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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100303

Dossier : T-446-09

                                                                                                                  Référence : 2010 CF 250

Vancouver (Colombie-Britannique), le 3 mars 2010

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

DAN C. WILSON

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de deuxième niveau du commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, en date du 14 janvier 2009, qui a rejeté son grief relatif à sa demande de congé sans solde. Pour les motifs qui suivent, la demande sera accueillie dans la mesure où la décision sera annulée, avec dépens.

 

[2]               Le demandeur, Dan Wilson, était, à toutes les époques pertinentes, un membre à temps complet de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). En 1999, il a été détaché auprès du Groupe international de police en Bosnie-Herzégovine durant un an. À son retour dans la GRC en 2000, le Bureau du Haut-Représentant en Bosnie-Herzégovine a communiqué avec lui pour lui demander de participer à la mise sur pied d’une cellule antifraude dans ce pays. Le demandeur, trouvant cette offre extraordinaire et exaltante, a prié la GRC de l’autoriser à prendre un congé sans solde. Sa demande a été rejetée. La raison invoquée était que les ressources en personnel dans la région où servait le demandeur étaient limitées et que la GRC ne pouvait pas se passer de lui à ce moment-là.

 

[3]               Le 17 octobre 2000, le demandeur a déposé au sein de la GRC un grief contre le rejet de sa demande de congé sans solde. Le ou vers le 6 décembre 2000, il a pris sa retraite de la GRC et accepté l’affectation en Bosnie qui lui avait été offerte. Les avocats des deux parties ont convenu que la retraite du demandeur ne modifiait pas la procédure de règlement du grief ni le droit du demandeur d’introduire la présente procédure de contrôle judiciaire. S’agissant des dommages-intérêts que réclame le demandeur dans la présente instance, son avocat a proposé certains calculs chiffrant le préjudice prétendument subi par le demandeur, mais il reconnaît que ledit préjudice ne s’appuie sur aucune preuve, par exemple une expertise comptable.

 

[4]               Le grief déposé par le demandeur le 17 octobre 2000 a lentement suivi son cours, pour finalement trouver une issue au premier niveau le 10 septembre 2004. Le grief a été rejeté. Le demandeur a interjeté appel au deuxième niveau, ce qui a entraîné la tenue d’une première audience devant un comité externe d’examen, lequel a présenté ses recommandations le 13 septembre 2007 au décideur de deuxième niveau, à savoir le commissaire. Le 14 janvier 2009, le commissaire a rendu une décision de deuxième niveau qui rejetait le grief. La décision a été communiquée au demandeur le 27 février 2009. C’est cette décision qui est contestée en l’espèce.

 

[5]               Le demandeur voudrait que la décision de deuxième niveau soit annulée et que des dommages‑intérêts lui soient accordés. Subsidiairement, il demande l’annulation de la décision de deuxième niveau et le renvoi de l’affaire au commissaire pour évaluation des dommages‑intérêts. Selon le défendeur, la demande devrait être rejetée. Les deux avocats ont reconnu que les dépens devraient être accordés à la partie qui obtiendra gain de cause, et taxés selon le barème de la colonne III.

 

I. Les questions en litige

[6]               La principale question soulevée dans la présente affaire concerne l’interprétation de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11, et de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10, ainsi que l’interprétation des divers règlements, directives d’orientation et autres instruments y afférents. En bref, est-ce le Conseil du Trésor ou la Gendarmerie royale du Canada qui a compétence pour donner suite aux demandes de congé sans solde présentées par des agents de la GRC?

 

[7]               La deuxième question porte sur la demande de communication de certains documents, une demande présentée par le demandeur et semble-t-il rejetée par les représentants de la GRC durant la procédure de règlement du grief. Le demandeur a finalement présenté une demande de communication des documents en utilisant le processus d’accès à l’information, pour se faire dire que les documents n’étaient pas accessibles. Aux paragraphes 129 à 133 de sa décision, la décision ici contestée, le commissaire reconnaissait que ces documents auraient dû être communiqués au demandeur, mais qu’ils n’étaient pas accessibles. En tout état de cause, le commissaire a conclu que le grief devrait, pour ce seul motif, être rejeté.

