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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20100212

Dossier : T-1974-07

Référence : 2010 CF 152

Ottawa (Ontario), le 12 février 2010

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

CASSIAR WATCH

demanderesse

et

 

MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

ET SHELL CANADA ENERGY

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande concerne une lettre d’avis (la lettre d’avis ou lettre de conseils) formulée le 9 novembre 2007 par un fonctionnaire du ministère des Pêches et des Océans (MPO) agissant en vertu des pouvoirs conférés par le ministre des Pêches et des Océans défendeur (le ministre). Dans cette lettre, le fonctionnaire en question donnait son avis en réponse à une demande de renseignements formulée par la défenderesse Shell Canada Energy (Shell Canada) sur la question de savoir si la construction prévue d’une route près d’une rivière située dans le nord de la Colombie-Britannique était de nature à entraîner la détérioration, la destruction ou la perturbation (la DDP) de l’habitat du poisson.

 

[2]               Dans la lettre d’avis du 9 novembre 2007, le fonctionnaire en question se disait d’avis que les travaux de construction prévus par Shell Canada n’entraîneraient pas de DDP de l’habitat. La demanderesse, Cassiar Watch, conteste cette conclusion.

 

[3]               Voici la description que la demanderesse Cassiar Watch donne d’elle-même :

[traduction] La demanderesse, Cassiar Watch, est une association sans but lucratif qui a été constituée en personne morale en 1995 sous le régime de la Society Act de la Colombie-Britannique avec le mandat de conserver et de protéger les fleuves, les rivières, les cours d’eau et l’habitat du poisson de la région de la rivière transfrontalière du nord de la Colombie-Britannique. Cassiar Watch s’intéresse depuis longtemps à tout ce qui touche au cours supérieur de la rivière Nass, de la rivière Stikine et de la rivière Skeena. Cassiar Watch n’a aucun intérêt personnel, propriétal ou pécuniaire quant à l’issue du litige.

 

(Avis de demande de la demanderesse, au paragraphe 10).

 

Bien qu’elle conteste le caractère raisonnable de l’avis en question, la demanderesse souhaite seulement, par la présente demande, que la Cour réponde aux questions de droit soulevées par l’avis. Les questions de droit préliminaires à trancher sont les suivantes : le ministre a-t-il le pouvoir de formuler une lettre d’avis et, en second lieu, une lettre d’avis, et en particulier celle du 9 novembre 2007, peut-elle faire l’objet d’un contrôle judiciaire?

 

I.          Qu’est-ce qu’une lettre d’avis?

[4]               Pour pouvoir résoudre les questions de droit, il faut d’abord répondre à cette première question.

 

A. Politique du ministre en matière de lettres d’avis

[5]               Le pouvoir du ministre de formuler une lettre d’avis ne se trouve dans aucune disposition législative ou réglementaire précise. Pour préparer et formuler une lettre d’avis, le ministre suit plutôt la procédure prévue par une politique déterminée. En ce qui concerne la lettre du 9 novembre 2007, la politique applicable est celle qui est énoncée dans un document intitulé Guide des praticiens pour la rédaction de lettres dans le cadre des examens réalisés en vertu de la Loi sur les pêches et de la Loi sur les espèces en péril (document 127, déposé le 29 septembre 2009) (le Guide) :

Objet du présent Guide

Le présent guide a pour objet d’aider les praticiens à préparer les lettres couramment utilisées dans le cadre de l’examen des propositions d’entreprises ou d’ouvrages proposés. Les questions relatives à l’exploitation d’installations existantes, à l’application des règlements, à la surveillance, aux communications interministérielles ou aux déclencheurs et l’établissement de la portée de l’évaluation en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCEE) n’en font pas partie. Ces modèles de lettre ont été élaborés [note 1] pour rationaliser le processus d’élaboration de la correspondance et établir un langage uniforme dans l’ensemble du pays. Même si l’on prévoit que ces modèles nécessiteront certaines modifications pour pouvoir être adaptés aux caractéristiques propres à chaque cas, il convient d’exercer cette discrétion en tenant compte des commentaires des gestionnaires pour veiller à ce que les changements soient conformes à la politique nationale

 

Contexte juridique et stratégique

 

Un des principaux rôles des praticiens consiste à examiner les propositions de mise en valeur et à donner des conseils aux promoteurs, leur indiquant si elles sont ou non conformes aux dispositions [note 2] de la Loi sur les pêches relatives à la protection de l’habitat et aux interdictions de la Loi sur les espèces en péril (LEP) applicables aux espèces aquatiques. Les lettres couramment utilisées à cette fin préconisent souvent des mesures d’atténuation communément prises pour atténuer les répercussions [note 3] sur le poisson et son habitat. Dans les situations où la proposition ne sera vraisemblablement pas conforme, le praticien peut demander un complément d’information, exiger que le projet soit déplacé ou modifié, ou exposer les étapes requises en vue d’obtenir une autorisation en vertu de la Loi sur les pêches ou un permis en vertu de la LEP.

 

Il est important de distinguer clairement les lettres destinées à donner des conseils, y compris les lettres de demande d’information supplémentaire, de tout autre genre de correspondance du MPO. Le tableau 1 décrit les divers types de correspondance envoyée aux promoteurs par le MPO.

 

Notes infrapaginales

[Note 1]  Veuillez donc vous reporter au site intranet du MPO  (http://oceans.ncr.dfo-mpo.gc.ca/habitat/hmo/guides/letter-templates e:asp) ou consulter le Système de suivi des dossiers touchant l’habitat (SAPH) pour obtenir la version la plus récente.

 

[Note 2] Les dispositions relatives à la protection de l’habitat de la Loi sur les pêches comprennent plusieurs articles (c. à d. 20, 21, 22, 26, 27, 28, 30, 32, 34, 35, 37, 40, 43); toutefois, les articles 20, 22, 32 et 35 sont les plus pertinents en ce qui concerne l’examen et l’approbation de la majorité des propositions de développement soumises au MPO.

 

[Note 3]  Le Guide à l’intention des praticiens sur l’application du cadre de gestion des risques destiné au personnel affecté à la gestion de l’habitat du MPO utilise le terme « effet » pour indiquer un changement au poisson et à son habitat, qui peut être positif ou négatif, tandis que le terme « répercussion » se rapporte précisément aux effets considérés nocifs ou négatifs.

 

 

Le tableau 1 du Guide décrit comme suit les divers types de correspondance envoyée par le MPO :

 

                        Lettre de conseils

 

Lettre servant à donner de l’information directement au promoteur, qui ne constitue pas une autorisation, un ordre ou un permis officiel. De façon générale, une lettre de conseils vise un ou plusieurs des buts suivants :

·                    établir qu’une proposition de mise en valeur comporte un faible risque d’avoir des répercussions défavorables sur le poisson et son habitat,

·                    fournir des conseils pour ramener les répercussions défavorables possibles à un niveau acceptable,

·                    décrire à l’intention du promoteur le processus menant à la délivrance d’une autorisation en vertu de la Loi sur les pêches ou d’un permis en vertu de la LEP,

·                    demander de l’information supplémentaire lorsqu’une proposition pourrait avoir des répercussions défavorables sur le poisson et son habitat, mais que l’incertitude empêche de tirer une conclusion définitive.

 

Autorisation

Lorsque l’on s’attend à des répercussions défavorables sur le poisson et son habitat, une autorisation est souvent requise afin de veiller à ce que le responsable de ces répercussions se conforme à la Loi sur les pêches et/ou la LEP. Une autorisation comprend généralement des conditions d’application de mesures d’atténuation, de mesures de compensation et de surveillance. Lorsque plus d’un article de la Loi sur les pêches s’applique à une proposition, les conditions relatives à chaque article peuvent être intégrées à une seule autorisation qui, dans la plupart des cas, sera une autorisation en vertu du paragraphe 35(2). De même, les conditions s’appliquant à un permis de la LEP peuvent être intégrées dans une autorisation délivrée en vertu de la Loi sur les pêches.

