Cour fédérale |
|
Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 13 avril 2010
En présence de monsieur le juge Boivin
ENTRE :
MANUEL ALEJANDRO ROMERO CASTAÑEDA
Partie demanderesse
et
ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la loi), à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) datée le 16 septembre 2009, selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu de la loi.
Contexte factuel
[2] Le demandeur est un citoyen du Mexique qui allègue craindre la persécution aux mains d’un groupe d’agents de la police judiciaire fédérale de Colonia Paraje San Juan où il demeure.
[3] Le 19 décembre 2006, il est allégué que monsieur Francisco Javier Davalos Aguilar, un ami du demandeur, fut battu par deux agents de la police judiciaire fédérale. On aurait menacé ce dernier s’il n’allait pas travailler avec un groupe impliqué dans le vol de voitures et de pièces de voiture. Le demandeur et son ami ont fait une plainte au ministère public le même jour.
[4] Le 8 janvier 2007, le demandeur a déposé une deuxième plainte et il fut arrêté par la patrouille de la police judiciaire fédérale. Le demandeur a reçu des soins médicaux à une clinique médicale. Le médecin qu’il a vu, Dr. Medrano, lui a dit de dénoncer l’incident aux autorités ou sinon elle le ferait. Lorsque le demandeur est retourné chez lui, sa mère lui a dit de faire une plainte au ministère public à Ixtapalapa pour sa détention illégale mais il n’a pas reçu de copie de cette accusation.
[5] Après avoir consulté un avocat, le demandeur a fait une plainte aux autorités le 9 janvier 2007, mais les agents ne l’ont pas écouté et lui ont dit qu’ils voulaient des témoins. Le 18 février 2007, le demandeur a fait une autre dénonciation au ministère public, mais on lui a dit qu’il ne pouvait pas dénoncer car il s’agissait d’un événement qui impliquait son oncle et c’est ce dernier qui devait faire la dénonciation.
[6] Le demandeur est allé à Guadalajara, Jalisco chez son ami Carlos Alberto car il ne voulait pas quitter son pays et sa mère. L’avocat du demandeur l’a ensuite avisé qu’il n’avait pas pu obtenir des copies de ses plaintes et que les plaintes étaient inactives.
[7] Le 20 mai 2007, le demandeur est sorti avec son ami Carlos Alberto. Une voiture blanche les suivait et le demandeur a reconnu un des policiers qui participait à l’opération de voitures volées dans le quartier. Le demandeur a ensuite fui à Morelos, Mochoacán le 21 mai 2007.
[8] Le demandeur a quitté le Mexique le 12 juin 2007. Il a fait une demande d’asile au Canada le lendemain de son arrivée.
Décision contestée
[9] Le tribunal a d’abord conclu que le demandeur n’était pas crédible car il n’a produit aucune preuve corroborant les éléments essentiels de son récit et il n’a pas raisonnablement expliqué son défaut de le faire. Le tribunal a rejeté les explications du demandeur concernant ses efforts pour obtenir les documents qui se sont avérés contradictoires.
[10] De plus, le tribunal a conclu que même s’il avait été jugé crédible, le demandeur n’a pas démontré le refus ou l’incapacité de protection de l’État par une preuve claire et convaincante. Le tribunal a considéré que le demandeur s’était adressé aux autorités, mais a conclu qu’il n’avait pas épuisé les recours qui s’offraient à lui. Après avoir considéré la preuve documentaire, le tribunal a déterminé que le demandeur aurait pu s’adresser à d’autres autorités en place au Mexique qui s’occupent des problèmes de corruption policière.
Questions en litige
[11] Cette demande de contrôle judiciaire présente les questions suivantes :
1. Est-ce que le tribunal a erré en concluant que le demandeur n’était pas crédible?
2. Est-ce que le tribunal a erré en concluant que le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l’État du Mexique?
Analyse
Norme de contrôle
[12] L’évaluation de la crédibilité et l’appréciation de la preuve relèvent de la compétence du tribunal administratif qui doit apprécier l’allégation d’une crainte subjective d’un demandeur d’asile (Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264 au paragraphe 14). Avant Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle applicable dans des circonstances semblables était celle de la décision manifestement déraisonnable. Depuis, il s’agit de la décision raisonnable.
