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Cour fédérale

 

Federal Court


Date :  20100219

Dossier :  T-1287-09

Référence :  2010 CF 184

Ottawa, Ontario, le 19 février 2010

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer 

 

ENTRE :

MAURICE ARIAL (ancien combattant - décédé)

MADELEINE ARIAL (conjointe survivante)

demandeurs

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7, d’une décision du comité d’appel du Tribunal des anciens combattants rendue le 14 mai 2009, rejetant la demande des demandeurs (feu Maurice Arial et sa conjointe survivante, Madeleine Arial) de réexaminer une décision précédente maintenant la date de l’admissibilité du demandeur à une allocation pour soins.

 

LES FAITS

[2]               M. Arial est un ancien combattant qui a servi dans la marine canadienne pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est décédé le 25 septembre 2005. Mme Arial est sa conjointe survivante.

[3]               Le 7 mars 1996, les demandeurs se présentent, pour la première fois, au Ministère des anciens combattants (le MAC) pour une évaluation du dossier de M. Arial. Ils prétendent qu’on ne les aurait pas informés de leurs droits à cette occasion et qu’on leur aurait dit qu’il ne servirait à rien de rencontrer un agent de pension. Ils rencontrent, tout de même, un agent de pension, et M. Arial remplit une demande de pension d’invalidité, dans laquelle il dit souffrir d’ulcères d’estomac. Cependant, les demandeurs ne déposent jamais un diagnostic du médecin de M. Arial. Son médecin, disent-ils, a pris sa retraite, et aurait refusé de collaborer. Ils en informent le MAC mais, celui-ci n’offrant aucune aide, Mme Arial retire la demande de pension.

 

[4]               En octobre 1999, la fille des demandeurs, que M. Arial a désignée comme sa représentante, entreprend de nouvelles démarches pour demander une pension d’invalidité pour son père. Cependant, cette nouvelle demande est rejetée, au motif d’une absence de conditions médicales ou blessures consécutives au service militaire de M. Arial. Une tentative de recueillir des documents médicaux datant des premières années de l’après-guerre pour démontrer l’existence, à cette époque, d’une condition médicale consécutive au service de M. Arial est infructueuse.

 

[5]               Le 11 août 2004, la fille des demandeurs contacte à nouveau une agente de pensions. Le 27 septembre 2004, elle présente une demande de pension d’invalidité pour hypoacousie. Cette demande est accordée (avec effet rétroactif au 11 août 2004), et Mme Arial en est informée par lettre datée du 1er juin 2005. La fille des demandeurs contacte alors à nouveau l’agente de pensions, qui lui dit apparemment que son père n’a droit à aucune autre indemnité.

 

[6]               Le 16 septembre 2005, la fille des demandeurs contacte le MAC en vue de présenter une demande d’allocation pour soins. Cette demande est accordée le 21 septembre 2005 (avec effet rétroactif au 16 septembre 2005).

 

[7]               M. Arial décède le 25 septembre 2005.

 

[8]               Mme Arial, en tant que conjointe survivante, demande une révision de la décision accordant l’allocation pour soins. Elle soutient avoir droit à ce que l’allocation soit accordée avec effet rétroactif au 11 août 2004. Un comité de révision rejette cette demande le 17 mai 2006. Tout en reconnaissant que la fille des demandeurs avait eu, dès le 11 août 2004, l’intention de demander une allocation pour soins, le comité de révision interprète l’article 38 de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, c. P-6 comme signifiant qu’une personne doit s’être vu reconnu le droit à une pension d’invalidité avant de pouvoir demander une allocation pour soins. Celle-ci peut alors être accordée à compter de la date où la demande en est faite. Le droit de M. Arial à une pension a été reconnu le 1er juin 2005. Ce n’est donc qu’à compter de la demande d’allocation faite le 16 septembre 2005 qu’une allocation pour soins peut lui être versée.

 

[9]               Mme Arial porte cette décision en appel. Cependant, un comité d’appel la confirme dans une décision rendue le 18 janvier 2007. Le raisonnement du comité d’appel est similaire à celui du comité de révision.

 

[10]           Mme Arial demande alors le réexamen de la décision du comité d’appel, soutenant que celle-ci est entachée d’erreurs de fait et de droit et souhaitant présenter de nouveaux éléments de preuve. Cette fois, Mme Arial demande la reconnaissance du droit de M. Arial à l’allocation pour soins rétroactivement au 7 mars 1996, soit la date où les demandeurs ont amorcé leurs premières démarches en vue d’obtenir une pension d’invalidité. Un autre comité d’appel refuse le réexamen dans une décision datée du 14 mars 2009. Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[11]           En parallèle avec la demande de l’allocation pour soins, Mme Arial a également mené  certaines autres procédures, dont une qui n’est pas sans intérêt pour le présent contrôle judiciaire, bien qu’elle n’y soit pas directement en cause. En effet, Mme Arial a contesté la décision octroyant la pension pour hypoacousie à compter du 1er juin 2005, demandant la rétroactivité maximale de cet octroi. Un comité de révision a accordé sa demande dans une décision datée du 21 octobre 2008. Reconnaissant que les demandeurs n’avaient pas été informés et conseillés comme ils auraient dû l’être par le ministère, le comité a accordé la rétroactivité maximale prévue par la Loi sur les pensions, soit trois ans avant la date de la reconnaissance du droit à la pension, ainsi qu’une indemnité additionnelle équivalente à deux ans de pension. Cette décision faisait partie du dossier du comité d’appel saisi de la demande de réexamen en cause en l’espèce.

 

LA DÉCISION DU COMITÉ D’APPEL

[12]           Le comité d’appel a conclu que puisque, selon la politique ministérielle, on ne peut présenter une demande d’allocation pour soins en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi sur les pensions avant d’avoir été reconnu admissible à une pension d’invalidité, et que le droit de M. Arial a une pension d’invalidité a été reconnu le 1er juin 2005, celui-ci ne pouvait valablement faire la demande d’une allocation pour soins avant cette date. Ni les contacts des demandeurs avec le MAC en 1996 ni les démarches de leur fille en 2004 ne peuvent donc justifier l’octroi d’une allocation rétroactive à une date antérieure au 1er juin 2005. La première demande d’allocation pour soins postérieure à cette date ayant été faite le 16 septembre 2005, l’allocation a correctement été accordée à compter de cette date. Le comité d’appel a conclu qu’aucune erreur de fait ou de droit n’avait été commise dans la décision du 18 janvier 2007.

 

[13]           Quant au nouvel élément de preuve soumis par les demandeurs, soit une déclaration de leur fille en date du 27 mars 2009 et certains documents joints à celle-ci, le comité d’appel l’a rejeté, considérant qu’il ne rencontrait pas les critères posés par cette Cour dans l’arrêt MacKay c. Canada (Procureur général), (1997) 129 F.T.R. 286, [1997] A.C.F. no 495.

 

QUESTION PRÉLIMINAIRE

[14]           Le Procureur général note que les demandeurs ont mis en preuve plusieurs documents qui n’étaient pas devant le comité d’appel lorsque celui-ci a rendu sa décision. Or, il est bien établi qu’un élément de preuve qui n’était pas devant le décideur administratif n’est admissible dans le cadre d’un contrôle judiciaire de la décision de celui-ci que pour contester sa compétence ou pour appuyer une allégation d’un manquement à l’équité procédurale (voir par ex. Ray c. Canada, 2003 CAF 317 aux pars. 5 à 7). Les documents nouveaux mis en preuve par les demandeurs en l’espèce ne sont pas de cette nature : il s’agit surtout de documents relatifs aux autres demandes de pension de M. Arial et de documents médicaux. La Cour ne peut donc en tenir compte.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[15]           Les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire sont :

1)      Le comité d’appel a-t-il erré en refusant la nouvelle preuve que les demandeurs ont soumise à l’appui de leur demande de réexamen ?

2)      Le comité d’appel a-t-il erré en concluant qu’il n’avait pas le pouvoir d’accorder la rétroactivité de l’allocation pour soins ? 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[16]           Le juge Michael Phelan a récemment statué que « [l]a question de la détermination de ce qui constitue de ‘nouveaux éléments de preuve’ est assujettie à la norme de la décision correcte en ce qui a trait au critère juridique à appliquer, mais elle est tout simplement assujettie à la norme de la décision raisonnable en ce qui a trait à l’application […] des faits à ce critère » (Atkins c. Canada (Procureur général), 2009 CF 939, [2009] A.C.F. no 1159, au par. 19).

 

[17]           Quant à la question de la rétroactivité de l’allocation pour soins, elle relève de l’interprétation de la Loi sur les pensions, et il s’agit donc d’une question de droit, assujettie à la révision selon la norme de la décision correcte (voir Atkins, ci-dessus, au par. 20 ; Canada (Procureur Général) c. MacDonald, 2003 CAF 31, (2003) 238 F.T.R. 172, au par. 11).

 

ANALYSE

1. La nouvelle preuve

[18]           Les demandeurs soutiennent que le comité d’appel a erré en n’admettant pas en preuve une déclaration de leur fille et certains documents relatifs aux problèmes médicaux de M. Arial et aux démarches entreprises par les demandeurs et leur fille en vue d’obtenir pour lui une pension d’invalidité, qui y étaient rattachés.

 

[19]           Le procureur général, pour sa part, estime que le comité d’appel a eu raison d’appliquer les critères établis par le juge Max Teitelbaum dans MacKay, ci-dessus et, ce faisant, d’exclure les éléments de preuve produits par les demandeurs. En effet, ceux-ci n’auraient pas pu influer sur l’issue de la demande, car ils n’auraient rien à voir avec la détermination de date à compter de laquelle M. Arial peut recevoir une allocation pour soins.

 

[20]           Dans l’arrêt MacKay, ci-dessus, le juge Teitelbaum a adopté, au paragraphe 25, le test élaboré par la Cour suprême dans Palmer et Palmer c. La Reine, [1980], 1 R.C.S. 759 à la page 775, selon lequel, pour être admissible par le comité d’appel, la nouvelle preuve soumise par un appelant doit être, entre autres, « telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat ». Je conviens avec le Procureur général que la nouvelle preuve produite par les demandeurs en l’espèce n’aurait pas pu influer sur le résultat de leur demande. Celui-ci dépend uniquement de l’interprétation de la Loi sur les pensions et, plus particulièrement, des limites qu’elle impose à l’admissibilité d’un ancien combattant à l’allocation pour soins.

2. La rétroactivité

Prétentions des demandeurs

[21]           Le cœur des prétentions des demandeurs peut se résumer ainsi : tout au long des démarches qu’eux et leur fille ont entreprises depuis 1996 en vue d’obtenir une pension d’invalidité et, éventuellement, une allocation pour soins pour M. Arial, le MAC a failli à son devoir de les informer de leurs droits, et ils ne devraient pas être pénalisés pour ces manquements par la limitation de la rétroactivité de l’allocation pour soins. Les demandeurs s’appuient sur le paragraphe 81(3) de la Loi sur les pensions, qui oblige le MAC à « fourni[r], sur demande, un service de consultation pour aider les demandeurs ou les pensionnés en ce qui regarde l’application de la présente loi et la préparation d’une demande ».

 

[22]           Ainsi, le retrait de la demande de pension présentée en 1996 aurait résulté de ce que le MAC n’a pas indiqué la bonne marche à suivre ou proposé des solutions face à l’impossibilité d’obtenir des documents du médecin traitant de M. Arial. Ce retrait n’aurait donc pas été volontaire ; au contraire, Mme. Arial aurait manifesté une intention constante de poursuivre et de faire progresser cette demande. Les agents du MAC auraient dû constater les difficultés physiques et intellectuelles de M. Arial et l’aider, plutôt que de l’amener à fermer son dossier. En fait, tous les documents nécessaires pour faire aboutir sa demande existaient déjà en 1996, ce qui a été confirmé par la décision concernant la rétroactivité de la pension pour hypoacousie datée du 21 octobre 2008.

 

[23]           De plus, suite à l’octroi de la pension à M. Arial le 1er juin 2005, une agente de pension aurait induit la fille des demandeurs en erreur en ne lui faisant pas état de la possibilité de demander une allocation pour soins. Les demandeurs affirment également n’avoir pas été pleinement informés de leurs droits à l’occasion d’autres contacts avec le ministère en 2005 et 2006.

 

[24]           Les demandeurs invoquent la décision de cette Cour dans l’affaire MacKenzie c. Canada (Procureur général), 2007 CF 481, (2007) 311 F.T.R. 157. Dans cet arrêt, le juge Harrington, faisant un parallèle avec la responsabilité délictuelle pour déclarations inexactes faites par négligence, a souligné qu’une conjointe survivante d’un ancien combattant et sa fille, qui 

s’informaient à l’égard des prestations prévues par une loi régissant le versement de prestations […] avaient le droit absolu de présumer que les fonctionnaires du ministère auxquels elles avaient affaire avaient des compétences spéciales, et elles avaient toutes les raisons de penser que lesdits fonctionnaires se montreraient diligents. Puisqu’un administré a parfaitement le droit de penser que le gouvernement agira de la bonne façon, le ministère savait ou aurait dû savoir [qu’elles] comptaient sur la compétence et l’esprit de discernement de ses employés.

 

[25]           Ils soulignent que les politiques et les manuels du MAC lui-même insistent sur l’importance d’assister les anciens combattants et leurs familles dans leurs démarches en vue d’obtenir des pensions ou allocations auxquelles ils ont le droit. Cette obligation découle du paragraphe 81(3) de la Loi sur les pensions. Or, la politique du MAC sur laquelle est fondée la décision du comité d’appel (ainsi que les décisions précédentes dans ce dossier) crée une injustice en ce qu’elle prive les demandeurs de leur droit à une allocation pour soins pour toute la période au cours de laquelle leur demande de pension n’aboutit pas par la faute du MAC. Un tel résultat serait contraire à la règle, posée à l’article 2 de la Loi sur les pensions, voulant que les dispositions de celle-ci « s’interprètent d’une façon libérale afin de donner effet à l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides […] par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge ».  

Prétentions du procureur général

[26]           Selon le procureur général, l’octroi d’une pension d’invalidité est une condition sine qua non pour l’octroi d’une allocation pour soins. En effet, le paragraphe 38(1) de la Loi sur les pensions dispose qu’ « [i]l est accordé, sur demande, à un membre des forces à qui une pension, une indemnité ou les deux a été accordée, qui est atteint d’invalidité totale due à son service militaire ou non et qui requiert des soins une allocation pour soins […] ». Le raisonnement du comité d’appel est donc correct : une allocation pour soins ne peut être accordée qu’une fois la pension accordée. Ainsi, aucune allocation pour soins ne pouvait être accordée à M. Arial avant le 1er juin 2005.

 

[27]           Même après cette date, les demandeurs devaient se conformer aux dispositions relatives à la façon de présenter une demande d’allocation pour soins de la Loi sur les pensions, du Règlement sur les compensations, DORS/96-66 et des politiques du ministère. Ainsi, en vertu du paragraphe 80(1) de la Loi sur les pensions, « [l]es compensations ne sont payables que sur demande — faite par le demandeur ou en son nom — et après approbation de leur paiement […] ». En vertu de l’article 3 du Règlement sur les compensations, un demandeur doit fournir, à l’appui de sa demande, certains documents et renseignements. De plus, la politique ministérielle prévoit que « la date d’entrée en vigueur de l’octroi de l’allocation pour soins ne doit pas précéder la date de la décision accordant l’admissibilité à la pension ». Suivant cette politique, il n’est pas permis de demander simultanément une pension et une allocation pour soins. Or, toutes ces exigences n’ont été satisfaites que lorsque la fille des demandeurs a contacté le MAC en vue d’obtenir une allocation de soins pour son père le 16 septembre 2005.

 

[28]           De plus, le procureur général souligne qu’aucune disposition de la Loi sur les pensions ne donne un effet rétroactif aux allocations pour soins, contrairement à ce qui est le cas pour les pensions d’invalidité.

 

Analyse

[29]           La question au cœur de ce litige est donc de savoir si le paragraphe 38(1) de la Loi sur les pensions, qui crée le droit à une allocation pour soins, permet que l’octroi d’une telle allocation prenne effet à une date antérieure à l’octroi d’une pension d’invalidité.

 

[30]           Tant la décision du comité d’appel rendue le 14 mai 2009 que toutes les décisions précédentes concernant l’allocation pour soins sont fondées sur une politique ministérielle selon laquelle la réponse à cette question est négative. Cependant, cette politique ne saurait avoir un effet contraignant. Dans la mesure où elle empêche le comité d’appel d’octroyer une allocation à laquelle un ancien combattant a droit en vertu de la Loi sur les pensions, celui-ci agit d’une manière contraire à la loi en l’appliquant.

 

[31]           Puisque la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, la Cour doit entreprendre sa propre analyse du paragraphe 38(1) de la Loi sur les pensions (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au par. 50). J’en reproduis le texte pour plus de commodité :

38. (1) Il est accordé, sur demande, à un membre des forces à qui une pension, une indemnité ou les deux a été accordée, qui est atteint d’invalidité totale due à son service militaire ou non et qui requiert des soins une allocation pour soins au taux fixé par le ministre en conformité avec les minimums et maximums figurant à l’annexe III.

 

38. (1) A member of the forces who has been awarded a pension or compensation or both, is totally disabled, whether by reason of military service or not, and is in need of attendance shall, on application, in addition to the pension or compensation, or pension and compensation, be awarded an attendance allowance at a rate determined by the Minister in accordance with the minimum and maximum rates set out in Schedule III.

 

[32]           Alors que les paragraphes 38(2) et 38(3) concernent la suspension ou l’arrêt des versements de l’allocation pour soins, respectivement en cas d’hospitalisation et suite au décès de l’ancien combattant qui la recevait, aucune disposition ne porte spécifiquement sur le moment à partir duquel l’allocation pour soins devient payable. Le paragraphe 38(1) dispose simplement que celle-ci est accordée « à un membre des forces à qui une pension, une indemnité ou les deux a été accordée ». Comme le souligne le procureur général, cette disposition ne permet pas expressément d’accorder une allocation pour soins de façon rétroactive. Toutefois, elle ne l’interdit pas non plus.

 

[33]           Face au silence du législateur, il faut se rappeler qu’à l’article 2 de la Loi sur les pensions, celui-ci a clairement exprimé sa volonté de faire en sorte que « [l]es dispositions de la présente loi s’interprètent d’une façon libérale afin de donner effet à l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge ». Dans Canada (Chief Pensions Advocate) v. Canada (Minister of Veterans Affair, Appeal Board), (1992) 98 D.L.R. (4th) 45, [1992] F.C.J. No. 910 (QL) (F.C.A.), la Cour d’appel fédérale a statué qu’il fallait comprendre cette disposition comme « ordering the Board and eventually the Courts, when in doubt with respect to the amount of compensation, to decide in favour of the larger amount ».

 

[34]           Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a unanimement réitéré l’importance d’ « une interprétation libérale et généreuse » de la Loi sur les pensions, tant parce qu’il s’agit d’une loi « relative au bien-être social » qu’à cause de ses termes exprès (Canada (Procureur Général) c. Frye, 2005 CAF 264, (2005) 338 N.R. 382 aux pars. 14-20).  

 

[35]           Dans l’arrêt MacDonald, ci-dessus, il s’agissait de décider si, en l’absence d’une autorisation législative expresse, une réévaluation du degré d’invalidité pouvait prendre effet rétroactivement à la date de l’octroi de la pension, plutôt qu’à la date où la demande en avait été faite. Bien que formulés en obiter, les commentaires suivants du juge Evans, parlant au nom de la Cour d’appel fédérale unanime, sont pertinents en l’espèce :

[E]n l’absence de motif impérieux pour restreindre la portée de l’article 39 aux décisions sur le droit à pension, il semblerait très injuste et contraire à l’esprit de la Loi [sur les Pensions], tel qu’il est énoncé à son article 2 – particulièrement en raison du fait que cet article requiert de procéder à une interprétation libérale – , d’interpréter la Loi comme interdisant de rendre rétroactive une évaluation effectuée pour corriger une évaluation antérieure erronée par Anciens Combattants Canada et le Tribunal quant à la proportion d'invalidité.

 

 

[36]           De même, à mon avis, la limitation de la rétroactivité des allocations pour soins appliquée par le comité d’appel est contraire à l’esprit de la Loi sur les pensions, tel qu’énoncé à l’article 2 de celle-ci. Elle est incompatible avec une interprétation libérale et généreuse, visant à maximiser la compensation à laquelle un ancien combattant et sa famille ont le droit, de son paragraphe 38(1). Cette disposition fait clairement le lien entre le droit à l’allocation pour soins et le droit à la pension. Ainsi, un ancien combattant n’a pas droit à la première s’il n’a pas déjà le droit à la seconde. Ce lien est exprimé encore plus nettement dans le texte anglais de la disposition, qui prévoit que l’allocation pour soins est octroyée « in addition to the pension or compensation, or pension and compensation » (je souligne).

 

[37]           Or, en vertu du paragraphe 39(1) de la Loi sur les pensions, la pension d’invalidité, une fois accordée, prend effet à la date où la demande en a été faite ou à la date précédant de trois ans la reconnaissance du droit à la pension si celle-ci est postérieure à celle-là. J’en conclus qu’il faut comprendre les mots « a été accordée » dans le paragraphe 38(1) de la Loi sur les pensions comme couvrant la période pour laquelle la pension a pris effet en vertu du paragraphe 39(1), et non seulement la période suivant la décision accordant la pension.

 

[38]           Bien que le Parlement n’ait pas spécifié que l’allocation pour soins peut être accordée pour toute la période pour laquelle la pension a pris effet, vu le lien étroit entre ces deux formes de compensation et l’absence de motifs impérieux pour en restreindre la portée, il serait injuste de limiter la période pour laquelle prend effet l’allocation pour soins autrement qu’à celle pour laquelle prend effet la pension.

 

[39]           Toutefois, la « compensation supplémentaire » prévue au paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions ne doit pas être prise en compte dans l’évaluation de la période pour laquelle la pension d’invalidité a pris effet. En effet, il s’agit d’une « compensation supplémentaire » et non d’une « pension » ou d’une « indemnité » dont parle le paragraphe 38(1). (Le texte anglais de ces dispositions utilise également des termes différents : « award » dans le paragraphe 39(1), « pension » et « compensation » dans le paragraphe 38(1).) De plus, il s’agit d’une compensation forfaitaire, dont l’évaluation est laissée à la discrétion du comité de révision ou du comité d’appel, et qui n’est donc pas directement liée à une période d’admissibilité à une pension, encore qu’elle soit limitée à « montant ne dépass[ant] pas celui de deux années de pension ».

 

[40]           Je conclus donc que la politique ministérielle appliquée par le comité d’appel est incompatible avec une interprétation libérale de la Loi sur les pensions conforme à l’objectif clairement exprimé du législateur. Le comité d’appel a donc erré en concluant qu’il n’avait pas le pouvoir d’accorder la rétroactivité de l’allocation pour soins.

 

CONCLUSION

[41]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accordée, et la demande de réexamen, renvoyée pour étude à la lumière des motifs par un comité d’appel différemment constitué.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accordée, et la demande de réexamen, renvoyée pour étude à la lumière des motifs par un comité d’appel différemment constitué.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1287-09

 

INTITULÉ :                                       MAURICE ARIAL ET AUTRE c PGC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 QUÉBEC (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 février 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Sonia Arial

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Marieke Bouchard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mme. Sonia Arial

Québec (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Sous-procureur général du Canada

Bureau régional de Québec

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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