 

A. Première question : Conseil du Trésor ou Gendarmerie royale du Canada?

[8]               Les avocats du demandeur font valoir que, en vertu des règles d’interprétation des lois, c’est le Conseil du Trésor et non la Gendarmerie royale du Canada qui est l’organisme habilité à donner suite à la demande de congé sans solde présentée par un agent de la GRC. Partant, de soutenir les avocats du demandeur, la décision de deuxième niveau du commissaire doit être revue d’après la norme de la décision correcte.

 

[9]               L’avocate du défendeur fait valoir que l’attribution d’un congé sans solde est une fonction administrative qui relève de la GRC, qu’une décision du commissaire comme celle dont il s’agit ici est fondée sur des lois, des règlements, des ordres permanents et des lignes directrices intéressant la GRC, et que la Cour doit montrer une retenue considérable dans l’examen des décisions fondées sur ces instruments.

 

[10]           Les avocats des deux parties invoquent l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] R.C.S. 190, 2008 CSC 9. Puisque, selon moi, le point soulevé est axé sur une question de droit, la norme applicable est la décision correcte.


 

[11]           La Loi sur la gestion des finances publiques énumère les questions à l’égard desquelles le Conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé de la Reine pour le Canada. L’alinéa 7(1)e) dispose ainsi :

7. (1) Le Conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé de la Reine pour le Canada à l’égard des questions suivantes :

[…]

e) la gestion des ressources humaines de l’administration publique fédérale, notamment la détermination des conditions d’emploi;

 

 

[12]           Le paragraphe 11(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques donne une définition de « fonction publique » où il est fait référence à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique :

11. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 12 et 13.

 

« fonction publique » S’entend au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, ainsi que de tout secteur de l’administration publique fédérale désigné comme tel par le gouverneur en conseil pour l’application du présent article et des articles 12 et 13.

 

 

[13]           La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P.35, définit l’expression « fonction publique », dans l’article 2, comme l’ensemble des organismes indiqués dans l’annexe I. Cette annexe comprend la Gendarmerie royale du Canada :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

« fonction publique » Ensemble des postes qui sont compris dans les ministères ou autres secteurs de l’administration publique fédérale spécifiés à l’annexe I, ou qui en relèvent.

[…]

ANNEXE I

(article 2)

PARTIE I

Ministères et autres secteurs de l’administration publique fédérale pour lesquels Sa Majesté, représentée par le Conseil du Trésor, est l’employeur

 

Ministères mentionnés à l’annexe I de la Loi sur la gestion des finances publiques

[…]

Gendarmerie royale du Canada

Royal Canadian Mounted Police

 

 

[14]           S’agissant à nouveau de la Loi sur la gestion des finances publiques, l’alinéa 11(2)a) de cette loi habilite le Conseil du Trésor à agir en matière de ressources humaines, et l’alinéa 11(2)d) lui confère un pouvoir explicite de déterminer et réglementer les congés des personnes employées dans la fonction publique :

(2) Sous réserve des seules dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d’un employeur distinct, le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel, notamment de relations entre employeur et employé dans la fonction publique :

a) déterminer les effectifs nécessaires à la fonction publique et assurer leur répartition et leur bonne utilisation;

[…]

d) déterminer et réglementer les traitements auxquels ont droit les personnes employées dans la fonction publique, leurs horaires et leurs congés, ainsi que les questions connexes;

 


 

[15]           Le paragraphe 11(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques est essentiel pour l’issue de la présente instance, car il prévoit une exception au pouvoir du Conseil du Trésor en ce qui concerne les questions expressément traitées par une autre loi :

