Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 24 février 2010
En présence de monsieur le juge Kelen
Entre :
GUNAWATTIE CHETARU
et
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 22 juillet 2009 par un agent d’exécution, dans laquelle l’agent d’exécution a rejeté la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada présentée pas les demandeurs. Le 14 juillet 2009, les demandeurs ont, une quatrième fois, demandé que l’on sursoie à leur renvoi jusqu’à ce que leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH) soit tranchée. La demande CH est en suspens depuis le 19 février 2008, et on ne s’attend pas à ce qu’elle soit tranchée avant 2011.
LES FAITS
Le contexte
[2] Les demandeurs sont citoyens de la Guyana et sont mariés. M. Sorjnaraine Chetaru, le demandeur, est âgé de 53 ans et Mme Gunawattie Chetaru, la demanderesse, est âgée de 50 ans.
[3] Les demandeurs sont arrivés au Canada le 30 mai 2006 et ont demandé l’asile le 14 juin 2006. Le 31 juillet 2007, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État et il a rejeté leur demande d’asile.
[4] Les demandeurs ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) et une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH) le 4 décembre 2007. La demande CH a été retournée aux demandeurs le 24 janvier 2008 parce que les frais requis n’avaient pas été payés. Les demandeurs ont présenté de nouveau leur demande CH, laquelle a été reçue par le défendeur le 19 février 2008.
[5] La demande d’ERAR des demandeurs a été rejetée le 4 avril 2008. La date de l’exécution du renvoi des demandeurs a alors été fixée au 7 juin 2008. Par la suite, quatre demandes de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi ont été présentées. La chronologie relative aux demandes a été résumée par la juge Heneghan aux paragraphes 4 à 8 de la décision Chetaru c. Canada (MSPPC), 2009 CF 436 :
4 Le 12 mai 2008, les demandeurs ont présenté une demande de report de renvoi au motif que leur demande de résidence permanente au Canada, fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH), était pendante. Cette demande avait été reçue au départ au mois de décembre 2007, mais comme les demandeurs n’avaient pas encore payé les frais, on leur avait demandé de la présenter de nouveau. La demande était reçue de nouveau le 19 février 2008. La demande de report a été rejetée le 27 mai 2008.
5 Le 28 mai, les demandeurs ont présenté une deuxième demande de report de renvoi. Leur requête était encore une fois fondée sur la demande CH. Le 5 juin 2008, le juge Campbell a accordé aux demandeurs un sursis provisoire à l’exécution de la mesure de renvoi à condition qu’ils soumettent des arguments supplémentaires à l’agent de renvoi. Le sursis provisoire demeurait en vigueur jusqu’au 20 juin 2008. Le sursis a été accordé dans le dossier IMM-2507-08.
6 Le 27 juin 2008, les demandeurs ont soumis des documents et des arguments supplémentaires. Ils ont particulièrement réaffirmé que leur demande de report était fondée sur leur demande CH en cours et ont par la suite exprimé le souhait que leur demande soit traitée avec célérité. Dans la demande de report de renvoi faite le 12 mai 2008, l’ancien avocat des demandeurs avait également demandé un traitement expéditif de la demande CH.
7 En temps opportun, le renvoi des demandeurs fut fixé au 9 septembre 2008. Les demandeurs ont entamé la présente procédure le 8 août 2008 en sollicitant un contrôle judiciaire du dernier refus de l’agent d’exécution de reporter leur renvoi. Les demandeurs ont reçu cette décision le 1er août 2008 et les notes de l’agent ont été reçues le 6 août 2008. Cette décision rejetait encore une fois la demande de report de renvoi.
8 Le 5 septembre 2008, la juge Dawson a accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’au règlement définitif de la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.
[6] Le 30 avril 2009, la demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’exécution présentée par les demandeurs a été rejetée. La juge Heneghan a conclu au paragraphe 20 que l’agent d’exécution n’était pas tenu d’effectuer une « mini appréciation de la demande CH » et qu’il pouvait raisonnablement décider de ne pas reporter la date de renvoi des demandeurs vu la preuve dont il disposait, et ce, malgré que la situation personnelle des demandeurs suscitait la sympathie.
[7] Le 10 juin 2009, les demandeurs ont déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dans le dossier no IMM-2945-09, dans laquelle ils sollicitaient un bref de mandamus visant leur demande CH.
[8] Le 13 juillet 2009, les demandeurs ont été avisés que la date de leur renvoi avait été fixée au 3 août 2009. Une quatrième demande de sursis au renvoi a été rapidement déposée le 14 juillet 2009; elle a été rejetée le 22 juillet 2009. La présente demande de contrôle judiciaire a été déposée le jour même de la décision de l’agent d’exécution.
[9] Le 30 juillet 2009, la juge Mactavish a accordé un sursis au renvoi jusqu’à ce que la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire soit définitivement tranchée. La juge Mactavish a accordé l’autorisation de contrôle judiciaire dans la présente affaire, mais elle a rejeté l’autorisation de contrôle judiciaire visant le bref de mandamus ainsi que le sursis connexe à la requête en mandamus, parce qu’elle a estimé que le traitement de la demande CH des demandeurs n’avait souffert d’aucun retard indu.
La décision soumise au contrôle
[10] La quatrième et dernière demande de sursis était fondée sur les mêmes considérations humanitaires que les trois demandes précédentes, à savoir sur le fait que la sœur et la mère âgée de la demanderesse, toutes deux Canadiennes, demeurent avec les demandeurs et qu’elles comptaient sur les demandeurs pour leur offrir des soins et du soutien. Il a été avancé qu’aucun membre canadien de la famille Chetaru ne pouvait s’occuper de la mère et de la sœur de la demanderesse, car tous les membres de la famille sont malades.
[11] Les demandeurs reconnaissent que l’agent d’exécution ne peut pas effectuer de « mini appréciation de la demande CH », mais ils plaident que des « considérations spéciales », au sens de l’arrêt Baron c. Canada (MSPSC), 2009 CAF 81, oblige l’octroi du sursis au renvoi jusqu’à ce que la demande CH soit tranchée. Selon les demandeurs, les considérations spéciales comprennent entre autres le fait que leur demande CH se trouve dans l’arriéré; le fait que cette demande soit fondée en partie sur les risques auxquels ils seraient exposés en Guyana et les conséquences néfastes que leur renvoi aurait sur deux Canadiennes.
[12] L’agent d’exécution a conclu, sur le fondement de communications avec Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), que la demande CH des demandeurs devrait être tranchée en 2011 et que leur dossier ne ferait donc pas l’objet d’une décision dans un futur rapproché. Il a également conclu que l’espèce ne remplissait pas les conditions pour que la demande CH des demandeurs soit traitée avec célérité par CIC.
[13] L’agent d’exécution a noté l’état fragile de la mère de la demanderesse et la maladie mentale de la sœur de la demanderesse, ce qui les rend toutes deux dépendantes des demandeurs. L’agent d’exécution a conclu que la demande de sursis était fondée sur des moyens presque identiques à ceux plaidés dans les demandes précédentes. Il a par la suite adopté les motifs de l’agent d’exécution Vatikiotis, qui avait rejeté la troisième demande de sursis des demandeurs et dont la décision a été confirmée par la juge Heneghan dans la décision Chetaru, précitée :
[traduction]
Bien que les autres membres de la famille puissent ne pas être en mesure de prendre soin de la mère et de la sœur de la même façon que les intéressés ont été capables de le faire, je conclus tout de même qu’il existe bien un réseau de soutien familial qui peut leur apporter de l’aide et déterminer la meilleure façon de les soutenir, de leur donner des soins et de les appuyer pendant cette période de transition. En outre, la mère et la sœur de Mme Chetaru sont citoyennes du Canada et, à ce titre, elles ont le droit de rester au Canada et elles peuvent bénéficier des avantages, des programmes sociaux et des soins de santé offerts habituellement aux Canadiens.
[14] La demande de sursis au renvoi des demandeurs a donc été rejetée.
LES DISPOSITIONS LÉGALES
[15] Le pouvoir accordé aux agents d’exécution est énoncé à l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :
48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.
(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent. |
48. (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.
(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable. |
LES QUESTIONS EN LITIGE
[16] Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :
a. La décision de la juge Heneghan s’applique-t-elle en l’espèce?
b. L’agent d’exécution a-t-il commis une erreur de droit en se fondant sur les décisions rendues par les agents précédents sans tenir compte de l’ensemble des facteurs pertinents établis dans l’arrêt Baron, lesquels sont décrits dans les observations des demandeurs? En particulier :
i. L’agent d’exécution a-t-il commis une erreur en ne se penchant pas sur la question de savoir s’il y avait des « considérations spéciales » en raison desquelles il aurait pu sursoir au renvoi?
ii. L’agent d’exécution a-t-il commis une erreur en ne se penchant pas sur la question de savoir si les demandeurs respectaient un facteur, à savoir le retard du traitement de leur demande CH en raison de l’arriéré auquel le système fait face?
iii. L’agent d’exécution a-t-il commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l’ensemble des risques auxquels les demandeurs sont exposés dans leur pays d’origine?
c. La conclusion de l’agent d’exécution selon laquelle il existait un réseau de soutien familial pouvant appuyer la mère et la sœur de la demanderesse a-t-elle été tirée en faisant complètement fi de la preuve?
d. La décision de l’agent d’exécution de ne pas demander que la demande CH soit traitée avec célérité était-elle erronée?
LA NORME DE CONTRÔLE
[17] Au paragraphe 62 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada a statué que la première étape du processus de détermination de la norme de contrôle applicable consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ), 2009 CSC 12, le juge Binnie, paragraphe 53).
[18] Au paragraphe 25 de l’arrêt Baron, précité, rendu par la Cour d’appel fédérale, le juge Nadon a conclu que la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’exécution de refuser de sursoir au renvoi est la raisonnabilité; voir également mes décisions Ragupathy c. Canada (MSPSC), 2006 CF 1370, paragraphe 12; Level (Représenté par sa tutrice à l’instance) c. Canada (MSPSC), 2008 CF 227, paragraphes 12 et 13.
[19] Lorsque la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent d’exécution est la raisonnabilité, la Cour veillera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, paragraphe 47, Khosa, précité, paragraphe 59).
La question no 1 : La décision de la juge Heneghan s’applique-t-elle en l’espèce?
[20] Les demandeurs soutiennent que la décision de la juge Heneghan ne s’applique pas en l’espèce, non pas parce que les faits sont différents, ce sont presque les mêmes faits, mais parce que les demandeurs ont précisément demandé à l’agent d’exécution dans la décision contestée de tenir compte des facteurs établis dans l’arrêt Baron, précité, c’est‑à‑dire de déterminer s’il existait des considérations spéciales dans la demande CH des demandeurs; de déterminer si la demande CH était retardée en raison de l’arriéré et de tenir compte du fait que le risque auquel étaient exposés les demandeurs en Guyana constitue en partie le fondement de leur demande CH.
[21] La juge Heneghan a invité les parties à présenter des observations sur l’incidence de l’arrêt Baron, précité, et les deux parties ont décidé d’en présenter. Au paragraphe 14 de sa décision, la juge Heneghan a énoncé la position des demandeurs au sujet de l’arrêt Baron, précité :
14 En l’espèce, les deux parties invoquent l’arrêt Baron. Les demandeurs prétendent que dans l’arrêt Baron, la Cour a souligné que tout comme dans la décision Wang, une demande CH peut constituer le fondement d’un report de renvoi lorsque cela est justifié par des « considérations particulières ». Ils allèguent que de telles « considérations particulières » existent en l’espèce, précisément la nécessité pour eux de rester au Canada jusqu’au règlement de leur demande CH, leur permettant ainsi d’offrir de l’aide et d’accorder du repos aux membres de la famille qui sont malades, à savoir la mère et la sœur de la demanderesse.
[22] Contrairement aux observations des demandeurs, le fait que l’arrêt Baron, précité, n’avait pas encore été rendu lorsqu’ils ont présenté leurs observations à l’agent d’exécution dans l’affaire Chetaru, précitée, ne fait pas en sorte que cette affaire est différente de l’espèce.
[23] Les demandeurs admettent que l’arrêt Baron, précité, n’a pas changé le droit en matière de demande de sursis. Il serait alors illogique d’accepter l’allégation selon laquelle l’arrêt Baron, précité, impose à l’agent d’exécution de tenir compte des [traduction] « facteurs établis dans l’arrêt Baron ». Si le droit n’a pas changé, alors l’arrêt Baron ne peut pas avoir eu pour effet d’établir un nouveau critère relatif à l’octroi des sursis. Aux paragraphes 49 à 51 de l’arrêt Baron, précité, la Cour d’appel fédérale a mentionné un certain nombre d’exemples où le sursis peut être justifié, et les demandeurs soutiennent qu’ils s’appliquent à eux. Ces exemples découlent de la jurisprudence antérieure à la demande de sursis des demandeurs : Simoes c. Canada (MCI), [2000] A.C.F. no 936 (C.F. 1re inst.) (QL), 7 Imm.L.R. (3d) 141, le juge Nadon (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale), paragraphe 12, et Wang c. Canada (MCI), [2001] 3 C.F. 682, le juge Pelletier (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale).
[24] Les observations des demandeurs datées du 27 juin 2008 et présentées à l’agent d’exécution font état du même contexte factuel à l’appui de leur demande de sursis, à savoir le risque auquel ils seraient exposés en Guyana et le soutien qu’ils offrent à deux citoyennes canadiennes. Depuis ce temps, il n’y a eu presque aucun changement, voire aucun. La Cour conclut que la décision Chetaru, précitée, rendue par Mme Henghan, ne s’applique pas en l’espèce.
[25] Cette conclusion suffit, à mon avis, pour que je rejette la demande en l’espèce, puisque l’analyse de l’agent d’exécution était en grande partie fondée sur les motifs de l’agent d’exécution Vatikiotis, lesquels avaient été confirmés et estimés raisonnables par la juge Heneghan. Dans l’hypothèse où ma conclusion serait erronée, j’examinerai dans les motifs qui suivent les autres questions en litige soulevées par les demandeurs.
La question no 2 : L’agent d’exécution a-t-il commis une erreur de droit en se fondant sur les décisions rendues par les agents précédents sans tenir compte de l’ensemble des facteurs établis dans l’arrêt Baron, lesquels sont décrits dans les observations des demandeurs?
[26] Les demandeurs soutiennent que l’agent d’exécution a commis une erreur en se fondant sur les motifs de l’agent d’exécution Vatikiotis sans tenir compte des facteurs établis dans l’arrêt Baron, précité.
[27] Le retard, causé par l’arriéré, dans le traitement d’une demande CH présentée en temps opportun peut justifier un sursis, tout comme un certain nombre d’autres exemples mentionnés aux paragraphes 49 à 51 de l’arrêt Baron, précité :
49 Il est de jurisprudence constante que le pouvoir discrétionnaire dont disposent les agents d’exécution en matière de report d’une mesure de renvoi est limité. J’ai exprimé cet avis dans la décision Simoes c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 936 (C.F. 1re inst.) (QL), 7 Imm.L.R. (3d) 141, au paragraphe 12 :
12 À mon avis, le pouvoir discrétionnaire que l’agent chargé du renvoi peut exercer est fort restreint et, de toute façon, il porte uniquement sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée. En décidant du moment où il est « raisonnablement possible » d’exécuter une mesure de renvoi, l’agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d’autres raisons à l’encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n’ont pas encore été réglées à cause de l’arriéré auquel le système fait face. […]
50 J’ai également exprimé l’avis que la simple existence d’une demande CH n’empêchait pas l’exécution d’une mesure de renvoi valide. Au sujet de la présence d’enfants nés au Canada, j’ai adopté le point de vue que l’agent chargé du renvoi n’est pas tenu d’effectuer un examen approfondi de l’intérêt des enfants avant d’exécuter la mesure de renvoi.
51 À la suite de ma décision dans l’affaire Simoes, précitée, mon collègue le juge Pelletier, alors juge à la Section de première instance de la Cour fédérale, a eu l’occasion, dans la décision Wang c. Canada (M.C.I.), [2001] 3 C.F. 682 (C.F.), dans le contexte d’une requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, d’aborder la question du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution de reporter le renvoi. Après avoir examiné attentivement et à fond les dispositions législatives applicables et la jurisprudence s’y rapportant, le juge Pelletier a circonscrit la portée du pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution en matière de report de renvoi. Dans des motifs que je ne puis améliorer, il a expliqué ce qui suit :
[…]
- Pour respecter l’économie de la Loi, qui impose une obligation positive au ministre tout en lui accordant une certaine latitude en ce qui concerne le choix du moment du renvoi, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain. Pour ce qui est des demandes CH, à moins qu’il n’existe des considérations spéciales, ces demandes ne justifient un report que si elles sont fondées sur une menace à la sécurité personnelle.
[…]
Je souscris entièrement à l’exposé du droit du juge Pelletier..
[Non souligné dans l’original.]
[28] Les demandeurs désignent à tort les exemples de l’arrêt Baron, précité, comme étant des « facteurs » dont l’agent d’exécution devait tenir compte. Invoquer l’arrêt Baron, précité, ne change pas le mandat de l’agent d’exécution, qui doit se demander s’il est « raisonnablement possible » d’exécuter la mesure de renvoi vu les circonstances spéciales des demandeurs.
[29] La juge Heneghan a conclu que les motifs de l’agent d’exécution Vatikiotis étaient raisonnables, et je n’ai aucune raison de m’écarter de sa décision.
[30] L’agent d’exécution en l’espèce s’est fondé à juste titre sur l’analyse de l’agent d’exécution Vatikiotis. Les demandeurs ont présenté le même contexte factuel à quatre reprises. L’agent d’exécution Vatikiotis a raisonnablement tenu compte des préoccupations des demandeurs concernant les conséquences néfastes de leur renvoi sur la mère et la sœur de Mme Chetaru. Il a refusé à juste titre de demander que la demande CH des demandeurs soit traitée avec célérité parce qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs pour différencier la présente demande des autres demandes dans l’arriéré. Les allégations de risque portaient sur des risques généralisés de violence et de crime et ne correspondaient aucunement à ce qui est mentionné dans la décision Wang, précitée. Il était raisonnablement loisible à l’agent d’exécution Vatikiotis de tirer cette conclusion vu les faits dont il était saisi et il n’avait pas à effectuer une « mini appréciation de la demande CH ». Étant donné que l’agent d’exécution en l’espèce a été saisi des mêmes faits dans la demande de sursis qui a suivi la décision de Mme Heneghan, il s’est à juste titre fondé sur les motifs de l’agent d’exécution Vatikiotis. Il est déraisonnable de demander des sursis à quatre reprises sur le fondement de demandes CH, puis d’en demander le contrôle à la Cour. Il s’agit d’un abus de procédure. Le juge en chef Blais de la Cour d’appel fédérale (alors juge de la Cour d’appel fédérale) a conclu de la façon suivante au paragraphe 74 de l’arrêt Baron, précité :
[…] On constate depuis quelque temps chez les demandeurs d’asile une fâcheuse tendance à réclamer des reports, à présenter des demandes de contrôle judiciaire et à demander la suspension de l’exécution des mesures de renvoi […].
Le juge Blais a ajouté ce qui suit au paragraphe 83 :
[…] Le temps est venu de mettre fin à ces abus.
La question no 3 : La conclusion de l’agent d’exécution selon laquelle il existe un réseau de soutien familial pouvant appuyer la mère et la sœur de la demanderesse a-t-elle été tirée en faisant complètement fi de la preuve?
[31] Les demandeurs soutiennent que l’agent d’exécution a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve établissant que la mère et la sœur de Mme Chetaru sont dépendantes des demandeurs et que les autres membres de la famille sont incapables de prendre soin d’elles. Ils avancent également que la Cour devrait conclure que la décision était fondée sur des conclusions de fait erronées au motif que l’agent d’exécution n’a pas mentionné la preuve déposée par les demandeurs : Cepeda-Gutierrez c. Canada (MCI) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.), le juge Evans (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale), paragraphe 17.
[32] Il ne s’agit pas d’une affaire où la Cour peut inférer qu’une conclusion de fait erronée a été tirée. Une lecture attentive des motifs révèle que l’agent d’exécution a conclu que les membres de la famille des demandeurs pourraient orienter les soins futurs de la mère et de la sœur de Mme Chetaru, lesquelles pourraient profiter de l’éventail des programmes sociaux et des programmes de santé accessibles au Canada :
[traduction]
Bien que les autres membres de la famille puissent ne pas être en mesure de prendre soin de la mère et de la sœur de la même façon que les intéressés ont été capables de le faire, je conclus tout de même qu’il existe bien un réseau de soutien familial qui peut leur apporter de l’aide et déterminer la meilleure façon de les soutenir, de leur donner des soins et de les appuyer pendant cette période de transition. En outre, la mère et la sœur de Mme Chetaru sont citoyennes du Canada et, à ce titre, elles ont le droit de rester au Canada et elles peuvent bénéficier des avantages, des programmes sociaux et des soins de santé offerts habituellement aux Canadiens.
[Non souligné dans l’original.]
Vu la preuve dont il était saisi, il était loisible à l’agent d’exécution de conclure que la famille des demandeurs pourrait aider la mère et la sœur de Mme Chetaru à profiter des programmes sociaux et des programmes de santé du Canada sans avoir elle‑même à leur donner des soins.
[33] L’agent d’exécution a reconnu que la famille des demandeurs n’était pas capable d’offrir des soins. Cette admission suffit pour établir que l’agent d’exécution a tiré sa conclusion en tenant compte de la preuve. Il convient donc de rejeter le présent motif de contrôle.
La question no 4 : Les motifs de la décision de l’agent d’exécution de ne pas demander que la demande CH soit traitée avec célérité étaient-ils adéquats?
[34] Les demandeurs allèguent que les motifs fournis par l’agent d’exécution pour refuser de demander à CIC de traiter leur demande CH avec célérité n’étaient pas adéquats.
[35] Les demandes CH sont par définition fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Une demande CH ne sera pas traitée avec célérité simplement parce qu’elle est fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agent d’exécution a conclu à juste titre que la présente affaire ne renfermait aucune circonstance spéciale justifiant qu’il demande qu’elle soit traitée avec célérité.
[36] Qu’il suffise de dire que les circonstances de l’espèce ne sont pas spéciales et qu’il était raisonnablement loisible à l’agent d’exécution de tirer cette conclusion. Le 30 juillet 2009, la juge Mactavish de la Cour a conclu que le traitement de la demande CH des demandeurs n’avait pas été indument retardé : Chetaru c. Canada (MCI), IMM-2945-09, la juge Mactavish. Je ne vois aucune raison pour conclure différemment, car je suis d’avis qu’une attente de deux ans ne constitue pas un retard indu dans les circonstances de l’espèce. Il convient donc de rejeter le présent motif de contrôle.
LA CERTIFICATION D’UNE QUESTION
[37] Les demandeurs proposent la question suivante aux fins de certification auprès de la Cour d’appel fédérale :
[traduction]
Lorsqu’une personne frappée d’une mesure de renvoi a une demande CH et des demandes de sursis au renvoi en suspens, quelles sont les circonstances précises qu’un agent d’exécution devrait considérer comme étant un fondement valable justifiant le sursis au renvoi?
[38] Le défendeur a contesté la certification de la question proposée parce que cette question porte sur les mêmes facteurs établis par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Baron, précité. La Cour est d’accord avec le défendeur. En l’absence de « considérations spéciales », une demande CH en suspens ne justifie pas le sursis du renvoi. Il est évident que les « circonstances spéciales » doivent être différentes des considérations d’ordre humanitaire sinon toute demande CH renfermerait des « circonstances spéciales », et on s’attendrait alors à ce que l’agent d’exécution fasse une « mini appréciation de la demande CH », alors que la Cour d’appel fédérale a conclu dans l’arrêt Baron, précité, que l’agent d’exécution n’était pas autorisé à le faire. Par conséquent, la Cour conclut que la question proposée ne constitue pas une question grave de portée générale n’ayant pas déjà été tranchée par la Cour d’appel fédérale.
JUGEMENT
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3679-09
INTITULÉ : SORJNARAINE CHETARU ET AL. c. MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 16 FÉVRIER 2010
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : LE 24 FÉVRIER 2010
COMPARUTIONS :
Matthew Jeffrey
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POUR LES DEMANDEURS |
Neeta Logsetty
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Matthew Jeffrey Avocat Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR |