Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 12 mars 2010
En présence de monsieur le juge Campbell
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La présente demande vise à contester le refus d’un agent des visas d’accorder au demandeur, M. Abbasi, un visa de résident permanent à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. M. Abbasi est un citoyen du Pakistan parrainé par son épouse, Mme Nora Bautista, une résidente temporaire. Le rejet de la demande de parrainage est fondé sur la conclusion que le mariage du couple n’est pas authentique.
[2] La demande d’annulation de la décision de l’agent des visas est fondée sur les deux motifs suivants : la conclusion que le mariage n’était pas authentique était déraisonnable et le processus décisionnel ayant mené à cette conclusion contrevenait à la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985 (4e suppl.), ch. 31, puisque l’agent des visas a mené l’entrevue de M. Abbasi en ourdou. Pour les motifs qui suivent, la contestation sera accueillie sur le fondement du premier motif, mais non sur celui du second motif.
I. La décision est-elle déraisonnable?
A. La nature de la demande de visa
[3] Mme Bautista, une Philippine, a présenté une demande de résidence permanente au Canada en tant qu’ « aide familiale résidante ». Elle devait à ce titre et en ce qui concerne le parrainage de son mari se conformer aux exigences de l’article 114 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) :
Exigence applicable aux membres de la famille
114. L’exigence applicable à la demande de séjour à titre de résident permanent d’un membre de la famille d’un aide familial est que l’intéressé était visé par la demande de séjour de ce dernier à titre de résident permanent au moment où celle-ci a été faite.
114.1 L’étranger qui est un membre de la famille de l’aide familial qui présente une demande de séjour au Canada à titre de résident permanent devient résident permanent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments ci-après sont établis :
a) l’aide familial est devenu résident permanent;
b) l’étranger n’est pas interdit de territoire.
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Family Members Requirement
114. The requirement with respect to a family member of a live-in caregiver applying to remain in Canada as a permanent resident is that the family member was included in the live-in caregiver’s application to remain in Canada as a permanent resident at the time the application was made.
114.1 A foreign national who is a family member of a live-in caregiver who makes an application to remain in Canada as a permanent resident shall become a permanent resident if, following an examination, it is established that
a) the live-in caregiver has become a permanent resident; and
b) the foreign national is not inadmissible.
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[Non souligné dans l’original.]
En tant qu’« époux » de Mme Bautista, M. Abbasi était tenu, pour établir que son mariage est visé par l’article 114 du Règlement, d’en prouver l’authenticité aux termes de l’article 4 du Règlement :
Notion de famille
4. Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.
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Family Relationships
4. For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.
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B. Les éléments de preuve relatifs au mariage
[4] En octobre 2001, M. Abbasi a fait la connaissance de Mme Bautista lors d’un séjour de six mois à Hong Kong. Mme Bautista y travaillait à titre de travailleuse domestique. Le 17 novembre 2001, M. Abbasi a demandé Mme Bautista en mariage. M. Abbasi est rentré au Pakistan environ deux mois après la demande en mariage alors que Mme Bautista est demeurée à Hong Kong. Au bout de cinq ans de fiançailles, Mme Bautista, qui avait quitté Hong Kong pour le Canada en septembre 2006, s’est rendue à Abbottabad, au Pakistan, pour épouser M. Abbasi le 11 décembre 2006. Mme Bautista est rentrée au Canada en janvier 2007, après avoir passé quelque temps avec M. Abbasi et sa famille. Mme Bautista a présenté sa demande de résidence permanente en octobre 2007, alors qu’elle travaillait à Toronto en tant qu’aide familiale. Avant comme après le mariage, le couple est demeuré en contact par courriel, par téléphone et par correspondance.
C. La décision de l’agent des visas
[5] Avant que l’agent des visas n’examine l’ensemble de la preuve présentée à l’appui de la demande de visa, y compris l’entrevue de M. Abbasi, il y avait des doutes que le mariage ne respectait pas la norme établie par l’article 4 du Règlement. L’agent des visas a confirmé, dans l’affidavit déposé dans le cadre de la présente demande, qu’il avait eu connaissance de ces doutes avant d’entreprendre le processus décisionnel :
[traduction]
Des documents additionnels ont été reçus et examinés par l’analyste de cas, qui avait des doutes concernant le formulaire d’antécédents personnels incomplet et le défaut de fournir une carte d’identité nationale et l’original du certificat de mariage. Le dossier m’a ensuite été renvoyé en vue d’un examen et de conseils sur la marche à suivre.
Après avoir examiné le dossier, je l’ai renvoyé dans la file d’attente en vue d’une entrevue en raison de doutes à l’égard de l’authenticité de la relation entre la demanderesse au Canada et le membre de sa famille à l’étranger.
(dossier de requête du défendeur, p. 6, aux paragraphes 5 et 6)
[6] Le 10 septembre 2008, l’agent des visas a rencontré M. Abbasi pour déterminer s’il y avait eu présentation erronée quant à l’authenticité de son mariage à Mme Bautista. Les notes informatisées de l’entrevue (notes du STIDI) contiennent des commentaires détaillés sur les questions qui ont été posées à M. Abbasi et les réponses qu’il y a données (dossier du demandeur, aux paragraphes 14 à 19). Au cours de l’entretien, l’agent des visas a posé des questions pointues et détaillées concernant la relation entre M. Abbasi et Mme Bautista. En conséquence, l’agent des visas en est arrivé aux conclusions suivantes :
[traduction]
La naissance et le développement de la relation, bien que possibles, soulèvent des doutes. Peu probable que le DP [demandeur principal] et la répondante aient fait connaissance fortuitement, décidé de se marier au cours de cette rencontre inopinée après si peu de temps. Sont incapables de fournir des photos prises lors de ce séjour, bien qu’ils en aient de diverses personnes que le DP a rencontrées pour la première au cours du voyage; le fait de ne pas se voir pendant une si longue période après la rencontre initiale et les fiançailles, puis de se fiancer et de se marier si longtemps après la première rencontre.
Preuve insuffisante du caractère authentique de la relation, notamment une communication régulière et continue lorsqu’ils étaient séparés, des efforts pour se rendre visite ou passer du temps ensemble, la mise en commun des finances et des obligations, des communications aux occasions spéciales. DP et répondante ne semblent pas avoir fait de véritables efforts pour mettre leurs affaires en commun, comme c’est normalement le cas dans une relation authentique, vu la preuve présentée. Plusieurs éléments de preuve, comme les cartes de souhaits, semblent avoir été achetés dans le but d’étayer la demande et ne pas découler d’une communication authentique entre le DP et la répondante.
Le DP avait de la difficulté à répondre à des questions élémentaires au sujet de son épouse, auxquelles un époux devrait raisonnablement être en mesure de répondre. Semblait en savoir peu sur son épouse, malgré le temps qui s’était écoulé depuis le mariage. C’est étrange, même dans le cas d’un mariage arrangé, puisque après un mariage authentique le DP et son répondant veulent habituellement en apprendre davantage l’un sur l’autre pour cimenter leur relation. De plus, les demandeurs se montrent normalement très intéressés à l’égard de la vie que mène leur répondant au Canada et dont ils feront bientôt partie. Le DP pouvait difficilement répondre à des questions simples au sujet de l’âge des enfants dont s’occupe la
répondante, la maison où elle travaille ou d’autres détails au sujet de son emploi, sauf en des termes très généraux. De façon générale, le DP semble peu connaître la répondante.
(dossier du demandeur, p. 19)
En conséquence, par une lettre datée du 12 novembre 2008, M. Abbasi a été avisé de ce qui suit :
[traduction]
Vous avez eu une entrevue au haut-commissariat le 10 septembre 2008. Les doutes concernant votre demande vous ont été communiqués et j’ai tenu compte de votre réponse à ce sujet. J’ai conclu que votre mariage n’est pas authentique et qu’il vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.
En conséquence, pour l’application du règlement, vous n’êtes pas considéré comme étant un époux et n’appartenez donc pas à la catégorie du regroupement familial.
Le paragraphe 11(1) de la Loi établit qu’un étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par le règlement. Le visa ou autre document lui est délivré sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la Loi. Pour les raisons précitées, je ne suis pas convaincu que vous n’êtes pas interdit de territoire et que vous vous conformez aux exigences de la Loi. Je rejette par conséquent votre demande.
(dossier du demandeur, au paragraphe 11)
D. Conclusion
[7] Dans ses plaidoiries écrites, l’avocat du demandeur soutient que les conclusions défavorables tirées par l’agent des visas sont déraisonnables. L’agent des visas a commis une erreur en s’appuyant sur des critères relatifs aux demandes de parrainage typiques pour établir l’authenticité du mariage, celui-ci ayant eu lieu dans des circonstances qui n’étaient pas typiques ou « normales ». L’avocat du demandeur a en outre soutenu, dans ses plaidoiries orales, que pour établir la véritable nature de leur mariage, M. Abbasi et Mme Bautista auraient tous deux dû être interviewés. J’estime que ces arguments ont du poids.
[8] Les circonstances du mariage étant inhabituelles, il n’est pas étonnant qu’elles aient attiré des soupçons. Cela dit, l’existence de circonstances inhabituelles aurait aussi dû appeler à un examen minutieux. Le mariage est l’union de deux personnes. Lorsque le défaut de respecter une norme de conduite prévue soulève un doute quant à l’authenticité d’une telle union, il importe, pour traiter ce doute de façon équitable et appropriée, d’examiner soigneusement le témoignage de ces deux personnes. Aucune preuve au dossier n’indique que l’agent des visas a offert à Mme Bautista l’occasion de témoigner à l’égard de l’authenticité du mariage avant que ne soit rendue la décision contestée. Il m’est d’avis qu’en pareil cas, l’agent des visas était tenu d’interviewer M. Abbasi et Mme Bautista par les meilleurs moyens disponibles, que ce soit par téléconférence, par vidéoconférence ou au cours d’une entrevue sur place.
[9] La norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est établie dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 :
Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[10] À mon avis, vu l’insuffisance fondamentale de la preuve exposée précédemment, aucune issue n’était justifiable. Je souscris ainsi à l’argument de l’avocat de M. Abbasi selon lequel la décision contestée est déraisonnable et donc susceptible de contrôle judiciaire.
II. L’entrevue a-t-elle été menée en contravention de la Loi sur les langues officielles?
[11] Deux facteurs doivent être pris en compte en l’espèce. En premier lieu, l’entrevue a été menée en ourdou à la demande de M. Abbasi. Dans sa demande de visa, M. Abbasi s’est vu offrir un choix de langue entre l’anglais, le français et une langue « autre ». Il a choisi cette dernière option et précisé « ourdou ». L’agent des visas a confirmé le choix de la langue au début de l’entrevue :
[traduction]
Entrevue de l’étranger menée en ourdou à sa demande. Aucun interprète n’est requis puisque je parle couramment cette langue. L’étranger affirme ne pas parler l’anglais couramment.
(dossier du demandeur, au paragraphe 14)
En second lieu, aucune objection n’a été formulée dans la preuve par affidavit déposée par M. Abbasi dans la présente demande, ni à l’égard du déroulement de l’entrevue ni à celui de l’exactitude de la transcription des notes de la conversation qui s’est déroulée durant l’entrevue.
[12] L’avocat de M. Abbasi soutient néanmoins que l’agent des visas était légalement tenu de mener l’entretien en anglais ou en français par l’entremise d’un interprète anglais/ourdou ou français/ourdou. À l’appui de cet argument, l’avocat de M. Abbasi a signifié un avis de question constitutionnelle contestant les articles 11 et 12 de la LIPR ainsi que l’article 4 du Règlement. Lors de l’audition de la présente demande, l’avocat de M. Abbasi a cependant abandonné la question constitutionnelle, restreignant ainsi l’argumentation à l’interprétation qu’il convient de donner à la Loi sur les langues officielles.
A. L’argument lié à l’interprétation soulevé par l’avocat de M. Abbasi
[13] L’argument selon lequel l’agent des visas était tenu de mener l’entretien en anglais ou en français repose essentiellement sur l’article 16 et le paragraphe 20(1) de la Charte :
16. (1) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.
Communications entre les administrés et les institutions fédérales
[…]
20. (1) Le public a, au Canada, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec le siège ou l'administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l'égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas :
a) l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante;
b) l'emploi du français et de l'anglais se justifie par la vocation du bureau.
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16. (1) English and French are the official languages of Canada and have equality of status and equal rights and privileges as to their use in all institutions of the Parliament and government of Canada.
Communications by public with federal institutions
[…]
20. (1) Any member of the public in Canada has the right to communicate with, and to receive available services from, any head or central office of an institution of the Parliament or government of Canada in English or French, and has the same right with respect to any other office of any such institution where
(a) there is a significant demand for communications with and services from that office in such language; or
(b) due to the nature of the office, it is reasonable that communications with and services from that office be available in both English and French.
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[14] Eu égard aux langues officielles du Canada et au droit que confère le paragraphe 20(1) de recevoir des services dans l’une ou l’autre de ces langues, l’avocat du demandeur soutient que la Loi sur les langues officielles étant [traduction] « un document quasi constitutionnel qui non seulement reflète mais établit l’exigence constitutionnelle en matière de bilinguisme », les articles 21 à 24 de cette loi exigent que les affaires des institutions fédérales ne soient menées qu’en anglais ou en français (transcription de l’audience, le 20 janvier 2010, p. 10) :
PARTIE IV COMMUNICATIONS AVEC LE PUBLIC ET PRESTATION DES SERVICES COMMUNICATIONS ET SERVICES
21. Le public a, au Canada, le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d’en recevoir les services conformément à la présente partie.
22. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leur siège ou leur administration centrale, et en recevoir les services, dans l’une ou l’autre des langues officielles. Cette obligation vaut également pour leurs bureaux — auxquels sont assimilés, pour l’application de la présente partie, tous autres lieux où ces institutions offrent des services — situés soit dans la région de la capitale nationale, soit là où, au Canada comme à l’étranger, l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante.
23. (1) Il est entendu qu’il incombe aux institutions fédérales offrant des services aux voyageurs de veiller à ce que ceux-ci puissent, dans l’une ou l’autre des langues officielles, communiquer avec leurs bureaux et en recevoir les services, là où, au
Canada comme à l’étranger, l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante.
(2) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que, dans les bureaux visés au paragraphe (1), les services réglementaires offerts aux voyageurs par des tiers conventionnés par elles à cette fin le soient, dans les deux langues officielles, selon les modalités réglementaires.
24. (1) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leurs bureaux, tant au Canada qu’à l’étranger, et en recevoir les services dans l’une ou l’autre des langues officielles :
a) soit dans les cas, fixés par règlement, touchant à la santé ou à la sécurité du public ainsi qu’à l’emplacement des bureaux, ou liés au caractère national ou international de leur mandat;
b) soit en toute autre circonstance déterminée par règlement, si la vocation des bureaux justifie l’emploi des deux langues officielles.
(2) Il incombe aux institutions fédérales tenues de rendre directement compte au Parlement de leurs activités de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leurs bureaux, tant au Canada qu’à l’étranger, et en recevoir les services dans l’une ou l’autre des langues officielles.
(3) Cette obligation vise notamment : a) le commissariat aux langues officielles; b) le bureau du directeur général des élections; b.1) le commissariat à l’intégrité du secteur public; c) le bureau du vérificateur général; d) le commissariat à l’information; e) le commissariat à la protection de la vie privée; f) le Commissariat au lobbying.
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PART IV COMMUNICATIONS WITH AND SERVICES TO THE PUBLIC COMMUNICATIONS AND SERVICES
21. Any member of the public in Canada has the right to communicate with and to receive available services from federal institutions in accordance with this Part.
22. Every federal institution has the duty to ensure that any member of the public can communicate with and obtain available services from its head or central office in either official language, and has the same duty with respect to any of its other offices or facilities
(a) within the National Capital Region; or
(b) in Canada or elsewhere, where there is significant demand for communications with and services from that office or facility in that language.
23. (1) For greater certainty, every federal institution that provides services or makes them available to the travelling public has the duty to ensure that any member of the travelling public can communicate with and obtain those services in either official language from any office or facility of the institution in Canada or elsewhere where there is significant demand for those services in that language.
(2) Every federal institution has the duty to ensure that such services to the travelling public as may be prescribed by regulation of the Governor in Council that are provided or made available by another person or organization pursuant to a contract with the federal institution for the provision of those services at an office or facility referred to in subsection (1) are provided or made available, in both official languages, in the manner prescribed by regulation of the Governor in Council.
24. (1) Every federal institution has the duty to ensure that any member of the public can communicate in either official language with, and obtain available services in either official language from, any of its offices or facilities in Canada or elsewhere (a) in any circumstances prescribed by regulation of the Governor in Council that relate to any of the following: (i) the health, safety or security of members of the public, (ii) the location of the office or facility, or (iii) the national or international mandate of the office; or (b) in any other circumstances prescribed by regulation of the Governor in Council where, due to the nature of the office or facility, it is reasonable that communications with and services from that office or facility be available in both official languages.
(2) Any federal institution that reports directly to Parliament on any of its activities has the duty to ensure that any member of the public can communicate with and obtain available services from all of its offices or facilities in Canada or elsewhere in either official language.
(3) Without restricting the generality of subsection (2), the duty set out in that subsection applies in respect of (a) the Office of the Commissioner of Official Languages; (b) the Office of the Chief Electoral Officer; (b.1) the Office of the Public Sector Integrity Commissioner; (c) the Office of the Auditor General; (d) the Office of the Information Commissioner; (e) the Office of the Privacy Commissioner; and (f) the Office of the Commissioner of Lobbying.
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[15] En réponse à cet argument, l’avocat du défendeur soutient, en se fondant sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773 (l’arrêt Lavigne), qu’il est satisfait aux exigences de la Loi sur les langues officielles du moment que les membres du public se voient offrir l’accès aux services gouvernementaux dans la langue officielle de leur choix. Dans l’arrêt Lavigne, aux paragraphes 22 et 23, le juge Gonthier s’est exprimé ainsi :
L’article 2 de la Loi sur les langues officielles en énonce la mission :
2. La présente loi a pour objet :
a) d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l’administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en œuvre des objectifs de ces institutions;
b) d’appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d’une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais;
c) de préciser les pouvoirs et les obligations des institutions fédérales en matière de langues officielles.
Ces objectifs sont fort importants, car la promotion des deux langues officielles est essentielle au bon développement du Canada. Comme le disait notre Cour dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (C.S.C.), [1985] 1 R.C.S. 721, p. 744 :
L’importance des droits en matière linguistique est fondée sur le rôle essentiel que joue la langue dans l’existence, le développement et la dignité de l’être humain. C’est par le langage que nous pouvons former des concepts, structurer et ordonner le monde autour de nous. Le langage constitue le pont entre l’isolement et la collectivité, qui permet aux êtres humains de délimiter les droits et obligations qu’ils ont les uns envers les autres, et ainsi, de vivre en société.
La Loi sur les langues officielles va au-delà d’un énoncé de principes. Elle impose des exigences pratiques aux institutions fédérales, comme le mentionne le juge Bastarache dans l’affaire R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (C.S.C.), [1999] 1 R.C.S. 768, par. 24 :
L’idée que le par. 16(3) de la Charte, qui a officialisé la notion de progression vers l’égalité des langues officielles du Canada exprimée dans l’arrêt Jones, précité, limite la portée du par. 16(1) doit également être rejetée. Ce paragraphe confirme l’égalité réelle des droits linguistiques constitutionnels qui existent à un moment donné. L’article 2 de la Loi sur les langues officielles a le même effet quant aux droits reconnus en vertu de cette loi. Ce principe d’égalité réelle a une signification. Il signifie notamment que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l’État; voir McKinney c. Université de Guelph, 1990 CanLII 60 (C.S.C.), [1990] 3 R.C.S. 229, à la p. 412; Haig c. Canada, 1993 CanLII 58 (C.S.C.), [1993] 2 R.C.S. 995, à la p. 1038; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), 1987 CanLII 88 (C.S.C.), [1987] 1 R.C.S. 313; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), 1997 CanLII 327 (C.S.C.), [1997] 3 R.C.S. 624, au par. 73; Mahe, précité, à la p. 365. Il signifie également que l’exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d’accommodement.