(3) Le Conseil du Trésor ne peut exercer ses pouvoirs et fonctions à l’égard des questions visées au paragraphe (2) et dans une autre loi que si celle-ci confère en la matière des attributions à une autorité ou à une personne déterminée et traite expressément de ces questions; il ne peut non plus exercer des pouvoirs ou fonctions expressément conférés à la Commission de la fonction publique sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, ni mettre en œuvre des méthodes de sélection du personnel dont l’application relève, sous le régime de cette loi, de la Commission. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[16]           Je passe maintenant à la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10 (la Loi sur la GRC). Le paragraphe 5(1) de la Loi sur la GRC confère au commissaire pleine autorité sur la Gendarmerie et tout ce qui s’y rapporte :

5. (1) Le gouverneur en conseil peut nommer un officier, appelé commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, qui, sous la direction du ministre, a pleine autorité sur la Gendarmerie et tout ce qui s’y rapporte.

 

 

[17]           L’article 21 de la Loi sur la GRC autorise la prise de règlements et l’établissement de règles, notamment, dans l’alinéa (2)b), de règles concernant l’efficacité et la bonne administration de la Gendarmerie :

21. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements :

a) concernant le renvoi, par mesure administrative, des membres;

b) sur l’organisation, la formation, la conduite, l’exercice des fonctions, la discipline, l’efficacité et la bonne administration de la Gendarmerie;

c) de façon générale, sur la mise en oeuvre de la présente loi.

(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, le commissaire peut établir des règles :

a) concernant le renvoi, par mesure administrative, des membres;

b) sur l’organisation, la formation, la conduite, l’exercice des fonctions, la discipline, l’efficacité et la bonne administration de la Gendarmerie.

 

 

[18]           L’article 22 de la Loi sur la GRC confère au Conseil du Trésor le pouvoir d’établir la solde et les indemnités à verser aux membres de la GRC, ainsi que le pouvoir de réduire ou éliminer la solde et les indemnités dans certains cas. Cette disposition ne traite pas expressément du congé sans solde.

Solde et indemnités

 

22. (1) Le Conseil du Trésor établit la solde et les indemnités à verser aux membres de la Gendarmerie.

(1.1) La rétrogradation d’un membre conformément à la présente loi entraîne la réduction du barème de sa solde au barème de la solde la plus élevée du grade ou échelon auquel il est reporté, qui ne dépasse pas le barème de sa solde au moment de sa rétrogradation.

(2) Il ne peut être versé ni solde ni indemnités à un membre pour toute période durant laquelle il purge une peine d’emprisonnement.

(3) Le Conseil du Trésor peut prendre des règlements régissant la cessation de la solde et des indemnités des membres suspendus de leurs fonctions.

 

 

[19]           Les avocats du demandeur font valoir que l’on peut en rester là, puisque la Loi sur la GRC ne traite pas « expressément » des congés sans solde. En raison du paragraphe 11(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques, ils soutiennent que cette question relève de la compétence du Conseil du Trésor.

 

[20]           L’avocate du défendeur fait valoir que, parmi les pouvoirs généraux conférés au commissaire par le paragraphe 5(1) et l’article 21 de la Loi sur la GRC, il y a le pouvoir de gérer les congés sans solde, et elle affirme que ce pouvoir est suffisamment « explicite » pour satisfaire aux conditions du paragraphe 11(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

 

[21]           Les avocats du demandeur se réfèrent à la Politique sur le congé non rémunéré, publiée par le Conseil du Trésor au cours de la période pertinente, pour montrer que le Conseil du Trésor est devenu compétent dans les questions portant sur les congés sans solde. Cette politique est en partie rédigée ainsi :

 

Objectif de la politique

Assurer l’application équitable et uniforme des congés non rémunérés.

 

Énoncé de la politique

Le gouvernement a pour politique de permettre aux employés de s’absenter du travail pour des raisons personnelles ou autres sans être rémunérés, tout en leur assurant la continuité d’emploi.

 

Application

La présente politique s’applique à tous les ministères et autres éléments de la fonction publique énumérés à la partie I de l’annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

 

Exigences de la politique

Le congé non rémunéré ne peut être accordé qu’en vertu des documents habilitants, lesquels comprennent la convention collective et les conditions d’emploi appropriées.

Les ministères doivent se conformer à la norme figurant à l’Appendice A de la présente politique lorsque le congé non rémunéré est accordé pour les raisons suivantes :

-         maladie ou blessure;

-         emploi dans le cabinet d’un député;

-         instruction au sein des Forces de réserve.

 

[22]           La Politique mentionne ensuite qu’un employé autre qu’un employé appartenant au personnel d’un ministre peut revenir à son poste après le congé, ce qui suppose, soutiennent les avocats du demandeur, que ceux qui n’appartiennent pas au personnel d’un ministre peuvent revenir à leur poste sans aucune difficulté.

Emploi dans le cabinet d’un ministre

Le sous-ministre ne doit accorder à un fonctionnaire un congé non rémunéré pour une période déterminée pour accepter un emploi avec le personnel exempt d’un ministre, ou d’un chef de l’opposition, que s’il est convaincu que le retour du fonctionnaire au ministère n’en souffrira pas.

 

 

[23]           L’avocate du défendeur soutient que, dans la Politique, l’expression « conditions d’emploi appropriées » signifie que, par mesure administrative, le Conseil du Trésor a habilité les employeurs tels que la GRC à s’occuper des congés sans solde. Les avocats du demandeur soutiennent qu’un énoncé de politique ne saurait avoir préséance sur une disposition légale telle que le paragraphe 11(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques et que, en tout état de cause, l’« autorisation » de congé ne s’étend pas au refus de congé, mais concerne uniquement les aspects se rapportant aux modalités administratives d’un tel congé.

 

[24]           L’avocate du défendeur signale une directive administrative portant la date du 15 décembre 1999, envoyée aux agents régionaux de ressources humaines de la GRC, directive qui restreint aux cas exceptionnels l’approbation des demandes de congé sans solde. Elle est rédigée ainsi :

[traduction]

OBJET : CONGÉ SANS SOLDE ET CONGÉ SANS SOLDE AUTOFINANCÉ

Comme vous vous en souviendrez, ainsi que cela avait été évoqué lors de la dernière conférence des CEM/directeurs/RDRF à Ottawa il y a quelques semaines, la GRC connaît aujourd’hui une grave pénurie de ressources humaines qui réduit son aptitude à s’acquitter de ses engagements contractuels envers diverses parties prenantes.

Nous nous efforçons actuellement de composer avec cette vague de postes vacants, qui touche toutes les divisions. Jusqu’à ce que la situation soit corrigée, je voudrais que les approbations de congé sans solde et de congé sans solde autofinancé, en ce qui concerne les membres réguliers, ne soient accordées que dans les cas exceptionnels.

Je vous remercie de votre coopération.

 

 

[25]           Les avocats du demandeur font valoir que cette directive ne saurait conférer une compétence là où il n’en existe aucune.

 

[26]           Un important précédent en la matière est un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Gingras c. Canada, [1994] 2 C.F. 734. Cette affaire concernait un régime de prime au bilinguisme institué par le Conseil du Trésor. Il s’agissait de savoir si les membres de la GRC étaient des employés du Conseil du Trésor aux fins de ce régime. L’arrêt unanime de la Cour d’appel fédérale a été rendu par


Monsieur le juge Décary. Il écrivait, à la page 748, que la Loi sur la gestion des finances publiques était la pièce maîtresse de l’organisation de l’administration fédérale :

C’est la Loi sur l’administration financière qui est la pièce maîtresse de l’organisation de l’administration fédérale. Elle établit un comité du Conseil privé de la Reine pour le Canada, qu’elle appelle le « conseil du Trésor » (paragraphe 3(1)). Le Conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé relativement à toute question concernant notamment « a) la politique administrative générale suivie dans la fonction publique du Canada »; « b) l’organisation de la fonction publique ou de l’un de ses éléments »; « c) la gestion financière »; et « e) la direction du personnel de la fonction publique, notamment la fixation des conditions d’emploi des personnes qui y sont employées ». (paragraphe 5(1)).

