Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 19 mars 2010
En présence de monsieur le juge O’Keefe
ENTRE :
KESBURN LENIS DURRANT
ATESHA ALCENIA DURRANT
NASHBORN ANTHONIO JAMES
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Les demandeurs sollicitent, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’évaluation des risques avant renvoi (l’agent d’ERAR), en date du 21 janvier 2009, qui a conclu qu’ils n’étaient pas exposés à un risque de persécution, à une menace de subir la torture, à une menace pour leurs vies ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités s’ils étaient renvoyés à Saint-Vincent-et-les Grenadines (la décision ERAR).
[2] Les demandeurs voudraient que la décision de l’agent d’ERAR soit annulée et que leurs revendications soient renvoyées à un autre agent pour nouvelle décision. Cependant, pour les motifs qui suivent, j’arrive à la conclusion que cette demande devrait être rejetée.
Le contexte
[3] Avis Casandra James (Avis) est citoyenne de Saint-Vincent-et-les Grenadines. Elle et ses enfants sont venus au Canada en 2006 et ont été autorisés à soutenir la demande d’asile de sa sœur, Neslyn, et celles de plusieurs autres proches. La demande d’asile mettait en cause le mari d’Avis, Lennox, qui en 2001 avait attaqué son frère, Noel, à la machette. Lennox a plus tard été reconnu coupable de l’agression et il est encore incarcéré à Saint-Vincent.
[4] Noel et ses enfants ont été acceptés comme réfugiés. La Section de la protection des réfugiés (la Commission) a cependant refusé les demandes d’asile de Neslyn et d’Avis, ainsi que celles des proches de chacune d’elles, par décision datée du 29 janvier 2008. La Commission a déclaré que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État. Ils avaient fait valoir devant la Commission que Lennox complotait de les tuer tous une fois libéré, puis de se suicider. La preuve principale de cette menace ressortait d’une lettre adressée par un agent de prison. La Commission a mis en doute l’authenticité de la lettre et s’est demandé pourquoi l’agent de prison avait envoyé la lettre à l’appui de la demande d’asile des demandeurs, mais ne l’avait pas présentée aux autorités pour empêcher une libération anticipée de Lennox. S’agissant en particulier de la demande d’asile d’Avis, la Commission s’est fondée sur le fait qu’elle avait pu obtenir en 2002, contre Lennox, une ordonnance de non-communication d’une durée de six mois, qui a été observée, mais qu’elle n’avait pas tenté ensuite d’obtenir la même ordonnance lorsque Lennox était revenu vivre avec elle durant l’année 2003. De l’avis de la Commission, ces faits montraient qu’Avis avait obtenu une protection des autorités auparavant et qu’elle aurait obtenu une protection additionnelle si elle l’avait demandée.
[5] La Cour a refusé aux demandeurs, en juin 2008, l’autorisation d’introduire une procédure de contrôle judiciaire contre la décision de la Commission.
[6] Au soutien de leur demande d’ERAR, les demandeurs ont produit environ 15 lettres des proches eux-mêmes ainsi que d’autres proches et d’amis. Les lettres renfermaient des opinions sur le sérieux de la menace de Lennox et sur ses lacunes en tant que père, et aussi des commentaires sur l’honorabilité des demandeurs et leur sincère désir de rester au Canada.
La décision de l’agent d’ERAR
[7] Tout d’abord, l’agent d’ERAR écrivait qu’il avait de façon impartiale passé en revue tous les documents et les éléments de preuve produits, de même que les documents publics existants relatifs aux conditions ayant cours dans le pays.
[8] L’agent d’ERAR a ensuite passé en revue la décision de la Commission et les documents à l’appui, puis a conclu que, après lecture de toutes les lettres produites au soutien de la demande d’ERAR, il ne s’agissait pas de nouveaux éléments de preuve. Les lettres reprenaient pour l’essentiel les mêmes circonstances et les mêmes risques qui avaient été portés à la connaissance de la Commission. Il n’est pas expliqué pourquoi les lettres n’auraient pas pu être présentées à la Commission. Les demandeurs n’ont pas fait état de l’apparition depuis lors d’un nouveau risque personnel.
[9] L’agent d’ERAR a ensuite entrepris d’examiner les conditions ayant cours dans le pays. Il a estimé que, selon la preuve documentaire, les victimes de violence familiale pouvaient obtenir de l’État une protection. Il a pris en compte la preuve documentaire montrant que la violence contre les femmes demeure endémique, mais il a estimé que les conditions ayant cours dans le pays n’avaient pas sensiblement évolué depuis que la demande d’asile des demandeurs avait été entendue.
Les questions en litige
[10] Les questions soulevées dans la présente affaire sont les suivantes :
1. Quelle norme de contrôle faut-il appliquer?
2. L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en disant que les demandeurs n’avaient pas produit de nouveaux éléments de preuve aux termes de l’alinéa 113a)?
3. L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en disant que, compte tenu de la preuve produite par les demandeurs, ils ne seraient pas exposés à un risque de torture, à un risque de persécution, à une menace pour leurs vies ou à des traitements ou peines cruels et inusités s’ils étaient renvoyés à Saint-Vincent?
Les observations écrites des demandeurs
[11] Les demandeurs disent que, une fois reçue la preuve appuyant une demande d’ERAR, les agents d’ERAR doivent apprécier la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et l’importance de cette preuve. Les éléments de preuve qui éclaircissent ou qui renforcent un point soulevé devant la Commission peuvent être considérés comme une nouvelle preuve. Si des éléments de preuve sont jugés recevables aux termes de l’alinéa 113a), l’agent d’ERAR doit alors se demander s’ils attestent l’existence d’un nouveau risque. L’agent d’ERAR a commis une erreur pour avoir tout simplement rejeté la preuve en disant qu’elle ne suffisait pas à réfuter les conclusions de la Commission. La nouvelle menace était attestée par la lettre de M. Robinson, où l’on pouvait lire que Lennox avait appris qu’il vivait maintenant avec Avis et qu’il menaçait maintenant de le tuer, lui et toute sa famille, ce qui avait poussé M. Robinson à quitter son emploi et à venir au Canada lui aussi. L’agent d’ERAR disait qu’il avait lu les lettres, mais il ne faisait aucune analyse donnant à penser qu’il en avait effectivement tenu compte.
[12] Les demandeurs affirment aussi que l’agent d’ERAR a été trop sélectif lorsqu’il a examiné la question de la protection de l’État et les conditions ayant cours dans le pays, laissant de côté des détails importants qui contredisaient ses conclusions ultimes. D’après eux, il n’aurait pas dû admettre qu’il y avait une réelle protection de l’État. La preuve montre que les femmes de Saint-Vincent ne bénéficient pas même d’une protection suffisante.
Les observations écrites du défendeur
[13] Selon le défendeur, c’est la norme déférente de la décision raisonnable que la Cour doit appliquer ici. Les conclusions des agents d’ERAR sont pour une large part dictées par les faits. Les antécédents d’un pays en matière de droits de la personne, de même que les risques auxquels est exposé un demandeur d’asile en cas de retour dans son pays, sont des aspects qui ne relèvent pas de la spécialisation de la Cour. Les cours de justice ne sont pas à même d’apprécier à nouveau les faits, mais ne peuvent intervenir que si l’agent d’ERAR a rendu une décision non étayée par la preuve ou s’il a passé sous silence des facteurs appropriés. Ce n’est pas ce qui s’est produit ici.
[14] Le défendeur dit aussi que c’est aux demandeurs qu’il appartient de présenter une demande d’ERAR étayée par une preuve crédible et digne de foi. Ici, les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État. L’État a en réalité protégé Avis, d’abord en rendant une ordonnance de non-communication, et plus tard en incarcérant Lennox.
[15] Finalement, le défendeur affirme que la décision de l’agent d’ERAR n’était pas déraisonnable. S’agissant de la preuve que l’agent d’ERAR avait devant lui, les demandeurs n’ont pas expliqué en quoi elle était nouvelle, ni pourquoi elle n’aurait pas pu être soumise à la Commission ainsi que le requiert l’article 113 de la Loi. La preuve en question se rapporte à des menaces constantes proférées par Lennox, mais il ne s’agit pas là de nouvelles menaces. La Commission avait considéré une preuve semblable produite par M. Robinson. L’agent d’ERAR n’a pas fait abstraction de la preuve et il n’était pas tenu de faire état de chaque élément de preuve. Par ailleurs, s’agissant de l’analyse relative à la protection de l’État, c’est toujours aux demandeurs qu’il appartient de réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État. Les demandeurs doivent apporter la preuve que la protection offerte par l’État est déficiente, puis convaincre ensuite le juge des faits que, selon la prépondérance de la preuve, la protection de l’État est déficiente. La preuve censée réfuter la présomption doit être une preuve claire et convaincante et elle doit être pertinente et digne de foi. Aucune preuve de cette nature n’a été produite.
Analyse et décision
[16] Question n° 1
Quelle est la norme de contrôle?
Il est bien établi que les conclusions d’un agent d’ERAR appellent une retenue considérable et qu’elles sont susceptibles de contrôle, depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, selon la norme de la décision raisonnable (voir Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1385, 58 Admin. L.R. (4th) 283, conf. par 2007 CAF 385, 289 D.L.R. (4th) 675; Ruiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 465, [2006] A.C.F. n° 573 (QL), paragraphe 12; Muszynski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1075, [2005] A.C.F. n° 1329 (QL), paragraphes 7 et 8).
[17] Dans la décision Raza, précitée, le juge Mosley passait en revue, au paragraphe 10, quelques-unes des règles d’après lesquelles les décisions des agents d’ERAR appellent une retenue considérable :
[10] Les agents d’ERAR possèdent des connaissances spécialisées en matière d’examen des risques et leurs conclusions sont généralement dictées par les faits, ce qui explique que celles‑ci doivent faire l’objet d’une retenue considérable : Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 872, 256 F.T.R. 53, au paragraphe 16 (Selliah). Les conclusions de fait tirées par un agent d’ERAR, y compris celles qui concernent le poids à accorder à la preuve qui lui a été présentée, réclament une retenue judiciaire considérable : Yousef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 864, [2006] A.C.F. no 1101, au paragraphe 19 (Yousef). À moins qu’il ait omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou qu’il ait tenu compte de facteurs non pertinents, l’appréciation de la preuve relève de l’agent chargé de l’examen et n’est normalement pas sujette à un contrôle judiciaire : Augusto c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 673, [2005] A.C.F. no 850, au paragraphe 9.
[18] J’ajouterais cependant que la question dont il s’agit ici, bien qu’elle demeure une question mixte de droit et de fait, présente un contenu juridique plus marqué que la conclusion ultime d’un agent d’ERAR. Autrement dit, une conclusion sur la question de savoir si une preuve présentée constitue une nouvelle preuve aux termes de l’alinéa 113a) n’appelle pas autant de retenue qu’une conclusion largement factuelle, telle la conclusion de l’agent d’ERAR à propos du risque.
[19] Question n° 2
L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en disant que les demandeurs n’avaient pas produit de nouveaux éléments de preuve aux termes de l’alinéa 113a)?
L’alinéa 113a) de la Loi dispose que le demandeur d’asile débouté ne peut, dans une demande d’ERAR, présenter : (i) que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande d’asile; (ii) que des éléments de preuve qui n’étaient pas accessibles; (iii) que des éléments de preuve dont il n’aurait pas été raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur d’asile soit en mesure de les présenter. Si un demandeur affirme que les éléments de preuve entrent dans la deuxième ou la troisième catégorie, alors il doit expliquer pourquoi ils n’étaient pas accessibles ou pourquoi ils n’auraient pas pu être présentés (voir Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] 1 R.C.F. 365, 2007 CF 240, paragraphe 26, et Kaybaki c. Canada (Solliciteur général du Canada), 2004 CF 32, [2004] A.C.F. n° 27 (QL)).
[20] Dans la décision Elezi, précitée, le juge de Montigny faisait cependant observer que le simple fait que la preuve porte une date postérieure à la décision de la Commission ne signifie pas que la preuve est nouvelle si elle se limite à confirmer l’existence de faits antérieurs à la décision (voir Elezi, précité, aux paragraphes 27 à 30). La preuve doit porter sur des faits nouveaux.
[21] Dans la décision Kaybaki, précitée, le juge Kelen faisait la mise en garde suivante, au paragraphe 11 :
[…] La procédure d’évaluation du risque avant renvoi ne saurait se transformer en une seconde audience du statut de réfugié. Cette procédure a pour objet d’évaluer les nouveaux risques pouvant surgir entre l’audience et la date du renvoi.
[22] Dans l’arrêt Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, 289 D.L.R. (4th) 675, [2007] A.C.F. n° 1632 (QL), la Cour d’appel fédérale s’interrogeait récemment sur les conditions de fond additionnelles auxquelles doivent satisfaire les éléments de preuve pour être recevables aux termes de l’alinéa 113a). Au paragraphe 13, la juge Sharlow écrivait ce qui suit :
[13] Selon mon interprétation de l’alinéa 113a), cet alinéa repose sur l’idée que l’agent d’ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance. L’alinéa 113a) pose plusieurs questions, certaines explicitement et d’autres implicitement, concernant les preuves nouvelles en question. Je les résume ainsi :
1. Crédibilité : Les preuves nouvelles sont‑elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.
2. Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent‑elles la demande d’ERAR, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.
