant la Cour d’appel fédérale en vertu de l’article 68 de la Loi sur les douanes.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[25]           La juge Sharlow a examiné la question de la compétence de la Cour fédérale de rejeter des relevés détaillés de rajustement préparés par l’ASFC. La question avait été soulevée parce que, pour préparer ces relevés, l’ASFC s’était fondée sur des renseignements obtenus en contravention de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. La question a été formulée par les parties, et adoptée par la Cour fédérale, comme une contestation de la décision de l’ASFC de refuser d’annuler sur demande les relevés détaillés de rajustement.

 

[26]           La juge Sharlow a statué que la question en litige dans Fritz Marketing Inc. n’avait pas été bien formulée. Elle écrit au paragraphe 36 :

 

À mon avis, la question fondamentale en l’espèce est et devrait être l’admissibilité des éléments de preuve contestés dans l’instance devant le TCCE, qui est le tribunal investi du mandat de statuer sur la validité et le bien‑fondé des relevés détaillés de rajustement.

 

[27]           Tout en gardant à l’esprit la jurisprudence citée ci-dessus, je me pencherai maintenant sur la question dont j’ai été saisi.

 

[28]           La demanderesse a soumis la présente demande parce que l’ASFC a refusé d’annuler la lettre d’instruction qu’elle lui avait fait parvenir après la révision effectuée par un agent en vertu de l’article 59. À mon avis, la révision des valeurs en douanes effectuée par l’agent déclenche l’application de l’article 32.2.

 

[29]           La question soulevée dans la présente instance porte sur les avis divergents de l’ASFC et de la demanderesse quant à savoir s’il y a des « motifs de croire » que la demanderesse savait, en 2005, que les méthodes de calcul des valeurs en douane qu’elle utilisait étaient inexactes. Dans l’affirmative, elle devrait réviser ses valeurs en douane conformément à l’article 32.2 de la Loi. Ce sont alors l’alinéa 59(1)a) ainsi que les mécanismes de révision et d’appel prévus aux articles 59 à 68 qui s’appliquent. Cette question correspond à la description donnée par la Cour d’appel fédérale dans Fritz Marketing Inc.

 

[30]           Je suis d’avis que la présente affaire relève du président de l’ASFC et que, dans le cas où elle ne serait pas résolue, elle peut faire l’objet d’un appel au TCCE, qui est le tribunal spécialisé désigné par le législateur pour trancher ces questions. Seule la Cour d’appel fédérale est compétente pour statuer sur une demande de contrôle judiciaire d’une décision du TCCE conformément à l’alinéa 28(1)e) de la Loi sur les Cours fédérales. Comme le droit d’appel d’une décision du TCCE à la Cour d’appel fédérale existe, c’est l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales qui s’applique.

 

CONCLUSION

[31]           Je conclus que la Cour fédérale n’a pas compétence pour statuer sur la présente affaire. Subsidiairement, j’appliquerais la décision de la juge Mactavish dans Outer Space Sports et refuserais de statuer sur la demande de contrôle judiciaire parce que le mécanisme de révision établi par la Loi constitue un autre recours approprié.

 

[32]           Compte tenu de la conclusion qui précède, il n’est pas nécessaire que je me penche sur les autres questions.

 

[33]           Je rejette la demande de contrôle judiciaire.

 

[34]           Les dépens sont accordés au défendeur.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Les dépens sont accordés au défendeur.

 

 

                                                                                                « Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-524-09

 

 

INTITULÉ :                                                   JOCKEY CANADA COMPANY LIMITED et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 12 novembre 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                                           LE JUGE MANDAMIN         

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 13 avril 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard A. Wagner

Ian Clarke

 

POUR LA DEMANDERESSE

John Syme

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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