 

 

[27]           Le juge Décary reproduisait certaines dispositions de la Loi sur l’administration financière (aujourd’hui Loi sur la gestion des finances publiques). Il importe de noter que les mots de l’alinéa 7(1)d) sont essentiellement les mêmes que ceux de l’alinéa 11(2)d) de la version de la loi qui est en cause ici, tout comme le texte du paragraphe 7(3) de l’ancienne loi est essentiellement le même que le texte du paragraphe 11(3) auquel nous avons affaire ici.

 

[28]           Le juge Décary a tiré plusieurs conclusions à propos de cette loi. Il s’exprimait ainsi, aux pages 753 et suivantes :

Une lecture attentive de ces dispositions me mène aux constatations suivantes:

1. Il n’y a, dans la branche exécutive du gouvernement fédéral, qu’un seul « employeur », qui est Sa Majesté la Reine du chef du Canada;

 

2. Règle générale, Sa Majesté n’exerce pas elle-même, non plus que par l’intermédiaire du gouverneur en conseil, ses fonctions d’employeur; elle en délègue plutôt l’exercice tantôt au Conseil du Trésor, lorsqu’il s’agit d’un ministère ou d’un élément de la fonction publique que spécifie la Partie I de l’annexe I, tantôt à un employeur distinct, lorsqu’il s’agit d’un élément de la fonction publique que spécifie la Partie II de l’annexe I.

 

3. Le législateur a retenu un critère objectif, simple et facilement vérifiable pour établir à l’égard de qui Sa Majesté serait représentée, comme employeur, par le Conseil du Trésor, et à l’égard de qui elle serait représentée, comme employeur, par un employeur distinct: l’établissement, dans une loi et non pas dans un règlement, de deux listes, en l’occurrence les annexes I et II. Bien que ces listes apparaissent en annexe de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, elles servent d’autres fins que celles de cette Loi. Ainsi, la Loi sur l’administration financière (voir le paragraphe 7(9)) et la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique (voir la définition de « Fonction publique » au paragraphe 2(1)) renvoient expressément ou par implication nécessaire à l’annexe I. Un renvoi qui est fait à l’annexe I n’emporte donc pas nécessairement un renvoi à la loi à laquelle elle est rattachée.

 

4. C’est par législation plutôt que par réglementation que le gouvernement a précisé de qui le Conseil du Trésor, au nom de Sa Majesté, serait l’employeur et de qui il ne le serait pas. Tout changement de statut, à cet égard, ne peut donc être fait que par une loi.

 

5. La GRC est une division ou section de la fonction publique du Canada au sens de la Loi sur l’administration financière et constitue un ministère ou département au sens de cette Loi. Ses membres sont donc, aux fins de cette Loi, des « personnes employées dans la fonction publique du Canada ». De plus, la définition d’« employé », à l’article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, en excluant de la définition « personne employée dans la Fonction publique » aux fins de cette Loi les membres de la GRC, confirme que ces derniers sont, par ailleurs, des « personnes employées dans la Fonction publique ».

 

6. La GRC (et non seulement son personnel civil) est désignée dans la Partie I de l’annexe I parmi ces ministères, départements et autres éléments de la fonction publique du Canada pour lesquels Sa Majesté, représentée par le Conseil du Trésor, est l’employeur;

 

7. Le SCRS est désigné dans la Partie II de l’annexe I parmi ces éléments de la fonction publique du Canada qui sont des employeurs distincts.

 

8. Une comparaison des Parties I et II de l’annexe I révèle que le législateur a pris grand soin d’établir avec précision les « éléments » de la fonction publique qu’il y énumérait et rien ne permet d’interpréter le renvoi à la GRC, qui est fait dans la Partie I de l’annexe I, comme un renvoi au seul personnel civil de la GRC. L’annexe I, en effet, désigne des « éléments » (« secteurs » dans la version de l985) dans leur totalité, et lorsqu’elle a voulu ne renvoyer qu’à une partie d’un élément, elle l’a fait expressément (« Personnel de la Cour de l’Échiquier », « Personnel de la Cour suprême », dans la Partie I, en 1970; « Personnel de la Cour suprême » et « Personnel de la Cour fédérale », et "Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes", dans les Parties I et II, respectivement, en 1985). Il serait étonnant par ailleurs que le législateur ait inscrit la GRC dans la Partie I en raison de son seul personnel civil, quand on sait que la GRC est, essentiellement, une institution composée d’officiers et de membres; comme si le législateur avait donné priorité à l’accessoire sur le principal. Il serait aussi curieux que le législateur, après avoir, dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique , pris soin d’exclure du mot « employé » les membres de la GRC, ait omis d’y aller de cette même exclusion quand est venu le temps de confectionner l’annexe I. De plus, le fait que le législateur, en dépit de ce qu’il excluait à la fois les membres de la GRC et les employés « non civils » du SCRS de la définition d’« employé », ait persisté à inclure la GRC dans la Partie I et le SCRS dans la Partie II, indique que l’appartenance à l’une ou l’autre des Parties I et II de l’annexe I n’a rien à voir avec la définition d’« employé » dans la Loi.

 

9. Un membre de la GRC est donc une personne employée au sein de la fonction publique, dans un élément de celle-ci dont l’employeur est Sa Majesté représentée par le Conseil du Trésor, ce qui en fait par surcroît une personne employée dans la fonction publique. Le fait que ce membre n’est pas un employé aux fins de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique ne change en rien son statut d’employé de la fonction publique. Je partage tout à fait le point de vue du juge du procès, pour qui « l’exclusion des membres non civils, non syndiqués, de la GRC pour les fins de l’application des dispositions générales de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique relève spécifiquement et uniquement de l’objet de celle-ci, à savoir l’encadrement des rapports collectifs de travail dans la Fonction publique. Cette exclusion n’a pas pour effet de soustraire ces membres de la GRC de la définition de Fonction publique »

 

 

 

[29]           À la page 758, le juge Décary écrivait :

Je ne dis pas que les membres de la GRC sont des employés comme les autres. Il est certain, aussi bien en droit commun qu’en droit statutaire canadien, qu’ils forment une classe à part, de par leur mode de nomination, leur serment, leur code de discipline. Je dis simplement que ce statut particulier ne leur enlève pas, aux fins des lois relatives à l’organisation de l’administration publique fédérale, leur statut d’employé. Employé spécial, mais employé quand même.

 

 

[30]           Je déduis de cette analyse que les membres de la GRC sont des employés de Sa Majesté, et que les fonctions de Sa Majesté sont déléguées au Conseil du Trésor pour ce qui concerne la GRC, sauf dans la mesure par ailleurs prévue par législation plutôt que par réglementation ou autrement.

 

[31]           Dans l’affaire Gingras, tout comme dans la présente espèce, l’avocat de la Couronne faisait valoir que l’article 5 de la Loi sur la GRC était suffisamment large pour conférer les pouvoirs nécessaires au commissaire, plutôt qu’au Conseil du Trésor. Le juge Décary s’exprimait ainsi, aux pages 754 et 760 :

L’appelante fait grand état de l’article 5 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada qui prescrit que le Commissaire, « sous la direction du Ministre, est investi de l’autorité sur la Gendarmerie et de la gestion de toutes les matières s’y rattachant ».

 

Le fait que le Commissaire soit investi de cette autorité n’en fait pas pour autant un employeur en lieu et place du Conseil du Trésor. Les pouvoirs de ce dernier sont en effet jalousement protégés par le paragraphe 7(6) de la Loi sur l’administration financière et ce n’est qu’exceptionnellement, et autrement que par simple attribution de ces pouvoirs à une autre autorité, que cette autre autorité les exercera à sa place. En l’espèce, l’article 5 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada constitue une simple attribution de pouvoir au Commissaire, laquelle, par conséquent, ne confère en elle-même aucune autorité réelle au Commissaire relativement à ces questions qui sont spécifiées au paragraphe (1) de l’article 7 de la Loi sur l’administration financière et à propos desquelles le Conseil du Trésor aurait exercé ses pouvoirs.

 

Quels que soient de toute façon les pouvoirs du Commissaire en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, il est certain qu’ils ne s’étendent pas à ces pouvoirs et fonctions énumérés aux alinéas a), c), d) et i) du paragraphe 7(1) de la Loi sur l’administration financière, qui sont des attributs importants de la qualité d’employeur, puisque de par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada aux paragraphes 6(2), 7(2) et aux articles 11 et 22, ces pouvoirs et fonctions continuent à être exercés par le Conseil du Trésor. Le paragraphe 22(1), notamment, prescrit que « [l]e conseil du Trésor doit établir la solde et les allocations à verser aux membres de la Gendarmerie ». Le pouvoir de nomination des membres de la GRC échappe, il est vrai, au Conseil du Trésor, mais il lui échappe également dans les ministères, dont il est pourtant l’employeur (à titre de représentant de Sa Majesté), puisque ce pouvoir appartient à la Commission de la fonction publique. Le pouvoir de nomination n’est pas, par conséquent, un attribut essentiel de la qualité d’employeur aux fins des lois qui nous concernent.

 

 

[32]           Dans la présente affaire, je suis d’avis que l’arrêt Gingras est un précédent persuasif, sinon contraignant. Il nous enseigne que le législateur a conféré au Conseil du Trésor des pouvoirs qui ne peuvent lui être retirés que par une législation. Le paragraphe 11(3) dispose que ces pouvoirs ne peuvent lui être retirés que par un texte explicite. Je ne vois dans la Loi sur la GRC aucun texte explicite retirant au Conseil du Trésor ses pouvoirs en matière de congés sans solde.

 

[33]           L’avocate du défendeur fait valoir que l’énoncé de politique émis par le Conseil du Trésor vaut attribution au commissaire de la GRC du pouvoir d’établir les « conditions d’emploi appropriées », ce qui comprend les congés sans solde. Elle se réfère à l’arrêt Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants – Section Colombie-Britannique, 2009 CSC 31, où la Cour suprême du Canada, dans sa décision majoritaire, a jugé que, dans certains cas, un énoncé de politique peut constituer une « règle de droit » contraignante. S’exprimant pour les juges majoritaires, le juge Deschamps écrivait ce qui suit, aux paragraphes 64 et 65 :

[64]      La politique qui n’est pas administrative par nature et qui satisfait à certaines exigences peut constituer une « règle de droit ». Pour qu’elle soit de nature législative, la politique doit établir une norme d’application générale adoptée par une entité gouvernementale en vertu de son pouvoir de réglementation. Un tel pouvoir existe lorsque le législateur fédéral ou provincial a délégué un pouvoir à l’entité gouvernementale aux fins précisément d’adopter des règles obligatoires d’application générale établissant les droits et les obligations des personnes qui y sont assujetties (D. C. Holland et J. P. McGowan, Delegated Legislation in Canada (1989), p. 103). Point n’est besoin, pour l’application de l’article premier de la Charte, que ces règles revêtent la forme de textes réglementaires. Dans la mesure où leurs lois habilitantes permettent aux entités d’adopter des règles obligatoires, où leurs politiques établissent des droits et des obligations d’application générale plutôt que particulière et où elles sont suffisamment accessibles et précises, alors ces politiques sont réputées constituer des « règles de droit » susceptibles de restreindre un droit garanti par la Charte.

 

[65]      Ainsi, lorsqu’une politique gouvernementale est autorisée par la loi, qu’elle établit une norme générale se voulant obligatoire et qu’elle est suffisamment accessible et précise, il s’agit d’une règle de nature législative qui constitue une « règle de droit ».

 

 

[34]           Je suis d’avis que, même si l’énoncé de politique émis par le Conseil du Trésor est du genre de politique auquel avait affaire la Cour suprême, les mots « conditions d’emploi appropriées » ne sont pas « suffisamment accessibles et précis » pour pouvoir répondre à la condition fixée par la Cour suprême, en particulier compte tenu des dispositions du paragraphe 11(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques, dispositions selon lesquelles les pouvoirs du Conseil du Trésor ne peuvent lui être retirés que par un texte explicite.

 

[35]           Par conséquent, s’agissant de la première question, je suis d’avis que c’est le Conseil du Trésor, et non le commissaire de la GRC, qui a le pouvoir de dire si un congé sans solde devrait ou non être accordé. Le commissaire n’avait pas le pouvoir de se prononcer sur une demande de congé sans solde et sa décision doit être annulée.

 

B. Deuxième question : Documents

[36]           Vu ma conclusion sur la première question, la question qui concerne les documents n’a pas à être tranchée. Quoi qu’il en soit, il semble que ces documents ne sont pas « accessibles ». On ne sait trop si cela signifie qu’ils ont déjà existé et qu’ils n’existent plus.

 

[37]           Les avocats du demandeur signalent certains passages de la décision du commissaire où le commissaire écrit que le demandeur ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve qui lui incombait. Ils font valoir que les documents auraient pu être utiles sur ce point. C’est là pure conjecture. Rien ne me permet de conclure, ni même de déduire, que les documents auraient pu être utiles.

 

[38]           Je refuse de me prononcer sur la question des documents. La question est théorique.

 

II. Réparation

[39]           J’annule la décision du commissaire pour défaut de compétence.

 

[40]           Les avocats du demandeur me prient d’accorder des dommages‑intérêts au demandeur et recommandent une somme d’argent fondée uniquement sur leurs affirmations et leurs calculs. Aucune preuve n’est présentée à l’appui.

 

[41]           Dans l’arrêt Canada c. Grenier, [2006] 2 R.C.F. 287, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’une action en dommages-intérêts se distinguait d’une procédure de contrôle judiciaire d’une décision portant sur le même objet. Je sais que la Cour d’appel de l’Ontario a adopté une vue divergente et que la Cour suprême du Canada pourrait éventuellement être saisie de la question. Pour l’heure cependant, je suis lié par l’arrêt Grenier et je suis d’avis qu’il m’est impossible d’accorder des dommages-intérêts dans le contexte de la présente instance.

 

[42]           Subsidiairement, les avocats du demandeur voudraient que je renvoie l’affaire au commissaire pour qu’il détermine le montant des dommages‑intérêts et accorde réparation dans le contexte de la procédure de règlement du grief. Je refuse d’accéder à cette requête. Si le commissaire n’avait pas compétence pour se saisir de l’affaire en premier lieu, il n’a pas plus compétence aujourd’hui.

 

[43]           Le dossier indique qu’une action civile a été engagée devant les tribunaux de l’Alberta dans laquelle le demandeur demande des dommages‑intérêts au regard des questions soulevées ici. Je n’en dirai pas davantage sur le sujet afin de ne pas compromettre cette action ou toute défense. Il est clair que, si j’ai refusé d’accorder des dommages-intérêts ici ou de renvoyer l’affaire au commissaire, c’est dans ce dessein.

 

[44]           Par conséquent, j’annulerai la décision du commissaire, avec dépens en faveur du demandeur, dépens qui seront taxés selon le barème de la colonne III.

 

 

 

 


 

JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS :

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande est accueillie;

2.         La décision de deuxième niveau rendue par le commissaire à propos du grief est annulée;

3.         Les dépens sont adjugés au demandeur et seront taxés selon le barème de la colonne III.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-446-09

 

INTITULÉ :                                       DAN C. WILSON

                                                            c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 2 MARS 2010

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 3 MARS 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

K. Michael Stephens

Tam Boyar

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Suzanne Pereira

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hunter Litigation Chambers

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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