Cour fédérale
|
|
Federal Court
|
Ottawa (Ontario), le 1er avril 2010
En présence de monsieur le juge de Montigny
ENTRE :
LABORATOIRES QUINTON INTERNATIONALE S.L.
requérante
et
et
RUDOLPH BISS
et
9134-3954 QUEBEC INC.
intimés
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La présente requête est déposée par les intimés en vue d’obtenir l’autorisation de modifier leur défense et d’ajouter une demande reconventionnelle en vertu de l’article 75 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. La requérante ne s’oppose à la requête qu’en ce qui concerne la demande d’ajout d’une demande reconventionnelle par les intimés.
[2] L’action sous-jacente de la requérante vise la radiation de l’enregistrement des marques de commerce n° TMA666 132 pour QUINTON DUPLASE, TMA666 134 pour QUINTON & Design, TMA 666 135 pour QUINTON HYPERTONIC et TMA 666 768 pour QUINTON ISOTONIC (les marques QUINTON). En outre, l’action allègue que l’on a fait passer une marque de commerce pour une autre et que l’on a violé un droit d’auteur. La demande introductive fut déposée le 28 août 2006.
[3] Une défense a été déposée le 13 octobre 2006, pour être ensuite modifiée le 16 avril 2009. Une réponse a été déposée le 15 novembre 2006.
[4] La première ronde d’interrogatoires préalables a eu lieu les 27 et 28 avril 2009. La deuxième ronde d’interrogatoires préalables doit se terminer au plus tard le 9 avril 2010.
[5] Les intimés font valoir que la requérante a violé l’alinéa 7a) et l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce (L.R.C. (1985), ch. T-13). De façon plus particulière, la défense modifiée et la demande reconventionnelle annexées à l’avis de requête donnent à entendre que la requérante ou d’autres parties sur lesquelles elle exerce un pouvoir de direction ou de gestion ont fait des déclarations fausses et trompeuses à l’endroit des clients et des associés des intimés en ce qui a trait à l’utilisation des marques QUINTON par les intimés et à la qualité des produits vendus en rapport avec lesdites marques. Les intimés allèguent qu’ils ont subi des dommages au Canada en raison desdites déclarations et qu’il va de l’intérêt de la justice d’accueillir la modification demandée de façon à ce que la Cour puisse statuer sur l’ensemble du litige opposant les parties dans le cadre d’une seule instance.
[6] Le 19 mars 2010, l’avocat des intimés a demandé à l’avocat de la requérante de consentir à la modification de leur défense et à l’ajout d’une demande reconventionnelle; une ébauche de la défense a été acheminée à l’avocat de la requérante. Ce dernier a refusé d’accorder son consentement au motif que la Cour n’a pas compétence pour instruire la demande reconventionnelle, étant donné que la cause d’action n’a pas pris naissance au Canada.
[7] Je ne conteste pas le fait que la seule prétention d’une partie relativement à des dommages subis au Canada ne suffise pas à garantir la compétence de la Cour en la matière. Il doit exister un rapport réel et substantiel entre la tribune et la partie contre laquelle est déposée une action pour que la Cour puisse avoir compétence en la matière. Si la cause d’action survient dans un pays étranger, la partie introduisant la poursuite doit s’adresser aux tribunaux compétents de ce pays pour l’obtention d’une décision corrective. Et quand bien même l’action principale tombe carrément sous la compétence de la Cour, la demande reconventionnelle doit également faire l’objet d’un examen indépendant, étant donné qu’il s’agit d’une réclamation distincte (Concept Omega Corp. c. Logiciels KLM Ltée (1987), 12 F.T.R. 291 (C.F.), à la p. 81).
[8] Les parties se sont référées à ma décision dans l’affaire Desjean c. Intermix Media, Inc., 2006 CF 1395, [2006] A.C.F. n° 1754, paragraphes 28 à 35, conf. par 2007 CAF 365, [2007] A.C.F n° 1523, pour établir les critères devant servir à déterminer l’existence d’un rapport réel et substantiel. Dans cette cause, j’ai conclu que ne satisfait pas à l’exigence relative à l’existence d’un rapport réel et substantiel le simple fait que des Canadiens aient accès à un site Web exploité par une société étrangère dont les serveurs, les employés et les comptes bancaires ne sont pas situés au Canada, qui ne paie pas d’impôts au Canada et dont la publicité, la commercialisation et le contenu particulier ne s’adressent pas au marché canadien.
[9] Dans la présente instance, je ne suis pas en mesure d’établir un rapport suffisant entre les motifs d’action allégués pour attribuer compétence à la présente Cour. La simple mention de l’expression « au Canada » dans divers paragraphes de la défense et demande reconventionnelle proposée ne suffit manifestement pas à confirmer la compétence de la Cour. Tout comme les intimés, je suis d’avis qu’un tribunal saisi d’une demande de modification doit présumer que les faits y allégués sont exacts (voir Visx Inc. c. Nidek Co. (1997) 209 NR 342 (C.A.F.), au par. 347, et Bande indienne de Fox Lake c. Reid Crowthers & Partners Ltd., 2002 CFPI 630, [2003] 1 CF 197, au par. 11). Il est en outre exact que la Cour doit appliquer la même règle que lorsqu’elle radie une plaidoirie, c’est-à-dire qu’elle ne rejettera une modification dans le cadre d’une affaire évidente et manifeste que lorsque la situation ne soulève aucun doute. Ceci dit, les faits particuliers justifiant une cause d’action au Canada manquent au suprême degré.
[10] Les paragraphes 99, 100, 103, 104, 106 et 107 de la défense et demande reconventionnelle modifiée proposée comportent des prétentions reposant sur des faits qui ne semblent pas être survenus au Canada ou qui n’y trouvent pas leur origine. De plus, les paragraphes 101 à 108 desdites défense et demande font référence à des actes commis par une société américaine dont la raison sociale est Original Quinton. Ladite société n’est pas partie à la présente action et ne semble pas compter d’employés, de bureaux, de comptes bancaires ni de serveurs au Canada. Même si les publications sur Internet de cette société présentant de manière inexacte les produits des intimés étaient accessibles aux Canadiens, cela ne constituerait clairement pas un motif suffisant pour attribuer compétence à notre Cour.
[11] L’affidavit de M. Marc Biss produit par les intimés à l’appui d’une requête en ordonnance préventive, qui a été entendue par notre Cour le 22 mars 2010, constitue la seule preuve sur laquelle la Cour peut s’appuyer à ce stade-ci. Cet affidavit ne comporte toutefois aucune preuve à l’appui d’une cause d’action donnant matière à procès, comme il est prévu à l’alinéa 7a) et à l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce. Aucune des pièces justificatives de cet affidavit ne démontre une cause d’action prenant naissance au Canada et pouvant donner lieu à des poursuites contre la requérante au Canada. Lors de l’audience, l’avocat des intimés a fait valoir qu’il n’est pas pertinent de se fonder sur cet affidavit, étant donné qu’il a été produit à une autre fin. Bien que cet argument puisse être fondé, il demeure que jusqu’à maintenant, cet affidavit constitue la seule preuve à l’appui des allégations énoncées dans la défense modifiée et la demande reconventionnelle l’appui des allégations faites dans la défense et demande reconventionnelle modifiée proposée. Cela n’est donc pas suffisant pour satisfaire l’exigence relative au rapport réel et substantiel avec le Canada devant être démontré pour justifier la compétence de la Cour.
[12] Le seul rapport avec le Canada semble donc être le fait que les activités des intimés s’exercent exclusivement au Canada et que ceux-ci offrent leurs services à tous leurs clients (qui sont dans une large mesure des Canadiens) à partir du Canada. Je n’ai rien vu qui justifie cette affirmation sans fondement. Et même si la Cour devait prendre cette affirmation au pied de la lettre pour les besoins de la présente requête, cela ne suffirait pas à lui attribuer compétence. Les violations à une loi doivent avoir été commises au Canada pour que notre Cour constitue le tribunal compétent pour statuer sur la demande reconventionnelle des intimés.
[13] La présente requête doit par conséquent être rejetée, étant donné qu’elle est à tout le moins prématurée. S’il arrivait, à l’issue de la deuxième ronde des interrogatoires préalables, que les intimés soient en mesure de justifier leur demande reconventionnelle à l’aide de faits liés expressément à des violations de la Loi sur les marques de commerce au Canada, ils seraient alors autorisés à présenter une autre requête en demande reconventionnelle dans le cadre de leur défense.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la présente requête soit rejetée, sous réserve du droit des intimés de déposer une demande d’autorisation d’ajout d’une demande reconventionnelle, sous réserve de la présentation de preuves démontrant des causes d’action donnant matière à procès et ayant pris naissance au Canada.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1554-06
INTITULÉ : Laboratoires Quinton Internationale S.L.
c.
9134-3954 Quebec Inc. et al.
LIEU DE L’AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 29 MARS 2010
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE DE MONTIGNY
DATE DE L’ORDONNANCE : Le 1ER AVRIL 2010
COMPARUTIONS :
François Larose
Brigitte Chan
|
POUR LA REQUÉRANTE
|
Joanne Chriqui
Pierre-Olivier Laporte
|
POUR LES INTIMÉS
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
BERESKIN & PARR
Avocats
600, boul. de Maisonneuve Ouest
Bureau 2800
Montréal (Québec) H3A 3J2
|
POUR LA REQUÉRANTE
|
OGILVY RENAULT S.E.N.C.R.L., S.R.L.
1, Place Ville Marie
Montréal (Québec) H3B 1R1
|
POUR LES INTIMÉS
|