 

Ordre

Conformément au paragraphe 37(2) de la Loi sur les pêches, un ordre peut être donné pour demander des modifications ou des restrictions aux plans ou lorsque la destruction, la détérioration ou la perturbation (DDP) non autorisée de l’habitat du poisson est imminente ou est en train de se produire et que le promoteur ne coopère pas à la protection du poisson et de son habitat. Cet ordre nécessite l’approbation du gouverneur en conseil.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[Recueil supplémentaire de jurisprudence et de doctrine de la défenderesse, vol. 2, aux pages 590 et 591]

 

 

 

B. La lettre d’avis du 9 novembre 2007

[6]               Compte tenu des arguments contradictoires sur la nature d’une lettre d’avis, il est utile d’examiner les faits à l’origine de la lettre d’avis du 9 novembre 2007, ainsi que la lettre d’avis même, en tant que renseignements contextuels portant sur la façon dont la politique sur les lettres d’avis du Ministère est mise en application : 

[traduction]

 

La rivière Klappan, située au nord de la Colombie-Britannique, se trouve à environ 150 kilomètres au sud du Lac Dease et croise un chemin secondaire de la route Cassiar, appelé « chemin du lac Ealue ». Le chemin du lac Ealue est parallèle à la rivière Klappan et la traverse à un endroit. Le ruissellement printanier de 2007 a détruit deux tronçons du chemin du lac Ealue (sites A et B) rendant le chemin impraticable. Le chemin du lac Ealue est la seule voie terrestre à relier la route Cassiar et quelques sites de forage de méthane houiller auxquels Shell souhaitait avoir accès. La rivière Klappan à la hauteur des sites A et B est un habitat propice au frai pour plusieurs espèces de poissons, dont l’omble à tête plate, le Dolly Varden, le ménomini de montagnes, le meunier rouge et la truite arc-en-ciel. Les trois premières espèces de poissons sont des reproducteurs d’automne et les deux autres sont des reproducteurs de printemps (Mémoire des faits et du droit de la demanderesse, aux paragraphes 3 et 4). 

Au début du printemps 2007, Shell a communiqué avec M. Paul Christensen, un biologiste principal de l’habitat employé par la Division de la gestion de l’habitat du MPO, pour l’aviser que des réparations au chemin feront probablement partie du programme de prospection de la société prévu pour 2007, et qu’elle lui demanderait son opinion sur les réparations prévues au chemin. M. Giasson a écrit à M. Christensen le 9 août 2007 pour lui demander d’examiner les renseignements fournis par Shell en ce qui concerne les exigences des travaux à effectuer à l’intérieur du cours d’eau et ailleurs le long du chemin. L’objectif d’un tel examen était d’avoir l’avis de M. Christensen quant à la question de savoir si les travaux prévus pouvaient mener à une détérioration, à une destruction ou à une perturbation (DDP) de l’habitat des poissons, et s’il faudrait exiger une autorisation en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches

Le 16 août 2007, M. Christensen a envoyé la lettre d’avis datée du même jour et qui portait sur les travaux proposés, y compris les travaux à réaliser en cours d’eau et les autres travaux. Le
17 août
2007, M. Christensen a accepté de reporter la date de ces travaux du 31 août 2007 au 15 septembre 2007, à certaines conditions. 

Le 21 août 2007, Shell avait déjà mis en place le matériel nécessaire pour entreprendre les réparations du chemin, mais plusieurs personnes avaient érigé un barrage pour l’empêcher d’avoir accès au chemin et d’entreprendre ses travaux. Le 23 août 2007, Shell a intenté une action en justice devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique (l’action) en vue d’obtenir une injonction interlocutoire pour avoir accès au chemin. Le 31 août 2007, l’action a été ajournée et n’a jamais été instruite. 

À partir de ce moment, il était évident que les travaux de réparation à l’intérieur du cours d’eau ne pouvaient être terminés avant le 15 septembre 2007. Le 5 septembre 2007, Shell a pris part à une téléconférence avec M. Christensen et d’autres représentants du ministère des Pêches et des Océans (MPO) pour discuter des conditions selon lesquelles le délai des travaux en cours d’eau pouvait être prolongé au-delà du 15 septembre 2007. M. Christensen a informé Shell que, en raison de changements à la rivière Klappan, les travaux ne pouvaient être reportés à une date ultérieure au 15 septembre 2007 sans présenter un risque de DDP de l’habitat.

Par la suite, Shell a avisé le MPO qu’elle songeait à entreprendre les réparations à sec du chemin, mais sans nécessairement exploiter ou déposer de matières dans la partie mouillée de la rivière. Shell a confirmé au MPO qu’elle lui fournirait des renseignements supplémentaires en rapport avec son projet aux fins d’examen. Elle a fourni ces renseignements dans le but de savoir si les travaux prévus entraîneraient une détérioration, une destruction ou une perturbation (DDP) de l’habitat des poissons, et nécessiteraient une autorisation en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches.

Finalement, les travaux en cours d’eau apparaissant dans la lettre d’avis du 16 août n’ont jamais été exécutés. La requête présentée par Cassiar Watch en vue d’un contrôle judiciaire de la lettre d’avis du 15 août a été rejetée au mois d’avril 2008 en raison de son caractère théorique.

Lettre d’avis du 12 octobre

Les 7, 18 et 20 septembre 2007, Shell a fourni de la documentation au MPO en ce qui concerne les réparations à sec prévues aux sites A et B. Afin de faciliter sa préparation et l’examen par le MPO de cette documentation relative aux réparations à sec du chemin du Lac Ealue, Shell a demandé que le MPO considère séparément les réparations au site A, au site B et au site Big Eddy. Shell a également pris des dispositions pour que le MPO puisse faire l’inspection de l’emplacement des travaux prévus au chemin le 14 septembre 2007.

Compte tenu de l’intérêt suscité chez plusieurs groupes, y compris Cassiar Watch, pour les activités de Shell, le MPO a permis à certains groupes de formuler des commentaires sur les réparations proposées. Cassiar Watch n’a pas formulé de commentaires concernant les réparations à sec proposées au site A, malgré le fait qu’il en ait eu l’occasion.

Le 12 octobre 2007, le MPO a fait parvenir une lettre d’avis à Shell au sujet des réparations à sec prévues au site A (la lettre d’avis du 12 octobre). Cassiar Watch n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la lettre d’avis du 12 octobre, et les réparations au site A ont été effectuées.

Lettre d’avis du 9 novembre

Le 18 octobre 2007, Shell a fourni au MPO une série de documents concernant les réparations à sec proposées pour le site B et le site Big Eddy. De nouveaux documents ont été envoyés le 23 octobre 2007 pour remplacer une partie des documents qui avaient déjà été remis. Des séries de documents concernant les réparations à sec du chemin au site B et au site Big Eddy ont également été envoyées à Cassiar Watch par l’avocat de Shell ainsi qu’à d’autres organisations intéressées.

Le MPO a de nouveau autorisé divers groupes à formuler des commentaires sur les réparations aux sites B et Big Eddy. Une fois de plus, Cassiar Watch n’a pas formulé de commentaires.

Le 7 novembre 2007, Shell a soumis au MPO un rapport sur les pêches d’un expert-conseil qui donnait son avis sur le fait que les réparations potentielles aux sites B et Big Eddy ne mèneraient pas à une DDP de l’habitat.

Le 9 novembre 2007, M. Gotch a transmis à Shell une lettre d’avis visant à lui faire part de son opinion sur le fait que les travaux à sec aux sites B et Big Eddy n’étaient pas susceptibles de mener à une DDP de l’habitat (la lettre d’avis du 9 novembre).

 

Shell a entrepris une majeure partie des travaux au site B et au site Big Eddy comme décrit dans les plans qu’elle avait fait parvenir au MPO. Finalement, elle a décidé d’installer un pont à ouverture libre enjambant le déversoir au lieu d’un ponceau. Les travaux aux sites B et Big Eddy indiqués dans la lettre d’avis du 9 novembre sont terminés.

(Mémoire des faits et du droit de la défenderesse Shell Canada, 9 mars 2009, aux paragraphes 11 à 27, tel que modifié)

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[7]               La lettre d’avis du 9 novembre 2007 était ainsi libellée :

 

[traduction]

 

Le 9 novembre 2007

 

Kathy Penney

Shell Canada Énergie

400, 4e Avenue S.-O.

C.P. 100, Station M

Calgary (Alberta)  T2P 2H5

 

Objet : Projet de réparation du chemin du lac Ealue par la société Shell Canada Énergie, au kilomètre 29 (le site « B ») et au kilomètre 64 (le site de « Big Eddy »)

 

Madame,

 

Le ministère des Pêches et des Océans a reçu une proposition de Shell Canada Énergie, en date du 18 octobre 2007, et l’appendice 5 modifiée envoyée le 23 octobre 2007, qui décrivent les plans de travaux de réparations du chemin du lac Ealue aux km 29 et 64. Nous confirmons que les travaux de réparation décrits dans votre proposition ne présentent aucun signe de détérioration, de destruction ou de perturbation de l’habitat des poissons et, à ce titre, n’exigent aucune autorisation en vertu de l’article 35(2) de la Loi sur les Pêches. Cet avis ne s’applique qu’aux travaux décrits dans votre demande.

 

Veuillez prendre note que la présente ne constitue pas en soi l’approbation de rejeter toute substance nocive, par exemple, des sédiments dans des eaux où vivent des poissons, ni ne vous dégage de votre responsabilité d’obtenir toutes les autorisations fédérales, provinciales ou municipales qui pourraient vous être exigées.

 

Si vous avez des questions, vous pouvez me joindre au

867-393-6715.

 

Veuillez agréer, Madame, l’expression de mes sentiments distingués.

 

Steve Gotch

Gestionnaire par intérim

Direction des océans, de l’habitat et de la mise en valeur

c. c. M. Giasson, Shell Canada Énergie

 

[Non souligné dans l’original]

(Dossier de la demanderesse, vol. 3, à la page 628)

 

[8]               L’usage confirme donc que la politique relative aux lettres d’avis comporte une démarche en trois étapes : réception et examen d’un projet de mise en valeur, efforts communs faits de bonne foi pour trouver une solution permettant la réalisation du projet sans DDP et, lorsque de l’avis du ministre, une telle solution a été trouvée, formulation d’une lettre d’avis dans laquelle le ministre exprime cet avis.

 

C. Moyens de droit invoqués par Cassiar Watch

[9]               Contrairement à la politique du ministre suivant laquelle une lettre d’avis a valeur d’opinion, Cassiar Watch soutient qu’il s’agit de quelque chose de tout à fait différent :

[traduction]

Les lettres d’avis sont des autorisations portant sur les « moyens » et les « conditions » auxquels sont assujettis un ouvrage ou une entreprise et qui déterminent dans quelle mesure l’ouvrage ou l’entreprise en question contreviendrait au paragraphe 35(1) de la Loi sur les pêches. Les lettres d’avis sont formulées en vertu des pouvoirs implicites prévus au paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches. Une évaluation environnementale doit être effectuée conformément à la LCEE et au Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées avant que ce pouvoir puisse être exercé […]

À titre subsidiaire, les lettres d’avis sont censées constituer un exercice des pouvoirs prévus au paragraphe 37(2) de la Loi sur les pêches de sorte qu’elles exigent aussi une évaluation environnementale sous le régime de la LCEE et du Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées avant que ce pouvoir puisse être exercé […];

À titre plus subsidiaire encore, le MPO n’a pas compétence pour formuler de façon générale des lettres d’avis […]

Cassiar Watch poursuit ainsi son argumentation :

[traduction]

On peut appliquer un critère à deux volets en ce qui concerne les lettres d’avis et le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches :

En premier lieu, l’envoi d’une lettre d’avis suppose-t-il l’exercice d’une attribution ou d’un pouvoir prévus au paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches?

 

En second lieu, l’envoi d’une lettre d’avis suppose-t-il l’une ou l’autre des mesures suivantes : a) délivrance d’un permis; b) délivrance d’une licence; c) octroi d’une autorisation; d) prise de toute mesure en vue de permettre la mise en œuvre d’un projet en tout ou en partie?

Pour répondre à la première question, la formulation d’une lettre d’avis implique l’exercice du pouvoir prévu au paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches pour imposer des mesures d’atténuation à un ouvrage ou une entreprise et la formulation d’une lettre d’avis implique l’exercice d’une attribution au sens du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, en l’occurrence l’attribution consistant à déterminer si les mesures d’atténuation proposées sont suffisantes pour éviter de nuire à l’habitat du poisson.

En réponse à la seconde question, la formulation d’une lettre d’avis suppose l’octroi d’une approbation en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches pour un ouvrage ou une entreprise tenu de se conformer à des mesures d’atténuation. La formulation d’une lettre d’avis implique la prise de mesures visant à permettre la mise en œuvre du projet. La lettre d’avis permet la réalisation d’un projet en supprimant la menace de poursuites prévue au paragraphe 35(1) de la Loi sur les pêches, sous réserve de la conformité, par le promoteur, aux mesures d’atténuation imposées par la lettre d’avis.

La formulation d’une lettre d’avis fait en sorte qu’il devient obligatoire de procéder à une évaluation environnementale avant la formation d’une lettre d’avis parce que la lettre d’avis suppose l’exercice d’un pouvoir et l’octroi d’une autorisation portant sur les « moyens » et les « conditions » d’un ouvrage ou d’une entreprise au sens du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches. Ainsi, l’évaluation environnementale constitue une condition préalable imposée par la loi à la formulation d’une lettre d’avis.

(Mémoire des faits et du droit modifié de la demanderesse, 30 octobre 2009, aux paragraphes 30 et 59 à 62)

 

[10]           L’argument de Cassiar Watch repose par conséquent sur une interprétation de dispositions clés de la Loi sur les pêches, L.R.C., ch. F-14, art. 1 (Loi sur les pêches), de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, 1992, ch. 37 (la LCEE), et du Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées, DORS/94-636. Ces dispositions sont reproduites à l’annexe jointe aux présents motifs.

 

C. Réponse du ministre et de Shell Canada

[11]           Le ministre et Shell Canada soutiennent que l’argument que Cassiar Watch tire de l’autorisation est erroné; le ministre explique pourquoi il arrive à cette conclusion dans ses observations complémentaires de décembre 2009 :

[traduction]

(Aux paragraphes 18 et 19)

 

Pour pouvoir déterminer si la lettre d’avis contestée donne lieu à une évaluation environnementale, la Cour doit déterminer si la lettre d’avis constitue une autorisation légale donnée en vertu du paragraphe 35(2) ou du paragraphe 37(2) de la Loi sur les pêches et qui devait être donnée pour que le projet de Shell puisse être réalisé. Il ressort de l’examen de ces dispositions que l’argument de la demanderesse suivant lequel la lettre d’avis constitue une autorisation légale donnée en vertu du paragraphe 35(2) ou du paragraphe 37(2) est tout simplement intenable.

 

L’obligation légale de procéder à une évaluation environnementale conformément à la LCEE ne naît que lorsqu’un promoteur conçoit un projet qui est susceptible de causer la DDP de l’habitat et demande, en vertu du paragraphe 35(2), à être autorisé à causer de tels dommages ou lorsque la ministre elle-même prend l’arrêté prévu au paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches (avec l’approbation du gouverneur en conseil) pour empêcher les dommages en question […]

 

Ce ne sont pas toutes les décisions prises en vertu de la loi ou du règlement et susceptibles, en théorie, d’avoir des répercussions sur l’environnement qui donnent lieu à une évaluation environnementale. Le législateur fédéral a prévu que l’évaluation environnementale n’est nécessaire que lorsque le pouvoir législatif ou réglementaire est prescrit par l’alinéa 5(1)d) de la LCEE et par le Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées, et que l’exercice de ce pouvoir est nécessaire pour permettre la mise en œuvre d’un projet (en tout ou en partie).

 

(Au paragraphe 26) :

Le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches n’a qu’une seule « fonction ». Il habilite le ministre à autoriser des activités qui entraînent une DDP de l’habitat du poisson (c.-à-d. des activités qui contreviendraient autrement à l’interdiction prévue au paragraphe 35(1) de causer de tels dommages). Si un promoteur souhaite réaliser un projet qui est susceptible de causer des dommages à l’habitat du poisson, il peut ainsi être assuré jusqu’à un certain point qu’il ne sera pas poursuivi s’il demande l’autorisation prévue au paragraphe 35(2) en utilisant la formule réglementaire et en acceptant de mettre en œuvre le projet prévu en respectant les conditions précises énoncées par le ministre dans toute autorisation, à défaut de quoi il s’expose à des poursuites.

 

(Au paragraphe 45) :

La lettre d’avis est, comme son nom le laisse entrevoir, une opinion sans caractère obligatoire sur la question de savoir si le projet envisagé causera ou non des dommages à l’habitat du poisson. Cet avis n’a aucun caractère obligatoire et n’a aucun effet juridique.

 

[Non souligné dans l’original.]  

                       

E. Conclusion

[12]           De toute évidence, Cassiar Watch considère qu’une lettre d’avis constitue un obstacle sur la route menant à une évaluation environnementale sous le régime de la LCEE. Ainsi, pour supprimer cet obstacle, Cassiar Watch doit obtenir un jugement déclarant qu’une lettre d’avis n’est pas ce qu’elle semble être. À mon avis, il est impossible d’obtenir un jugement déclarant qu’une lettre d’avis constitue une autorisation au sens du paragraphe 35(2) ou une ordonnance visée au paragraphe 37(2) de la Loi sur les pêches, comme Cassiar Watch le voudrait. Il en est ainsi parce qu’en droit, il faudrait pour ce faire convertir l’avis du ministre suivant lequel la mise en œuvre du projet n’est pas susceptible d’entraîner une DDP en un avis que sa mise en œuvre est susceptible d’entraîner une DDP. Il n’y a absolument rien qui justifie une telle conclusion.

 

[13]           Je conclus donc qu’une lettre d’avis est ce que maintient le ministre : un avis qui n’a aucun caractère obligatoire et aucun effet juridique.

 

II.        Le ministre a-t-il le pouvoir de formuler une lettre d’avis?

            A. Arguments de Cassiar Watch

[14]           Cassiar Watch affirme que la loi ne confère pas au ministre le pouvoir de formuler une lettre d’avis :

[traduction] À titre subsidiaire, si la Cour conclut que les paragraphes 35(2) et 37(2) de la Loi sur les pêches ne confèrent pas implicitement au ministre le pouvoir de formuler des lettres d’avis, la demanderesse soutient que le ministre n’a aucune compétence pour formuler des lettres d’avis. Voici l’état du droit, tel que la Cour suprême du Canada l’expose, au paragraphe 28 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII) :

La primauté du droit veut que tout exercice de l’autorité publique procède de la loi. Tout pouvoir décisionnel est légalement circonscrit par la loi habilitante, la common law, le droit civil ou la Constitution. Le contrôle judiciaire permet aux cours de justice de s’assurer que les pouvoirs légaux sont exercés dans les limites fixées par le législateur. Il vise à assurer la légalité, la rationalité et l’équité du processus administratif et de la décision rendue.

 

La demanderesse soutient que le ministre défendeur fait fausse route lorsqu’il tente de faire une analogie entre les lettres d’avis et les décisions anticipées de Revenu Canada. L’article 220 de la Loi de l’impôt sur le revenu confère au ministre du Revenu le pouvoir de rendre des décisions anticipées en matière d’impôt. À la différence des lettres d’avis, il est bien précisé dans les politiques internes de l’ARC et dans les documents qui sont remis aux contribuables que les décisions anticipées en matière d’impôt ne lient pas le ministre quant aux décisions subséquentes. Aucune compétence explicite semblable n’est conférée au ministre des Pêches et des Océans et les lettres d’avis ne signalent pas aux promoteurs qu’elles n’ont aucun caractère obligatoire et aucun effet juridique.

La demanderesse affirme également que le ministre défendeur ne peut invoquer ce qu’on appelle des textes non contraignants pour justifier son pouvoir de formuler des lettres d’avis. Les exemples de textes non contraignants cités par le ministre défendeur – notamment les politiques, les règles administratives et les lignes directrices – sont surtout des exemples de documents internes qui orientent et encadrent l’exercice, par ses délégués, du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre. Les politiques internes du gouvernement, les règles visant à orienter les décideurs dans l’exercice de leurs pouvoirs discrétionnaires et les lignes directrices ministérielles ne créent et ne confèrent aucun pouvoir. Ainsi que la Cour suprême l’a fait observer dans l’arrêt Dunsmuir, seuls la Constitution, la loi, la common law et le droit civil peuvent créer ou conférer des pouvoirs. L’exécutif ne peut se conférer à lui-même des pouvoirs en adoptant des politiques internes.

(Mémoire des faits et du droit (modifié) de la demanderesse, 30 octobre 2009, aux paragraphes 98, 99 et 100)

 

            B. Arguments du ministre

[15]           En réponse, le ministre expose l’argumentation détaillée qui suit :

[traduction] La demanderesse affirme à tort que le MPO n’avait pas la compétence voulue pour formuler la lettre d’avis contestée. Cette affirmation erronée repose sur une mauvaise interprétation des dispositions législatives pertinentes et sur le défaut de reconnaître que le MPO peut recourir à des moyens appropriés qui ne sont pas prévus par la loi pour exécuter son mandat.

 

Les lettres d’avis sont des outils administratifs non réglementaires dont le MPO se sert pour assurer de façon efficace et efficiente la conservation et la protection du poisson et de son habitat (Guide à l’intention des praticiens sur l’application du cadre de gestion des risques destiné au personnel affecté à la gestion de l’habitat du MPO, Recueil des sources de la demanderesse, onglet 15). Les lettres d’avis ne sont qu’un des nombreux textes non réglementaires (notamment les documents qui ne sont pas obligatoires en droit, comme les énoncés de politique, directives, manuels et guides) qui visent à aider les membres du public à éviter de causer des dommages à l’habitat du poisson et à organiser leurs affaires en conséquence. Il est de jurisprudence constante que le recours à ces textes non réglementaires (ou textes non contraignants) est tout à fait légitime et intra vires (Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, au paragraphe 56).

 

Dans l’arrêt Thamotharem c. Canada (2007), la Cour d’appel fédérale a articulé le critère à appliquer pour déterminer dans quels cas l’utilisation d’un texte non réglementaire sera considérée intra vires malgré l’absence d’autorisation législative expresse. Ces instruments sont permis lorsque les conditions suivantes sont réunies :

 

A.     Le texte non réglementaire ne contredit pas une disposition législative ou un règlement;

B.     Il n’est pas « incompatible » ou « inconciliable » avec la loi;

C.     Il n’entrave pas l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’organisme de réglementation;

D.     Il n’impose pas de conditions obligatoires assorties de sanctions en cas de non-respect (idem, Ainsley Financial Group c. Ontario (Securities Commission), 1994 CanLII 2621, à la page 3).

 

L’application de chacun des ces éléments au cas qui nous occupe démontre que la lettre d’avis contestée est intra vires.

 

A. Le texte non réglementaire ne contredit pas une disposition législative ou un règlement

Il n’y a aucune disposition législative qui affirme que le ministre ou ses délégués ou employés du MPO ne peuvent pas offrir des conseils non obligatoires à un promoteur qui cherche à savoir si un projet proposé serait susceptible d’entraîner une DDP de l’habitat. […]

 

B. La lettre d’avis contestée est compatible avec la Loi sur les pêches

En l’espèce, la lettre d’avis est entièrement compatible et conciliable avec les dispositions de la Loi sur les pêches étant donné qu’elle vise le même objectif que le régime législatif dans son ensemble : empêcher que des dommages soient causés à l’habitat du poisson.

On peut déduire que l’objet des paragraphes 35(2) et 37(2) de la Loi sur les pêches est d’éviter de causer des dommages à l’habitat du poisson du fait que ces deux dispositions menacent de poursuites les promoteurs qui commettent des actes non autorisés qui entraînent ou sont susceptibles d’entraîner une DDP de l’habitat.

L’objet d’une lettre d’avis est également d’éviter que des dommages soient causés à l’habitat du poisson. En fournissant aux promoteurs des renseignements plus amples et plus détaillés au sujet des conséquences éventuelles prévues par la loi découlant des projets proposés, les lettres d’avis incitent les promoteurs à planifier de façon proactive et attentive pour ne pas avoir à demander l’autorisation prévue au paragraphe 35(2) et pour éviter de faire l’objet de l’arrêté prévu au paragraphe 37(2). On favorise ainsi la réalisation de l’intention qu’avait le législateur en édictant la Loi sur les pêches en général et les articles 35, 37 et 40 en particulier, au lieu de la contrarier.

 

C. La lettre d’avis contestée n’entrave pas l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre

La formulation de la lettre d’avis contestée n’entrave pas le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre en ce qui concerne l’exercice de l’un quelconque des pouvoirs que lui confère la Loi sur les pêches. Le ministre peut quand même accorder l’autorisation prévue au paragraphe 35(2) (si Shell devait en demander une), il peut prendre l’arrêté prévu à l’article 37 s’il estime qu’une DDP s’est produite ou est susceptible de se produire et il peut intenter une poursuite en vertu de l’article 40 de la Loi si une DDP s’est effectivement produite. La lettre d’avis ne constitue pas une autorisation et elle ne dispense pas Shell (de par son libellé explicite) de l’obligation d’obtenir toute autorisation fédérale, provinciale ou municipale requise.

 

D. La lettre d’avis n’impose pas de conditions obligatoires assorties de sanctions en cas de non-respect

Comme nous l’avons déjà expliqué, la lettre d’avis n’oblige pas Shell à faire quoi que ce soit. Elle ne lui donne aucune directive et ne lui impose aucune condition, restriction ou obligation et elle n’a aucun effet juridique et n’est pas contraignante. Shell n’était nullement tenue de mettre en œuvre le projet qu’elle avait soumis au MPO ou tout autre projet.

 

Il découle de ce qui précède qu’en l’espèce, la lettre d’avis satisfait aux quatre éléments du critère énoncé par la Cour d’appel dans l’arrêt Thamotharem et qu’elle est intra vires. Elle représente un instrument non contraignant inestimable qui fait partie des outils dont dispose le MPO et qui – à l’instar des décisions anticipées en matière d’impôt dans le juge Richard parle dans la décision Rothmans  – visent à aider les membres du public à prévoir comment le gouvernement est susceptible d’exercer son pouvoir discrétionnaire et à organiser leurs affaires en conséquence. Si la Cour devait juger autrement, l’administration du régime prévu par la loi s’en trouverait injustement contrariée, ce qui irait directement à l’encontre de l’intention du législateur lorsqu’il a édicté les articles 35, 37 et 40 de la Loi sur les pêches.

 

(Mémoire des faits et du droit du ministre défendeur, 21 février 2009, aux paragraphes 64 à 78)

 

[16]           En complément de ce qui précède, le ministre a formulé l’argument suivant :

[traduction] Ainsi qu’il est précisé dans les observations initiales [du ministre], aux paragraphes 64 à 78, la lettre d’avis contestée est intra vires en tant qu’instrument non réglementaire légitime visant à rendre plus efficace l’administration de la Loi sur les pêches. À ce propos, l’arrêt récent rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada c. Arsenault, 2009 CAF 300 (Arsenault) est également utile.

 

Dans l’affaire Arsenault, la Cour examinait l’effet juridique d’un plan de gestion établi par le ministre des Pêches et des Océans qui concernait l’accès à certaines zones de pêche du crabe des neiges. Dans le plan de gestion en question, le ministre avait annoncé ses projets pour l’année à venir en précisant le total autorisé des captures de crabe des neiges (le TAC) et la répartition du TAC entre les Premières nations, les pêcheurs traditionnels et d’autres intervenants. Le pouvoir du ministre d’établir ce document n’était prévu ni dans la Loi sur les pêches ni dans toute autre loi ou tout autre règlement. La Cour n’a pourtant pas déclaré le plan de gestion ultra vires. Au contraire, elle a conclu ce qui suit (aux paragraphes 39 et 40) :

 

À mon avis, les pouvoirs du ministre de publier le Plan de gestion procèdent de sa compétence générale en matière de gestion des pêches, conformément à l’article 4 de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, L.R. 1985, ch. F-15 … :

 

 En outre, le Plan de gestion est conforme aux obligations du ministre de gérer, de conserver et de développer les pêches au nom des Canadiens et dans l’intérêt public. Au paragraphe 37 de ses motifs auxquels la Cour suprême du Canada a unanimement souscrit dans l’arrêt Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1997] 1 R.C.S. 12, le juge Major a fait les remarques suivantes :

 

[…] Les ressources halieutiques du Canada sont un bien commun qui appartient à tous les Canadiens. En vertu de la Loi sur les pêches, le Ministre a l’obligation de gérer, conserver et développer les pêches au nom des Canadiens et dans l’intérêt public (art. 43). […]

 

On peut volontiers faire une analogie entre le plan de gestion établi par le ministre dans cette affaire et la lettre d’avis que la demanderesse conteste en l’espèce. Il s’agit d’un texte non réglementaire et non obligatoire établi par le ministre pour aider le public à comprendre et à prévoir comment le ministre interprétera et appliquera la Loi sur les pêches dans un cas déterminé. Les motifs de la Cour d’appel dans l’arrêt Arsenault constituent une autre façon appropriée d’analyser la validité de la lettre d’avis contestée. Ainsi, la lettre d’avis constitue un exercice tout à fait légitime par le ministre « de sa compétence générale en matière de gestion des pêches, conformément à l’article 4 de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans ».

 

En d’autres termes, en plus de satisfaire au critère applicable aux textes non réglementaires permis selon la jurisprudence citée dans les observations originales du défendeur, la lettre d’avis contestée peut également être interprétée comme un exercice légitime par le ministre de sa compétence générale de gérer les pêches dans l’intérêt du public. La Cour ne peut donc pas retenir la prétention de la demanderesse suivant laquelle la lettre d’avis pourrait être ultra vires.    

 

(Observations complémentaires du ministre défendeur, 9 décembre 2009, aux paragraphes 70 à 73)

 

            C. Arguments de Shell Canada

[17]           Pour compléter les arguments formulés par le ministre au sujet des textes non réglementaires et de la compétence générale, Shell Canada invoque la « doctrine de la compétence par déduction nécessaire » que la Cour suprême a exposée dans l’arrêt ATCO Gas & Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), [2006] R.C.S. 140 (ATCO). Voici l’argumentation fouillée de Shell Canada à ce propos :

[traduction] Dans l’arrêt ATCO, la Cour expose la « doctrine de la compétence par déduction nécessaire », selon laquelle sont compris dans les pouvoirs conférés par la loi habilitante non seulement ceux qui y sont expressément énoncés, mais aussi, par déduction, tous ceux qui sont de fait nécessaires  à la réalisation de l’objectif du régime législatif créé par le législateur. Au paragraphe 51, la Cour s’inspire du raisonnement suivi dans le jugement Re Dow Chemical Canada Inc. and Union Gas Ltd. comme exemple de décision dans laquelle un tribunal a appliqué cette doctrine pour s’assurer qu’un organisme administratif dispose de la compétence nécessaire pour remplir le mandat que lui confère la loi :

[traduction] Lorsque l’objet de la législation est de créer un vaste cadre réglementaire, le tribunal administratif doit posséder les pouvoirs qui, par nécessité pratique et déduction nécessaire, découlent du pouvoir réglementaire qui lui est expressément conféré.

Re Dow Chemical Canada Inc. and Union Gas Ltd. (1982), 141 D.L.R. (3d) 641 (H.C.J. Ont.), aux pages 658 et 659, conf. par (1983), 42 O.R. (2d) 731 (C.A.), cité dans l’arrêt ATCO, précité.

Shell affirme que, comme l’article 35 définit le cadre légal par lequel le promoteur doit demander l’autorisation du MPO seulement lorsque l’ouvrage ou l’entreprise projeté entraînera une DDP de l’habitat, le MPO doit, par nécessité pratique et déduction nécessaire, posséder les pouvoirs qui lui permettent de déterminer si l’ouvrage ou l’entreprise projeté entraînera une DDP et nécessite une autorisation et pour communiquer cette opinion au promoteur du projet. Ces pouvoirs comprennent celui de déterminer si l’ouvrage ou l’entreprise projeté entraînera une DDP et nécessitera une autorisation et de communiquer cet avis au promoteur, mais aussi celui de déterminer si, au contraire, l’ouvrage ou l’entreprise projeté n’entraînera pas de DDP et ne nécessitera pas d’autorisation.

Dans l’arrêt ATCO [au paragraphe 73], la Cour a énuméré les circonstances dans lesquelles la doctrine de la compétence par déduction nécessaire pouvait s’appliquer :

a.       la compétence alléguée est nécessaire à la réalisation des objectifs du régime législatif et essentielle à l’exécution du mandat de la Commission;

b.      la loi habilitante ne confère pas expressément le pouvoir de réaliser l’objectif législatif;

c.       le mandat de la Commission est suffisamment large pour donner à penser que l’intention du législateur était de lui conférer une compétence tacite;

d.      la Commission n’a pas à exercer la compétence alléguée en s’appuyant sur des pouvoirs expressément conférés, démontrant ainsi l’absence de nécessité;

e.       le législateur n’a pas envisagé la question et ne s’est pas prononcé contre l’octroi du pouvoir à la Commission. (Voir également Brown, à la page 2-16.3).

a)         La compétence alléguée est nécessaire à la réalisation des objectifs du régime législatif et essentielle à l’exécution du mandat du MPO

Suivant Shell, la capacité du MPO de formuler et de communiquer son opinion aux promoteurs sur la question de savoir si les ouvrages ou entreprises projetés entraîneront la DDP de l’habitat est nécessaire à la réalisation de l’objectif visé par l’article 35 de la Loi sur les pêches et est essentielle à l’exécution du mandat que la Loi sur les pêches confie au MPO.

L’article 35 vise à interdire à des personnes de mettre en œuvre des ouvrages ou des entreprises qui entraîneront une DDP de l’habitat, sauf lorsque le MPO a expressément permis leur mise en œuvre en donnant son autorisation. Pour ce faire, le MPO doit examiner les ouvrages ou entreprises projetés pour déterminer s’ils sont de nature à entraîner une DDP de l’habitat (nécessitant ainsi une autorisation), et il doit être en mesure de communiquer cet avis au promoteur du projet. Le promoteur qui a été informé qu’un ouvrage projeté est de nature à entraîner une DDP de l’habitat peut alors décider de ne pas donner suite au projet proposé, de le réviser pour qu’il n’entraîne pas de DDP de l’habitat ou demander les permis ou les autorisations requises. Il est nécessaire que le MPO ait cette capacité pour réaliser l’objectif de l’article 35 et de la Loi sur les pêches elle-même, c’est-à-dire protéger l’habitat du poisson et s’assurer que les ouvrages et entreprises projetées qui entraîneront une DDP de l’habitat sont tout d’abord dûment autorisés par le MPO.

Si la Loi sur les pêches était interprétée de manière à refuser de reconnaître cette capacité au MPO, les promoteurs seraient libres de formuler leur propre avis sur la question de savoir si un ouvrage ou une entreprise projeté entraînera une DDP et nécessitera une autorisation sans pouvoir bénéficier de l’expertise du MPO, ce qui pourrait créer une situation dans laquelle les promoteurs mettraient involontairement en œuvre des ouvrages qui entraîneraient une DDP sans autorisation et en violation de l’article 35, ce qui pourrait se solder par un défaut de protéger l’habitat du poisson.

Dans le même ordre d’idées, si la Loi sur les pêches est interprétée de manière à ne pas reconnaître cette capacité au MPO, les promoteurs pourraient également demander au MPO d’autoriser des projets qui n’entraîneraient pas de DDP et pour lesquels aucune autorisation ne serait en fait nécessaire, alourdissant ainsi le fardeau administratif du MPO.

b)         La loi habilitante ne confère pas expressément le pouvoir de réaliser l’objectif législatif

Ni la Loi sur les pêches ni la Loi sur le Ministère des Pêches et des Océans ne confère au MPO le pouvoir explicite de formuler une lettre d’avis ou de communiquer autrement à un promoteur son avis quant à la possibilité qu’un ouvrage ou une entreprise projeté soit de nature à entraîner une DDP de l’habitat et s’il devra en conséquence obtenir une autorisation. Shell affirme en conséquence que ce facteur tiré de l’arrêt ATCO est respecté en l’espèce.

c)         Le mandat du MPO est suffisamment large pour donner à penser que l’intention du législateur était de lui conférer une compétence tacite

Suivant Shell, le mandat du MPO est suffisamment large pour donner à penser que l’intention du législateur était de lui conférer le pouvoir de déterminer si un ouvrage ou une entreprise projeté est de nature à entraîner une DDP et de communiquer cet avis au promoteur. Le MPO est chargé d’administrer tous les aspects de la Loi sur les pêches, et, partant, d’accorder l’autorisation prévue à l’article 35 de la Loi sur les pêches lorsqu’un ouvrage ou une entreprise projeté est susceptible d’entraîner une DDP. Selon Shell, cela donne fortement à penser que le législateur entendait conférer implicitement au MPO le pouvoir de réviser les plans de projets et de se prononcer sur la nécessité d’une autorisation au motif qu’un ouvrage ou une entreprise projeté est ou non de nature à entraîner une DDP, et à communiquer cette opinion à un promoteur. Shell soutient que ce facteur est également satisfait en l’espèce.   

d)         Le MPO n’a pas à exercer la compétence alléguée en s’appuyant sur des pouvoirs expressément conférés, démontrant ainsi l’absence de nécessité

Le pouvoir de formuler un avis sur la question de savoir si l’ouvrage projeté est de nature à entraîner une DDP, nécessitant ainsi une autorisation, et le pouvoir de communiquer cet avis au promoteur, ne fait pas partie des pouvoirs que le MPO a exercés dans le cadre des pouvoirs que lui confère expressément la Loi sur les pêches et la Loi sur le Ministère des Pêches et des Océans. De plus, le MPO n’a invoqué aucun des pouvoirs que lui confère expressément la Loi sur les pêches pour démontrer sa compétence pour formuler les lettres d’avis et les opinions qui y sont prévues.

Bien que le paragraphe 37(1) confère expressément au MPO la capacité de déterminer si un ouvrage ou une entreprise est de nature à entraîner une DDP, on ne trouve, même à cet article, aucune disposition conférant explicitement au MPO le pouvoir précis de communiquer son opinion à ce sujet.

Shell affirme en conséquence que la question du pouvoir implicite de déterminer si l’ouvrage projeté entraînera ou non une DDP de l’habitat, nécessitant ainsi une autorisation, et de communiquer cet avis au promoteur, n’a pas été abordée dans les dispositions conférant expressément des pouvoirs au MPO, d’où la nécessité de ce pouvoir.

e)         Le législateur n’a pas envisagé la question et ne s’est pas prononcé contre l’octroi du pouvoir au MPO

Selon Shell, rien ne permet de penser que le législateur a envisagé cette question et s’est prononcé contre l’octroi au MPO au pouvoir de déterminer si un ouvrage ou une entreprise projeté entraînera une DDP et nécessite une autorisation, et de communiquer cette décision au promoteur.

Au contraire, le législateur a édicté dans la Loi sur les pêches plusieurs dispositions qui obligent expressément ou implicitement le MPO à décider si un ouvrage ou une entreprise projeté est de nature à entraîner une DDP, ce qui comprend les éléments suivants :

a.                   il n’est nécessaire d’obtenir l’autorisation prévue à l’article 35 que lorsque l’ouvrage ou l’entreprise projeté entraînera une DDP;

b.                  aux termes de l’article 37, le ministre peut réclamer des plans, des devis, etc. lorsqu’une personne exploite ou se propose d’exploiter un ouvrage ou une entreprise de nature à entraîner une DPP;

c.                   le paragraphe 37(1) confère au MPO le pouvoir de déterminer si un ouvrage ou une entreprise est de nature à entraîner une DDP qui constitue une infraction au paragraphe 40(1) et de déterminer les mesures éventuelles à prendre pour prévenir ou limiter les dommages;

d.                  Le paragraphe 37(2) habilite le MPO à formuler l’avis qu’il y a infraction ou risque d’infraction au paragraphe 40(1) [c.-à-d. contravention au paragraphe 35(1)] et cette décision constitue une condition préalable à l’exercice, par le MPO, des pouvoirs énumérés au paragraphe 37(2).

Comme la Loi sur les pêches est muette au sujet de la capacité du MPO de communiquer à qui de droit son avis sur la question de savoir si un ouvrage ou une entreprise projeté est de nature à entraîner a DDP de l’habitat, rien ne permet de penser que le législateur a décidé de ne pas lui conférer le pouvoir de communiquer son avis aux promoteurs. Ce dernier facteur est donc lui aussi satisfait.

Conclusion

Dans l’arrêt ATCO [au paragraphe 49], la Cour déclare ce qui suit : « Comme dans le cadre de toute interprétation législative, appelée à circonscrire les pouvoirs d’un organisme administratif, une cour de justice doit tenir compte du contexte qui colore les mots et du cadre législatif. L’objectif ultime consiste à dégager l’intention manifeste du législateur et l’objet véritable de la loi tout en préservant l’harmonie, la cohérence et l’uniformité des lois en cause ».

Shell affirme que, lorsqu’il examine le pouvoir conféré au MPO en aux termes de la Loi sur les pêches, le tribunal doit tenir compte de l’intention du législateur et de l’objet de la Loi sur les pêches, en l’occurrence la protection du poisson et de son habitat. L’article 35 crée un régime législatif pour la protection de l’habitat du poisson, et oblige les promoteurs à obtenir une autorisation avant d’entreprendre des ouvrages ou des entreprises de nature à entraîner une DDP. Bien que la Loi sur les pêches ne confère pas au MPO le pouvoir explicite de formuler et de communiquer son avis au sujet de la question de savoir si le projet proposé est de nature à entraîner une DDP et nécessite une autorisation, Shell fait valoir que la doctrine de la compétence par déduction nécessaire s’applique en l’espèce et confère au MPO le pouvoir de formuler son opinion et de la communiquer au moyen d’une lettre d’avis.

Shell soutient en outre que le pouvoir du MPO d’examiner les plans de projets et de déterminer si les plans en question sont de nature à entraîner une DDP et de communiquer cette opinion, comme il l’a fait par la lettre d’avis du 9 novembre, s’accorde parfaitement avec la volonté du législateur et l’économie de la loi parce que :

e.                   Il permet au MPO de partager son expertise avec les promoteurs en examinant les plans des ouvrages et entreprises projetés et en déterminant s’ils sont de nature à entraîner une DDP (nécessitant ainsi une autorisation), au lieu d’obliger le promoteur à essayer de formuler cet avis lui-même;

f.                    Il confère aux promoteurs et au MPO la capacité d’élaborer des mesures visant à prévenir ou à limiter les dommages susceptibles d’être causés à l’habitat du poisson alors que le projet en est encore à l’étape de la planification.

(Mémoire complémentaire des faits et du droit de la défenderesse Shell Canada, 30 septembre 2009, aux paragraphes 10 à 27)    

 

D. Conclusion

[18]           Cassiar Watch ne répond pas aux arguments que le ministre tire des arrêts Thamotharem et Arsenault, ni à l’argument invoqué par Shell Canada sur le fondement de l’arrêt ATCO. Je conclus donc que ces arguments n’ont pas été contestés. À mon avis, sur le fondement de ces trois arguments, le ministre a amplement le pouvoir de formuler une lettre d’avis.

 

III.       La lettre d’avis du 9 novembre 2007 peut-elle faire l’objet d’un contrôle judiciaire?

[19]           Pour justifier la réponse positive qu’elle donne à cette question, Cassiar Watch cite certaines observations que le juge Muldoon formule dans les motifs qu’il a exposés en réponse à une requête interlocutoire visant à obtenir la production de documents dans le cadre de l’instance en contrôle judiciaire en cause dans l’affaire Friends of the West Country Association c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] A.C.F. no 556 (Friends of the West Country). La requête en question visait à obtenir une ordonnance enjoignant au ministre de produire la lettre d’avis qu’il avait formulée. Pour comprendre en quoi les propos du Muldoon sont utiles pour juger la présente demande, il est nécessaire de les reproduire intégralement.

 

[20]           Dans l’extrait suivant de l’arrêt Friends of the West Country, les observations sur lesquelles Cassiar Watch se fonde sont soulignées (Mémoire des faits et du droit (modifié) de la demanderesse, 30 octobre 2009, au paragraphe 105). Les observations en question ne sont qu’une partie de ce que le juge Muldoon a effectivement dit, aux paragraphes 12 à 19 :

 

La façon utilisée par l’intimé pour rejeter la demande de la requérante soulève la question de savoir si les lettres d’avis envoyées par le MPO à Sunpine sont des décisions d’un office fédéral au sens de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

 

C’est une question difficile à examiner dans son intégralité par la Cour dans le cadre de la présente requête, étant donné que celle-ci traite d’une demande fondée sur la règle 1612. Il semble que l’intimé soulève une exception à la communication en vertu de la règle 1613 afin de forcer le règlement d’une question qui fait l’objet d’un différend entre les parties à l’instance intentée par voie d’avis de requête.

 

Dans cette instance, la requérante demande une déclaration attestant que les lettres d’avis constituent des autorisations aux termes des paragraphes 35(2) et 37(2) de la Loi sur les pêches ou, subsidiairement, une déclaration attestant que les lettres sont ultra vires de la compétence du ministre. La demande portant que les lettres constituent des autorisations aurait pour effet d’obliger le ministre, en vertu de l’alinéa 5(1)d) de la LCEE, à effectuer une évaluation environnementale avant d’accorder les autorisations. La requérante fait donc valoir qu’au bout du compte le ministre est tenu d’effectuer une évaluation plus approfondie que celle qui a été effectuée au sujet de la partie de la proposition de Sunpine ayant trait aux ponts enjambant les rivières Ram et Prairie aux termes du paragraphe 5(2) de la LPEN.

 

Le ministre intimé ou ses délégués ont tenté de diverses façons d’établir une distinction rationnelle entre leur politique de délivrer des lettres d’avis et la demande de la requérante fondée sur la règle 1612. Selon l’avocat de l’intimé, à la page 111 de la transcription :

 

            [traduction] La Loi ne prévoit pas expressément cette politique ni les lettres d’avis, mais elle ne les interdit pas non plus. Et à notre avis, il s’agit d’une enquête purement administrative que le ministère, dans l’exercice quotidien de son pouvoir, est en mesure d’effectuer pour faciliter l’accomplissement de son travail. Et lorsque le processus qui doit être suivi aux termes de la politique du ministère ne respecte pas le critère concernant l’exercice réel ou présumé d’une compétence ou d’un pouvoir conféré par une loi fédérale, ou par une ordonnance rendue en vertu d’une prérogative de la Couronne, alors l’entité qui effectue cette enquête n’est pas un office fédéral.

 

Apparemment, l’intimé fait valoir que la politique que le MPO a adoptée à l’interne sans aucun fondement législatif explicite libère d’une certaine façon le ministre de ses obligations légales ou y apporte des restrictions au regard des paragraphes 35(2) et 37(2) de la Loi sur les pêches et, partant, au regard de l’alinéa 5(1)d) de la LCEE. Il semble également que cette méthode informelle de s’acquitter du mandat et des obligations légales qui sont imposés au MPO par la Loi sur les pêches et la LCEE présente un autre « avantage », en ce sens que le MPO ne serait pas tenu de communiquer des pièces dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire ayant trait aux lettres d’avis puisque, conformément à cette politique, les lettres d’avis (bien qu’elles informent effectivement une partie du fait qu’elle est assujettie ou non au paragraphe 5(1) de la Loi sur les pêches ) ne constituent pas une décision visée au sens de la règle 1612. Il s’agit manifestement d’une tentative bureaucratique de se soustraire à des obligations légales impératives. Ce n’est ni très intelligent ni très malin, et la Cour n’est pas tombée dans le piège. En adoptant une « politique » qui n’est pas visée par les lois, les fonctionnaires du MPO ne peuvent tout simplement pas soustraire le ministre et le ministère au contrôle judiciaire ni contourner les lois environnementales auxquelles ils refusent de se conformer.

S’il le juge à propos, l’intimé voudra peut-être reprendre ces arguments au cours de l’audience principale concernant le contrôle judiciaire quant au fondement et aux effets juridiques de ses politiques internes. Il est manifeste que l’un des effets juridiques que la politique interne du MPO ne peut avoir est de lier la présente Cour dans une demande fondée sur la règle 1612, de sorte que la Cour se trouve dans l’obligation de refuser à la requérante la communication des documents qu’elle demande parce que la question qu’elle souhaite défendre à l’audience principale aurait déjà été réglée conformément à la politique du MPO.

La Cour est d’avis que la politique du MPO concernant les lettres d’avis, et les effets juridiques présumés de cette politique, c’est-à-dire que les lettres ne sont pas des décisions prises par un office fédéral, n’ont aucune répercussion sur la question visée à la règle 1612, savoir si l’intimé doit communiquer à la requérante les pièces pertinentes à l’action principale. Toutefois, il semble que ce soit là la seule raison pour laquelle l’intimé a fait valoir qu’il n’avait pas à communiquer ces documents.

Par conséquent, l’intimé n’a aucune raison valable de s’opposer à la demande de la requérante fondée sur la règle 1612.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[21]            En toute déférence, j’estime que, lorsqu’on les situe dans leur contexte, les propos du juge Justice Muldoon ne constituent pas un précédent sur la question de l’objet et de l’effet juridiques des lettres d’avis parce qu’il n’était pas appelé à se prononcer en dernier ressort sur la question du contrôle judiciaire. Bien qu’il soit vrai que le ministre soutenait qu’il n’était pas tenu de divulguer la lettre d’avis en cause parce qu’il ne s’agissait pas d’une « décision » pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire, et bien que le juge Muldoon ait certainement exprimé à titre de remarque incidente son opinion personnelle à ce sujet, l’ordonnance qu’il a rendue en réponse à la requête ne concernait que la question de la production qu’il devait trancher.

 

[22]           Comme j’ai conclu qu’une lettre d’avis constitue une opinion qui n’a aucun caractère obligatoire et aucun effet juridique, j’estime que l’arrêt récent de la Cour d’appel fédérale que le ministre a invoqué constitue un précédent solide pour décider si la lettre d’avis du 9 novembre 2007 peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

 

[23]           Dans l’affaire Démocratie en surveillance c. Canada (Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique), 2009 CAF 15 (Democracy Watch), le débat portait sur la question de savoir si l’opinion du commissaire suivant laquelle on ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour entreprendre une étude constituait une décision susceptible d’un contrôle judiciaire. Le juge en chef Richard a exposé les motifs suivants, aux paragraphes 9 à 12, pour justifier sa conclusion que l’opinion n’était pas susceptible de contrôle judiciaire :

 

Nous sommes tous d’avis que la lettre de la commissaire n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, puisqu’elle ne constituait ni une ordonnance ni une décision au sens de l’article 66 de la Loi ou du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

Les actes administratifs qui ne portent pas atteinte aux droits des demandeurs ou n’entraînent pas de conséquences juridiques ne peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire (Pieters c. Canada (Procureur général), [2007] A.C.F. no 746, 2007 CF 556, paragraphe 60; Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), (1998), 148 F.T.R. 3, paragraphe 28; voir aussi Institut canadien des compagnies immobilières publiques et privées c. Bell Canada, [2004] A.C.F. 1103, 2004 CAF 243, paragraphes 5 et 7).

 

Légalement, la demanderesse ne dispose pas du droit de faire examiner sa plainte par le commissaire et le commissaire n’est pas habilité à donner suite à la plainte […]

 

De plus, les déclarations que la commissaire a pu faire dans sa lettre, en l’espèce, sont dépourvues d’effet juridique obligatoire. La commissaire conserve le pouvoir discrétionnaire d’entreprendre une étude au sujet de la plainte de la demanderesse, si elle a, plus tard, des motifs de croire qu’il y a eu contravention à la Loi.

                        [Non souligné dans l’original.]

 

[24]           À mon avis, la lettre d’avis du 9 novembre 2007 n’est pas susceptible de contrôle judiciaire parce qu’elle constitue une opinion qui n’a aucun caractère obligatoire et aucun effet juridique et, comme tenu de la description que Cassiar Watch donne d’elle-même au paragraphe 3, elle ne porte pas atteinte aux droits de Cassiar Watch en tant que demanderesse.

 

[25]           Vu la conclusion que je viens de tirer, je dois me prononcer sur l’argument que Cassiar Watch tire de la preuve dans la présente demande. Elle soutient en effet que la « proposition » sur laquelle était fondée la lettre d’avis du 9 novembre 2007 incorpore par renvoi les documents qui appuyaient la lettre d’avis du 16 août 2007. La teneur de cette lettre d’avis constitue effectivement un aspect important du contexte dont on doit tenir compte pour se prononcer sur la lettre d’avis du 9 novembre 2007. Cet argument vise à élargir le cadre factuel dans lequel la lettre d’avis du 9 novembre 2007 a été formulée pour renforcer d’une certaine manière l’argument de droit invoqué au sujet de la nature des lettres d’avis. J’estime que, si je devais retenir cet argument, je tirerais des conclusions de fait substantielles qui ne peuvent être formulées que dans le cadre du contrôle judiciaire de la lettre d’avis du 9 novembre 2007. Vu ma conclusion que la lettre d’avis ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire, je rejette cet argument.

 

IV.       Dispositif

 

[26]           La demande est rejetée.


ORDONNANCE

 

Pour les motifs qui ont été exposés, la présente demande est rejetée.

La question des dépens sera tranchée après que d’autres arguments auront été présentés.

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


ANNEXE

Voici les dispositions applicables de la Loi sur les pêches :

 

35. (1) Il est interdit d’exploiter des ouvrages ou entreprises entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson.

 

35. (1) No person shall carry on any work or undertaking that results in the harmful alteration, disruption or destruction of fish habitat.


(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux personnes qui détériorent, détruisent ou perturbent l’habitat du poisson avec des moyens ou dans des circonstances autorisés par le ministre ou conformes aux règlements pris par le gouverneur en conseil en application de la présente loi.


(2) No person contravenes subsection (1) by causing the alteration, disruption or destruction of fish habitat by any means or under any conditions authorized by the Minister or under regulations made by the Governor in Council under this Act.


37(1) Les personnes qui exploitent ou se proposent d’exploiter des ouvrages ou entreprises de nature à entraîner soit l’immersion de substances nocives dans des eaux où vivent des poissons ou leur rejet en quelque autre lieu si le risque existe que la substance nocive en cause, ou toute autre substance nocive provenant de son rejet, pénètre dans ces eaux, soit la détérioration, la perturbation ou la destruction de l’habitat du poisson, doivent, à la demande du ministre — ou de leur propre initiative, dans les cas et de la manière prévus par les règlements d’application pris aux termes de l’alinéa (3)a) —, lui fournir les documents — plans, devis, études, pièces, annexes, programmes, analyses, échantillons — et autres renseignements pertinents, concernant l’ouvrage ou l’entreprise ainsi que les eaux, lieux ou habitats du poisson menacés, qui lui permettront de déterminer, selon le cas :

 

 

 

a) si l’ouvrage ou l’entreprise est de nature à faire détériorer, perturber ou détruire l’habitat du poisson en contravention avec le paragraphe 35(1) et quelles sont les mesures éventuelles à prendre pour prévenir ou limiter les dommages;

b) si l’ouvrage ou l’entreprise est ou non susceptible d’entraîner l’immersion ou le rejet d’une substance en contravention avec l’article 36 et quelles sont les mesures éventuelles à prendre pour prévenir ou limiter les dommages.


(2) Si, après examen des documents et des renseignements reçus et après avoir accordé aux personnes qui les lui ont fournis la possibilité de lui présenter leurs observations, il est d’avis qu’il y a infraction ou risque d’infraction au paragraphe 35(1) ou à l’article 36, le ministre ou son délégué peut, par arrêté et sous réserve des règlements d’application de l’alinéa (3)b) ou, à défaut, avec l’approbation du gouverneur en conseil :




a) soit exiger que soient apportées les modifications et adjonctions aux ouvrages ou entreprises, ou aux documents s’y rapportant, qu’il estime nécessaires dans les circonstances;



b) soit restreindre l’exploitation de l’ouvrage ou de l’entreprise.

Il peut en outre, avec l’approbation du gouverneur en conseil dans tous les cas, ordonner la fermeture de l’ouvrage ou de l’entreprise pour la période qu’il juge nécessaire en l’occurrence.

 


37.  (1) Where a person carries on or proposes to carry on any work or undertaking that results or is likely to result in the alteration, disruption or destruction of fish habitat, or in the deposit of a deleterious substance in water frequented by fish or in any place under any conditions where that deleterious substance or any other deleterious substance that results from the deposit of that deleterious substance may enter any such waters, the person shall, on the request of the Minister or without request in the manner and circumstances prescribed by regulations made under paragraph (3)(a), provide the Minister with such plans, specifications, studies, procedures, schedules, analyses, samples or other information relating to the work or undertaking and with such analyses, samples, evaluations, studies or other information relating to the water, place or fish habitat that is or is likely to be affected by the work or undertaking as will enable the Minister to determine

(a) whether the work or undertaking results or is likely to result in any alteration, disruption or destruction of fish habitat that constitutes or would constitute an offence under subsection 40(1) and what measures, if any, would prevent that result or mitigate the effects thereof; or
(b) whether there is or is likely to be a deposit of a deleterious substance by reason of the work or undertaking that constitutes or would constitute an offence under subsection 40(2) and what measures, if any, would prevent that deposit or mitigate the effects thereof.

(2) If, after reviewing any material or information provided under subsection (1) and affording the persons who provided it a reasonable opportunity to make representations, the Minister or a person designated by the Minister is of the opinion that an offence under subsection 40(1) or (2) is being or is likely to be committed, the Minister or a person designated by the Minister may, by order, subject to regulations made pursuant to paragraph (3)(b), or, if there are no such regulations in force, with the approval of the Governor in Council,
(a) require such modifications or additions to the work or undertaking or such modifications to any plans, specifications, procedures or schedules relating thereto as the Minister or a person designated by the Minister considers necessary in the circumstances, or
(b) restrict the operation of the work or undertaking,

and, with the approval of the Governor in Council in any case, direct the closing of the work or undertaking for such period as the Minister or a person designated by the Minister considers necessary in the circumstances.

 

 

 


40. (1) Quiconque contrevient au paragraphe 35(1) commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité :
a) par procédure sommaire, une amende maximale de trois cent mille dollars lors d’une première infraction ou, en cas de récidive, une amende maximale de trois cent mille dollars et un emprisonnement maximal de six mois, ou l’une de ces peines;


b) par mise en accusation, une amende maximale d’un million de dollars lors d’une première infraction ou, en cas de récidive, une amende maximale d’un million de dollars et un emprisonnement maximal de trois ans, ou l’une de ces peines.

 


40. (1) Every person who contravenes subsection 35(1) is guilty of

(a) an offence punishable on summary conviction and liable, for a first offence, to a fine not exceeding three hundred thousand dollars and, for any subsequent offence, to a fine not exceeding three hundred thousand dollars or to imprisonment for a term not exceeding six months, or to both; or
(b) an indictable offence and liable, for a first offence, to a fine not exceeding one million dollars and, for any subsequent offence, to a fine not exceeding one million dollars or to imprisonment for a term not exceeding three years, or to both.

 

 

Voici les dispositions pertinentes de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale :


5. (1) L
’évaluation environnementale d’un projet est effectuée avant l’exercice d’une des attributions suivantes :

a) une autorité fédérale en est le promoteur et le met en oeuvre en tout ou en partie;

 


5. (1) An environmental assessment of a project is required before a federal authority exercises one of the following powers or performs one of the following duties or functions in respect of a project, namely, where a federal authority

 

[…]

[…]

d) une autorité fédérale, aux termes d’une disposition prévue par règlement pris en vertu de l’alinéa 59f), délivre un permis ou une licence, donne toute autorisation ou prend toute mesure en vue de permettre la mise en œuvre du projet en tout ou en partie.

(d) under a provision prescribed pursuant to paragraph 59(f), issues a permit or licence, grants an approval or takes any other action for the purpose of enabling the project to be carried out in whole or in part.

 

59. Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

59. The Governor in Council may make regulations

 

[…]

[…]

 


 

f) déterminer, pour l’application de l’alinéa 5(1)d), des dispositions de toute loi fédérale ou de textes pris sous son régime;

(f) prescribing, for the purposes of paragraph 5(1)(d), the provisions of any Act of Parliament or any instrument made under an Act of Parliament;

 

 

Voici Les dispositions clés du Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées, DORS/94-636 :

 

2. Pour l’application de l’alinéa 5(1)d) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, les dispositions législatives et réglementaires sont celles prévues respectivement aux parties I et II de l’annexe I.

2. The provisions of an Act set out in Part I of Schedule I and a regulation set out in Part II of that Schedule are prescribed for the purposes of paragraph 5(1)(d) of the Canadian Environmental Assessment Act.

 

 

Les dispositions de la Loi sur les pêches qui sont désignées à la partie I de l’annexe I et qui nous intéressent en l’espèce sont les paragraphes 35(2) et 37(2).


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-1974-07

 

INTITULÉ :                                       CASSIAR WATCH c. MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS ET AUTRE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 janvier 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE    LE JUGE CAMPBELL

ET ORDONNANCE :

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 12 février 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Jason Gratl

 

POUR LA DEMANDERESSE

Ward Bansley

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DES PÊCHES

ET DES OCÉANS

Mark Fancourt-Smith

POUR LA DÉFENDERESSE,

SHELL CANADA LIMITED

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gratl & Company

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DÉFENDEUR,

  LE MINISTRE DES PÊCHES

ET DES OCÉANS

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Vancouver (C.-B.)

POUR LA DÉFENDERESSE,

SHELL CANADA LIMITED

 

 

 

 

 

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