3. Nouveauté : Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :
a) à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?
b) à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?
c) à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?
Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.
4. Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont‑elles substantielles, c’est‑à‑dire la demande d’asile aurait‑elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.
5. Conditions légales explicites :
a) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a‑t‑il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.
b) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).
[23] Les questions ci-dessus n’ont pas à être posées dans tous les cas, ni dans un ordre particulier. « […] L’important, c’est que l’agent d’ERAR considère toutes les preuves qui lui sont présentées, à moins qu’elles ne soient exclues pour l’un des motifs énoncés au paragraphe [13] ci‑dessus. » (Voir l’arrêt Raza, au paragraphe 15.)
[24] Je reconnais qu’une nouvelle preuve se rapportant à des risques anciens devrait être prise en compte (voir la décision Kirindage de Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 841). Cependant, il doit s’agir de nouveaux éléments de preuve.
[25] Le droit n’a pas changé, en ce sens qu’un demandeur doit montrer que des faits nouveaux sont survenus depuis la décision de la Commission, ou apporter la preuve d’un fait qui n’a pas été porté à la connaissance de la Commission. Si l’agent d’ERAR est à même de conclure que la preuve ne remplit pas les conditions légales explicites, il n’a pas à se poser d’autres questions. Essentiellement, l’arrêt Raza a permis de faire ressortir les conditions additionnelles requises : la preuve doit être crédible et les faits nouveaux qui s’y rapportent doivent être pertinents et substantiels pour le demandeur d’asile débouté.
[26] Ici, les demandeurs ont produit, comme preuve nouvelle, une lettre indiquant que Lennox avait appris la liaison d’Avis avec M. Robinson, qui, aujourd’hui, réside lui aussi au Canada. Selon la lettre manuscrite, Lennox veut maintenant tuer toute la famille de M. Robinson et dispose d’un nouveau mobile pour tuer toute la famille d’Avis. Sans doute pourrait-il s’agir là d’un fait nouveau de nature à satisfaire aux conditions légales explicites, mais c’est un fait nouveau qui n’est pas substantiel. Dans sa décision en effet, la Commission avait admis le témoignage d’Avis selon lequel Lennox voulait la tuer.
[27] Dans l’arrêt Raza, précité, la juge Sharlow est arrivée à la conclusion que la preuve produite n’atteignait pas le caractère substantiel requis :
[17] L’avocat de M. Raza et de sa famille a fait valoir que les preuves que l’on entend présenter au soutien d’une demande d’ERAR ne peuvent pas être rejetées au seul motif qu’elles [traduction] « concernent le même risque » que celui qu’a évalué la SPR. Je partage cet avis. Cependant, l’agent d’ERAR peut validement rejeter de telles preuves si elles n’établissent pas que les faits pertinents tels qu’ils se présentent à la date de la demande d’ERAR sont sensiblement différents des faits constatés par la SPR.
[18] En l’espèce, M. Raza et sa famille ont produit au soutien de leur demande d’ERAR plusieurs documents. Tous les documents ont été établis après le rejet de leur demande d’asile. L’agent d’ERAR a conclu que l’information contenue dans les documents se limitait pour l’essentiel à répéter l’information que la SPR avait eue devant elle. À mon avis, cette conclusion était raisonnable. Les documents ne sont pas aptes à établir que la protection offerte par l’État au Pakistan, protection que la SPR avait jugée suffisante, n’était plus suffisante à la date de la demande d’ERAR. Par conséquent, les prétendues preuves nouvelles ne sont pas recevables au regard de la quatrième question de la liste ci‑dessus.
[28] L’aspect essentiel de la décision de la Commission dont il s’agit ici concernait la protection de l’État. Or, aucune des lettres des demandeurs ne portait sur cet aspect. Comme dans l’espèce Raza, il était loisible à l’agent d’ERAR de conclure qu’aucune des lettres des demandeurs n’apportait de nouveaux éléments de preuve susceptibles de réfuter la conclusion de la Commission. L’agent d’ERAR n’avait pas l’obligation de faire une analyse juridique plus détaillée des raisons pour lesquelles chacune des lettres ne présentait pas un caractère substantiel. Je ne ferais pas droit à la demande de contrôle judiciaire sur ce moyen.