[13] La norme de contrôle applicable aux questions de protection de l’État est la raisonnabilité (Dunsmuir aux par. 55, 57, 62 et 64 ; Hinzman c. Canada (M.C.I.), 2007 CAF 171, 362 N.R. 1 au par. 38 ; Huerta c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 586, 167 A.C.W.S. (3d) 968 au par. 14).
1. Est-ce que le tribunal a erré en concluant que le demandeur n’était pas crédible?
[14] Il est bien établi que les questions de crédibilité, d’évaluation des faits et d’appréciation de la preuve relèvent entièrement de la discrétion du tribunal, à titre de juge des faits (Chen c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 767, 148 A.C.W.S. (3d) 118; Khangura c. Canada (M.C.I.), (2000), 191 F.T.R. 311, 97 A.C.W.S. (3d) 1228) et il n’appartient pas à la cour de substituer son appréciation de la preuve à celle du tribunal.
[15] Le demandeur prétend que le tribunal n’a pas fait diligence dans l’étude de la preuve documentaire et qu’il n’a pas considéré le fait que la police au Mexique connaît des problèmes de corruption. Dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (M.C.I.), (1998), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264 et repris dans Gill c. Canada (M.C.I.), 2003 CFPI 656, 129 A.C.W.S. (3d) 783, cette Cour a noté que l’obligation de commenter une preuve documentaire dans une décision dépend de l’importance de cette preuve. En l’espèce, le demandeur allègue que la preuve documentaire ignorée portait sur des faits au cœur de la revendication du demandeur, ce qui rend la décision du tribunal déraisonnable.
[16] Toutefois, la Cour note que le tribunal a relevé plusieurs omissions et contradictions dans le témoignage du demandeur, notamment :
a. Lors de l’incident du 19 décembre 2006, le demandeur a dit que lui et son ami Francisco avaient signé une plainte et ils avaient demandé une copie, mais les autorités avaient refusé de leur en fournir une copie. Le demandeur n’a pas inclus cette information dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) car il ne croyait pas qu’il s’agissait d’un détail important. Il a toutefois admis par la suite qu’il s’agit d’une information importante.
b. Le demandeur a d’abord nié avoir demandé à son avocat d’obtenir des copies de ses plaintes et il dit ensuite avoir demandé des copies à sa mère. Plus tard, il dit que son avocat demandait de 8,000 à 9,000 pesos pour obtenir une copie des plaintes et il refusait de l’aider. Ceci n’était pas mentionné dans le FRP du demandeur. Le demandeur a ensuite demandé à sa mère de trouver un autre avocat, ce qu’elle a fait en avril 2008, mais ce deuxième avocat demandait aussi de 7,000 à 8,000 pesos. Ces informations ne figurent pas dans le FRP et selon le demandeur, son avocat a refusé de lui envoyer une lettre confirmant les événements au Mexique de peur d’avoir des problèmes avec la police au Mexique ou les autorités au Canada.
c. Le demandeur a dit que sa mère avait tenté d’obtenir une copie de son rapport médical et qu’il avait aussi fait de nombreux appels téléphoniques pour tenter de l’obtenir. Cette information était également absente de son FRP et le demandeur n’a pas pu expliquer cette omission. Plus particulièrement, le tribunal a fait référence à la preuve documentaire, notamment le document MEX102725.E du 17 avril 2008 portant le titre « Police reports; procedures to obtain a copy from the various police forces; the cost; the persons who can obtain a copy; the time it takes to obtain a copy; the possibility of obtaining a copy from Canada » qui démontre que le demandeur en l’espèce aurait pu obtenir des copies des rapports policiers en écrivant directement aux autorités ou avec l’aide d’un avocat.
[17] Bien que le demandeur ait dit craindre la persécution aux mains d’un groupe d’agents de la police judiciaire fédérale de Colonia Paraje San Juan, aucune preuve tangible n’a été déposée au soutien de cet élément. De plus, la Cour est d’avis que le demandeur n’a pas raisonnablement expliqué son défaut de produire de la preuve corroborant les plaintes qu’il prétend avoir déposées aux autorités.
[18] Sur cette base, le tribunal était en droit de tirer une inférence négative, d’une part, quant à la crédibilité du demandeur en raison de l’absence de preuve corroborante et, d’autre part, en raison de l’absence d’explications raisonnables et crédibles pour expliquer son défaut de produire cette preuve. Il est de jurisprudence constante que le tribunal peut tirer une conclusion défavorable du fait qu’un demandeur n’a pas produit une preuve corroborante pour étayer son témoignage et sur l’absence d’efforts pour obtenir une telle corroboration documentaire (Muthiyansa c. Canada (M.C.I.), 2001 CFPI 17, 103 A.C.W.S. (3d) 809 et Sinnathamby c. Canada (M.C.I.), 2001 CFPI 473, 105 A.C.W.S. (3d) 725).
[19] Le tribunal est le mieux placé pour évaluer les explications fournies par les demandeurs au sujet des contradictions et invraisemblances apparentes et il n’appartient pas à la Cour de substituer son jugement aux conclusions de fait tirées par le tribunal au sujet de la crédibilité du demandeur (Singh c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 181, 146 A.C.W.S. (3d) 325 au par. 36; Mavi c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 1 (QL)). En l’espèce, les explications du demandeur pour justifier l’absence de preuve qui corrobore son récit ne sont pas raisonnables.
[20] Somme toute, je suis d’avis que le demandeur, en l’espèce, n’a pas démontré que le tribunal a rendu une décision fondée sur des conclusions de faits erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte de la preuve.
2. Est-ce que le tribunal a erré en concluant que le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l’État du Mexique?
[21] Le demandeur avance que le tribunal ne considère pas l’information concernant le Mexique selon laquelle le pays est aux prises avec une corruption inégalable et omniprésente dans son analyse de la disponibilité de la protection de l’État.
[22] Le défendeur note qu’il incombe au demandeur d’établir de façon claire et convaincante que l’État du Mexique était incapable d’assurer sa protection (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 153 N.R. 321). Il ne suffit pas au demandeur de démontrer que la protection de l’État n’était pas parfaite car aucun gouvernement qui adhère aux valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps (Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration) c. Villafranca, (1992), 150 N.R. 232, 37 A.C.W.S. (3d) 1259 (C.A.F.)).
[23] Le tribunal a considéré les allégations du demandeur à l’effet qu’il se soit adressé aux autorités mexicaines en vue d’obtenir la protection. Plusieurs décisions de cette Cour ont déterminé que le Mexique est en mesure de protéger ses citoyens malgré les problèmes de corruption et même lorsque les agents persécuteurs sont des policiers (Alfaro c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 460, 152 A.C.W.S. (3d) 694 au par. 18; Juarez c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 288, 146 A.C.W.S. (3d) 705 au par. 10).
[24] Le tribunal a aussi noté que le demandeur n’a jamais sollicité la protection auprès d’instances supérieures au Mexique. Compte tenu de la preuve documentaire qui révèle les efforts contre la corruption policière et l’existence d’autres organisations où le demandeur aurait pu s’adresser, il était raisonnable pour le tribunal de rejeter l’explication du demandeur qu’il ne s’était pas adressé aux instances supérieures parce qu’il avait peur. Comme la souligné la procureure de la défenderesse à l’audience, le demandeur se devait d’épuiser les recours qui lui sont offerts dans son pays, ce qu’il n’a pas fait. Compte tenu que la preuve au dossier démontre qu’il existe d’autres organismes où le demandeur aurait pu se plaindre, il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur fournisse des efforts pour se prévaloir de d’autres mesures avant de rechercher la protection internationale.
[25] Dans sa décision, le tribunal reconnaît plusieurs initiatives contre la corruption de fonctionnaires impliqués dans des activités illégales dans les dernières années. Le Cartable national de documentation du 29 juin 2009 à la section 7.1, soit le Narcotics Control Strategy Report des États-Unis, mentionne les efforts du président Calderon contre les trafiquants de drogue et contre la corruption par des policiers. Il y a aussi d’autres ressources telles que le Secrétariat de l’Administration Publique, qui offre des services variés aux citoyens qui veulent signaler des actes de corruption.
[26] Malgré cela, le demandeur a dit ne pas avoir fait appel aux autorités fédérales par crainte. Cette explication ne peut être acceptée car la suffisance de la protection de l’état ne peut reposer sur la peur subjective du demandeur. La présomption de la protection de l’état ne peut être réfutée sur cette seule base subjective (Suarez c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 1050, 141 A.C.W.S. (3d) 116).
[27] Pour réfuter la présomption de protection de l’État, le demandeur doit présenter une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État de fournir une protection. La preuve doit être pertinente et fiable et être en mesure de convaincre le juge des faits que la protection de l’État est insuffisante (Ward; Carrillo c. Canada (M.C.I.), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636).
[28] La protection de l’État ne doit pas être parfaite car aucun gouvernement ne peut garantir la protection de tous ses citoyens à tout moment. Il suffit que la protection de l’État soit adéquate (Canada (M.E.I.) c. Villafranca, (1992), 150 N.R. 232, 37 A.C.W.S. (3d) 1259 (C.A.F.); Ortiz c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 1365, 153 A.C.W.S. (3d) 191; Blanco c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 1487, 143 A.C.W.S. (3d) 904).
[29] L’obligation qui incombe au demandeur d’obtenir la protection de l’État augmente lorsqu’il s’agit d’un État démocratique comme le Mexique. Le demandeur en l’espèce doit démontrer qu’il a tenté d’épuiser tous les recours s’offrant à lui en vue d’obtenir la protection nécessaire (Kadenko c. Canada (Solliciteur général), (1996), 260 N.R. 272, 68 A.C.W.S. (3d) 334 (C.A.F.)). Cette Cour a déjà conclu que le Mexique est une démocratie avec la volonté et la capacité de protéger ses citoyens, même si cette protection n’est pas toujours parfaite (Sosa c. Canada (M.C.I.), 2009 CF 275, [2009] A.C.F. no 343 (QL) au par. 22; Gutierrez c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 971, 169 A.C.W.S. (3d) 175 aux par. 21-22; Velazquez c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 532, 148 A.C.W.S. (3d) 291 au par. 6).
[30] Si un demandeur d’asile a omis de prendre toutes les mesures disponibles pour chercher la protection de l’État, la Cour constate qu’il n’est pas suffisant de se baser uniquement sur la preuve documentaire étayant certaines failles dans le système de justice de son pays d’origine (Zamorano; Cortes c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 1487, 154 A.C.W.S. (3d) 450). Le demandeur ne voulait pas aller voir les autorités car il avait peur, et il ne s’est pas adressé à des autorités supérieures ou d’autres organismes. En omettant de prendre des mesures pour chercher la protection de l’État avant de faire une demande d’asile, le demandeur n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État (Cordova c. Canada (M.C.I.), 2009 CF 309, [2009] A.C.F. no 620 (QL)).
[31] La Cour est d’avis que même s’il y a encore des problèmes de corruption au Mexique, la preuve démontre qu’il existe des voies - bien que parfois encore imparfaites - de protection de l’État qui étaient accessibles au demandeur. Dans ces circonstances, la Cour constate que la décision du tribunal est raisonnable. Le demandeur n’a pas tenté de rechercher d’autres moyens de protection de l’État et il n’a pas démontré que la protection de l’État n’était pas raisonnablement disponible au Mexique.
[32] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et ce dossier n’en contient aucune.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4838-09
INTITULÉ : Manuel Aljandro Romero Castraňeda c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 31 mars 2010
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE BOIVIN
DATE DES MOTIFS : Le 13 avril 2010
COMPARUTIONS :
Chantal Ianniciello
|
POUR LA PARTIE DEMANDERESSE |
Caroline Doyon
|
POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Cabinet de Me Ianniciello Montréal (Québec)
|
POUR LA PARTIE DEMANDERESSE |
Myles Kirvan, Sous-procureur général du Canada |
POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |