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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100223

Dossier : IMM-2304-09

Référence : 2010 CF 199

Toronto (Ontario), le 23 février 2010

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

HERIONA DUHANAJ

PASHK DUHANAJ

BERLINDA DUHANAJ

NIKOLETA DUHANAJ

JOSEPHINA DUHANAJ

demandeurs

 

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision datée du 22 avril 2009 par laquelle un commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés du Canada a décidé que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger. Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’en ce qui concerne le demandeur adulte, Pashk Duhanaj, cette décision est infirmée et renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen; à part cela, la demande est rejetée.

 

[2]               La demanderesse principale, Heriona Duhanaj, est une adulte, citoyenne de l’Albanie et aujourd’hui mariée au demandeur, Pashk Duhanaj, avec lequel elle a eu les trois autres demandeurs, qui sont leurs enfants.

 

[3]               La demanderesse principale, Heriona Duhanaj, est née en Albanie et est citoyenne de ce pays. À l’âge de 15 ans, elle a été envoyée par ses parents aux États‑Unis, où vivaient des sœurs à elle; ses parents craignaient qu’elle soit enlevée par des individus faisant le trafic d’êtres humains en Albanie et vendue pour être livrée à la prostitution. Elle a vécu aux États‑Unis depuis 1995, sans y demander l’asile. Ses parents et son frère cadet vivent en Albanie mais, selon la preuve de la demanderesse, ils ont l’intention de venir au Canada en étant parrainés par l’un des frères de la demanderesse, qui vit ici.

 

[4]               Le demandeur adulte, Pashk Duhanaj, est né dans ce qui était à l’époque la Serbie‑Monténégro, dans la région du Kosovo. Il est chrétien catholique. Il est arrivé aux États‑Unis en 1996, où il a demandé l’asile, mais sans succès. Ses appels ultérieurs ont été vains. Il est néanmoins resté aux États‑Unis, sans statut, jusqu’à ce qu’il arrive au Canada en compagnie des autres demandeurs en août 2007.

 

[5]               Les deux se sont rencontrés aux États-Unis; ils ont noué une relation de fait dans le cadre de laquelle sont nés les trois autres demandeurs. En février 2007, peu avant leur arrivée au Canada, ils se sont mariés aux États‑Unis. Leurs enfants et eux sont arrivés au Canada en août 2007, où ils ont demandé l’asile à titre de famille. Pour une raison inexpliquée, Heriona a été nommée comme demanderesse principale.

 

[6]               Heriona a fondé la demande d’asile sur le fait qu’elle craignait de retourner en Albanie parce que son époux ne serait pas autorisé à l’accompagner et que, en tant que femme non accompagnée et donc non protégée, elle risquait d’être enlevée et vendue pour être livrée à la prostitution, ce qui est exactement le même sort qu’elle appréhendait quand elle est partie à l’âge de 15 ans. Le commissaire, j’en suis persuadé, a prêté une oreille favorable à ses arguments et a pris en considération les éléments de preuve pertinents. Malheureusement pour la demanderesse, il a conclu que le fait de ne pas avoir demandé l’asile aux États‑Unis pendant plus de dix ans signifiait qu’elle n’avait pas établi l’existence d’une crainte fondée de persécution. En tout état de cause, il a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que des ravisseurs la prendraient pour cible et que l’Albanie, pour éviter de tels enlèvements, avait mis en place un certain nombre de mesures qui, même sans être efficaces à cent pour cent, étaient adéquates, compte tenu du fardeau qu’avait la demanderesse de prouver le contraire.

 

[7]               Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle en rapport avec les constatations qui ont été faites et la conclusion qui a été tirée à propos de la demande de la demanderesse.

 

[8]               Dans le même ordre d’idées, en ce qui concerne les trois enfants mineurs, ces derniers sont citoyens des États‑Unis et rien ne prouvait qu’ils craignaient d’y retourner. Leur demande d’asile a été rejetée à bon droit.

 

[9]               Quant au demandeur adulte, Pashk Duhanaj, la situation est différente. À l’époque où ce dernier a quitté la Serbie‑Monténégro, il s’agissait d’un pays distinct et le Kosovo était une région qui en faisait partie. Depuis lors, le Monténégro est devenu un pays distinct; le Kosovo est aujourd’hui séparé de la Serbie, et son statut n’est pas clair. Les affaires du Kosovo sont administrées par une entité de l’Organisation des Nations Unies connue sous le nom de MINUK : la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo. En l’espèce, il ressort de la preuve que cette Mission fait face à des transitions démocratiques intrinsèquement instables ainsi qu’à des siècles de mauvaises habitudes, comme le fait de régler de vieux griefs en assassinant des membres du clan censément fautif, une pratique qui porte le nom de vendetta.

 

[10]           La demande d’asile du demandeur adulte reposait sur deux motifs. Le premier était l’existence d’une vendetta entre son clan et un autre au Kosovo, et sa crainte d’être pris pour cible, sans protection adéquate de la part de l’État, s’il retournait au Kosovo. Le second motif était qu’il est chrétien catholique et qu’il serait victime de discrimination - et pire - s’il retournait au Kosovo, qui est principalement musulman et compte une minorité d’orthodoxes serbes. À l’audience qui a eu lieu devant moi, son avocat n’a pas approfondi ce second motif.

 

[11]           Le commissaire débute ses motifs de refus de la demande du demandeur en faisant remarquer que ce dernier s’est vu accorder « […] la qualité de réfugié et a bénéficié de la protection des États‑Unis; mais il a perdu son statut par suite de ces actes ». Je conviens qu’une telle conclusion serait, en tout état de cause, peu pertinente mais elle semble avoir influencé l’opinion qu’avait le commissaire au sujet de la demande du demandeur. Ni l’un ni l’autre des avocats qui ont comparu devant moi n’ont pu faire ressortir du dossier un élément quelconque susceptible de justifier une telle remarque. Un tel énoncé non corroboré suscite un doute quant à la raisonnabilité des conclusions ultérieures du commissaire.

 

[12]           Au sujet de l’existence d’une vendetta, le commissaire a conclu que, selon la prépondérance de la preuve, la famille du demandeur était impliquée dans une telle situation. Il a toutefois conclu que le demandeur n’avait pas « produit d’élément de preuve probant à l’appui de sa croyance voulant que la communauté internationale présente en Serbie/Kosovo ne pourrait pas ou ne voudrait pas lui offrir une protection de l’État […] ».

 

[13]           Il n’en est rien. La preuve comporte un document écrit par un membre de la faculté de sciences politiques de la Brandeis University, qui vise à démontrer le caractère incertain de la protection qu’assure l’État au Kosovo en rapport avec les vendettas. Une publication du département d’État des États‑Unis fait état de l’existence de problèmes dans certains secteurs d’abus sur le territoire du Kosovo qu’administre la MINUK. Dans un blogue Internet, un missionnaire en poste au Kosovo parle d’une attitude courante au sein de ce territoire : quiconque tue sera tué.

 

[14]           Il est évident que le commissaire a simplement omis de voir la preuve ou, s’il l’a fait, qu’il a omis de prendre dûment en considération la capacité de la MINUK de faire face aux vendettas. Ayant conclu que la famille du demandeur était probablement impliquée dans une vendetta, le commissaire se trouvait dans l’obligation de traiter de cette preuve.

 

[15]           En conséquence, je fais droit à la demande en ce qui concerne Pashk Duhanaj.

 

[16]           Ni l’un ni l’autre des avocats n’a demandé qu’une question soit certifiée, et je conclus qu’il n’est pas nécessaire de le faire.


 

JUGEMENT

Pour les motifs qui précèdent;

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                          La demande est accueillie en ce qui concerne le demandeur Pashk Duhanaj. La décision rejetant sa demande d’asile est infirmée et l’affaire renvoyée à un commissaire différent pour nouvel examen;

 

2.                          la demande relative à tous les autres demandeurs est rejetée;

 

3.                          il n’y a pas de question à certifier;

 

4.                          aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2304-09

 

INTITULÉ :                                       HERIONA DUHANAJ, PASHK DUHANAJ, BERLINDA DUHANAJ, NIKOLETA DUHANAJ, JOSEPHINA DUHANAJ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 février 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HUGHES

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 février 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rod Catford

 

POUR LES DEMANDEURS

Alex Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Klein, Winbaum & Frank

Avocats

Windsor (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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