[29] Question n° 3
L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en disant que, compte tenu de la preuve produite par les demandeurs, ils ne seraient pas exposés à un risque de torture, à un risque de persécution, à une menace pour leurs vies ou à des traitements ou peines cruels et inusités s’ils étaient renvoyés à Saint-Vincent?
La Commission avait jugé que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés ni des personnes à protéger parce qu’ils n’avaient pas été en mesure de réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État. En fait, la preuve principale sur ce point était le fait que l’État avait apporté une protection contre Lennox, l’agent de persécution, en émettant contre lui une ordonnance de non‑communication, qu’il a respectée, puis en l’incarcérant.
[30] Puisque l’agent d’ERAR a conclu que les demandeurs n’avaient apporté aucun nouvel élément de preuve aux termes de l’alinéa 113a), il lui incombait de s’en tenir à la décision de la Commission (voir l’arrêt Raza, précité, au paragraphe 13).
[31] L’agent d’ERAR a toutefois passé en revue l’information actualisée sur les conditions ayant cours à Saint-Vincent. Il a examiné la version actualisée des Country Reports on Human Rights Practices de 2007 du Département d’État des États-Unis pour Saint-Vincent-et-les Grenadines (version rendue publique le 11 mars 2008). Ce document montrait que Saint-Vincent est un État démocratique doté d’institutions politiques et juridiques aptes à protéger ses citoyens, mais également que la violence contre les femmes y demeure endémique. Finalement, l’agent d’ERAR a conclu qu’il n’y avait pas eu d’évolution sensible des conditions ayant cours dans le pays depuis la décision de la Commission.
[32] Les demandeurs ne peuvent pas, dans une procédure de contrôle judiciaire, faire valoir que l’agent d’ERAR aurait dû arriver à une conclusion autre que celle de la Commission, puisqu’ils ne lui ont pas soumis de nouveaux éléments de preuve substantiels. Je suis d’avis de ne pas faire droit à la demande de contrôle judiciaire sur ce moyen.
[33] La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.
[34] Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé que soit certifiée une question grave de portée générale.
JUGEMENT
[35] LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
Réviseur
ANNEXE
Les dispositions légales applicables
Les dispositions légales applicables sont reproduites dans la présente section.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
112.(1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).
(2) Elle n’est pas admise à demander la protection dans les cas suivants :
a) elle est visée par un arrêté introductif d’instance pris au titre de l’article 15 de la Loi sur l’extradition;
b) sa demande d’asile a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e);
c) si elle n’a pas quitté le Canada après le rejet de sa demande de protection, le délai prévu par règlement n’a pas expiré;
d) dans le cas contraire, six mois ne se sont pas écoulés depuis son départ consécutif soit au rejet de sa demande d’asile ou de protection, soit à un prononcé d’irrecevabilité, de désistement ou de retrait de sa demande d’asile.
(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :
a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;
b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;
c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;
d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).
113. Il est disposé de la demande comme il suit :
a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;
b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;
c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;
d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :
(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,
(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.
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112.(1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).
(2) Despite subsection (1), a person may not apply for protection if
(a) they are the subject of an authority to proceed issued under section 15 of the Extradition Act;
(b) they have made a claim to refugee protection that has been determined under paragraph 101(1)(e) to be ineligible;
(c) in the case of a person who has not left Canada since the application for protection was rejected, the prescribed period has not expired; or
(d) in the case of a person who has left Canada since the removal order came into force, less than six months have passed since they left Canada after their claim to refugee protection was determined to be ineligible, abandoned, withdrawn or rejected, or their application for protection was rejected.
(3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person
(a) is determined to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality;
(b) is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punished by a term of imprisonment of at least two years or with respect to a conviction outside Canada for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;
(c) made a claim to refugee protection that was rejected on the basis of section F of Article 1 of the Refugee Convention; or
(d) is named in a certificate referred to in subsection 77(1).
113.Consideration of an application for protection shall be as follows:
(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;
(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;
(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;
(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and
(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or
(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-496-09
INTITULÉ : AVIS CASANDRA JAMES
KESBURN LENIS DURRANT
ATESHA ALCENIA DURRANT
NASHBORN ANTHONIO JAMES
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 24 SEPTEMBRE 2009
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE O’KEEFE
DATE DES MOTIFS : LE 19 MARS 2010
COMPARUTIONS :
Solomon Orjiwuru
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POUR LES DEMANDEURS |
Alexis Singer
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Solomon Orjiwuru Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |