Cour fédérale |
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Federal Court |
TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 12 mars 2010
En présence de monsieur le juge Near
ENTRE :
JANE UNETELLE, KATE UNETELLE, BILLY UNTEL, JIM UNTEL
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision (la décision) datée du 14 mars 2009 par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent) a rejeté la demande de protection des demandeurs à la suite d’un examen des risques avant renvoi (ERAR).
[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.
I. Le contexte
[3] La demanderesse principale (la demanderesse), âgée de 46 ans, est citoyenne d’un pays membre de l’Union européenne (UE). Elle a quatre enfants âgés de moins de 15 ans, trois qui sont citoyens du pays de l’UE et un qui est né au Canada. Les trois enfants nés dans le pays de l’UE sont parties à la présente demande. Les demandeurs sont tous musulmans.
[4] Les demandeurs ont fui le pays de l’UE et sont arrivés au Canada en 2004. À cette époque, la demanderesse fuyait une situation de violence sexuelle. À l’été de 2004, ils ont présenté une demande d’asile; celle-ci a été rejetée en 2005 et les demandeurs sont rentrés dans leur pays de l’UE. À son retour, la demanderesse a été harcelée de nouveau par la même personne. Elle a commencé à éprouver des difficultés psychologiques et a consulté à la fois un psychiatre et un chef religieux de sa collectivité. À cette époque, la demanderesse et son époux ont divorcé.
[5] En juillet 2007, la demanderesse et ses enfants sont revenus au Canada. Les demandeurs ont présenté une demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR) et, pour les aider, ils ont retenu les services d’une avocate, Mme Rwigamba. En février 2008, ils ont mis un terme à leur relation avec cette personne. Selon la demanderesse, à part des échanges au sujet des honoraires et quelques appels sans objet de la part du cabinet de l’avocate, elle n’a plus eu de nouvelles de cette dernière.
[6] Le 19 février 2009, à l’insu des demandeurs, l’agent qui évaluait leur demande d’ERAR a envoyé à Mme Rwigamba une lettre demandant de plus amples renseignements de la part de la demanderesse et fixant au 6 mars 2009 la date d’échéance pour leur réception (la demande). Les renseignements en question avaient trait au fait que les demandeurs étaient citoyens d’un pays de l’UE et qu’ils disposaient donc d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable car ils pouvaient résider dans n’importe quel pays de l’UE. Cette lettre n’a pas été transmise aux demandeurs et ces derniers n’ont pris connaissance de la demande qu’après que la décision d’ERAR a été rendue.
[7] Par une décision datée du 14 mars 2009, l’agent a rejeté la demande d’ERAR des demandeurs.
[8] Ce n’est pas avant le 24 août 2009, quand la demanderesse a reçu les motifs de la décision, sous la forme des notes de l’agent, que les demandeurs ont pris connaissance de la demande de renseignements additionnels.
II. La question en litige
[9] Les demandeurs soulèvent en l’espèce la question suivante : on‑t‑il été privés de leur droit à l’équité procédurale en n’étant pas informés de la demande concernant des éléments de preuve additionnels?
III. La norme de contrôle applicable
[10] La question en litige dans la présente affaire a trait à l’équité procédurale et elle sera évaluée selon la norme de la décision correcte (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 R.C.S. 339).
IV. Analyse
[11] Les demandeurs allèguent qu’en ne traitant pas de la lettre de demande adressée à la demanderesse, l’agent a porté atteinte à leur droit à l’équité procédurale en ce sens que cela les a empêchés de prendre véritablement part au processus décisionnel. Ils sont d’avis que, n’étant pas au courant de la demande, ils n’ont pas pu participer au processus décisionnel en y répondant.
[12] Le défendeur soutient qu’il incombe aux demandeurs de s’assurer que leur dossier d’ERAR est mis à jour. À l’époque du dépôt de leur demande d’ERAR, ils ont inclus un formulaire signé indiquant que Mme Rwigamba était leur avocate inscrite au dossier. La demanderesse a par la suite mis fin aux services de Mme Rwigamba, mais elle a omis de faire part au défendeur de ce changement pendant plus d’un an. Ce dernier est d’avis que les demandeurs, qui ont omis de mettre à jour leur dossier, tentent maintenant de tirer avantage de leur propre imprudence.
[13] La demanderesse invoque deux décisions à l’appui de leur point de vue : Acosta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 20; 85 A.C.W.S. (3d) 405, et Pramauntanyath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 174; 39 Imm. L.R. (3d) 243.
[14] Dans Acosta, une lettre permettant de transmettre plus de renseignements à CIC a été envoyée par erreur au conjoint codemandeur de la demanderesse principale. La juge Barbara Reed a infirmé la décision car la lettre aurait dû être envoyée à la demanderesse principale.
[15] Je fais une distinction entre la décision Acosta et la présente affaire. Dans Acosta, la juge Reed a décidé en fin de compte de donner à la demanderesse le bénéfice du doute en raison de la confusion considérable suscitée par l’envoi de la lettre à son conjoint aux Philippines. Même si ce n’est pas mentionné directement, les motifs de la juge Reed sous-entendent que celle-ci n’a pas conclu que la demanderesse était à blâmer pour le fait que la lettre avait été transmise à la mauvaise partie. Dans le cas présent, les demandeurs n’ont pas informé l’agent qu’ils avaient mis fin à leur relation avec l’avocate inscrite au dossier.
[16] Dans la décision Pramauntanyath, précitée, l’agente d’ERAR avait demandé que le demandeur présente des observations sur une question précise. Une fois que les motifs ont été communiqués, il était évident que les observations du demandeur sur la question n’avaient pas été prises en considération. La juge Anne Mactavish a décrété que même si la décision de l’agente d’immigration était peut-être valable au vu des informations figurant dans le dossier, les actes d’un tiers avait empêché que la cause du demandeur soit tranchée à la lumière d’un dossier complet. La juge Mactavish a décidé qu’il s’agissait là d’un déni de justice naturelle qui justifiait que la Cour intervienne. Au paragraphe 27, elle a déclaré ce qui suit :
27 […] C’est le demandeur qui a le fardeau de voir à ce que l’ensemble des renseignements pertinents soient soumis dans le délai imparti. Ce qui s’est produit en l’espèce semble être une situation exceptionnelle car aucun des avocats n’a pu me renvoyer à une affaire semblable. Ces circonstances exceptionnelles, plus particulièrement l’absence de faute de la part du demandeur, justifient l’intervention de la Cour en l’espèce.
[Non souligné dans l’original.]
[17] Il est bien établi qu’il incombe aux demandeurs de produire tous les documents nécessaires à l’appui de leur demande et qu’un agent n’est pas tenu de demander des renseignements à jour (voir Zambrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481; 326 F.T.R. 174; Melchor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1327; 39 Imm. L.R. (3d) 79).
[18] Je souligne de plus que la Cour a conclu antérieurement qu’un demandeur, qui a agi avec diligence, ne devrait pas avoir à souffrir de la négligence de son avocat (voir Gulishvili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1200; 225 F.T.R. 248).
[19] Les demandeurs soutiennent qu’ils n’ont rien à se reprocher dans cette affaire et qu’ils tombent donc sous le coup de la jurisprudence susmentionnée. Je ne suis pas de cet avis. Il leur incombait de mettre à jour les renseignements figurant dans le dossier que détenait Citoyenneté et Immigration Canada. S’ils l’avaient fait, c’est à eux que la demande aurait été envoyée, plutôt qu’à leur ex-avocate. Il est question dans la jurisprudence susmentionnée de situations dans lesquelles la Cour intervient lorsque le demandeur n’a rien à se reprocher (Pramauntanyath, précitée) ou a agi avec diligence (Gulishvili, précitée). Ce n’est pas ce que l’on peut dire des demandeurs en l’espèce.
[20] Je souligne que le dossier ne contient aucune information de la part de Mme Rwigamba et je limite ma décision et mes motifs à la présente affaire.
JUGEMENT
1. la demande de contrôle judiciaire est rejetée;
2. aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3963-09
INTITULÉ : JANE UNETELLE et al
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATIONI
DATE DE L’AUDIENCE : Le 17 février 2010
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 12 mars 2010
COMPARUTIONS :
Laila Demirdache
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POUR LES DEMANDEURS |
Korinda McLaine
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Laila Demirdache Services juridiques communautaires Ottawa (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |