Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 9 avril 2010
En présence de monsieur le juge O’Reilly
ENTRE :
NICOLE CASTILLO ET
CAMILA BARRERO
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Aperçu
[1] Mme Kelly Johanna Barrero est venue au Canada en 2008. Elle a demandé l’asile parce qu’elle craignait d’être persécutée en Colombie. Elle soutient que les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ont tenté de l’enrôler pour qu’elle rallie d’autres jeunes gens à leur cause. Elle a quitté la Colombie en 2001, à l’âge de 13 ans, et elle a ensuite séjourné aux États-Unis, où ses deux enfants sont nés.
[2] Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé la demande de Mme Barrero, faute de preuve. Mme Barrero soutient que la Commission a commis une erreur dans son traitement de la preuve, et elle me demande d’ordonner une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. Je conviens que la Commission a commis une erreur, et j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.
II. Analyse
a) Le contexte factuel
[3] De 1999 à 2001, Mme Barrero a joué un rôle dans le conseil étudiant de son école. Un homme l’a abordée pour qu’elle convainque certains de ses camarades de classe d’assister à des réunions qu’il avait organisées. Elle l’a fait. Lors des réunions, l’homme a fait des conférences et a montré des vidéos de jeunes marchant en uniformes. Les vidéos contenaient des renseignements sur la production et la vente de stupéfiants pour financer le groupe. Après que Mme Barrero eut cessé d’assister aux réunions, l’homme est venu chez elle pour la convaincre de se joindre au groupe. Il l’a menacée ainsi que sa mère lorsqu’elles ont refusé. Mme Barrero est allée vivre chez sa grand-mère jusqu’à ce qu’elle obtienne un visa pour se rendre aux États-Unis.
b) La décision de la Commission
[4] En rejetant la demande de Mme Barrero, la Commission a formulé les réserves suivantes à l’égard de la preuve :
• Mme Barrero n’était pas certaine si la personne qui avait tenté de l’enrôler était liée aux FARC ou à un autre groupe;
• Mme Barrero a affirmé que sa grand-mère l’avait informée en 2008 que six jeunes de son école secondaire avaient disparu, mais, puisque ces disparitions se sont produites sept ans après que Mme Barrero eut quitté la Colombie, il n’y avait aucun lien apparent avec les événements de 2001;
• Il n’y avait aucune raison de croire que l’homme qui avait abordé Mme Barrero en 2001 la chercherait encore ou serait capable de la trouver si elle retournait en Colombie et s’établissait à Bogota ou à Carthagène.
c) La preuve
[5] Mme Barrero a affirmé qu’elle était certaine que l’homme qui l’avait abordée appartenait aux FARC. Elle a reconnu les uniformes dans la vidéo à partir de ce qu’elle avait vu dans des bulletins de nouvelles télévisées. Le commissaire lui a demandé s’il se pouvait que le groupe ait été les Autodéfenses unies de Colombie (AUC), un autre groupe paramilitaire, mais Mme Barrero a dit qu’elle n’avait pas entendu parler de ce groupe. La Commission a néanmoins conclu du témoignage de la demanderesse que le groupe [TRADUCTION] « pouvait fort bien avoir été les AUC, qui ont été démobilisés dans une large mesure ». Or, je ne relève aucun élément de preuve qui puisse étayer cette conclusion.
[6] Pour ce qui concerne les jeunes disparus, la demanderesse avait dit que sa grand-mère lui avait communiqué ces renseignements en 2008, et non que les jeunes avaient disparu en 2008. La Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les disparitions avaient eu lieu sept ans après que la demanderesse eut quitté la Colombie.
[7] Quant à la possibilité que les agents de persécution s’intéressent à la demanderesse ou soient capables de la trouver, la Commission s’est fiée à sa propre appréciation de ce qui était vraisemblable dans les circonstances. Elle a fait remarquer qu’il n’était pas du tout certain que l’homme qui avait abordé la demanderesse à l’origine fût encore vivant. Il n’avait pas abordé la famille de son beau-père, qui était encore en Colombie. En outre, si la famille de la demanderesse ne révélait pas où elle se trouvait, personne ne pourrait la trouver à son retour.
[8] L’analyse de la Commission est fondée sur l’hypothèse selon laquelle le risque auquel Mme Barrero serait exposée est relié à un seul individu, plutôt qu’à un groupe paramilitaire organisé. Elle a clairement indiqué dans son témoignage que c’était les FARC qu’elle craignait. Il n’y a rien d’invraisemblable en soi dans la description que Mme Barrero a faite des FARC comme étant une organisation ayant une longue mémoire institutionnelle, disposant d’un vaste réseau de contacts, et ayant la capacité de persuader des parents de révéler où se trouve un de leurs être chers.
[9] À mon avis, la conclusion de la Commission selon laquelle la demande de Mme Barrero n’avait aucun fondement objectif est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47).
III. Conclusion et décision
[10] À mon avis, la conclusion de la Commission était déraisonnable parce qu’elle n’était pas étayée par les éléments de preuve dont elle disposait. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner qu’un autre tribunal de la Commission réexamine la demande de Mme Barrero. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale aux fins de certification, et aucune n’est formulée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué;
2. Aucune question de portée générale n’est formulée.
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2510-09
INTITULÉ : BARRERO, ET AL c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : le 12 janvier 2010
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE O’REILLY
DATE DES MOTIFS : le 9 avril 2010
COMPARUTIONS :
Linda Martschenko |
POUR LES DEMANDERESSES
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Monmi Goswami
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
LINDA MARTSCHENKO Avocate Windsor (Ontario)
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POUR LES DEMANDERESSES
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JOHN H. SIMS, C.R. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |