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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100414

Dossier : IMM-240-09

Référence : 2010 CF 403

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

ENTRE :

JOSE VALLE LOPES

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) à l’encontre d’une décision d’interdiction de territoire et d’une mesure d’expulsion prononcées par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 30 décembre 2008. La Commission a conclu que le demandeur était une personne visée par l’alinéa 35(1)a) de la Loi et se trouvait donc interdit de territoire au Canada.

 

[2]               Le demandeur demande de surseoir à l’interdiction de territoire ou, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire à la Section de l’immigration pour qu’elle se prononce de nouveau.

 

Aperçu de l’affaire dont est saisie la Commission

 

[3]               La présente affaire concerne des événements qui se sont produits principalement au Honduras au début des années 1980. La nature exacte de ces événements et le degré de participation ou de complicité du demandeur dans ceux‑ci ont donné lieu à des différends devant la Commission.

 

[4]               On sait cependant que le demandeur est un citoyen du Honduras. Il est entré dans les forces armées en 1973 à l’âge de 15 ans et y est demeuré jusqu’en 1984. Il a quitté le Honduras en 1985, est entré au Canada avec un permis du ministre et il y réside depuis.

 

[5]               Le représentant du ministre a déposé le certificat auprès de la Section de l’immigration le 24 février 2003 pour qu’il soit décidé si le demandeur était interdit de territoire au Canada au motif qu’il était une personne visée par l’alinéa 35(1)a) de la Loi. Le dépôt du certificat était fondé sur le rapport d’un agent (le rapport prévu à l’article 44), qui alléguait qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait commis des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24.

 

[6]               Le rapport prévu à l’article 44 affirmait que le demandeur avait publiquement reconnu s’être joint volontairement à la Direction nationale des enquêtes spéciales du Honduras (le DIN, Directorio de Investigacion Nacional, aussi connu comme le bataillon 3‑16) de 1980 à 1984 et, au cours de cette période, avoir participé à des enlèvements et à des actes de torture contre la population civile. L’une des principales pièces mises en preuve était la transcription anglaise d’une émission de télévision de la CBC intitulée « Man Alive », diffusée le 19 janvier 1988 sous le titre « Story of a Torturer », qui mettait en vedette le demandeur.

 

Le contexte

 

[7]               Au début de la décennie 1980, l’armée du Honduras a connu divers changements. Ces changements étaient attribuables en partie à l’aide et au soutien que le gouvernement hondurien recevait des États‑Unis pour lutter contre la menace du communisme et de la gauche dans la région. Selon les U.S. Country Studies de la Bibliothèque du Congrès américain, au début des années 1980, la force de sécurité publique du Honduras ( la FUSEP, Fuerza de Seguridad Publica) était une branche des forces armées dotée d’une structure organisationnelle complexe et de sa propre unité d’enquête, le DIN ou le bataillon 3‑16. Selon un ancien membre, l’unité était dirigée en 1982 par le major Alexander Hernandez et elle se composait de quatre sections : Personnel, Renseignement et contre‑espionnage, Opérations et analyse, Approvisionnements. La section des Opérations comprenait un groupe chargé des enlèvements et une section d’interrogatoire.

 

[8]               Le demandeur reconnaît être entré dans l’unité G‑2 du renseignement militaire au sein des forces armées vers la fin de la décennie 1970 et avoir participé à la collecte et à la confirmation du renseignement. Au cours de l’enquête, il a témoigné n’avoir jamais fait partie du bataillon 3‑16 et n’avoir jamais été au courant des activités des unités autres que la sienne. Il prétend qu’au G‑2 son travail se limitait à la collecte du renseignement.

 

[9]               Le ministre défendeur allègue que le demandeur est entré volontairement au bataillon 3‑16 ou dans l’unité qui l’avait précédé. Le bataillon 3‑16 était fondamentalement un escadron de la mort qui torturait et tuait des civils. Selon le témoignage d’anciens membres du bataillon 3‑16, plusieurs membres ont été envoyés aux États‑Unis pour être formés par la C.I.A. aux techniques d’interrogatoire. Ils ont témoigné que la C.I.A. désapprouvait le recours à la torture, mais que le général Alvarez, qui dirigeait le DIN ou le bataillon 3‑16 et fut plus tard chef d’état‑major des Forces armées, n’était pas d’accord et encourageait l’usage de la torture.

 

[10]           Le bataillon 3‑16 fonctionnait de la manière suivante. Le major Hernandez donnait les ordres d’enquêter sur les gens, de les surveiller et de les suivre. Une fois l’enquête terminée, les résultats étaient communiqués par téléphone au major Hernandez. Si le sujet travaillait pour un groupe gauchiste ou faisait le trafic d’armes, le major Hernandez autorisait la section des enlèvements à intervenir. Après son enlèvement, la victime était livrée au groupe chargé de l’interrogatoire, qui appliquait notamment les techniques des chocs électriques, de la cagoule de caoutchouc, de l’eau froide, de la quasi‑noyade et de la privation de nourriture. Les membres formés par la C.I.A. aux méthodes psychologiques d’interrogatoire avaient reçu du général Alvarez des instructions d’utiliser exclusivement ces méthodes et de laisser à d’autres les actes de torture. Le major Hernandez relâchait rarement quelqu’un après un interrogatoire, mais il discutait parfois des cas avec ses supérieurs, comme le général Alvarez. La victime était généralement livrée aux mains de l’équipe des exécutions, constituée de prisonniers du pénitencier central qui purgeaient de longues peines et étaient forcés à travailler avec le bataillon 3‑16.

 

[11]           Le général Alvarez a été démis de ses fonctions en 1984 et il a fui le pays. Un ancien membre du bataillon 3‑16 a témoigné que le major Hernandez avait quitté le pays au même moment et qu’après leur départ, les actes d’enlèvement ont notablement diminué. Avant leur départ, il y avait deux ou trois opérations par jour. Divers rapports indiquent que l’unité a joué un rôle dans la disparition de 100 à 150 personnes entre 1981 et 1984. Il a aussi été établi que le bataillon 3‑16 souvent faisait peu de cas des juges civils qui cherchaient à faire exécuter des ordonnances d’habeas corpus visant les personnes disparues, ou les ridiculisaient.

 

Le rapport prévu à l’article 44

 

[12]           Le rapport comportait des éléments de preuve établissant que le demandeur avait d’abord travaillé à la surveillance puis avait été muté à l’unité des enlèvements du bataillon 3‑16. Dans « Story of a Torturer », les propos du demandeur sont interprétés comme suit :

Nous suivions des cours sur la surveillance […] Nous allions en ville nous exercer, pour faire subir de véritables interrogatoires, pour commettre de véritables actes de torture […] J’ai demandé une mutation à maintes reprises. Mes demandes étaient toujours refusées. Nous nous faisions dire que, une fois dans les forces opérationnelles, il n’y avait pas de porte de sortie. Nous en savions trop.

 

 

[13]           La transcription contient également un extrait où le demandeur exprime ses inquiétudes au sujet du travail qu’effectuait l’unité, mais il dit que leur formation les avait préparés psychologiquement et leur avait fait un lavage de cerveau, les transformant en machines sans sentiments, incapables de ressentir de la peine ou de la pitié. Ils pouvaient parfois regarder quelqu’un se faire torturer et en rire. Ses propos sont interprétés de la manière suivante : « Les personnes capturées par [l’unité] n’en ressortaient jamais vivantes. » Il affirme que même des enfants ont été victimes de l’unité. Il parle aussi de son départ, affirmant qu’il avait eu peur d’être tué par son propre escadron et qu’il s’était enfui au Mexique avec l’aide d’une organisation des droits de la personne. Les propos de l’intimé tenus après coup sont interprétés de la manière suivante :

[traduction] Je n’ai jamais nié avoir fait partie de l’armée et avoir été un tortionnaire. C’est ce que j’étais. J’aurais pu arriver dans ce pays et mentir, affirmer que j’étais communiste. Ça aurait été plus facile.

 

Il a aussi indiqué que, s’il avait su dès le début à quoi il participerait, il ne serait jamais entré dans l’armée.

 

[14]           Les autres éléments de preuve importants impliquant le demandeur étaient un article du Baltimore Sun, en date du 13 juin 1995, et un article du Toronto Life daté de mars 1989. L’article du Baltimore Sun concernait spécifiquement le demandeur, qui y expose ses techniques de torture préférées et ses relations au travail avec le major Hernandez. L’article du Toronto Life, intitulé « The Torturer’s Tale » et signé Keith Atkinson, confirmait son travail au sein du bataillon 3‑16 et traitait des ordres reçus du général Alvarez de torturer ou de tuer des enfants sous les yeux de leurs parents. L’article abordait aussi l’impossibilité dans laquelle il se trouvait de quitter l’unité sans être tué. Dans l’article, il témoignait aussi de quelle manière il avait aidé une personne à s’enfuir, était alors devenu lui‑même la cible du bataillon 3‑16 et s’était ensuite échappé.

 

La demande relative à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée

 

[15]           L’enquête a été ajournée le 26 janvier 2005 pour permettre à la Commission d’examiner une requête de l’avocat demandant l’annulation de l’enquête ou, à titre subsidiaire, son ajournement jusqu’à une décision du gouvernement canadien sur la communication de documents pertinents. Le demandeur a fait valoir que la question qu’il soit interdit de territoire aux termes de l’alinéa 35(1)a) devrait être déclarée chose jugée, puisque les autorités canadiennes étaient entièrement au courant de tous les faits liés aux crimes contre l’humanité qu’il avait commis, mais l’avaient tout de même admis en tant que réfugié au sens de la Convention. Pour établir plus fermement ce point, le demandeur cherchait à obtenir du gouvernement canadien la communication des documents pertinents que celui‑ci avait en sa possession au sujet de son entrée au Canada en 1985.

 

[16]           Le 26 janvier 2005, le demandeur, questionné par son avocat, a présenté le témoignage suivant sous serment. Il a été interrogé pendant trois jours à l’ambassade du Canada au Mexique, en avril 1985. Quand son avocat lui a demandé s’il se souvenait de l’émission Man Alive, il a répondu en affirmant ce qui suit : [traduction] « Oui. Je m’en souviens parce que tout ce que j’ai dit à cette émission était identique à ma déclaration à l’ambassade, au Mexique. » Prié d’indiquer si quelque chose qui avait été dit à l’entrevue pour Man Alive n’avait pas été dit aux représentants du gouvernement canadien à l’ambassade en 1985, il a répondu : [traduction] « Tout ce que j’ai dit à l’ambassade, au Mexique, a été répété à l’émission Man Alive. »

 

[17]           La Commission a rejeté la requête du demandeur, au motif que le permis du ministre de 1985 n’avait pas valeur de décision finale d’un tribunal compétent. La Commission ne se prononcerait pas sur le fait de savoir si les renseignements auxquels avait eu recours le ministre étaient identiques à ceux qu’il avait en 1985.

 

La demande présentée aux termes de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada

 

[18]           Malgré le refus de la Commission d’accueillir la requête fondée sur la chose jugée, le demandeur a continué de chercher à obtenir du gouvernement canadien que celui‑ci reconnaisse que c’était en toute connaissance de cause qu’il avait accordé à l’époque un permis du ministre au demandeur.

 

[19]           Le demandeur a avisé le procureur général, par une lettre datée du 26 mai 2005, qu’en vertu du paragraphe 38.01(1) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑5, il avait l’intention de divulguer, à l’enquête, des renseignements sensibles correspondant à ceux qui sont décrits à ce paragraphe de la Loi. La lettre mentionnait 13 points sensibles du témoignage, notamment : la manière dont le demandeur avait été formé pour commettre des crimes contre l’humanité, la participation d’organismes des États‑Unis, le matériel de formation (dont le guide de la torture de la C.I.A.), la manière dont le demandeur s’y était pris pour venir au Canada, des éléments de preuve attestant que le gouvernement canadien était au courant que le demandeur avait commis des crimes contre l’humanité et le compte rendu du demandeur à l’ambassade du Canada.

 

[20]           Le 13 octobre 2005, Gerard Norman, avocat général du Groupe de la sécurité nationale de Justice Canada, a répondu par une lettre autorisant la divulgation de tous les renseignements mentionnés dans l’avis du demandeur, mais limitant cette autorisation aux éléments mentionnés sur la liste, étant donné que [traduction] « … le procureur général ne peut prendre de décision en ce qui concerne la divulgation de renseignements qu’il ne connaît pas ».

 

[21]           Le demandeur a répondu que les documents étaient sous la garde du gouvernement et non de la sienne. Selon la position du demandeur, la divulgation des documents portait atteinte à la sécurité nationale et il a demandé à la Cour fédérale de déclarer que le gouvernement avait l’obligation légale en vertu de l’alinéa 38.04(2)a) de la Loi sur la preuve au Canada d’intenter une action.

 

[22]           Dans la décision Lopes c. Canada (Procureur général), 2006 CF 347, [2006] A.C.F. n° 436, le juge en chef Lutfy a rejeté la demande. Le motif principal était que le procureur général avait donné son consentement à la divulgation de tous les renseignements exposés dans l’avis donné selon l’article 38.01. Le juge en chef a indiqué que la demande n’était clairement pas l’usage visé de l’alinéa 38.04(2)a) et il a commencé ses motifs en déclarant que la demande était « … manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie ». La Cour d’appel fédérale a confirmé cette décision dans l’arrêt Lopez c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 109, [2007] A.C.F. n° 401.

 

La reprise de l’enquête en 2008

 

[23]           Contrairement à ce que le demandeur a déclaré au procureur général au début de son témoignage à la reprise de l’enquête en 2008, il a nié avoir déjà fait partie du bataillon 3‑16 et avoir eu personnellement connaissance des atrocités ou des crimes contre l’humanité commis par le bataillon au‑delà ce que qui était de notoriété publique.

 

[24]           En 2008, l’enquête s’est déroulée en cinq jours, entre le 31 mars et le 21 mai. Le premier jour, le demandeur a témoigné longuement au sujet des événements en question. Il a témoigné qu’il était entré dans l’armée hondurienne en 1973, mais qu’il avait été formé aux États‑Unis et au Panama pour travailler dans une unité de lutte contre les stupéfiants qui faisait partie de la guerre contre les stupéfiants. Il a affirmé avoir fait partie de l’unité du renseignement militaire G‑2 et a mentionné qu’il avait demandé une mutation à quelques reprises, mais que cela lui avait été refusé. Des officiers supérieurs lui ont dit que le seul moyen de partir était la mort. Il a enfin été muté, le 20 décembre 1984, peu de temps avant d’être détenu par la police ou les forces armées, le 24 décembre. Selon l’intimé, s’il a été arrêté, c’est parce qu’il avait demandé de quitter l’unité de lutte contre les stupéfiants, ce qui a été interprété comme un risque de trahison. Il a été conduit jusqu’à une exploitation de canne à sucre et a été forcé d’ingérer un insecticide. Puis, on l’a escorté jusqu’au poste de police, où on l’a remis à des policiers en uniforme en disant qu’on l’avait trouvé ivre. Quand la police est allée enquêter sur des coups de fusil entendus tout près, il a pu s’échapper. Il s’est rendu à Tegucigalpa, à environ quatre heures de là, où un médecin l’a traité. Un ami l’a ensuite accompagné à une maison d’hébergement. De là, avec l’aide de la Commission des droits de la personne hondurienne, il a pu trouver asile à l’ambassade du Mexique et obtenir un sauf‑conduit pour se rendre au Mexique.

 

[25]           Le deuxième jour d’enquête, il a dit avoir suivi le cours sur le renseignement militaire par suite d’une ruse, puisqu’on lui avait dit que le cours portait sur la réforme agraire. Il a également témoigné que le chef de la section G‑2 était le capitaine Alexander Hernandez et qu’il avait travaillé au quartier général du G‑2, à Tegucigalpa, jusqu’à ce qu’il soit muté en 1984.

 

[26]           Le troisième jour d’enquête, il a témoigné au sujet de missions précises qu’il a exécutées. Il a témoigné que toutes ces missions visaient à recueillir de l’information, parfois sur les personnes d’idéologie communiste, mais qu’il n’a participé à aucune arrestation, parce que c’était toujours la tâche du groupe des opérations.

 

[27]           Le quatrième jour d’enquête, il a témoigné que, pendant son affectation à la SANA, l’agence nationale responsable de l’eau, il s’était lié d’amitié en février 1984 avec le président du syndicat. Par la suite, le président du syndicat ayant été enlevé, il a dit à des membres de sa famille où celui-ci était détenu, par qui, et qu’ils devaient se rendre au tribunal pour demander l’habeas corpus. Le président du syndicat a été mis en liberté, mais a été enlevé une deuxième fois. En novembre 1984, le demandeur a demandé à son chef de groupe une mutation à l’extérieur du G‑2. Pour se protéger, il a emporté certains documents et les a cachés chez un agriculteur des environs. Son chef de groupe soupçonnait que des documents avaient disparu et a fait saccager la maison de l’intimé. Pendant la dernière semaine de novembre, le demandeur a obtenu sa mutation. Après son arrivée au Canada, des représentants du Canada ont pu récupérer les documents qu’il avait cachés.

 

[28]           Il a affirmé avoir voulu quitter le G‑2 parce qu’il n’approuvait pas ce qui se faisait. Même s’il ne faisait que recueillir de l’information, il a été surpris de voir que certaines personnes qu’il avait rencontrées en entrevue étaient détenues. Il ne savait pas ce que faisaient les autres sections. Elles lui cachaient de l’information tout en l’utilisant comme source de renseignements donnant lieu à des arrestations.

 

[29]           Il a décrit les circonstances entourant la tentative d’arrestation dont il a fait l’objet dans les termes suivants. Peu de temps après sa mutation, il se trouvait dans la maison de sa mère quand un policier est venu à la porte. Après qu’il a refusé de le suivre, sept autres agents sont arrivés, l’ont escorté jusqu’à un champ de canne à sucre et l’ont forcé à boire un pesticide, pour que son décès ait l’air d’un suicide. Il a dit qu’après s’être enfui du poste de police, ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, il a pris un taxi jusqu’à un hôpital de la ville, en donnant sa montre au chauffeur en guise de paiement. Le médecin lui a dit que quatre agents en uniforme le cherchaient, il est donc parti. Il s’est rendu chez un parent, a emprunté de l’argent et a pris un autobus pour Tegucigalpa.

 

La décision de la Commission

 

[30]           À la page 34 de sa décision, la Commission a repris l’historique des événements et des témoignages exposé ci‑dessus de manière beaucoup plus détaillée.

 

[31]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas toujours été sincère. En effet, le 26 janvier 2005, l’intimé avait témoigné sous serment et déclaré que tout ce qui avait été dit à l’émission Man Alive avait été dit aux autorités canadiennes. Ces déclarations constituaient un aveu de participation à des enlèvements, à des disparitions forcées de personnes, à des emprisonnements sans contrôle judiciaire, à des actes de torture, à des actes inhumains et à des meurtres. Cette version des événements a été utilisée à l’appui d’une demande fondée sur la chose jugée et d’une demande adressée à la présente Cour en vertu de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada. À l’enquête de 2008, le demandeur a nié avoir fait des aveux incriminants dans les entrevues qu’il a données aux médias. Il a attribué à une mauvaise traduction les déclarations incriminantes dans la presse et à l’émission de télévision. La Commission n’a pas considéré cette explication comme crédible, compte tenu que le demandeur a confirmé librement et volontairement ces déclarations au procureur général, à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale. Sa rétractation ultérieure s’explique probablement par une retraite tactique découlant de son incapacité de faire conclure l’enquête.

 

[32]           La Commission n’a pas jugé vraisemblable que des entrevues indépendantes, données à trois médias distincts à trois époques différentes et contenant essentiellement les mêmes propos, soient toutes inexactes dans leur essence en raison de la mauvaise interprétation. Si le demandeur était préoccupé par la teneur des reportages médiatiques, il ne s’en est pas plaint en temps opportun. Ensuite, il a tenté de présenter des demandes juridiques pour mettre fin à l’enquête en prétendant que les articles médiatiques présentaient les événements de manière exacte. La Commission a conclu qu’il fallait accorder davantage de poids aux aveux antérieurs du demandeur qu’à ses rétractations ultérieures.

 

[33]           La Commission a noté d’autres incohérences dans le témoignage du demandeur en 2008. La Commission a noté qu’à un moment il a dit qu’il travaillait pour une unité de lutte contre les stupéfiants au sein du G‑2 alors qu’à un autre moment il a indiqué qu’il travaillait dans le domaine de la confirmation du renseignement au sein du G‑2. Il a nié avoir travaillé pour le bataillon 3‑16, mais il a avoué avoir servi dans le DIN après avoir été muté au G‑2. Selon le témoignage d’anciens membres, le bataillon 3‑16 avait porté des noms différents dans le temps. La Commission a conclu à la page 29 :

La description de la chaîne de commandement et des tâches [du demandeur], ainsi que l’aveu de son travail pour le renseignement militaire G‑2 au sein de la Direction des enquêtes spéciales dirigée par le major Hernandez, sont conformes à la preuve documentaire présentée, qui indique que cette unité a pris le nom de bataillon 3‑16 entre 1982 et 1984. [Le demandeur] a probablement fait partie de la Direction des enquêtes spéciales G‑2 de 1977 à 1984.

 

 

[34]           La Commission a également tiré la conclusion factuelle que l’unité recevait des États‑Unis des instructions sur les techniques d’interrogatoire, mais que les personnes qui employaient des méthodes psychologiques travaillaient séparément de celles qui employaient la torture. Une unité distincte s’occupait des exécutions et de 100 à 150 personnes ont été tuées.

 

[35]            La Commission a ensuite cité un extrait de la décision Velasquez Rodriguez, 29 juillet 1988, Inter-Am.Ct.H.R. (Ser. C) No. 4 (1988), où le juge de la Cour interaméricaine des droits de l’homme a écrit :

[traduction] Le témoignage et les éléments de preuve documentaire, appuyés par des coupures de presse présentées par la Commission, montrent ce qui suit : a) de 1981 à 1984, il existait au Honduras une pratique systématique et sélective de disparitions qui était appuyée ou tolérée par le gouvernement; […] c) durant la période où ces actes ont eu lieu, les recours judiciaires disponibles au Honduras n’étaient pas appropriés ni efficaces pour garantir ses droits à la vie, à la liberté et à l’intégrité personnelle.

 

[…]

 

Ces disparitions se ressemblaient toutes. Des hommes armés en vêtements civils et portant des déguisements enlevaient les victimes de force, souvent en plein jour et dans des endroits publics. Les ravisseurs semblaient agir en toute impunité et conduisaient des véhicules sans désignation officielle, avec des vitres teintées et de fausses plaques d’immatriculation, voire aucune.

 

 

[36]           La Commission a aussi cité un rapport de Human Rights Watch intitulé Honduras:  The Facts Speak for Themselves et un article du Centre pour la politique internationale qui donne des renseignements sur les disparitions systématiques et sur l’implication du bataillon 3‑16.

 

[37]            La Commission a conclu que la preuve documentaire établit que l’unité G‑2 pour laquelle le demandeur travaillait se spécialisait dans le repérage, l’interrogatoire et l’élimination de personnes et que le seul fait que le demandeur soit membre de cette unité était suffisant pour justifier la prétention du ministre.

Les opérations étaient réalisées de manière organisée et systématique et visaient des fins limitées et brutales, qui étaient probablement connues de tous ses membres. Le témoignage [du demandeur], selon lequel il enquêtait sur des personnes sans savoir ce que les autres sections faisaient n’est pas crédible […] Je suis convaincu que son travail avoué en tant qu’enquêteur est suffisant pour qu’il soit considéré comme un membre d’une organisation qui visait des fins limitées et brutales et qui commettait des crimes contre l’humanité même s’il n’a jamais personnellement participé à des enlèvements et à des actes de torture.

 

 

[38]           La Commission a conclu que le demandeur était membre du bataillon 3‑16 et des unités d’enquêtes spéciales G‑2 qui l’ont précédé.

 

[39]           La Commission a ensuite jugé que, même si le bataillon 3‑16 n’était pas une organisation ayant des fins limitées et brutales, le demandeur était néanmoins complice de crimes contre l’humanité. La Commission a mentionné les années de service et le grade qu’il avait dans l’organisation ainsi que le fait qu’il ne l’ait pas quittée comme facteurs indiquant sa complicité dans les crimes de l’unité. Par conséquent, même si les témoignages qu’il a offerts aux médias n’étaient pas vrais, son travail de confirmation du renseignement pour le G‑2 suffit à établir sa complicité coupable. En outre, la Commission a conclu qu’il est probable que le demandeur a commis des crimes contre l’humanité.

 

[40]           S’agissant du moyen de défense fondé sur la contrainte, la Commission a reconnu que le demandeur aurait été tué s’il avait tenté de partir sans permission. Toutefois, le mal qui le menaçait n’était pas, tout compte fait, supérieur au mal infligé aux victimes. Quand le demandeur a été exposé à un danger réel, il a trouvé refuge à l’ambassade du Mexique. La Commission a aussi noté que les circonstances entourant sa défection n’étaient pas claires, en raison de ses versions contradictoires des événements. Quoi qu’il en soit, le risque de la mort du demandeur ne justifiait pas le moyen de défense fondé sur la contrainte, compte tenu du mal plus grand infligé à un certain nombre de personnes.

 

Les questions en litige

 

[41]           Les questions soulevées sont les suivantes.

            1.         Les allégations de faits reliées à l’alinéa 35(1)a) auraient-elles dû être écartées parce qu’elles étaient chose jugée ou par application de la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée?

            2.         La procédure fondée sur l’alinéa 35(1)a) était‑elle un abus de procédure?

            3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en appliquant rétroactivement l’alinéa 35(1)a)?

            4.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur était complice de crimes contre l’humanité et en rejetant le moyen de défense fondé sur la contrainte?

            5.         La Cour devrait‑elle statuer qu’il y a eu inéquité procédurale en raison du comportement de l’avocat du demandeur?

 

Les observations écrites du demandeur

 

[42]           S’agissant de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, la Commission devait examiner si la même question avait été décidée, si la décision était finale et si les parties étaient les mêmes (voir l’arrêt Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 482, [2003] A.C.F. n° 1931). Au lieu de quoi la Commission a simplement jugé que le permis du ministre n’était pas une décision finale.

 

[43]           L’article 34 de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, dispose notamment : « Les décisions rendues en application de la présente loi n’ont pas pour effet d’interdire la tenue d’une autre enquête par suite d’un autre rapport […] ». L’arrêt Yamani, précité, a statué que cette disposition l’emporte sur la doctrine de la chose jugée existant en common law. La Commission devait examiner si la Loi, bien qu’elle ne contienne pas de disposition similaire, comporte la même signification. En l’espèce, le commissaire qui a statué sur la question de la chose jugée n’a pas appliqué de façon adéquate l’arrêt Yamani, précité, au cas du demandeur. L’application correcte de l’arrêt conduirait à la conclusion que la question de l’implication du demandeur dans des crimes contre les droits humains ne pouvait être débattue à nouveau.

 

[44]           Le demandeur fait valoir que le permis du ministre en 1985 a été délivré par une autorité gouvernementale compétente et a été renouvelé en 1986. Par la suite, on lui a accordé le statut de résident permanent. Dans ces conditions, il aurait fallu considérer la décision comme une « décision finale ». Elle était finale au sens que les parties avaient convenu de la mesure.

 

[45]           Dans la jurisprudence de la Cour, il n’a pas été conclu à la chose jugée dans les cas où la première procédure était viciée, par exemple parce qu’elle n’avait pas abouti à une conclusion, ou lorsque la deuxième procédure reposait sur un ensemble de faits différents. Ce n’était pas le cas en l’espèce. De plus, les justifications de politique notées par le défendeur sur la question ne tiennent pas compte d’une autre considération importante, précisément la question de l’équité consistant à empêcher [traduction] « qu’un individu soit poursuivi une deuxième fois au regard d’une même affaire », particulièrement sur des questions que les parties avaient eu la possibilité de soulever.

 

[46]           Même si sa demande fondée sur la chose jugée n’est pas accueillie, le demandeur soutient que la présente enquête était inéquitable et devrait être considérée comme un abus de procédure. Les juges devraient exercer leur pouvoir discrétionnaire d’ordonner une suspension d’instance dans le cas où le processus décisionnel étatique est oppressif et inéquitable (voir l’arrêt Connelly c. D.P.P., [1964] A.C. 1254, à la page 1354).

 

[47]           Le demandeur fait valoir que dans l’examen de l’abus de procédure, la question qui se pose est de savoir si la procédure irait à l’encontre des principes qui sous‑tendent le sens du franc‑jeu qu’a la société (voir l’arrêt R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128, au paragraphe 25). La doctrine de l’abus de procédure engage le pouvoir inhérent du tribunal d’empêcher que ses procédures soient utilisées abusivement, d’une manière qui serait manifestement injuste envers une partie au litige, ou qui aurait pour effet de discréditer l’administration de la justice (voir l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77, [2003] A.C.S. n° 64 (QL) au paragraphe 37). Dans l’arrêt S.C.F.P., la Cour a également dit que les tribunaux canadiens ont appliqué la doctrine de l’abus de procédure dans des circonstances où les exigences strictes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’étaient pas remplies.

 

[48]           Le demandeur soutient que l’abus de procédure peut être établi dans les cas suivants : i) la procédure est vexatoire et ii) violerait les principes qui sous‑tendent le sens du franc-jeu de la société (voir l’arrêt Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307, 23 Admin. L.R. (3d) 175). Les deux critères doivent être appliqués de façon cumulative (voir la décision Charkaoui (Re), [2006] 3 R.C.F. 325, [2005] AC.F. n° 2038 (QL) au paragraphe 75). En l’espèce, le demandeur a été reconnu comme réfugié par le Haut‑commissariat des Nations unies pour les réfugiés et il a obtenu le permis du ministre. Non seulement son histoire était‑elle connue, mais il avait été utilisé comme informateur par les autorités canadiennes pendant un certain nombre d’années. Une lettre de l’ambassadeur du Canada au Honduras confirme la haute considération dans laquelle on tenait son témoignage. Le demandeur n’a jamais été considéré comme une menace. Des procédures ont ensuite été intentées contre lui 18 ans plus tard, 16 ans après l’émission de la CBC et 15 ans après l’adoption du projet de loi C‑71 qui créait la première version de la disposition sur le renvoi qui s’applique actuellement. Ce retard est aggravé par le fait que le demandeur a été incapable d’obtenir les notes d’entrevue de ses conversations avec les représentants du Canada.

 

[49]           L’abus de procédure appelle un examen plus complexe que ne le laisse entendre le défendeur. La doctrine de l’abus de procédure de la common law a été subsumée sous les principes de la Charte (voir l’arrêt Yamani, précité, au paragraphe 24). Les tribunaux doivent donc apprécier l’intégrité psychologique de la personne, mais même si les circonstances n’équivalent pas à une violation de la Charte, il faut néanmoins considérer la sanction administrative de l’abus de procédure (voir l’arrêt Blencoe, précité, au paragraphe 55).

 

[50]           Le demandeur soutient que lorsqu’on examine si un retard est excessif au point de constituer un abus de procédure ou s’il est oppressif, l’un des facteurs est de savoir si la personne visée avait continué de penser que ses problèmes étaient réglés (voir l’arrêt Ratzlaff c. British Columbia (Medical Services Commission), [1996] B.C.J. No. 36, 17 B.C.L.R. (3d) 336). Dans l’arrêt Yamani, la Cour a également noté que le choix du ministre au sujet du litige, le temps qui s’est écoulé et la gravité des allégations devaient être pris en compte (paragraphes 26 à 39). Le demandeur fait valoir que les erreurs dans l’émission de la CBC et son incapacité d’obtenir des documents du gouvernement lui ont causé un préjudice. Le demandeur subit un préjudice du fait de l’absence totale de diligence qui a empêché d’instruire l’affaire dans les meilleurs délais. Son dossier semble être passé entre les mailles du filet depuis un certain nombre d’années. L’article 33 de la Loi autorise que les enquêtes relatives à l’interdiction de territoire prennent en considération des événements du passé, mais rien ne dit que l’enquête peut être menée sans égard au temps depuis lequel les fonctionnaires sont au courant de l’affaire. Même si le délai de 16 ans n’entraîne pas à lui seul l’invalidité de la décision sur l’interdiction de territoire, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une considération pertinente que la Commission n’a pas prise en compte.

 

[51]           Le demandeur fait aussi valoir l’existence d’une présomption à l’encontre de l’application rétroactive des lois et il souligne que l’alinéa 35(1)a) n’existait pas au moment de son arrivée au Canada. Il existe maintenant une approche plus téléologique et plus contextuelle à l’égard de la proscription de la rétroactivité (voir l’arrêt Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301, [1989] A.C.S. n° 15 (QL), aux paragraphes 47 et 48). L’abrogation d’une loi ou d’un article n’a pas pour conséquence de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé (Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, article 43). Il est clair que le demandeur avait un droit acquis de demeurer au Canada en qualité de résident permanent. On ne peut s’appuyer sur la formulation actuelle de l’article 35 pour justifier le renvoi du demandeur du Canada en raison d’un comportement passé préexistant aux modifications, dit le demandeur. L’article 35 emploie le présent, « commettre » une infraction. Aucune disposition particulière ne permet la rétroactivité de l’article.

 

[52]           Contrairement aux observations présentées par le défendeur, le demandeur soutient que le fait que l’article 33 de la Loi inclue des événements passés confirme simplement la présomption de non‑rétroactivité. De plus, l’article 190 n’établit pas clairement que les articles 34 à 37 devraient avoir une application rétroactive. Enfin, le ministre ne peut soutenir que les dispositions doivent avoir une application rétroactive pour assurer la sécurité publique alors que le demandeur n’a jamais été considéré comme un danger et qu’il a en fait été considéré comme une aide pour les représentants du Canada.

 

[53]           Le demandeur a témoigné que sa participation se limitait à la surveillance. La Commission a jugé que, même si cela était vrai, « il était probablement au courant de la nature, de l’objectif et des opérations de l’unité » et que « son seul travail en tant qu’enquêteur le rend complice […] ».

 

[54]           Le demandeur fait valoir que si l’appartenance peut entraîner une conclusion de complicité, la mens rea demeure un élément essentiel du crime. La conclusion à l’existence d’un dessein commun poursuivi par l’auteur et son complice est tout aussi importante (voir l’arrêt Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298, [1993] A.C.F. n° 912 (C.A.) (QL) au paragraphe 51). Le fait qu’une personne ait la mens rea de la complicité du seul fait de son appartenance n’est qu’un point de départ factuel qui peut être réfuté (voir l’arrêt Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636).

 

[55]           Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur en n’analysant pas la complicité en relation avec l’élément mental de la connaissance et de la participation intentionnelle. La Commission a conclu que le demandeur « détenait un grade » malgré la preuve établissant qu’il était au bas de la hiérarchie et ne participait pas au processus décisionnel. De la même manière, la Commission a conclu qu’il « savait probablement ce qui se passait dans l’unité » en dépit d’une preuve insuffisante. Le demandeur dit qu’il travaillait en réalité pour une sous‑unité indépendante (le G‑2) et qu’il ne peut être évalué que par rapport à cette unité particulière.

 

[56]           Le demandeur soutient que la Commission a également commis une erreur dans son analyse de la contrainte. La Commission s’est trompée en concluant que la mort possible du demandeur n’était pas l’équivalent du mal infligé par les membres de l’armée hondurienne. La Commission n’a pas tenu compte du témoignage du demandeur sur sa crainte de quitter l’unité quand elle a conclu que la menace à sa vie n’était pas imminente, puisqu’elle dépendait de son comportement futur, qui lui a donné également l’occasion de partir.

 

[57]           Enfin, le demandeur fait valoir qu’il a subi un préjudice du fait de l’incompétence de son avocat antérieur, dont la stratégie a été source d’inéquité procédurale. Cela a nui aux résultats de l’enquête. Les actions de l’avocat n’étaient pas dans les limites d’une assistance professionnelle raisonnable. Malgré le caractère nouveau et complexe de l’instance, l’avocat n’a pas présenté d’observations écrites à la fin de l’enquête. Par conséquent, la cause du demandeur a été gravement mise en péril. L’avocat n’a pas non plus présenté d’observations orales alors que le ministre l’a fait. Le demandeur a par la suite déposé une plainte auprès du Barreau.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[58]           Le défendeur soutient que la question dont était saisie la Commission n’était pas la chose jugée, ni la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ni encore l’abus de procédure. Le motif d’interdiction du territoire prévu à l’alinéa 35(1)a) n’existant pas en 1985, il n’était pas possible d’en demander l’évaluation à l’époque. En outre, la chose jugée ne s’applique qu’aux décisions judiciaires. La décision antérieure d’accorder au demandeur l’entrée au Canada ne fait pas jouer l’application de cette doctrine. La politique qui sous‑tend la doctrine de la chose jugée ne s’applique pas non plus, car il n’y a pas de besoin de faire l’économie des ressources judiciaires. L’enquête menée par la Section de l’immigration a été la première et la seule sur la question.

 

[59]           Le défendeur fait valoir que le temps écoulé ne soustrait pas le demandeur à une procédure d’interdiction de territoire. En qualité de résident permanent, la question de savoir si le demandeur est ou n’est pas interdit de territoire est une question permanente. Il n’y a pas de limite de temps. L’article 33 de la Loi permet des allégations de faits emportant interdiction de territoire fondées sur les activités passées sans égard au moment où elles ont eu lieu ou au temps écoulé depuis que les fonctionnaires du Canada en ont été informés. L’arrêt Yamani, précité, n’est d’aucun secours au demandeur. Il ne change rien au fait que la Loi elle-même fait de l’interdiction de territoire une question permanente et ne fixe pas de prescription à la formulation de ces allégations.

 

[60]           Le défendeur fait valoir que pour établir l’abus de procédure, les circonstances doivent entraîner une telle impossibilité pour le demandeur d’obtenir une enquête équitable touchant l’interdiction de territoire que le seul redressement serait de ne pas procéder à l’évaluation du bien‑fondé des allégations. En l’espèce, le demandeur n’a pas établi d’atteinte à son droit à une enquête équitable. Deuxièmement, il n’a pas établi que le seul remède est l’annulation complète de l’enquête. Troisièmement, l’intérêt public ne justifierait pas que soit accordé le redressement exposé dans l’arrêt Blencoe, précité. Le demandeur n’a pas établi que l’intérêt public serait affecté par une évaluation du bien‑fondé de l’allégation. Quatrièmement, la décision sur l’interdiction de territoire n’empêche pas le demandeur de chercher à obtenir un redressement. Le demandeur a encore la possibilité de présenter une demande d’ERAR et, si elle est rejetée, de demander au ministre de ne pas procéder au renvoi en vertu du paragraphe 115(2) de la Loi.

 

[61]           Le demandeur ne peut prétendre qu’il n’a pas eu droit à une enquête équitable au motif qu’il n’a pas reçu de documents. L’équité procédurale commande qu’il obtienne tout ce qui a été utilisé pour établir les allégations fondées sur l’alinéa 35(1)a), ce qu’il a obtenu. Il ne peut réclamer une divulgation d’un niveau supérieur.

 

[62]           Même si la Cour concluait à une erreur de la Commission dans l’évaluation de la question de l’abus de procédure, la mesure appropriée consisterait dans un renvoi pour que soit rendue une nouvelle décision. Le contrôle judiciaire n’est pas un appel.

 

[63]           Le défendeur fait aussi valoir que la présomption de non‑rétroactivité ne s’applique pas à l’alinéa 35(1)a) parce que l’alinéa n’a aucune application rétroactive et que, s’il en a une, elle correspondait clairement à l’intention du législateur. L’article 35 n’est pas rétroactif et ne modifie pas les droits et les privilèges dont le demandeur a joui à titre de résident permanent. Les allégations fondées sur l’article 35 portent que le demandeur peut être renvoyé maintenant en raison de sa participation à des atteintes aux droits humains. Le principe selon lequel un résident permanent peut être renvoyé s’il devient interdit de territoire a été affirmé par la Cour suprême (voir l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711 aux pages 733 et 734). Le demandeur ne peut affirmer qu’il avait un droit acquis à ne pas être visé par une allégation d’interdiction de territoire.

 

[64]           En adoptant l’article 35 de la Loi, le législateur a décidé de traiter toute participation passée à des atteintes aux droits humains comme un fait continu qui menace l’intérêt national du Canada. Les personnes impliquées dans de telles activités sont considérées comme une menace à l’intérêt national, sans égard au moment de leur participation effective. Dans l’arrêt Brosseau, précité, la Cour suprême a statué que la présomption de non‑rétroactivité ne s’appliquait pas aux lois qui imposent une peine liée à un statut dans la mesure où l’objectif n’est pas de punir la personne mais de protéger le public (paragraphe 55).

 

[65]           Quoi qu’il en soit, l’intention du législateur l’emporte sur la présomption, dit le défendeur. L’article 33 de la Loi établit clairement que le législateur entendait appliquer l’alinéa 35(1)a) aux comportements préexistant à l’entrée en vigueur de la Loi. L’article 33 fait état d’événements qui « …sont survenus, surviennent ou peuvent survenir ». Cette rédaction correspondait au choix légitime et non arbitraire du législateur d’interdire à certaines personnes de rester au pays.

 

[66]           Le défendeur soutient que même si la mens rea est toujours une condition exigée de la complicité, la décision de la Commission portant que le demandeur était un participant éclairé et volontaire apporte un fondement approprié à une conclusion de mens rea. Bien que le demandeur ne soit pas d’accord avec la pondération des maux attribuée par le commissaire au sujet du moyen de défense fondé sur la contrainte, il était loisible au commissaire de tirer cette conclusion.

 

 

L’analyse et la décision

 

[67]           La norme d’examen

            Les questions n°s 1, 2, 3 et 5 sont de pures questions de droit ou d’équité procédurale sur lesquelles la Cour doit parvenir à sa propre conclusion. La question n° 4 concerne une question mixte de fait et de droit à laquelle il appartient à la compétence et à l’expertise de la Commission de répondre. Par conséquent, la déférence s’impose et la décision de la Commission ne sera annulée que si la Cour conclut qu’elle est déraisonnable.

 

[68]           La question n° 1

            Les allégations de fait reliées à l’alinéa 35(1)a) auraient-elles dû être écartées parce qu’elles étaient chose jugée ou par application de la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée?

            Le demandeur dit qu’il a parlé longuement avec les représentants du Canada à l’ambassade du Mexique en 1985 des allégations qui font l’objet de l’enquête et que le ministre en était pleinement informé à l’époque où on a permis au demandeur d’entrer au Canada en avril 1985. Malgré la connaissance qu’on avait de ces allégations, le demandeur a reçu d’une autorité gouvernementale compétente un permis du ministre et on lui a ensuite accordé le statut de résident permanent. Donc, dit le demandeur, la question avait déjà été tranchée.

 

[69]           La Commission s’est appuyée sur une décision interlocutoire d’un autre commissaire, Mme DeCarlo, qui, dans une transcription datée du 13 avril 2005, a donné des motifs de rejet des questions de la chose jugée et de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

 

[70]           En règle générale, il n’est pas permis aux parties de soulever à nouveau en justice des questions qui ont déjà été tranchées. C’est ce qu’on a appelé la doctrine de la chose jugée, qui comporte deux volets. C’est ce qui a été exposé par le juge Rothstein, qui faisait alors partie de la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté  et de l’Immigration), 2003 CAF 482, [2003] A.C.F. nº 1931 :

10        La doctrine de la chose jugée comporte deux volets. L’irrecevabilité pour identité des causes d’action « empêche une personne d’intenter une action contre une autre lorsque la même cause d’action a déjà été décidée dans des procédures antérieures par un tribunal compétent » (Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248, page 254). L’irrecevabilité pour identité des questions en litige s’applique « lorsqu’il arrive que la cause d’action est différente mais que des points ou questions de fait ont déjà été décidés » (Angle, page 254, citant le juge Higgins, dans Hoystead c. Federal Commissioner of Taxation (1921), 29 C.L.R. 537, page 561 (H.C.A.)).

 

[71]           Il est clair qu’il n’y a pas préclusion fondée sur la cause d’action en l’espèce. Ni la cause d’action actuelle, l’alinéa 35(1)a) de la Loi, ni le texte antérieur, les alinéas 27(1)g) et h) de l’ancienne Loi sur l’immigration, n’existaient au moment où on a accordé le droit d’établissement au demandeur.

 

[72]           Si l’on passe à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, il faut satisfaire à trois conditions :

            1.         la même question a été décidée;

            2.         la décision judiciaire invoquée comme source de la préclusion était finale;

            3.         les parties à la décision judiciaire ou leurs ayants droit étaient les mêmes.

(Voir l’arrêt Yamani, précité, au paragraphe 15, et l’arrêt Angle, précité, au paragraphe 254, qui cite le lord Guest dans l’arrêt Carl Zeiss Stiftung c. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2), [1967] 1 A.C. 853 à la page 935 (H.L.).)

 

[73]           L’argument fondamental du demandeur est d’ordre technique. Le demandeur ne semble pas contester la conclusion finale de la commissaire DeCarlo sur la question, mais il dit que l’analyse était inadéquate. Le demandeur fait valoir que la commissaire DeCarlo n’a pas distingué correctement les deux volets et n’a pas analysé de façon adéquate chaque condition du test de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

 

[74]           La question de la chose jugée est une question purement juridique qui avait peu à voir avec les allégations sous-jacentes reliées à l’alinéa 35(1)a) ou avec la crédibilité du demandeur. Ce n’est pas une question sur laquelle les agents d’immigration sont censés posséder une expertise, mais c’est une question que le demandeur avait le droit de faire trancher correctement. À mon sens, la seule question sur le contrôle judiciaire d’une requête en matière de chose jugée est de savoir si le résultat correct a été atteint. En d’autres termes, les motifs du commissaire peuvent avoir quelque utilité pour le tribunal de révision, mais un résultat correct ne sera pas infirmé pour un simple défaut ou une simple omission dans l’analyse écrite de l’agent administratif.

 

[75]           La transcription indique que la demande fondée sur la chose jugée ne satisfaisait ni à la première ni à la deuxième des conditions du test de l’arrêt Yamani, précité. L’analyse juridique de la commissaire est sans importance, mais je suis d’accord avec sa conclusion et je rejetterais également les arguments du demandeur.

 

[76]           D’abord, le permis du ministre en 1985 et les allégations actuelles touchant l’interdiction de territoire reliées à l’alinéa 35(1)a) ne tranchaient pas la même question. La loi en vigueur à l’époque ne comportait pas de disposition excluant les personnes ayant participé à des crimes de guerre ou à des crimes contre l’humanité. Deuxièmement, ni le permis du ministre, ni l’octroi du statut de résident permanent ne constituaient une décision judiciaire finale. Manifestement, ce n’était pas des décisions prises par un tribunal ou même par un organe ressemblant à un tribunal et il ne s’agissait donc pas de décisions judiciaires. Et elles n’étaient pas non plus finales. Une décision de non‑interdiction de territoire n’exclut pas une interdiction de territoire ultérieure. La Loi n’accorde aux résidents permanents qu’un droit conditionnel et limité de demeurer au Canada aussi longtemps qu’ils ne sont pas interdits de territoire (voir l’arrêt Chiarelli, précité, aux pages 733 et 734).

 

[77]           La question n° 2

            La procédure fondée sur l’alinéa 35(1)a) était-elle un abus de procédure?

            Selon les observations du demandeur, les facteurs suivants pris dans leur ensemble indiqueraient que l’enquête était un abus de procédure.

            1.         Le demandeur a été reconnu comme réfugié par le Haut‑commissariat des Nations unies pour les réfugiés au Mexique en 1985 et il a obtenu un permis du ministre.

            2.         Non seulement son histoire était‑elle connue des fonctionnaires canadiens, mais il avait été utilisé comme informateur par les autorités canadiennes pendant un certain nombre d’années. Le demandeur allègue qu’une lettre de l’ambassadeur du Canada au Honduras confirme la haute considération dans laquelle on tenait son témoignage.

            3.         Le demandeur dit qu’il n’a jamais été considéré comme une menace.

            4.         La procédure a ensuite été intentée contre lui 18 ans plus tard, 16 ans après la diffusion de l’émission de la CBC et 15 ans après l’adoption du projet de loi C‑71, qui créait la première version de l’alinéa 35(1)a).

            5.         Le demandeur a subi un autre préjudice du fait qu’il est incapable d’obtenir les notes d’entrevue de ses conversations avec les représentants du Canada.

 

[78]           Je n’ai pas à statuer si la Commission a ou n’a pas compétence pour être saisie d’une requête invoquant l’abus de procédure. La Commission ne s’est pas prononcée sur la question. On peut peut‑être déduire que la commissaire n’a pas estimé qu’il s’agissait d’un abus de procédure à partir du simple fait qu’il a laissé la procédure se poursuivre. Quoi qu’il en soit, comme pour la chose jugée, la question de l’abus de procédure est une question sur laquelle la Cour peut tirer sa propre conclusion. J’analyserai maintenant les arguments du demandeur sur la question de savoir si la procédure elle‑même était abusive en droit.

 

[79]           En common law, la doctrine de l’abus de procédure peut être invoquée selon divers critères qui sont fonction de la nature du redressement recherché. Ordinairement, on l’invoque dans une requête visant à suspendre la procédure. Dans le contexte d’une violation de l’alinéa 11b)de la Charte, il a été jugé que l’arrêt de la procédure constitue la seule réparation possible (voir l’arrêt R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199), mais dans un contexte administratif, d’autres réparations sont parfois possibles. Par conséquent, lorsque l’arrêt de la procédure est la réparation demandée, le demandeur doit assumer un lourd fardeau de preuve (voir l’arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307, 23 Admin. L.R. (3d) 175, [2000] A.C.F. n° 43 (QL), aux paragraphes 116 et 117).

 

[80]           Dans l’arrêt Blencoe, la Cour explique pourquoi, dans le contexte d’un retard administratif, les tribunaux doivent satisfaire à des conditions rigoureuses avant d’accueillir une requête invoquant un abus de procédure :

116      L’intimé soutient que, vu qu’il a été tellement lésé par le délai inacceptable dans le processus administratif et par la stigmatisation qui en a découlé par suite des deux plaintes portées contre lui, l’arrêt des procédures est maintenant justifié. L’abus de procédure est une notion de common law qui est invoquée principalement pour mettre fin à des procédures lorsqu’il serait oppressif de permettre leur continuation. Comme l’ont affirmé Brown et Evans, [Judicial Review of Administrative Action in Canada. Toronto : Canvasback, 1998 (feuilles mobiles), aux pp. 9‑71 et 9‑72 :

 

[traduction] La rigueur de l’exigence de démontrer que le délai constitue un manquement à l’obligation d’agir équitablement semblerait attribuable, du moins en partie, à la nature radicale du seul redressement approprié. Contrairement à d’autres cas d’iniquité procédurale où la cour peut renvoyer l’affaire pour qu’elle soit tranchée à nouveau d’une manière équitable sur le plan de la procédure, le redressement prévu en cas de délai injustifié consiste généralement à empêcher le tribunal administratif d’exercer le pouvoir qu’il tient de la loi, soit en lui interdisant de tenir l’audience, soit en annulant la décision rendue à l’issue de celle‑ci.

 

                                                [Je souligne.]

 

 

[81]           Pour apprécier les demandes invoquant l’abus de procédure, les tribunaux prennent ordinairement en compte quatre domaines de préoccupation : la durée et la cause du retard, la question de savoir si l’équité de l’audience s’en trouve compromise, les autres préjudices subis par le demandeur et les considérations liées à l’intérêt public.

 

[82]           Je n’accepte pas l’argumentation du demandeur que le retard de l’instance a compromis l’équité de l’enquête. La preuve sur laquelle est fondée l’allégation d’interdiction de territoire est tirée des propres aveux du demandeur. Le temps écoulé n’a pas affaibli la qualité de la preuve ou la capacité du demandeur de la réfuter, et son droit de réfuter les allégations demeure entier. De même, l’incapacité du demandeur d’obtenir les documents relatifs à ses entrevues à l’ambassade n’a pas rendu le processus inéquitable. Sur le plan de la procédure, le demandeur n’avait droit de recevoir que la documentation sur laquelle le défendeur appuie ses allégations de fait reliées à l’alinéa 35(1)a). En tout cas, de l’aveu même du demandeur, les entrevues de 1985 ne feraient que confirmer ses propos à l’émission « Man Alive ».

 

[83]           Le défendeur dit que pour établir une demande invoquant l’abus de procédure, les circonstances doivent impliquer l’impossibilité pour le demandeur d’obtenir une enquête équitable sur l’interdiction de territoire et avoir comme seul redressement l’arrêt de l’évaluation du bien‑fondé des allégations. Je ne suis pas de cet avis. Dans l’arrêt Blencoe, précité, au paragraphe 115, la Cour s’est penchée sur la possibilité qu’un retard inacceptable « … p[uisse] constituer un abus de procédure dans certaines circonstances, même lorsque l’équité de l’audience n’a pas été compromise ». Toutefois, la Cour a ajouté au paragraphe 115 :

Je serais disposé à reconnaître qu’un délai inacceptable peut constituer un abus de procédure dans certaines circonstances, même lorsque l’équité de l’audience n’a pas été compromise. Dans le cas où un délai excessif a causé directement un préjudice psychologique important à une personne ou entaché sa réputation au point de déconsidérer le régime de protection des droits de la personne, le préjudice subi peut être suffisant pour constituer un abus de procédure. L’abus de procédure ne s’entend pas que d’un acte qui donne lieu à une audience inéquitable et il peut englober d’autres cas que celui où le délai cause des difficultés sur le plan de la preuve. Il faut toutefois souligner que rares sont les longs délais qui satisfont à ce critère préliminaire. Ainsi, pour constituer un abus de procédure dans les cas où il n’y a aucune atteinte à l’équité de l’audience, le délai doit être manifestement inacceptable et avoir directement causé un préjudice important. Il doit s’agir d’un délai qui, dans les circonstances de l’affaire, déconsidérerait le régime de protection des droits de la personne. […]

 

                                                [Non souligné dans l’original.]

 

 

[84]           Par conséquent, dans le cas où l’équité de l’audience n’a pas été compromise, le demandeur qui invoque l’abus de procédure et demande un sursis devra assumer une charge encore plus lourde et établir fermement les autres éléments à l’aide d’une preuve forte. En l’espèce, le demandeur ne s’est pas acquitté de ce fardeau de preuve exigeant.

 

[85]           Le long retard qui s’est produit est regrettable, mais le demandeur n’a produit aucune preuve qu’il était intentionnel ou de mauvaise foi. Le ministre défendeur explique qu’il n’a pu avoir recours aux allégations de fait reliées à l’alinéa 35(1)a) qu’après l’entrée en vigueur de la Loi actuelle en 2002, car les alinéas 27(1)g) et h) de l’ancienne Loi sur l’immigration, qui traitaient de cette question, ne s’appliquaient pas aux crimes commis avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi.

 

[86]           Point plus significatif, le demandeur a produit peu d’éléments de preuve sur les préjudices qu’il avait subis personnellement. Dans l’arrêt Blencoe, précité, un ancien ministre provincial accusé de harcèlement sexuel devant une commission des droits de l’homme et qui avait suscité une attention intense de la part des médias au cours du retard [dans le traitement des plaintes], se considérait comme « inapte au travail », souffrait d’une grave dépression pour laquelle il avait dû consulter et prendre des médicaments d’ordonnance et avait même déménagé avec sa famille en Ontario pour échapper à l’attention des médias. Néanmoins, la Cour suprême n’a pas été disposée à conclure à l’abus de procédure.

 

[87]           Enfin, dans l’octroi d’un redressement en cas d’abus de procédure, il faut mettre en équilibre des intérêts publics conflictuels. Sans qu’il soit nécessaire de recenser tous les arguments afférents à ce sujet, qu’il me suffise de dire que l’intérêt public a joué un grand rôle dans la mise en vigueur de l’alinéa 35(1)a) et dans la condamnation générale des crimes contre l’humanité commis à l’étranger. Ces intérêts militent en faveur de la recherche de la vérité et de l’obligation faite aux personnes accusées de ces crimes de répondre de leurs actes, même très longtemps après. Comme le dit l’arrêt Yamani, précité, au paragraphe 38 :

[traduction] Le défendeur ne conteste pas les affirmations du demandeur quand il dit avoir aidé les autorités canadiennes en leur fournissant des renseignements, mais il est peu probable que le public canadien conviendrait que cette aide est suffisante pour accorder à une personne le plein pardon à l’égard de ces crimes.

 

 

[88]           La question n° 3

      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en appliquant rétroactivement l’alinéa 35(1)a)?

            Comme je l’ai déjà dit, l’alinéa 35(1)a) n’existait pas au moment où le demandeur est entré au Canada. C’est aussi le cas des alinéas 27(1)g) et h) de l’ancienne Loi sur l’immigration. Le demandeur fait valoir que la présomption à l’encontre de l’application rétroactive des lois empêche l’application de l’alinéa 35(1)a) dans son cas.

 

[89]           Il existe maintenant une approche plus téléologique et plus contextuelle à l’égard de la proscription de la rétroactivité (voir l’arrêt Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301, [1989] A.C.S. n° 15 (QL), aux paragraphes 47 et 48). Malgré les arguments avancés par les deux parties sur la question, à mon avis, la présomption ne joue aucun rôle en l’espèce.

 

[90]           Je suis d’avis que l’application de l’alinéa 35(1)a) n’est pas rétroactive et que, de toute façon, il ne fait pas jouer la présomption. L’article prévoit :

35. (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

 

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

 

[…]

 

 

[91]           En adoptant l’alinéa 35(1)a), le législateur a décidé de traiter la participation passée et présente à un crime contre l’humanité comme un fait continu. En ce sens, l’alinéa 35(1)a) a une application prospective car il modifie seulement les conséquences d’un fait continu.

 

[92]           Dans l’arrêt Yamani, précité, le demandeur a soutenu que la division 19(1)f)(iii)(B) de l’ancienne Loi avait fait l’objet d’une application rétroactive. Dans cette affaire, le demandeur était arrivé au Canada en 1985 et avait rompu ses liens avec l’organisation terroriste visée en 1992. La division 19(1)f)(iii)(B) est entrée en vigueur plus tard en 1993. L’ancien article prévoyait :

19.(1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

 

[…]

 

f)  celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles :

 

[…]

 

(iii) soit sont ou ont été membres d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée

 

[…]

 

(B) soit à des actes de terrorisme,

 

le présent alinéa ne visant toutefois pas les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national;

 

 

[93]           Le juge Rothstein a dit :

8          Quoi qu’il en soit, je ne crois pas qu’en appliquant la division 19(1)f)(iii)(B) à une personne qui a rompu les liens qu’elle avait avec une organisation terroriste en 1992 ou, de fait, avant le 1er février 1993, on applique la disposition en question d’une façon rétroactive. L’appartenance passée à un groupe terroriste crée un statut continu. Autrement dit, conclure qu’une personne ne peut pas rester au Canada pour le motif qu’elle était autrefois membre d’une organisation terroriste, c’est imposer une conséquence actuelle, compte tenu d’un comportement passé, afin de protéger la sécurité publique. Il ne s’agit pas d’une application rétroactive de la législation (Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301, pages 319‑320).

 

                                                                        [Non souligné dans l’original.]

 

 

[94]           Comme pour l’arrêt Yamani, précité, j’estime que l’alinéa 35(1)a) est rédigé de manière que le fait d’avoir commis un crime contre l’humanité est un statut continu. Il ne s’agit pas d’une application rétroactive de l’alinéa.

 

[95]           Le fait que l’application de l’alinéa 35(1)a) ne modifie pas le statut juridique passé d’une personne vient appuyer l’idée que le texte n’a pas d’application rétroactive. Elle ne va pas à l’encontre d’un droit acquis, du fait que les résidents permanents ne peuvent être réputés avoir un droit « acquis » de demeurer au Canada (arrêt Chiarelli, précité, aux pages 733 et 734). L’application de l’alinéa 35(1)a) ne change rien au fait que le demandeur a vécu au Canada comme résident permanent depuis 1986. Elle n’est pas rétroactive et ne modifie pas les droits et les privilèges dont le demandeur a joui à titre de résident permanent. L’allégation porte seulement que le demandeur peut être renvoyé aujourd’hui en raison de sa participation à des crimes contre l’humanité. L’alinéa 35(1)a) s’applique à la situation actuelle du demandeur pour décider s’il peut continuer à être un résident permanent dans l’avenir.

 

[96]           Dans l’arrêt Rudolph c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 653 au paragraphe 657, [1992] A.C.F. nº 400 (C.A.) (QL), la Cour d’appel fédérale a conclu :

Le fait d’adopter une règle qui, dorénavant, exclurait des personnes du Canada en raison de leur conduite par le passé ne signifie pas que la Loi est appliquée rétroactivement.

 

Ce principe a été réaffirmé dans la décision McAllister c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] 2 C.F. 190, [1996] A.C.F. nº 177 (QL), au paragraphe 52.

 

[97]           Même si l’on pouvait établir que l’alinéa 35(1)a) s’applique rétroactivement et conclure que la présomption s’appliquait, je conclurais que la présomption est renversée par l’intention claire du législateur que l’article 35 s’applique aux événements passés. Les termes de l’article 33 rendent l’intention du législateur on ne peut plus claire :

33. Les faits actes ou omissions mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

                                                [Non souligné dans l’original.]

 

 

[98]           L’intention du législateur de voir l’alinéa 35(1)a) s’appliquer aux personnes telles que le demandeur ressort clairement de cette formulation sans ambiguïté. En d’autres termes, il était dans l’intention du législateur que ces articles s’appliquent à juste titre aux crimes ou aux comportements pertinents dans les cas où ces crimes ou ces comportements sont survenus.

 

[99]           La question n° 4

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur était complice de crimes contre l’humanité et en rejetant le moyen de défense fondé sur la contrainte?

            Le demandeur conteste la conclusion de la Commission selon laquelle il est interdit de territoire selon les dispositions de l’alinéa 35(1)a) au motif de sa complicité coupable dans des crimes contre l’humanité. La complicité était en fait la deuxième seulement de trois conclusions distinctes dont chacune à elle seule rend le demandeur interdit de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)a).

 

[100]       La Commission a établi en premier lieu que le demandeur était membre de l’unité désignée comme le bataillon 3‑16 et que le bataillon 3‑16 était un groupe ayant des objectifs limités et brutaux (voir la décision Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306, 89 D.L.R. (4th) 173, [1992] A.C.F. n° 109 (C.A.)). Cette conclusion posée, la Commission a conclu que le seul fait d’appartenir au bataillon 3‑16 impliquait nécessairement qu’il avait participé personnellement et sciemment à des enlèvements et des interrogatoires au cours desquels la torture avait été employée.

 

[101]       Puis, au terme d’une conclusion distincte de complicité, la Commission a décidé que le demandeur avait probablement commis personnellement des crimes contre l’humanité. Des éléments de preuve tels que l’aveu fait par le demandeur à l’émission de la CBC, où il dit [traduction] « … avoir été un tortionnaire », ont vraisemblablement aidé la Commission à obtenir des motifs raisonnables à l’appui de cette conclusion.

 

[102]       Comme la conclusion relative à l’interdiction de territoire reposait sur trois conclusions suffisantes indépendantes, la seule contestation de la conclusion de la Commission sur la complicité n’aide pas le demandeur, même si elle devait être accueillie. De toute façon, j’ai conclu qu’il n’y avait pas d’erreur susceptible de révision dans la conclusion de fait de la Commission sur la complicité. La Commission a exposé les six facteurs à prendre en considération pour déterminer si une personne est complice de crimes contre l’humanité. Ils sont tirés de l’arrêt Bahamin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 961, 171 N.R. 79 (C.A.) (QL) : la nature de l’organisation, la méthode de recrutement, la position/le rang au sein de l’organisation, la connaissance des atrocités commises par l’organisation, la période passée au sein de l’organisation et la possibilité de quitter l’organisation. La Commission a ensuite examiné la preuve de manière exhaustive et appliqué ces facteurs de façon raisonnable.

 

[103]       Le demandeur fait valoir qu’il n’avait pas la mens rea requise, élément qui demeure essentiel dans une conclusion de complicité (voir l’arrêt Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298, [1993] A.C.F. n° 912 (C.A.) (QL), au paragraphe 51). Dans ce contexte, la mens rea peut être présumée, mais la présomption peut être renversée (voir l’arrêt Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636), ce que le demandeur soutient avoir fait dans son témoignage à l’enquête. Il était pourtant clair que la Commission n’a pas conclu à la crédibilité du témoignage du demandeur sur ce point et qu’elle a plutôt accordé une valeur supérieure à ses aveux antérieurs. Le demandeur n’attaque pas les conclusions de la Commission sur la crédibilité.

 

[104]       Le demandeur attaque enfin la conclusion de la Commission selon laquelle le moyen de défense fondé sur la contrainte n’a pas été établi. Dans l’analyse de la complicité, ce moyen de défense est incorporé dans une considération, « la possibilité de quitter l’organisation » (voir l’arrêt Bahamin, précité). La Commission a reconnu que si le demandeur avait tenté de quitter l’unité, il aurait vraisemblablement été tué, mais elle a conclu par la suite que « la possibilité du décès de l’intimé ne justifie pas une défense de contrainte puisque le mal infligé à un grand nombre de personnes était supérieur ». Le demandeur soutient qu’il était incorrect que la Commission conclue implicitement que le décès d’une personne n’était pas l’équivalent de celui d’un grand nombre de personnes.

 

[105]       Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Asghedom, [2001] A.C.F. n° 1350, 210 F.T.R. 294, le défendeur invoquait la contrainte et soutenait que le mal infligé par l’armée éthiopienne en perpétrant des crimes internationaux n’excédait pas celui qu’il subirait s’il désertait, soit la mort par exécution. La Commission a accepté cette défense. Le juge Blais, au paragraphe 35, a confirmé la décision de la Commission sur l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable :

Selon moi, la conclusion de la Commission était raisonnable au vu de la preuve qui lui était présentée. La Commission pouvait soupeser la preuve comme elle l’a fait et je ne peux arriver à la conclusion qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve, comme le prétend le demandeur. En fait, la Commission a fondé sa décision sur la preuve documentaire fournie par le demandeur, renvoyant même, dans ses motifs, aux pages que le demandeur prétend avoir été ignorées (p. 260 et 304 du dossier du tribunal).

 

 

[106]       Comme on le voit dans l’arrêt Asghedom, précité, la décision finale d’un tribunal sur le moyen de défense fondé sur la contrainte appelle une grande déférence. Cela tient à la nature hautement contextuelle du moyen de défense et à l’importance accordée à la pondération des faits. Les tribunaux doivent accorder aux décisions fondées sur des conclusions de fait administratives un degré élevé de déférence et s’abstenir de reconsidérer le jugement d’un tribunal (voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. n° 12 (QL)).

 

[107]       Le demandeur, semble‑t‑il, fait valoir que le risque de mort auquel l’exposait la désertion lui donnait carte blanche et excusait sa participation à la commission d’atrocités. À ma connaissance, rien dans la jurisprudence n’appuie ce principe. La Commission est libre d’apprécier la preuve dont elle est saisie et d’arriver à sa propre conclusion sur le fait de savoir si la personne aurait dû tenter de partir.

 

[108]       Il se peut que le demandeur ne soit pas d’accord avec le résultat, mais j’estime qu’il était raisonnable pour la Commission de rendre cette décision. La Commission a supposé que si la désertion de l’organisation pouvait exposer le demandeur à un grave danger, lorsque ce danger était mis en balance avec les atrocités commises, la désertion était la seule option acceptable. La Commission a admis que le bataillon 3‑16 chercherait vraisemblablement à traquer et tuer les déserteurs, mais elle avait le sentiment que le demandeur n’était pas exposé à un danger imminent quand il participait à des crimes contre l’humanité. Il n’était pas sous une surveillance constante et une fuite soigneusement planifiée aurait pu être mise en œuvre longtemps avant. La Commission a aussi tenu compte du fait qu’au moment où le demandeur s’est trouvé lui‑même en présence d’un danger imminent, il a pu s’enfuir. Il n’était pas déraisonnable pour la Commission de prendre ces facteurs en considération. Le poids accordé à chacun n’est pas un élément que la Cour a le droit de modifier. Par conséquent, la conclusion de la Commission est maintenue.

 

[109]       La question n° 5

            La présente Cour devrait‑elle statuer qu’il y a eu inéquité procédurale en raison du comportement de l’avocat du demandeur?

            À la fin de l’enquête sur l’interdiction de territoire, l’avocat du demandeur n’a pas présenté d’observations écrites. Le demandeur soutient que cette incompétence a entraîné un déni de justice. Le demandeur laisse entendre que le redressement correct est le renvoi pour la tenue d’une nouvelle enquête. Je ne puis accepter la demande du demandeur. Pour demander pareil redressement dans le cadre d’une demande fondée sur l’incompétence de l’avocat, le demandeur est tenu d’établir un fondement pour dire que la décision de la Commission aurait pu être différente si le demandeur avait eu un avocat plus compétent (voir la décision Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 269, [2008] A.C.F. nº 344). Le demandeur n’a pas établi ce fondement, sauf en suggérant qu’étant donné la complexité de l’affaire, des observations écrites finales étaient nécessaires. À mon avis, ce n’est pas suffisant. Le demandeur doit signaler un argument, un aspect du droit ou un élément de preuve qui aurait pu modifier de manière significative le résultat.

 

[110]       En raison de mes conclusions, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[111]       Le défendeur a soumis à mon examen les questions graves d’importance générale suivantes pour en obtenir la certification :

[traduction]

1.         Si l’allégation d’interdiction de territoire à l’encontre d’une personne ne pouvait être invoquée au moment où elle est entrée au Canada ou a obtenu son statut de résident permanent du Canada, est‑ce un abus de procédure de la faire jouer au moment où la législation change et l’autorise, en dépit du délai qui s’est écoulé depuis l’entrée de la personne au Canada?

 

2.         Le défaut de l’avocat de présenter à la Section de l’immigration des observations écrites finales constitue‑t‑il une atteinte à l’équité procédurale? Dans l’affirmative, ce manquement justifie‑t‑il de renvoyer l’affaire à la Section de l’immigration en vue d’une réévaluation, considérant qu’on risque d’aboutir à la même décision?

 

3.         Dans le cas où la question de l’abus de procédure n’est pas soulevée devant la Section de l’immigration, mais l’est pour la première fois dans un contrôle judiciaire de la Cour fédérale, est‑il approprié que la Cour fédérale évalue l’abus de procédure en première instance?

 

 

[112]       Je ne suis disposé à certifier aucune de ces questions étant donné que l’issue de la demande repose sur les faits propres à l’espèce.

 

[113]       Dans une lettre à la Cour datée du 2 novembre 2009, le demandeur a présenté la demande suivante :

 

[traduction]

Deux questions susceptibles de justifier la certification ont trait à l’application rétroactive de l’article 35 et à la contrainte. Cependant, les deux appellent aussi une analyse des caractéristiques spécifiques uniques de l’espèce. À cet égard, elles ne transcendent peut‑être pas les particularités de l’espèce pour s’élever au niveau de la question d’importance générale.

 

Néanmoins, si l’une ou l’autre de ces questions devenait déterminante dans la décision finale, le demandeur demande à être autorisé à présenter d’autres observations sur une question à certifier connexe.

 

 

[114]       Si le demandeur souhaite présenter d’autres observations relatives à ces questions ou à toute autre question dont il propose la certification, il peut le faire dans un délai de cinq jours de la date des présents motifs. Le défendeur disposera de cinq jours pour présenter une réponse.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

35. (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

 

 

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

 

b) occuper un poste de rang supérieur – au sens du règlement – au sein d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

 

c) être, sauf s’agissant du résident permanent, une personne dont l’entrée ou le séjour au Canada est limité au titre d’une décision, d’une résolution ou d’une mesure d’une organisation internationale d’États ou une association d’États dont le Canada est membre et qui impose des sanctions à l’égard d’un pays contre lequel le Canada a imposé – ou s’est engagé à imposer – des sanctions de concert avec cette organisation ou association.

 

(2) Les faits visés aux alinéas (1)b) et c) n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

 

35.(1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

 

(a) committing an act outside Canada that constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act;

 

(b) being a prescribed senior official in the service of a government that, in the opinion of the Minister, engages or has engaged in terrorism, systematic or gross human rights violations, or genocide, a war crime or a crime against humanity within the meaning of subsections 6(3) to (5) of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act; or

 

 

 

(c) being a person, other than a permanent resident, whose entry into or stay in Canada is restricted pursuant to a decision, resolution or measure of an international organization of states or association of states, of which Canada is a member, that imposes sanctions on a country against which Canada has imposed or has agreed to impose sanctions in concert with that organization or association.

 

 

 

(2) Paragraphs (1)(b) and (c) do not apply in the case of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-240-09

 

INTITULÉ :                                       JOSE VALLE LOPES

 

                                                            - et -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 14 avril 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Timothy Wichert

 

POUR LE DEMANDEUR

Martin Anderson

Suranjana Bhattacharyya

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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