L’importance de ces objectifs de même que les valeurs constitutionnelles incarnées par la Loi sur les langues officielles confèrent à celle-ci un statut privilégié dans l’ordre juridique canadien. Son statut quasi-constitutionnel est reconnu par les tribunaux canadiens. Ainsi, la Cour d’appel fédérale s’exprimait de la façon suivante dans Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373, p. 386 (voir également Rogers c. Canada (Service
correctionnel), 2001 CanLII 22031 (C.F.), [2001] 2 C.F. 586 (1re inst.), p. 602-603) :
La Loi sur les langues officielles de 1988 n’est pas une loi ordinaire. Elle reflète à la fois la Constitution du pays et le compromis social et politique dont il est issu. Dans la mesure où elle est l’expression exacte de la reconnaissance des langues officielles inscrite aux paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte canadienne des droits et libertés, elle obéira aux règles d’interprétation de cette Charte telles qu’elles ont été définies par la Cour suprême du Canada. Dans la mesure, par ailleurs, où elle constitue un prolongement des droits et garanties reconnus dans la Charte, et de par son préambule, de par son objet défini en son article 2, de par sa primauté sur les autres lois établies en son paragraphe 82(1), elle fait partie de cette catégorie privilégiée de lois dites quasi-constitutionnelles qui expriment « certains objectifs fondamentaux de notre société » et qui doivent être interprétées « de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui (les) sous‑tendent. »
B. Conclusion
[16] Le paragraphe 20(1) de la Charte confère à tout membre du public au Canada le droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec les institutions fédérales ou pour en recevoir les services. Comme le confirme l’arrêt Lavigne, ce droit crée une obligation pour les institutions fédérales et leur impose des exigences pratiques pour y satisfaire. Je suis d’accord avec l’avocat du défendeur que ce concept fondé sur les droits ne limite en rien le pouvoir des institutions fédérales d’offrir des services en des langues autres que l’anglais et le français aux membres du public qui ne souhaitent pas se prévaloir du droit que leur confère le paragraphe 20(1) de la Charte et désirent de fait traiter dans n’importe quelle autre langue dans laquelle un fonctionnaire est capable de communiquer efficacement sans l’aide d’un interprète. C’est ce qu’a fait valoir le juge
Pinard dans la décision Toma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1000, au paragraphe 33, alors qu’un agent des visas avait mené une entrevue en arabe sans recourir aux services d’un interprète :
Si l'agent parle la langue du demandeur - ce qui est le cas en l'espèce - il serait en effet étrange que l'agent utilise un interprète. Il n'est pas nécessaire de le faire. L'option qu'il vaut mieux choisir, comme le recommande le Guide [Guide de l'immigration, Traitement des demandes à l'étranger OP 5], est d'effectuer l'entrevue dans la langue du demandeur.
[17] Ainsi, selon les faits en l’espèce décrits plus hauts, je conclus qu’il n’y a pas eu violation de la Loi sur les langues officielles.
III. Résultat
[18] Compte tenu de son caractère déraisonnable, établi dans la section I, je conclus que la décision contestée est entachée d’une erreur susceptible de contrôle judiciaire.
[19] En conséquence, j’annulerai la décision contestée et renverrai l’affaire à un autre agent des visas pour nouvel examen.
[20] Au cours de l’audition de la présente demande, l’avocat de M. Abbasi a demandé que soit certifiée une question sur l’interprétation correcte de la Loi sur les langues officielles. Je suis d’avis que la question suivante est de portée générale et que, n’était la conclusion qui sous-tend l’annulation de la décision contestée, elle serait déterminante en l’espèce. Ainsi, la question suivante sera certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale :
Dans le cadre d’une demande de visa, le fait pour un agent des visas de mener une entrevue dans une langue autre que l’anglais ou le français à la demande du demandeur contrevient-il à la Loi sur les langues officielles lorsque l’agent des visas est en mesure de satisfaire à cette demande?
[21] Il n’existe aucun motif spécial pour adjuger des dépens.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent des visas est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen.
2. La question suivante est certifiée :
Dans le cadre d’une demande de visa, le fait pour un agent des visas de mener une entrevue dans une langue autre que l’anglais ou le français à la demande du demandeur contrevient-il à la Loi sur les langues officielles lorsque l’agent des visas est en mesure de satisfaire à cette demande?
3. Aucuns dépens ne sont adjugés.
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6-09
INTITULÉ : ZAHEED AHMED ABBASI
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 15 OCTOBRE 2009 et LE 20 JANVIER 2010
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE CAMPBELL
DATE DES MOTIFS: LE 12 MARS 2010
COMPARUTIONS :
Wennie Lee Rocco Galatti (le 20 janvier 2010) |
POUR LE DEMANDEUR |
Catherine Vasilaros |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lee & Company Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |